Intervention de Justin Vaïsse

Réunion du 23 novembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Justin Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie au Ministère des affaires étrangères et du développement international, sur les conséquences des élections américaines :

Je suis très heureux de m'exprimer à nouveau devant votre commission pour tenter de percer le mystère Trump, dont l'élection crée, vous l'avez dit, beaucoup d'incertitudes.

Je reviendrai tout d'abord sur l'élection elle-même et sur l'interprétation que l'on peut en faire. Force est de constater qu'il ne s'agit ni d'une vague de fond ni d'un mandat populaire. Cependant, la victoire de Trump est nette. Il a remporté trente États et 290 mandats de grands électeurs, contre vingt États et 232 mandats pour Clinton, sachant que, si les résultats de l'État du Michigan, qui compte seize grands électeurs, ne sont pas encore connus, ils ne peuvent pas faire pencher la balance dans l'autre direction. Trump a donc gagné, mais il a gagné de justesse. Ainsi, il ne distance sa rivale que de moins d'1,3 point dans les États clés, c'est-à-dire ceux où il devait absolument l'emporter : l'écart est de 27 000 voix dans le Wisconsin et de 68 000 en Pennsylvanie, par exemple.

En outre, il est minoritaire dans le vote populaire. Autrement dit, dans une élection « normale », Mme Clinton aurait été élue, même si la dynamique aurait été différente. Grosso modo, au plan national, l'écart entre les deux candidats est actuellement d'environ 1,7 million de voix et pourrait atteindre, le décompte n'étant pas terminé, 2 millions, voire 2,5 millions de voix. Hillary Clinton aura recueilli plus de voix que n'importe quel autre candidat à l'élection présidentielle américaine, à l'exception de Barack Obama. Sa défaite peut donc s'expliquer par une mauvaise campagne, par la polarisation négative qu'elle suscite, et qui est souvent sous-estimée, et par une faible mobilisation. En effet, alors qu'Obama avait recueilli 70 millions de voix en 2008 et 66 millions en 2012, Clinton n'en recueillera sans doute, selon le décompte final, que 64 millions. Le score des Républicains, quant à lui, est presque stable, puisqu'il s'établit à 60 millions de voix pour McCain en 2008, 61 millions pour Romney en 2012 et 62 millions pour Trump en 2016. Le score des Démocrates a donc baissé régulièrement tandis que celui des Républicains stagne. L'élection de Trump n'est donc pas un plébiscite ; il n'a pas de mandat populaire et il est un président minoritaire, ce dont il ne semble nullement tirer des leçons puisque lui et son camp affirment, au contraire, qu'il a bénéficié d'une vague de soutien.

Ce point étant précisé, je souhaiterais vous mettre en garde contre la tentation de nier la radicalité potentielle de la présidence Trump. On se rallie en effet largement à l'hypothèse selon laquelle celui-ci sera « digéré » par le système : le jeu des checks and balances traditionnels et le respect des intérêts structurels des États-Unis, que ce soit en matière de business, d'accords commerciaux ou d'alliances, le dissuaderaient d'aller trop loin. D'autres éléments plaident en faveur de cette thèse. Ainsi, les déclarations qu'il a faites hier au New York Times sont rassurantes en ce qui concerne l'accord de Paris, le sort d'Hillary Clinton, qu'il ne jettera pas en prison, contrairement à ce qu'il avait affirmé lors de la campagne – ce qui était tout de même assez déconcertant au regard des standards démocratiques – ou le mur qu'il avait affirmé vouloir construire à la frontière avec le Mexique. Du reste, en sortant de son entretien avec Trump, Kissinger a déclaré que ce dernier s'affranchirait très probablement de ce qu'il a dit lors de la campagne. Bref, l'impression générale qui domine est qu'il s'agit d'un pragmatique, d'un businessman qui cherche avant tout à obtenir le meilleur deal, comme en témoigne le titre du seul livre qu'il ait signé, The Art of the deal. Au fond – et c'est ce que Laure Mandeville laisse entendre dans l'ouvrage très intéressant qu'elle lui a consacré –, il ne faudrait pas prendre ses déclarations au pied de la lettre. Selon une formule qui a fait florès pendant la campagne, « les médias l'ont toujours pris au mot mais pas au sérieux ; ses supporteurs l'ont toujours pris au sérieux mais pas au mot. »

Plutôt que d'élaborer des scénarios extrêmes fondés sur ses déclarations de campagne ou de penser, au contraire, qu'il sera un président comme les autres, il convient, me semble-t-il, de se demander sur quels sujets il faut le prendre au mot ; je vais y venir.

