je souhaite aborder le sujet délicat traité par ce texte par la formule suivante : l’enfer administratif français est souvent pavé de bonnes intentions législatives. En tant qu’élu vendéen, élu du département qui a connu le drame de Xynthia, je ne sous-estime pas les dangers des changements climatiques, des événements maritimes exceptionnels et de l’évolution du trait de côte. Qui pourrait d’ailleurs les nier alors qu’ils ont tendance à s’amplifier année après année ?
Mais le texte qui nous est proposé, fruit d’une longue réflexion, est une nouvelle manifestation du génie administratif français dont les technocrates de nos ministères sont les thuriféraires. On en arrive ici à une situation d’une complexité telle que ni les préfets ni les élus locaux ne seront capables de mettre en oeuvre cette proposition de loi. Je suis député, représentant de la nation et de la Vendée littorale, mais aussi un élu local, maire pendant huit ans, président aujourd’hui d’une communauté de communes. Je mesure à ce titre la difficulté des élus locaux à maîtriser l’urbanisation de leurs communes littorales et à préparer l’avenir de celles-ci du fait de l’accumulation des contraintes auxquelles elles sont confrontées. Il y a évidemment la loi Littoral – je vais y revenir –, mais aussi toutes les contraintes des plans de prévention des risques, des ZNIEFF – zones naturelles d’intérêt écologique, floristique et faunistique – et autres ZICO – zones importantes pour la conservation des oiseaux. On a coutume de dire à l’Association nationale des élus du littoral que seule la seule contrainte législative qui ne s’abat pas sur les communes du littoral, c’est la loi Montagne – et encore, pas pour toutes.
En l’occurrence, loin d’apporter des solutions raisonnables et mesurées aux besoins d’urbanisation des communes du littoral, cette proposition de loi va une fois encore déposséder les élus locaux de la maîtrise de leur avenir au profit de l’État. C’est en effet lui qui, à tous les échelons, va garder la main. Là où déjà les marges de manoeuvres étaient très étroites pour les maires et leur conseil municipal, elles deviendront quasiment nulles si jamais ce texte était adopté en l’état. Les préfets auront un rôle tout puissant dans l’élaboration des schémas, des zonages, etc. Par ce type de stratégie et de doctrine, souvent d’ailleurs infondées juridiquement – je pense notamment à celles qui concernent la prévention des risques littoraux, et nous aurons l’occasion de le voir dans les semaines et les mois qui viennent avec les contentieux administratifs qui ne manqueront de se multiplier –, l’État obtiendrait ici, je le répète, la mainmise sur l’avenir de l’urbanisation des communes littorales en les dépossédant de leur souveraineté urbanistique.
Loin d’apporter des solutions raisonnables et mesurées aux besoins d’urbanisation des communes littorales, cette proposition de loi va également empiler contraintes sur contraintes.
François Hollande, qui doit s’exprimer dans très peu de temps à la télévision devant les Français, avait annoncé qu’il procéderait à un choc de simplification. Or, à l’inverse, c’est un choc de complexification que vous nous apportez, chère collègue, non sans bonnes intentions.
Il en résulte que les décideurs, acteurs publics, collectivités territoriales et services de l’État ne pourraient pas appliquer les dispositions de cette proposition de loi, si elle était adoptée et déclarée constitutionnelle.
En effet, madame la rapporteure, vous demandez aux élus du littoral d’articuler un grand nombre de sigles, de schémas et de notions d’une incroyable complexité. Il faudra maintenant parler de ZART, de ZMTC, de BRILi, qui devront être compatibles avec les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires – SRADDET –, la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte – SNGITC –, formant un bloc normatif solide avec les schémas de cohérence territoriale – SCOT –, les plans locaux d’urbanisme intercommunal – PLUI –, alors même que la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations – GEMAPI – est de compétence communautaire à partir de 2018 et que les plans de prévention des risques naturels – PPRN – sur l’ensemble du littoral français viennent bousculer complètement les documents d’urbanisme de nos communes littorales.
C’est dire la complexité nouvelle que vous ajoutez à la gestion de l’urbanisme par les communes littorales, madame la rapporteure. Vous ajoutez des contraintes aux contraintes : où est le choc de simplification ?
Enfin, loin d’apporter des solutions raisonnables et mesurées aux besoins d’urbanisation des communes littorales, cette proposition de loi vient amplifier le déséquilibre croissant de l’application de la loi Littoral, laquelle fête ses trente ans.
Cette loi, je le rappelle, avait pour objet l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. Sa rédaction initiale étant assez floue, elle a toujours été appliquée et interprétée de manière restrictive par le juge administratif. Le flou qui sous-tend les plans de prévention des risques littoraux donne une nouvelle fois au juge la faculté d’interpréter cette proposition de loi dans un sens toujours plus restrictif.
En réalité, madame la ministre, madame la rapporteure, vous vous écartez là de l’esprit initial de la loi Littoral, qui visait non pas la seule protection mais l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral. Vous aviez là l’occasion de corriger cette interprétation restrictive de la loi littoral par le juge administratif, en apportant une certaine marge de manoeuvre dans les documents d’urbanisme des communes du littoral.
La loi Littoral s’applique en effet avec la même vigueur aux communes situées à 100 mètres, 5 ou 10 kilomètres du trait de côte, et à celles qui ont à la fois une frange littorale et une frange rétro-littorale. En outre, les conditions d’interprétation concernant les dents creuses, par exemple, sont extrêmement restrictives. Alors que les communes souhaiteraient pouvoir continuer à se développer, ne serait-ce que pour accueillir les enfants de leurs habitants, vous n’offrez pas la possibilité d’un comblement raisonnable et maîtrisé des dents creuses. La notion de non-continuité avec l’urbanisation existante pose certaines difficultés pour les activités agricoles, touristiques ou d’hôtellerie de plein air, qui ne sont pas reconnues comme des urbanisations, bien qu’elles soient irriguées par des réseaux et par un ensemble de services qui permettent de les qualifier d’urbanisation existante.
Ainsi, madame la ministre, madame la rapporteure, au lieu d’apporter des solutions à des problématiques existant dans les communes littorales, vous dépossédez celles-ci de la maîtrise de leur avenir sur le plan de l’urbanisme et vous bridez toute potentialité de développement urbanistique et économique sur les communes littorales. En un mot, vous voyez le littoral comme un danger.
S’il est vrai que nous devons progresser sur le plan de la culture du risque, il nous faut aussi envisager le littoral comme un formidable gisement d’opportunités et de croissance pour notre pays, en matière d’économie maritime, d’énergie bleue et de développement touristique. Si la France veut vraiment faire le pari de la croissance maritime, elle devra assouplir et réglementer des possibilités d’évolution, y compris en matière d’urbanisme littoral. Cette proposition de loi, imparfaite aujourd’hui mais dont les objectifs sont louables, pourrait contribuer à développer ces opportunités sur le territoire français.
Nous ne sommes pas là pour geler les derniers mètres carrés disponibles sur les communes littorales, mais pour accompagner, de manière équilibrée, non seulement la protection de nos populations littorales, de nos milieux littoraux, mais aussi le développement économique et démographique inéluctable de ces communes.
Comme je vous le disais, mes chers collègues, l’enfer administratif français est pavé de bonnes intentions législatives. Malheureusement, cette proposition de loi ne satisfait pas aux objectifs d’équilibre et à l’esprit de la loi Littoral, telle qu’elle est née, il y a trente ans.
C’est la raison pour laquelle je ne la voterai pas.