Mais je refuse qu’on le présente comme un texte de consensus et d’équilibre. Je refuse cette approche consistant à enregistrer une pression sociale et politique locale, et à canaliser celle-ci avec des arrangements et des compromis, en cherchant des points d’équilibre. Ce n’est pas cela, la recherche de l’intérêt général, mes chers collègues.
La question de la langue est une question politique majeure, qu’il faut aborder avec des principes et une ligne politique. Les principes sont simples : ils sont inscrits dans les articles de la Constitution. Article 2 : « La langue de la République est le français. » Article 75-1 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » La ligne politique doit être déduite de ces principes : rien à l’école, rien dans les services publics, aucune forme de co-officialité, mais un soutien franc aux langues régionales en danger de disparition par une politique culturelle, nationale et régionale. C’est sur cette base que nous devrions nous rassembler.
Plutôt que cette clarté, les promoteurs des langues régionales – pour reprendre le titre de la proposition de loi – n’ont pour seul souci que de franchir la ligne jaune, de violer les principes, de jouer avec la Constitution.
Quel projet politique portent les promoteurs des langues régionales ? Ils nous proposent non pas de les sauver, de les promouvoir, de les préserver, de les développer – ces objectifs, quoique discutables, sont légitimes, et, sans les partager, je les admets –, mais de les faire entrer à l’école et dans la sphère publique. Ils nous proposent de construire pour demain une France balkanisée et fragmentée, en commençant par ses marges géographiques et linguistiques, une France dans laquelle les étudiants, les écoliers, les fonctionnaires ne circuleront plus facilement au cours de leur vie, parce qu’ils se poseront la question de leur identité, de leur appartenance. Non, mes chers collègues, je ne rêve pas de cette France régionalisée et enracinée, car un Français est partout chez lui sur le territoire national.
La promotion forcée des langues régionales est un projet d’enfermement pour les uns et de limitation pour les autres. Même s’ils s’en défendent, ce projet valorise l’entre-soi et – disons-le puisque, tout à l’heure, sera évoqué le souvenir des Conventionnels –, le projet d’une France fédérale avec plusieurs langues et plusieurs législations. Nous en sommes loin mais aucun pas ne doit être fait dans cette direction. La revendication linguistique a été conçue dans les années 1970 ; la France de mai 1968 avait besoin de respirer, mais de l’eau a coulé sous les ponts.
La langue est un objet sérieux. On répète trop souvent, avec Renan, que la nation est un projet. Or la nation est aussi une langue, une langue commune, une langue vivante. L’édit de Villers-Cotterêts a lancé l’unification linguistique. Cette proposition de loi est une proposition de détricotage : quelques mailles, rien de méchant. On devrait laisser passer mais je suis convaincu que le législateur, par respect pour cette entreprise pluriséculaire, doit refuser toutes les mesures qui, prétendument, « ne mangent pas de pain » ; elles ne seront du reste probablement jamais examinées par le Sénat – c’est un détail.
Le législateur doit se montrer extrêmement prudent, précautionneux, prendre le plus grand soin de l’héritage républicain et refuser tous ces accommodements déraisonnables affaiblissant la langue commune, notre langue commune, qui nous permet de faire nation et de regarder sereinement vers l’avenir.