Toujours est-il qu'il y a, selon moi, de bonnes raisons de douter de l'interprétation selon laquelle Trump sera « digéré » par le système et sera amené à adopter des positions plus modérées. Tout d'abord, sa psychologie. Il aime en effet décider seul, souvent de façon impulsive. Il a ainsi déclaré avoir appris à faire confiance à son instinct et à ne pas trop penser aux dossiers. « Le jour où j'ai réalisé, dit-il, qu'il pouvait être malin d'être superficiel et de décider rapidement a été pour moi une grande expérience ». On sait d'ailleurs qu'il ne lit pas et qu'il n'écoute pas ses conseillers, lesquels sont peu nombreux et souvent issus de sa famille. On sait aussi qu'il ne doit son élection à aucune puissance d'argent, puisqu'il a largement autofinancé sa campagne et s'est beaucoup servi des micros que lui tendaient les médias. En outre, il est peu probable qu'à 70 ans, Trump souhaite revenir sur certaines de ses opinions les plus profondément ancrées.

Il est intéressant, par ailleurs, d'examiner les premières nominations auxquelles il a procédé. De fait, celles qui sont absolument certaines sont un peu inquiétantes. La nomination de Reince Priebus, patron du Parti républicain et membre de l'establishment, au poste de Chief of staff de la Maison blanche, chargé d'assurer la cohérence de l'ensemble de la machine administrative américaine, a pu rassurer. Mais Trump en a déconcerté beaucoup en nommant aussitôt Steve Bannon au poste de Chief strategist, dont il a précisé qu'il devrait travailler en tant qu'« equal partner » avec le Chief of staff. A été évoqué aussi le nom de Jeff Sessions, dont le profil est également un peu inquiétant. Par ailleurs, il semble acquis que le Conseiller à la sécurité nationale sera le lieutenant général Michael Flynn – j'y reviendrai. Il s'agit là des nominations qui sont acquises ; j'évoquerai ultérieurement celles qui sont probables, notamment aux postes de Secrétaire d'État et de Secrétaire à la défense.

Parmi les raisons pour lesquelles il ne faut pas nier le potentiel de radicalité de cette présidence figure le fait que Donald Trump joue différents rôles selon les contextes où il se trouve – plus encore que d'autres hommes politiques. Par exemple, l'interview qu'il a donnée hier au New York Times avait pour objectif de convaincre et de flatter ses partenaires, au point qu'il a dit de ce journal qu'il était un « trésor national », après l'avoir traité très durement, tweet après tweet, durant la campagne et depuis son élection. Dans cet entretien, il endosse donc le rôle de l'homme qui se modère et revient sur certaines de ses déclarations de campagne les plus incendiaires. On se souvient également de sa visite, en tant que candidat, à M. Pena Nieto, le président du Mexique. Alors qu'il avait annoncé son intention de construire un mur à la frontière mexicaine et de le faire financer par les Mexicains, il est apparu devant M. Pena Nieto, sinon dans ses petits souliers, du moins affable et aimable. Et, selon les récits qui en ont été faits, c'est le président mexicain qui a dominé l'entretien et la conférence de presse qui a suivi. Sitôt revenu à New York, cependant, il a changé de ton, réitérant ses propos les plus radicaux et son souhait de construire un mur à la frontière mexicaine. Il est vrai que la lutte contre l'immigration est l'une de ses convictions les plus profondément ancrées. Certes, tous les hommes politiques sont un peu acteurs par nécessité, mais on remarque, chez lui, une capacité particulière à s'adapter à son auditoire et à jouer un rôle. Cela ne nous renseigne pas beaucoup sur ses convictions profondes et ne fait que renforcer le sentiment d'une grande incertitude. L'interview du New York Times n'est donc pas forcément aussi rassurante qu'on voudrait le croire.

L'une des seules certitudes que nous ayons est que cette administration sera chaotique. D'abord, on sait déjà que la façon de gouverner de Donald Trump et son entourage feront l'objet d'une grande attention. Au cours des dernières semaines, on a beaucoup moins parlé du fond, notamment des programmes des candidats, que du rôle de sa famille et de la question du népotisme – qui se pose de manière objective – ou de la controverse liée à la comédie musicale Hamilton. Je rappelle qu'à la fin de l'une des représentations, les acteurs avaient demandé au vice-président Mike Pence, qui assistait au spectacle, de s'assurer que la Maison blanche aurait une pratique politique inclusive et représenterait les Américains de toutes origines. Trump lui-même a demandé, sur Twitter, aux comédiens de présenter leurs excuses. Le même jour, il a décidé de payer 25 millions de dollars pour mettre fin au procès qui lui était intenté à propos de la Trump University. On pourrait encore citer : la controverse autour de Jeff Sessions et l'espèce de bal des prétendants auquel on a assisté et qui rappelle son rôle dans The apprentice, l'émission de téléréalité qu'il a animée. Bref, je crains que, bien souvent, les controverses ne chassent les vrais débats.

