Intervention de Jean-Marc Janaillac

Réunion du 29 novembre 2016 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Janaillac, président-directeur général d'Air France-KLM :

Je me propose de vous présenter le projet Trust together, lancé au début de ce mois. Le groupe Air France-KLM emploie 85 000 salariés et dégage un chiffre d'affaires de 25 milliards d'euros, dont 16 milliards environ pour Air France et près de 9 milliards pour KLM. Air France emploie 53 000 salariés, ce qui fait de l'entreprise le premier employeur privé d'Île-de-France, puisque c'est là que se trouve le plus clair de nos effectifs.

Après une période 2008-2014 très difficile, caractérisée par sept années de pertes consécutives, le groupe et la compagnie Air France ont retrouvé l'équilibre en 2015 et 2016, et ont dégagé en 2016 un résultat positif. Il est dû à la mise en oeuvre des plans Transform et Perform qu'Alexandre de Juniac vous a présentés, mais surtout à la baisse du prix du carburant, qui a allégé la structure du coût d'Air France-KLM d'environ 2 milliards d'euros par rapport au point haut du cycle du pétrole.

Si nos chiffres sont meilleurs aujourd'hui qu'il y a quelques années, nous n'en connaissons pas moins une situation financière toujours difficile, car notre bilan est fragile, nos capitaux propres sont négatifs, notre dette est encore importante, même si elle a diminué. Enfin, notre rentabilité reste largement inférieure à celle de nos principaux concurrents, c'est-à-dire la moitié de celle de British Airways et le quart de celle de Delta ou Easyjet.

Cette situation économique difficile est due au très fort durcissement de la concurrence, particulièrement de la part des compagnies du golfe Persique, ainsi qu'à un écart de compétitivité, notamment imputable aux conditions d'emploi, à la structure de l'entreprise, mais aussi au montant des cotisations sociales, très supérieur à celui qu'acquittent nos concurrents. Par ailleurs, la combinaison des taxes et des redevances aéroportuaires joue aussi en notre défaveur, ce qu'ont montré les comparaisons internationales établies par le rapport du groupe de travail sur la compétitivité du transport aérien français, présidé par M. Bruno Le Roux, remis au Premier ministre le 3 novembre 2014.

Lors de mon arrivée dans l'entreprise, j'ai été frappé par la vigueur de la concurrence à laquelle elle est confrontée. Il y a quatre ans, la compagnie Emirates disposait du même nombre d'avions long-courriers qu'Air France-KLM, et Qatar Airways la moitié. En 2020, Emirates disposera du double de la flotte d'Air France-KLM et Qatar Airways en possédera autant que notre groupe. Ces concurrents sont redoutables, car ils disposent de flottes neuves et jouissent d'un environnement social ou économique qui leur offre des avantages contre lesquels il nous est très difficile de lutter. Ainsi, le coût d'une « touchée » – le prix qu'exige un aéroport à l'arrivée d'un avion –, s'élève à 14 000 euros à Paris-Charles-de-Gaulle (CDG) pour un Boeing 777, contre 3 500 euros à Dubaï. Certes, Air France-KLM se pose à Dubaï, et Emirates à CDG, mais 100 % de nos avions se posent à CDG, et 100 % des avions d'Emirates se posent à Dubaï. Ce seul aspect concurrentiel se trouve à l'origine d'un écart de 300 millions d'euros annuels entre les deux compagnies.

Cette très forte concurrence résulte aussi d'un accroissement des capacités, dû aux commandes importantes d'avions neufs passées par les compagnies du Golfe, mais aussi par les compagnies asiatiques, par Turkish Airlines ou par les compagnies low cost long-courriers, comme Norwegian. Par ailleurs, le coût du pétrole demeurant bas, ces compagnies n'ont pas retiré leurs vieux avions de leur flotte, ce qui augmente d'autant leurs capacités, qui sont supérieures de 8 % sur l'Amérique du Nord et du même ordre sur l'Asie, alors que le trafic ne croît que de 3 ou 4 %. Cela signifie que nous subissons aujourd'hui une forte pression sur le revenu unitaire, qui a baissé de 10 % depuis l'année dernière pour la plupart des grandes compagnies aériennes. Aussi, la stratégie de la compagnie au cours des dernières années a consisté à réduire la dette ainsi que les investissements.

