Le chemin parcouru est formidable depuis la dernière fois que j'ai été auditionnée par vos trois commissions réunies, pour vous expliquer quel était notre plan pour la conférence de Paris. J'étais sans doute très affirmative mais également pleine de doutes sur notre capacité à mener ce plan à bien. Or cela a fonctionné au-delà de nos espérances, puisque les trois versions du texte présentées dans les derniers jours de la conférence des parties de 2015, ont été, chaque fois, plus ambitieuses, alors que tout le monde s'attendait à ce que l'on dégrade le texte.
La seconde très bonne nouvelle est que les pays qui ont accepté le texte sans avoir pu le négocier directement n'ont, depuis, pas fait marche arrière, ce qui est remarquable. Ainsi l'accord de Paris a-t-il été signé à New York, puis ratifié à un rythme inédit pour un traité international, d'où son entrée en vigueur beaucoup plus rapide que prévu. Je l'interprète comme le signe de l'adhésion profonde de gouvernements qui, malgré la diversité de leurs économies, se sont tous sentis parties prenantes de l'accord, ce qui renforce sa solidité, face aux turbulences politiques qui s'annoncent sérieuses dans les mois qui viennent.
Tandis que la COP22 nous donnait le sentiment de voir nos efforts récompensés, la nouvelle de l'élection de Donald Trump, quelques jours après le début de nos travaux, a donné à tous les participants – gouvernements, réseaux d'entreprises et ONG – le sentiment qu'il fallait réaffirmer avec force notre intention d'aller de l'avant. C'est le sens de la Déclaration de Marrakech, à laquelle le gouvernement marocain songeait depuis longtemps mais qui, dans ce nouveau contexte, a pris une dimension politique nouvelle et doit faire comprendre à la nouvelle administration américaine que dénoncer l'accord de Paris aura un coût politique.
Cela étant, comment analyser les résultats de la conférence de Marrakech ? Nous avions une mission essentielle et nous l'avons remplie : finaliser les modalités d'application de l'accord de Paris et veiller à ce que la cadence ne ralentisse pas, ce qui était moins facile que pour les ratifications, car cela impliquait de se prononcer sur de nombreuses décisions, très largement techniques, même s'il est toujours possible de leur donner une dimension politique.
Il a été acté que la Conférence aurait achevé ses travaux en 2018, ce qui est également un record pour un traité international, sachant qu'il a fallu sept ans pour finaliser l'accord de Kyoto, les États qui négocient pensant souvent que le diable gît dans les détails. Ce délai devrait être respecté, et il appartiendra aux îles Fidji, qui présideront la prochaine édition de la COP, de maintenir le tempo.
En matière de financements des avancées intéressantes ont également eu lieu, notamment au sujet des 100 milliards de dollars que les pays développés se sont engagés, en 2009 à Copenhague, puis à Cancún en 2010, à verser aux pays en développement. Or il règne une certaine confusion au sujet de ces 100 milliards, puisque le texte de l'engagement évoque des sources variées, publiques et privées, ce qui laisse planer une ambiguïté sur ce que doit être la part des financements publics.
À Marrakech, nous nous sommes mis progressivement d'accord sur une feuille de route financière, qui tienne compte des problèmes que posait le financement de l'adaptation. En effet, on ne sait pas très bien financer l'adaptation, à la fois parce que les dons sont rares mais aussi parce qu'il est difficile de l'évaluer en termes financiers. De gros progrès restent à faire, tant du côté des pays récipiendaires, qui doivent se montrer capables de mettre en oeuvre des projets d'adaptation identifiables et finançables, que du point de vue des donateurs. Il faut de surcroît parvenir à définir ce qu'est l'adaptation : la gestion de l'eau, par exemple, rentre-t-elle dans cette catégorie ? Cela peut parfois ressembler à une discussion sur le sexe des anges, mais il est pourtant fondamental de comprendre ce que veut dire s'adapter, et à quel climat, puisque nous avons encore beaucoup d'incertitudes sur l'évolution de ce dernier.
Quoi qu'il en soit nous sommes parvenus à circonscrire les termes d'un débat plus clair et plus apaisé, en s'accordant sur le fait que l'horizon financier à atteindre était le déplacement de la finance vers ce développement vert et soutenable, conformément à l'article 2 de l'accord de Paris. Il faut pour cela inventer de nouveaux instruments financiers. On a évoqué les green bonds – obligations vertes – et la capacité des financements publics à attirer des financements privés en partageant certains risques, autant d'orientations qui posent les bases d'une discussion financière plus réaliste.
Nous avons besoin, d'ici 2018, d'un très gros volume d'investissements ; ils ne seront pas tous publics, et l'enjeu est donc de parvenir à faire converger les mécanismes financiers pour réorienter les flux financiers internationaux. Cela passe, entre autres, par l'implication des banques multilatérales de développement, qu'il s'agisse des établissements traditionnels comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement, ou des nouvelles structures, comme la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, créée par la Chine en 2014, ou la Banque de développement des BRICS lancée l'an dernier par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud.
