Merci de vos questions, qui abordent tous les sujets importants. Dans le temps qui m'est imparti, je ne pourrai pas y répondre de façon complète.
À la fin de ma courte introduction, j'ai employé les termes « pour de vrai » parce que les transformations de l'économie réelle sont des transformations de nos modèles de société, et on en compte peut-être autant que de pays. Ce sont des changements à appliquer à des niveaux de développement très différents, face à des problèmes communs. Il faut que nous arrivions à transporter les personnes, car la demande de mobilité est universelle. Sans doute que les moteurs à explosion ne pourront plus constituer une solution après 2050. Les chiffres fournis par les rapports scientifiques des différentes institutions montrent qu'il faudra qu'en 2050, une très grande partie de l'électricité soit produite sans carbone.
Nous constatons donc l'ampleur des changements à conduire, et il ne s'agit évidemment pas uniquement de changements technologiques. Beaucoup de conditions doivent être réunies pour que ces changements technologiques interviennent : leur coût, l'accès à ces technologies, leur utilisation par les sociétés de la manière dont elles le souhaitent. Tout cela dépasse de loin les discussions pour parvenir à un accord, ou les conférences des parties.
Le plus important aujourd'hui est que cet accord existe, et un fort consensus politique s'est créé à l'occasion de la COP 21. Moi qui ai connu beaucoup de telles conférences, je peux vous assurer que ce n'était pas une COP comme les autres. L'enthousiasme des participants le 12 décembre, le sentiment d'avoir vraiment dépassé les intérêts nationaux compris de façon trop étroite ouvre un champ, mais ne résout pas le problème. Ce qui compte, c'est ce qui se passe en Chine, en Inde et chez nous, pour savoir comment nous allons faire. Comment allons-nous obtenir l'adhésion pour que cela devienne un projet collectif ? Surtout dans les circonstances politiques dans lesquelles nous baignons : le projet collectif est très difficile à construire. Je suis d'accord avec vous, il faut un changement de modèle de société.
Ces conférences des parties sont peut-être un bon endroit pour se retrouver, pour savoir où nous en sommes. C'est une corde de rappel, mais en aucun cas un moteur. Ces conférences ne suffisent pas, et je ne crois pas que du simple fait qu'il y ait un accord écrit, les choses vont marcher toutes seules. Il faut être nuancé, cet accord est contraignant en matière de procédure : les États sont obligés de soumettre leur contribution nationale et de les réviser régulièrement, à la hausse. Ils doivent aussi être transparents sur la manière dont ils conduisent leur politique climatique. Ce sont les objectifs chiffrés qui ne sont pas contraignants, et nous devons impérativement les améliorer. Il faut que dans chaque économie, dans chaque société, on prenne conscience de la signification de ces objectifs chiffrés. C'est pourquoi je donne de l'importance aux stratégies à long terme, qui vont permettre donner un sens concret à ces chiffres qui ne veulent rien dire pour personne – deux degrés, cela ne signifie rien. Il faut dire comment nous allons nous transporter, nous nourrir et habiter, et c'est ainsi que chaque société pourra débattre.
L'accord permet cela, mais il ne peut pas tout faire. Je suis confiante sur la fin des travaux en 2018, car il ne reste pas grand-chose à faire. Les sujets en suspens sont importants : comment décrire les contributions nationales, comment finaliser les détails de notre système de transparence. Mais le travail diplomatique est terminé, et c'est d'ailleurs pour cela que je vais m'en retirer, je ne vois pas ce que je pourrais apporter à ce stade. En revanche, le travail de mise en oeuvre commence, et il concerne les gouvernements dans leur ensemble, pas uniquement les ministres de l'environnement. La mise en oeuvre de ces contributions nationales, qui ont été produites pour un certain objectif, doivent devenir les plans de développement des États.
