Intervention de Pascale Got

Séance en hémicycle du 1er décembre 2016 à 15h00
Adaptation des territoires littoraux au changement climatique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Got, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, qui pourrait douter aujourd’hui de la réalité du changement climatique et de ses effets sur notre environnement, notamment sur nos littoraux de l’Hexagone et des territoires d’outre-mer ? La simple élévation du niveau de la mer l’interdit, ainsi que les toutes dernières prédictions du BRGM – Bureau de recherches géologiques et minières – prévoyant une accélération de l’érosion, notamment en Nouvelle-Aquitaine. En 2025, le trait de côte devrait y avoir reculé de 20 mètres sur la côte sableuse et de 9 mètres sur la côte rocheuse. Les chiffres pour 2050 sont pires : le recul serait de 50 mètres sur la côte sableuse et de 25 mètres sur la côte rocheuse.

Sans vouloir faire resurgir dans les mémoires des événements dramatiques, comment oublier la tempête Xynthia et le lourd tribut payé en vies humaines ? Comment oublier les tempêtes qui ont, lors de plusieurs hivers successifs, jeté définitivement hors de chez elles des dizaines de personnes ? Comment oublier la menace qui pèse d’ores et déjà sur de nombreux territoires et sur leurs populations qui sont en prise immédiate avec les conséquences de l’érosion côtière et du recul du trait de côte ? Enfin et surtout, comment oublier l’impasse juridique dans laquelle se trouvent les élus qui veulent commencer à relocaliser ?

Personne ne le peut dans cet hémicycle, du moins je l’espère ! Il est temps, mes chers collègues, de se saisir du problème et d’arrêter de finasser – passez-moi l’expression – sur les différentes appréciations de mouvement de terrain ou l’éligibilité au fonds de prévention des risques majeurs ou fonds Barnier, dont j’appelle d’ailleurs à améliorer la gouvernance, et de perdre du temps et risquer des vies humaines en ne réagissant qu’après l’aléa et toujours dans l’urgence. Si des avancées ont été réalisées en matière d’inondation et de submersion, l’érosion côtière a été délaissée en raison d’une temporalité particulière qui à défaut d’être reconnue mène au laxisme et débouche immanquablement sur la mise en danger de territoires, de biens et de personnes.

Dès lors, saisissons-nous de cette temporalité particulière pour lui donner une assise juridique, pour mieux anticiper et protéger, pour apporter des réponses aux élus, maintenir l’activité, aménager en conséquence et informer, en un mot pour développer la culture du risque qui manque tant en France ! Tel est l’objectif de ce texte, issu des travaux menés au sein du comité de suivi de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte par des élus, des scientifiques et des représentants d’associations sous l’égide du ministère de l’environnement. Ces travaux nous ont amenées, Chantal Berthelot et moi-même, qui sommes co-présidentes de ce comité, à remettre à Mme la ministre de l’environnement un rapport détaillant quarante propositions pour faire face au recul du trait de côte.

Ce texte apporte des premières réponses aux attentes formulées par les maires des territoires concernés. Il est d’ailleurs soutenu par l’Association nationale des élus du littoral, par l’association France Environnement, par le Partenariat français pour l’eau, par les représentants des cultures marines et par les différents organismes publics chargés d’accompagner les territoires, tels que le GIP Littoral Aquitain, et par le Conservatoire du Littoral. Quels sont les nouveaux outils que nous proposons tant aux territoires de la métropole qu’à ceux des outre-mer ?

Nous proposons d’abord de procéder à la reconnaissance juridique de la définition du recul du trait de côte dans le code de l’environnement, dans les plans de prévention des risques et dans les documents d’urbanisme tels que les SRADDT – schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, les SAR – schémas d’aménagement régionaux et les SCOT – schéma de cohérence territoriale. Nous souhaitons ensuite que ces mêmes documents reconnaissent la stratégie nationale de gestion intégrée du trait côte mais aussi les stratégies régionales et les stratégies locales. Sachez, chers collègues, que les collectivités ayant élaboré des stratégies locales pour faire face à l’érosion côtière sont actuellement bloquées pour les mettre en oeuvre alors qu’elles ont répondu à des appels d’offres les incitant à amorcer une relocalisation. Il y a là un vrai paradoxe !