Après le premier message délivré à Marrakech, qui consistait à affirmer qu'on allait de l'avant, ce second message est donc un appel à s'inscrire dans l'économie réelle. D'où la multiplication des échanges, des travaux, des événements et des partenariats qui se sont développés pendant cette COP dite « COP de l'action ».
À Paris, il avait été décidé de désigner deux champions de haut niveau pour le climat, rôle que nous avons inauguré, Hakima El Haite et moi-même, et qu'il nous a fallu définir. En l'occurrence, il ne s'agissait de représenter ni la France ni le Maroc mais l'ensemble des participants, et de faire le lien, au sein de l'économie réelle, entre les gouvernements, les collectivités locales et les entreprises. C'est une nouveauté qui aura un fort impact sur les prochaines conférences car, de plus en plus, on examinera les changements qui se sont opérés au niveau des villes ou dans les chaînes de valeur industrielles – par exemple pour la production d'huile de palme, qui contribue à la déforestation –, le rythme auquel ils se sont opérés et quels en sont les grands déterminants. Ce sont ses problématiques qui à l'avenir seront au coeur des discussions de la conférence des parties, car il ne saurait être question de continuer à négocier ad vitam æternam : les négociations doivent s'achever un jour et laisser place à l'évaluation du réel.
Voilà en gros ce qui s'est joué à Marrakech, dans un désordre enthousiaste qu'il s'agissait de canaliser. C'est pour cela qu'Hakima El Haite et moi-même avons proposé comme cadre ce Partenariat de Marrakech, qui gardera ce nom et qui, d'une certaine manière, succède sous une forme plus institutionnalisée au plan d'action Lima-Paris que nous avions lancé avec Manuel Manuel Pulgar Vidal, le ministre de l'environnement péruvien, en 2014, à Lima. C'est le secrétariat de la Convention-Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) qui l'abritera et en assurera le secrétariat permanent.
Ce bouillonnement d'idées a été positif en ce sens qu'il participe de la résilience de l'accord de Paris, qui repose précisément sur le fait que ce n'est pas seulement aux gouvernements d'agir mais que se rangent derrière eux des acteurs très divers, entreprises globales ou locales, grandes ou petites collectivités territoriales, régions ou États fédérés. Ainsi, les réseaux d'entreprises et de collectivités locales ont-ils, dès le 18 novembre, relayé dans un message la déclaration gouvernementale.
Pour ce qui concerne les dossiers abordés, nous avons voulu, avec Hakima El Haite, ancrer l'action des parties dans le concret, en élaborant notamment des outils de traçabilité des actions conduites par les acteurs non-gouvernementaux, de manière à pouvoir, chaque année en faire le bilan.
Parmi les initiatives les plus saillantes, je noterai l'Initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI), qui ambitionne de parvenir à installer sur le continent une capacité de production de 10 gigawatts d'ici 2020, dont 6 gigawatts sont à l'heure actuelle déjà financés. Les choses avancent donc et se structurent progressivement, la Banque africaine de développement assurant le secrétariat de l'AREI. Reste à savoir ce qu'il va advenir des financements américains, puisque Power Africa est l'un des plus gros financeurs du plan d'électrification de l'Afrique. De son côté, la France est largement impliquée dans le projet, au travers de l'Agence française de développement.
La deuxième grande initiative qui mérite d'être mise en exergue est le partenariat pour les contributions nationales, proposé par le Gouvernement allemand, et auquel se sont ralliés plus de trente-cinq pays, dans l'idée de coordonner leurs efforts et de soutenir les pays qui mettront en place leur plan climat avant 2020, date à laquelle l'accord de Paris était en principe censé entrer en vigueur. Ce partenariat va permettre d'accélérer le rythme de finalisation des contributions nationales, dont certaines sont encore à l'état d'ébauche, sans plan d'investissements sérieux. Dans le même temps, ce sera, le cas échéant, l'occasion d'améliorer ces contributions nationales. En effet, telles qu'elles ont été actées pour l'instant, elles conduisent, selon les évaluations, à une augmentation de la température de 2,7 à 3 degrés, ce qui n'est pas tenable. Il faut donc que ces contributions soient revues à la hausse, en tout cas pour celles qui courent jusqu'en 2030, l'accord de Paris prévoyant un mécanisme de réévaluation cyclique. Nous espérons de bonnes surprises en 2018, date à laquelle interviendra un premier bilan de l'action, et où les résultats seront évalués en fonction des données scientifiques sur le climat.
La troisième grande initiative prise par Hakima El Haite et moi-même dans le cadre de la COP22 reprend l'un des grands mécanismes de l'accord de Paris, qui n'a pas encore été mis en oeuvre. Cette initiative, à laquelle je tiens beaucoup, consiste à demander à chaque pays d'indiquer quelle contribution nationale il serait en mesure de fournir, sans qu'il y ait nécessairement une corrélation entre celle-ci et l'objectif global consistant à maintenir le réchauffement climatique à moins de degrés. L'invitation faite à tous les gouvernements de proposer des stratégies de décarbonation à l'horizon 2050 introduit la relation de cohérence entre les objectifs nationaux et l'objectif global. Sans attendre 2020, nous avons lancé une plate-forme réunissant pour le moment vingt gouvernements – auxquels d'autres ont vocation à se joindre –, qui vont s'efforcer de définir ce que devra être leur économie en 2050 pour être en conformité avec l'objectif global des 2 degrés. Il s'agit de montrer l'importance des transformations qui doivent être mises en oeuvre, mais aussi les innovations technologiques qui seront nécessaires et la coopération internationale qui va permettre de les déployer.