Par ailleurs, on connaît ses méthodes de management, qui consistent à mettre les gens en concurrence. Ainsi, Reince Priebus et Steve Bannon seront placés sur un pied d'égalité alors que, selon les textes, le Chief of staff a une position prééminente.

On peut également souligner les contradictions profondes de son programme politique – si tant est que l'on puisse parler de programme, dans la mesure où il n'a pas été très loin dans l'explicitation de celui-ci – qui l'obligeront à trancher entre des options souvent radicalement différentes, y compris en politique étrangère ; je vais y venir.

Si les républicains ont conservé la majorité au Sénat, celle-ci s'est réduite, empêchant ainsi l'adoption d'un agenda législatif ambitieux. Mais elle permettra de fluidifier notamment la désignation et la confirmation de personnalités nommées à des postes relevant des affaires étrangères. En effet, plus d'une centaine de postes sont soumis à une confirmation du Sénat – le spoils system concerne environ 4 000 emplois, qu'on appelle les political appointees. Le Sénat est néanmoins un corps relativement indépendant, dont les membres sont élus pour six ans et ne doivent rien à l'exécutif. On peut donc s'attendre à ce que naissent des tensions importantes avec certains sénateurs, tels que John McCain ou Lindsay Graham, dont les options en matière de politique étrangère sont très différentes de celles de Trump. Du reste, John McCain a déjà indiqué qu'il ne transigerait pas sur certains sujets, en particulier la torture et les relations avec la Russie. Or, personne ne peut le faire fléchir, car il vient d'être réélu, qui plus est pour un mandat plus long que celui du Président, puisque le mandat de sénateur est de six ans. On peut donc s'attendre à un certain chaos, sans compter tous les problèmes éthiques que soulève l'accession de Trump à la présidence.

Je vous invite cependant à tenir compte du fait que la présidence Trump durera quatre années et que des évolutions sont donc possibles. Il est en effet fort probable qu'elle débute de manière chaotique puis se stabilise au terme de la première année. Souvenez-vous, des débuts de l'administration Reagan, qui furent très chaotiques et cacophoniques, notamment dans le domaine de la politique étrangère en raison de la lutte que se livraient le Département d'État et le Département de la défense. Les choses ne se sont un peu rétablies qu'à partir de 1982-1983. Il n'est donc pas impossible, compte tenu de la psychologie du Président, que nous assistions à des variations très importantes au cours du temps.

J'ajoute qu'il ne faut pas sous-estimer les éventuels scénarios catastrophes. On a en effet parlé d'impeachment, de démission, de manifestations. La situation raciale, comme on dit aux États-Unis, étant très tendue, il est possible, si des événements comme ceux qui se sont déroulés cette année se reproduisent et que la Maison blanche réagit différemment d'Obama, que des manifestations répétées aient lieu. Encore une fois, ne sous-estimons pas le potentiel de confrontation et de tension.

J'en viens maintenant à la politique étrangère. Un mot, d'abord, des nominations. Celle du lieutenant général Michael Flynn au poste de Conseiller à la sécurité nationale du Président est acquise. On sait de lui qu'il est très engagé dans la lutte contre le terrorisme et extrêmement méfiant envers l'islam et les musulmans. Il a soutenu les déclarations les plus incendiaires de Trump à ce sujet, en particulier sur l'établissement d'une liste des musulmans arrivant aux États-Unis. On sait également qu'il a une vision plutôt positive de la Russie, puisque la lutte contre le terrorisme doit conduire, selon lui, les États-Unis à s'entendre avec Poutine. Toutefois, son expérience est limitée et ce n'est pas un intellectuel. Il a donc peu à voir avec ses prédécesseurs : Bzrezinski, Kissinger, Anthony Lake... Contrairement à eux, il n'a pas une conception d'ensemble de l'action extérieure des États-Unis ; sa vision est évidemment très militarisée et centrée sur le Moyen-Orient et le terrorisme.