Nous devons changer notre manière de réfléchir, et c'est votre travail, à vous parlementaires. Décider de l'évolution des sociétés, de l'économie, des formes de régulation – nationales et internationales – qui doivent être mises en place dans le domaine commercial et financier, c'est le travail du Parlement. Il faut choisir ce que l'accord va impliquer pour chaque pays, pour le fonctionnement de sa démocratie et de son débat politique. Je serais heureuse que dans la campagne électorale qui va tous nous concerner dans les prochains mois, ce sujet ne passe pas pour un élément technique. Cela va dépendre de notre capacité collective à l'implanter dans le débat politique.
Vous m'avez interrogé sur l'alliance solaire. C'est surtout une initiative indienne, que la France soutient, et d'autres pays s'y intéressent. L'Inde est un problème mondial : si elle utilise tout son charbon, nous n'arriverons jamais à maintenir les températures au niveau que nous avons fixé. Il y a donc un rassemblement des énergies autour de l'Inde.
Lorsque je parle de leadership politique, c'est assez concret. Il faut que dans chaque État, un travail particulier soit fait. Pour réussir la conférence de Paris, nous avons essayé de comprendre les enjeux qui étaient importants pour les pays, notamment dans les domaines énergétique et agricole, et quelles pourraient être leurs raisons d'adhérer à un accord ambitieux, que la collaboration aiderait à mettre en oeuvre. Il faut repartir de cette base, et se demander pourquoi cet accord est utile pour la Chine, et comment elle est en train de transformer ses entreprises d'État pour limiter la consommation de charbon. Il faut presque des discussions bilatérales avec ces pays.
Le plan diplomatique est assez clair : il faut partir des raisons internes qui ont motivé les choix stratégiques des pays pour trouver comment faire avancer cette mise en oeuvre à partir de leur propre volonté. C'est ce qui va permettre l'adhésion et la solidité de l'accord de Paris, et donc le coût politique pour un pays qui voudrait en sortir. Pour tenir tout le monde ensemble, il faut matérialiser le coût politique d'une sortie de l'accord.
La question des régulations passe par l'harmonisation des politiques publiques. Dans beaucoup de domaines, notamment financier, nous avons constaté un alignement progressif des politiques publiques. Je crois qu'il y a une carte à jouer en mettant en commun les politiques de soutien aux énergies renouvelables ou les politiques d'efficacité énergétique. J'ai constaté, et j'enseigne à mes étudiants, l'effet d'imitation. Mais il faut créer cette capacité à s'emprunter les uns aux autres les instruments de politique économique qui fonctionnent bien. Il faut continuer à se battre pour que les pays mettent en place, chez eux, un prix du carbone. Si cette pollution n'a pas de coût, nous serons toujours en retard. Il faut donc un prix du carbone, mais il ne peut pas être le même pour toutes les économies pour le moment, car les niveaux de développement sont très différents. Un prix identique représenterait un poids extrême pour l'Inde comparé à l'Europe. Il n'existe pas de système assez sophistiqué pour élaborer un prix qui ait la même valeur sociale en Inde et en Europe. Cela étant dit, la commission lancée par Mme Royal pour réfléchir sur la valeur sociale du carbone offre une approche plus précise pour déterminer les bons prix selon les lieux.
Il faut également des dispositions climatiques dans les accords commerciaux à venir. Nous ne savions pas le faire jusqu'à présent, cela n'existe donc pas encore, mais il faut que ces accords commerciaux deviennent compatibles avec l'accord de Paris. Sur ce plan, tout est à faire. Des accords régionaux mentionnent certains éléments de l'accord de Paris, mais il n'y pas d'équivalent pour l'ensemble de l'OMC.