J'ai souhaité que cette initiative, qui relève de la participation volontaire puisque l'accord de Paris ne s'applique pas encore légalement, associe également des entreprises pouvant mener une réflexion sur la décarbonation de leur métier – 200 d'entre elles sont déjà disposées à le faire – ainsi que des collectivités locales, dont certaines – je pense au réseau de villes Cities Climate Leadership Group (C40) – ont déjà montré leur volonté de suivre une trajectoire tendant vers la neutralité carbone. Cette démarche permettra de se rendre compte de l'ampleur des transformations à entreprendre, mais aussi du fait que ce processus n'a rien d'impossible, ce qui sera facteur d'optimisme pour les gouvernements.
Je suis persuadée que nous allons vers la consolidation du Fonds d'adaptation : certains philanthropes privés sont aujourd'hui disposés à alimenter ce fonds, ce qui est une bonne chose. Cela dit, la question de l'action politique reste posée. Nous avions préparé la COP21 dans un contexte politique particulier, marqué par un engagement très fort de l'administration Obama, mais aussi de la Chine. Entre-temps, le monde a changé. Nous ne savons pas quelles vont être les décisions de la prochaine administration américaine, c'est pourquoi il importe que chaque chef de gouvernement fasse rapidement comprendre au président qui vient d'être élu à la tête des États-Unis que les négociations sur le climat font partie de l'agenda politique international au plus haut niveau. C'est, me semble-t-il, ce que le Président de la République française et la chancelière allemande ont fait, chacun de leur côté, dès le premier contact qu'ils ont eu avec Donald Trump – le premier par téléphone, la seconde par courrier –, et j'espère que leur exemple sera suivi par d'autres, afin qu'il soit clair que ce sujet revêt une importance politique majeure.
Une autre question cruciale est celle consistant à savoir qui va prendre le relais politique du leadership de la lutte contre le réchauffement climatique. À l'évidence, ce rôle incombe aux Européens. Même si toutes les conditions ne sont pas réunies pour que l'Europe endosse dès maintenant cette responsabilité, c'est une perspective qui doit être placée dès maintenant au coeur du projet européen. Si des élections se tiennent ou vont se tenir prochainement dans nombre de pays, le thème du réchauffement climatique est rarement présent dans les campagnes électorales. Je regrette qu'on en parle généralement peu en France, et j'espère que nos voisins allemands évoqueront plus largement ce sujet qui n'est pas marginal, mais a au contraire vocation à surplomber tous les autres, de par la transformation énergétique profonde que nous devons mettre en oeuvre, mais aussi en raison du risque majeur que nous courons tous en cas d'échec.
La Chine a été très active durant la conférence de Marrakech, montrant qu'elle était capable d'influer très fortement sur le résultat des discussions, et les négociateurs chinois ont réaffirmé leur soutien à l'accord de Paris. Cela dit, les Chinois ne pourront rien faire seuls : il leur faut au moins un partenaire de poids, et je ne vois pas qui, en dehors de l'Europe, pourrait jouer ce rôle. Certes, le cercle des pays impliqués à des degrés divers s'est élargi. Ainsi le Brésil reste-t-il ferme dans ses résolutions, en dépit de la tourmente politique où il se trouve plongé depuis de longs mois. L'Inde tient bon, elle aussi. La multipolarité du monde actuel ne joue donc pas nécessairement en défaveur du climat, au contraire. En tout état de cause, ce sont les acteurs de l'économie réelle qui vont donner de la consistance à l'accord de Paris. Il y a des débats dans tous les pays européens, mais aussi en Chine et en Inde, sur ce que doivent être la trajectoire à suivre et le mix énergétique à choisir, et cela pose de nombreuses questions, notamment sur le coût des énergies fossiles. Réputées bon marché, ces sources d'énergie ne le sont pas tant que ça si on intègre à leur prix le coût qu'elles représentent en termes de santé publique – je pense notamment au charbon. La prise en compte de l'accord de Paris dans les politiques nationales va donner lieu à des débats politiques et sociaux très vifs.
Dans ces conditions, nous devons nous interroger sur la possibilité de faire émerger un leadership capable de reconnaître et comprendre la multipolarité du monde – et même d'en faire un avantage –, mais aussi de donner l'impulsion d'une action rapide, car le temps qui nous est imparti est évidemment de plus en plus court.
Voici, en résumé, l'essentiel de ce qu'il faut retenir de la conférence de Marrakech : nous tenons les délais, nous avons un fort message politique, et nous entrons dans une période où un fort investissement politique va être nécessaire pour que tout ce qui s'est dit lors des conférences de Paris et de Marrakech puisse devenir réalité.