Parmi les nominations attendues, trois semblent de plus en plus probables : celle de Mitt Romney au Département d'État, celle du général Mattis au Département de la défense et celle de Nikki Haley au poste d'ambassadeur aux Nations unies, poste important dans la mesure où son titulaire est souvent membre du cabinet. La désignation de Romney serait une bonne nouvelle, car il connaît le monde et appartient davantage au mainstream que d'autres personnalités dont le nom a été cité, tel que Rudy Giuliani, l'ancien maire de New York. Toutefois, si elle était confirmée, les contradictions que j'évoquais tout à l'heure ne manqueraient pas de surgir, puisqu'il avait déclaré, en 2012, en tant que candidat républicain, que la Russie représentait la plus grande menace géopolitique pour les États-Unis. Or, tout indique que Trump souhaiterait s'entendre avec Poutine. Si je souligne cette contradiction, c'est parce qu'elle est assez centrale pour l'avenir.

James Mattis présente un profil différent. Tout d'abord, c'est un intellectuel. Ensuite, c'est un ancien général ; il est donc plus gradé que le Conseiller à la sécurité nationale, à qui cela semble déplaire. Par ailleurs, on le sait plus méfiant vis-à-vis de la Russie et très opposé au deal avec l'Iran, tout comme Mike Pompeo. Je rappelle que ce dernier, ancien major de West Point passé par la Harvard Law School, a été nommé à la tête de la CIA. Sa nomination est donc rassurante. Du reste, lorsque nous l'avons rencontré à Paris récemment, il nous a fait très bonne impression car il connaît très bien les dossiers, même s'il a, comme le général Mattis, des vues tranchées sur l'Iran, qu'il considère comme le coeur des problèmes du Moyen-Orient.

Que ce soit sur la Russie ou sur l'Iran, les visions sont très différentes au sein de l'administration. Quelle influence cette situation aura-t-elle sur les différents dossiers ? Je vous propose d'en examiner deux.

Tout d'abord, le dossier des accords commerciaux. Dans ce domaine, Trump a, me semble-t-il, des convictions profondes, qu'il affirme depuis longtemps. Au cours de la campagne, il a annoncé qu'il se retirerait de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et qu'il mettrait fin à la procédure de ratification du Transpacific partnership (TPP). Que se passera-t-il après le 20 janvier ? Trois scénarios sont envisageables.

Premièrement, Trump conteste les accords mais reste dans le cadre existant. Il pourrait ainsi adopter une position offensive, déclencher un certain nombre de panels à l'OMC, pour respecter en quelque sorte ses discours de campagne. Quant à l'ALENA, il n'est pas certain, compte tenu du volume considérable des échanges entre les trois pays concernés et des centaines de milliards de dollars en jeu chaque année, qu'il s'en retire, mais il peut agir dans le cadre de la procédure d'évaluation annuelle. Dans cette hypothèse, Trump adopterait donc une position plus modérée ; il resterait dans le cadre des traités existants tout en faisant beaucoup de bruit pour essayer d'obtenir un meilleur deal. C'est, du reste, l'hypothèse sur laquelle misent ses voisins canadiens et mexicains, qui se sont dits prêts à rediscuter de certains aspects des accords.

Dans le deuxième scénario, celui de la méthode dure, Trump met fin au TPP, entame le retrait de l'ALENA et recourt à divers instruments, y compris les droits de douane. Il a en effet annoncé, durant sa campagne, qu'il porterait ceux-ci à 45 % sur les produits chinois. Puisqu'il a dit tout et son contraire, il est difficile de savoir ce qu'il en sera exactement et, comme c'est un négociateur, on peut toujours penser qu'il affiche une position extrême au départ pour obtenir un accord plus favorable. Mais ce deuxième scénario n'est pas impossible, et il pourrait conduire au déclenchement de guerres commerciales – après tout, les États-Unis ont vendu, l'an dernier, à la Chine pour 15 milliards de dollars d'aérospatiale, notamment des Boeing, et pour 10 milliards de dollars de soja et autres produits agricoles – dont il n'est pas certain qu'elles bénéficient à ses électeurs.

Le troisième scénario est encore plus radical. Il n'est en effet pas du tout impossible que, s'il commence par aménager des deals à l'ALENA ou à l'OMC, il déclenche des guerres commerciales beaucoup plus importantes. De fait, on se concentre sur Trump, mais il faut également compter avec les réactions des partenaires et des adversaires des États-Unis. Dans cette hypothèse, une crise constitutionnelle n'est pas à exclure car je ne suis pas certain que le Sénat, qui est censé se prononcer sur les accords commerciaux, laisserait le Président les démanteler.

Second dossier : les rapports avec la Russie, l'Iran et le Moyen-Orient. Là encore, on peut envisager trois scénarios.