En outre, les événements survenus au sein de l'entreprise au cours des dernières années et des derniers mois ont révélé de fortes tensions dans l'entreprise entre catégories de personnel, mais aussi entre certaines de ces catégories et les équipes dirigeantes. Il nous a donc paru indispensable de rétablir la confiance à l'intérieur du groupe ; le projet Trust together – si sa dénomination est anglaise, c'est qu'il s'adresse à la fois aux Néerlandais de KLM et aux Français d'Air France – constitue le moyen principal de cette politique. Notre objectif demeure de renouer avec un chemin de croissance et de développement qu'Air France, particulièrement, avait perdu ces dernières années. Pour cela, il faut investir dans des avions, afin de faire progresser la flotte de 100 à 110 appareils.

Afin de financer cette croissance, la compagnie doit augmenter ses CAPEX – capital expenditure, ou dépenses d'investissement. Or la valorisation boursière d'Air France-KLM étant insignifiante – de l'ordre de 1,5 milliard d'euros, soit quatre fois moins que Lufthansa, dix fois moins que Ryanair, et le prix de dix avions long-courriers –, une augmentation de capital est exclue. En outre, le recours à la dette nous est difficile, car, même s'il a diminué, notre niveau d'endettement demeure supérieur à celui de nos concurrents en termes de ratio. Nous devons par conséquent trouver ces ressources en nous-mêmes. C'est pourquoi le projet Trust together prévoit la poursuite des efforts demandés au personnel du sol : un plan de départs volontaires a été mis en oeuvre, qui aboutira au terme des cinq dernières années à la suppression de 10 000 postes au sol à Air France, ce qui est considérable. Nous demandons aussi un effort supplémentaire aux personnels navigants techniques et commerciaux afin de dégager des ressources, les efforts précédents n'ayant pas été pleinement partagés ces dernières années, ce qui a créé des tensions au sein de l'entreprise.

Nous sommes parvenus à la conviction qu'il est possible d'atteindre ces objectifs de réduction des coûts unitaires, rendus indispensables par la baisse des recettes unitaires, par une réduction du coût unitaire modéré sur l'ensemble de la compagnie. Par ailleurs, nous attendons une réduction unitaire des coûts plus forte par la création d'un outil nouveau, qui n'est pas absolument une compagnie low cost, et vise une structure de coût plus basse pour les 10 % de nos vols long-courriers qui perdent beaucoup d'argent.

Grosso modo, 35 % de nos vols long-courriers sont déficitaires. Parmi eux, 10 % perdent énormément d'argent, particulièrement sur les routes du Sud-Est asiatique où nous sommes exposés à la très forte concurrence des compagnies du Golfe. Il s'agit de disposer d'une compagnie faisant partie de l'univers d'Air France par ses services et son produit, mais dont la structure de coûts unitaires sera plus basse, ce qui nous permettra de résister ou de rouvrir des lignes sur lesquelles nous n'étions plus compétitifs et que nous avions dû fermer.

La venue de cette nouvelle compagnie sur le réseau moyen-courrier a aussi pour objet de protéger le hub de Roissy, qui est alimenté par ce réseau, alors que 80 % des lignes concernées ne sont pas rentables.

Tels sont les objectifs du projet Trust together qui consistent à retrouver les moyens d'une croissance rentable, singulièrement pour Air France, tout en laissant KLM avancer dans la mise en oeuvre de son plan Perform 2020. C'est la négociation que nous avons engagée avec les représentants du personnel navigant, pilotes et commerciaux, afin de trouver un accord compatible avec le retour à la croissance.

Notre secteur a la particularité heureuse de connaître une période de croissance, le trafic aérien mondial devant augmenter de 6 % à 8 % au cours des prochaines années. Cette croissance est certes en grande partie tirée par les liaisons intérieures asiatiques, dont nous sommes absents, mais, pour la zone européenne et ses alentours, les prévisions sont de l'ordre de 3 à 4 % ; et il est indispensable que nous puissions nous inscrire dans ce mouvement.

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