Nous proposons donc de créer un zonage spécifique à la temporalité du recul du trait de côte permettant des opérations d’aménagement adaptées à l’érosion : la zone d’activité résiliente et temporaire appelée « ZART » au sein de laquelle des constructions, des aménagements et des exploitations pourront être implantés, utilisés et déplacés en fonction du risque. Elle ouvrira des possibilités de préemption, de délaissement et de décote pour risques qui seront autant d’outils mis à la disposition des acteurs de terrain pour imaginer le littoral dans dix, cinquante, soixante ou cent ans. Nous proposons également de permettre aux élus de créer une zone de mobilité du trait côte où mener des actions de protection des écosystèmes côtiers, qui sont particulièrement importants outremer, et ériger si nécessaire des ouvrages de défense contre la mer, ce qui est actuellement impossible en zone rouge.

Ce texte comporte un autre apport : la création d’un bail réel immobilier littoral, appelé BRILi, spécifique à la ZART. Il présente deux vertus : la commune peut louer les biens acquis et bénéficier d’un retour sur investissement, les propriétaires peuvent vendre leurs biens à la collectivité tout en continuant à y résider en contractant un bail avec la commune. La spécificité de ce contrat réside dans la mention de la réalisation du risque et de la démolition du bien. Comme ils sont situés dans une zone à risque, ces nouveaux dispositifs s’inscriront obligatoirement dans un plan de prévention des risques naturels. Nous instaurons aussi une meilleure information des acquéreurs et des locataires de biens situés dans une ZART. Enfin, nous proposons d’accorder des exonérations fiscales à la création d’activité économique et clarifions l’utilisation du fonds de prévention des risques majeurs pour l’acquisition de biens menacés à échéance de dix ans afin d’inciter les acteurs à se saisir de ces nouveaux dispositifs.

Chers collègues, les collectivités disposaient sinon de rien, du moins de peu d’outils face au recul du trait de côte et à la nécessaire adaptation des territoires. Ce n’est plus le cas, à elles de vouloir s’en saisir. Rien n’est imposé.

Voter ce texte, c’est voter pour un projet protecteur, solidaire et responsable. Un projet protecteur, car les populations sont au coeur de nos préoccupations. Cela passe par l’information : il faut informer sur l’existence du risque, sa durée, sa fréquence et ses conséquences, ne rien cacher aux Français des réalités qui les toucheront dans leur quotidien, ou qui les touchent d’ores et déjà. Je pense ici aux copropriétaires du Signal, actuellement en grande difficulté. Je proposerai un amendement les concernant.

Un projet solidaire, car le principe de solidarité est essentiel pour faire face à ces nouveaux risques. Il s’agit d’aider ceux qui, de bonne foi, n’ont pu se prémunir contre ce risque de recul du trait de côte, encore mal apprécié il y a quelques années, faute d’outils pour construire des solutions alternatives. La France fait partie des rares pays qui accompagnent ses citoyens en cas de sinistres causés par un phénomène naturel. Je pense qu’il faut en être fier et qu’il convient d’appliquer ce principe à l’érosion des côtes.

Un projet responsable, car la responsabilité est le corollaire de la solidarité : État, collectivités territoriales, résidents, entreprises, associations, nous avons tous la responsabilité d’élaborer une stratégie de développement durable pour notre littoral de demain. Les littoraux connaîtront une forte attractivité ces prochaines années – l’INSEE annonce plus de 4 millions d’habitants supplémentaires d’ici 2040. Cette dynamique n’est pas incompatible avec celle du recul du trait de côte, mais nous devons en profiter pour repenser différemment les activités sur certaines zones.

Mes chers collègues, ayons l’ambition de définir des objectifs à moyen et long terme. Au-delà de nos mandats, pensons aux générations futures et préparons-leur le littoral de demain. Pour cela, donnons une impulsion, une ligne. Préférons un objectif clair, celui de la prévention, plutôt que celui de la gestion dans l’urgence ; préférons l’adaptation, plutôt que la défense coûteuse et de court terme contre les éléments naturels.

Le ministre de l’aménagement, au sortir des Trente Glorieuses, lors de la remise du premier rapport sur le littoral français déclarait : « Les hommes des villes ont domestiqué le littoral, parfois avec brutalité, souvent avec amour (mais plus possessif que tendre), pas toujours avec talent. Il nous reste à l’aménager ». A mon tour, je dirai : à le réaménager !

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