Le premier est celui d'un alignement sur l'axe Moscou-Téhéran. Ce scénario paraît assez logique, compte tenu des inclinations de Trump et de ses déclarations de campagne, puisqu'il a indiqué à plusieurs reprises que le fait que Poutine et Bachar s'occupent de la situation en Syrie lui convenait très bien. Toutefois, l'un des rares points de consensus entre le Président et le Congrès est l'hostilité au Joint comprehensive plan of action (JCPOA), l'accord signé le 15 juillet 2015 sur le nucléaire iranien. Il y a donc là une contradiction assez profonde : s'il est possible de s'entendre avec Moscou, que faire de l'Iran ? Ce pays, qui contribue considérablement à la puissance de Bachar el-Assad, n'acceptera pas forcément n'importe quel deal, et il n'est pas certain que Poutine puisse l'imposer à Téhéran.

Dans le deuxième scénario, Trump conclut un deal avec la Russie tout en restant dur avec l'Iran. Dans cette hypothèse, c'est la position de Poutine qui comptera : sera-t-il prêt à lâcher, en quelque sorte, l'Iran pour conclure un accord avec Trump ? Là encore, il ne faut pas s'imaginer que les partenaires ou les adversaires des États-Unis resteront nécessairement sur leur ligne. Il n'est pas du tout certain que Poutine veuille un deal à tout prix ; après tout, lui aussi est un négociateur. Tout dépendra de ce que Trump lui proposera.

Enfin, dans le dernier scénario, l'hostilité à Téhéran domine, notamment en raison de la convergence entre le Congrès et le Président sur l'opposition à l'accord sur le nucléaire. Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas d'entente particulière avec la Russie mais la poursuite de relations purement transactionnelles, dans la continuité de la présidence Obama.

Je conclus en évoquant les répercussions de la future présidence pour la France, l'Europe et le système international. Il faut, là encore, penser le mandat de Trump de manière dynamique. On a bien vu, par exemple, qu'au Moyen-Orient, le choix d'Obama de réduire la présence américaine a conduit un certain nombre d'acteurs – Arabie Saoudite, Russie, Daech, notamment – à s'affirmer ou à adopter une attitude différente. De même, la politique de Trump produira des effets – rapprochement avec les États-Unis ou antiaméricanisme – qui pourraient modifier la situation ici. En tout état de cause, les protégés des États-Unis, de la Corée du Sud à l'Arabie Saoudite et du Japon à l'Ukraine, s'interrogent et tenteront de résoudre le dilemme sécuritaire accru par cette incertitude, soit en se lançant dans une course aux armements, en particulier nucléaires – et l'on peut craindre une prolifération nucléaire en Asie et au Moyen-Orient si les garanties américaines paraissent fléchir –, soit en se rapprochant des adversaires des États-Unis, notamment de la Chine, à l'instar de Duterte, le président des Philippines. On a vu également Poutine tendre la main à l'Iran le jour même de la victoire de Trump. Par ailleurs, les adversaires des États-Unis voudront tester sa fameuse appétence pour les accords – on peut penser à la Russie en Syrie – et sa réticence, ou sa disponibilité, à intervenir en défense de ses alliés – je pense ici à la Chine, voire à la Corée du Nord.

Pour l'Union européenne, la présidence Trump représente un triple défi. Un défi idéologique, ou politique, à sa méthode de conciliation des intérêts nationaux et à son action extérieure en matière de développement et de lutte contre le dérèglement climatique. Un défi géopolitique à sa stabilité, notamment en cas d'accord avec la Russie ; le risque existe d'un accroissement du flux des réfugiés et de la radicalisation en cas d'accord avec Bachar el-Assad et Poutine. Un défi à son statut d'acteur important, car un deal américano-russe passerait au-dessus de la tête des Européens. Un défi à son unité, enfin, car les Européens risquent d'aborder cette présidence de manière désunie.

Enfin, pour la France, la situation est évidemment délicate car, au début, il est nécessaire de jouer la conciliation. Quelques-unes des personnalités nommées par Trump, ou susceptibles de l'être, affichent une certaine francophilie qui tient, chez Michael Flynn, à son appréciation très positive de l'action militaire française et, chez Pompeo, au fait que notre position vis-à-vis de l'Iran a permis d'obtenir un meilleur accord – même s'il juge celui-ci encore insuffisamment robuste. Il ne faut donc pas sous-estimer le crédit dont peut jouir la France. Cependant, et c'est le sens de la réaction allemande à l'élection de Trump, celui-ci porte un défi à l'Union européenne et aux valeurs communes, dont on avait coutume de dire qu'elles étaient celles de l'Occident, de sorte qu'il n'est pas impossible que parfois les relations avec cette administration se tendent. Mais il faut garder à l'esprit que les revirements de Trump sont fréquents et qu'il adopte très souvent une posture de négociation, dans laquelle ce que l'on dit n'est pas forcément ce que l'on fait.

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