Enfin, la question des régulations financières est peut-être la plus importante. Le Financial Stability Board du G20, présidé par le gouverneur de la Banque centrale d'Angleterre, a engagé une réflexion sur l'évaluation des risques liés à l'intensité des activités fossiles dans les portefeuilles d'action ou de participation des banques, afin de mesurer ce que l'on appelle le risque carbone. Un groupe de travail a été lancé sous la direction de Michael Bloomberg et quelques autres responsables financiers. Je pense que d'autres pays vont suivre l'exemple de la France, que vous avez encouragé, et exiger un rapport sur le risque carbone et le risque climat dans l'évaluation de l'activité des entreprises. Cela aura un effet majeur, et nous le voyons lorsque des investisseurs institutionnels ou des fonds de pension déclarent qu'ils prendront ce risque en compte. Certains mouvements de dé-carbonation des portefeuilles ont commencé.
Vous l'avez évoqué, l'agriculture était un point noir des conférences des parties, pour une raison assez simple : beaucoup ne voyaient pas comment réduire les émissions de l'agriculture. Les forêts et l'agriculture comptent pour un quart des émissions mondiales, c'est donc important. Des grands pays comme le Brésil, la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine ne voyaient pas comment il serait possible de réduire ces émissions. Tout comme les pays pétroliers il y a dix ou quinze ans, ils ne voulaient pas en entendre parler car ils ne savaient pas comment faire. L'agriculture n'était donc pas abordée, bien qu'elle ne se réduise pas à la question des élevages bovins argentins ou des élevages ovins néo-zélandais. Mais il y a eu beaucoup de recherches et d'innovations, et tous les pays ont commencé à trouver des manières de réduire ces émissions agricoles. Aujourd'hui, la Nouvelle-Zélande a complètement accepté de jouer le jeu des discussions agricoles. Cette discussion a pris du retard comparé à d'autres secteurs, mais le Brésil est devenu un champion de la discussion pour une agriculture très peu émettrice, et constitue maintenant une solution.
Je salue l'initiative prise par Stéphane Le Foll avec le programme « 4 pour 1000 », car il permet de penser des systèmes agricoles qui soutiennent une agriculture familiale et rendent en même temps un service collectif. Il reste beaucoup de travail, mais cela offre des pistes pour sortir du modèle intensif, qui ne présente pas de solutions particulières pour le moment. En parallèle du soutien à cette agriculture plus durable, nous devons réfléchir au modèle de consommation alimentaire. Je ne vois pas comment il est possible de dire que la consommation de viande va continuer à augmenter et que nous allons faire des miracles pour stocker le carbone. Tout cela n'est pas réaliste : il faut aussi faire évoluer les modèles de consommation.
J'insiste sur l'utilité du travail interparlementaire au sein des associations internationales, qui va devenir très important.
S'agissant de la mobilisation des acteurs économiques et des collectivités locales, je suis sûre que les plus petites d'entre elles vont se joindre au mouvement qui va dessiner notre futur en 2050.
En 2001, lorsque George W. Bush est arrivé au pouvoir, j'étais à Matignon. Tout a été fermé, les États-Unis sont sortis du protocole de Kyoto – c'était déjà le cas en pratique – et le président a immédiatement demandé un rapport à l'Académie des sciences américaine pour montrer que le réchauffement climatique n'était pas vrai. Les scientifiques ne l'ont pas suivi, ce qui est normal, et les acteurs économiques ainsi que les acteurs locaux se sont mobilisés pour dire qu'une telle politique n'était pas possible. C'était en 2001. Les États-Unis ont mis du temps, mais ils sont revenus à la table des négociations. Nous sommes en 2016, et ces groupes économiques, ces États et ces villes sont bien plus nombreux qu'auparavant, tant aux États-Unis qu'en France ou en Allemagne. Il existe un débat, et des forces tirent dans l'autre sens, mais le rapport de forces a complètement changé.
Quant à la question démographique que M. Myard a soulevée avec justesse, nous ne pouvons pas traiter tous les sujets en même temps. Les Chinois nous disent souvent que le meilleur service qu'ils aient rendu au climat est leur politique de contrôle démographique, certes un peu brutale. À l'instar des négociations commerciales, cette question de la transition démographique va venir, mais il n'est pas nécessaire de vous décrire dans quelle tourmente politique, vous le savez mieux que moi.
II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution
Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Textes « actés »
Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :