Intervention de Nicolas Sansu

Séance en hémicycle du 5 décembre 2016 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2016 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général suppléant – tout arrive ! –, mes chers collègues, le projet de loi de finances rectificative pour 2016 intervient dans un contexte que l’on peut qualifier d’instable – je parle de l’économie, vous l’aurez compris.

Disons le d’emblée, un certain nombre de dispositions reçoivent l’assentiment des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, que ce soit le soutien accru à l’éducation nationale, l’effort en faveur des dispositifs de solidarité nationale ou, dans un autre registre, les mesures relatives à la fraude et à l’optimisation fiscales. Nous ne serons pas de ceux qui vous reprocheront, monsieur le secrétaire d’État, de préparer l’avenir par la formation, d’assurer la cohésion sociale autant que faire se peut et de tenter de combattre la scandaleuse soustraction de milliards d’euros à l’impôt.

Nous ne souhaitons pas non plus nous appesantir, pour ne pas dire nous perdre, dans une bataille de chiffres pour savoir si la croissance du PIB de 1,5 point, finalement révisée à 1,4 point, serait l’alpha et l’oméga de la politique économique et budgétaire. Le mal est, à notre sens, beaucoup plus profond. C’est parce que cette législature aura été celle du refus de remettre en cause des normes inefficaces et injustes que nous sommes dans une atonie économique mortifère. Le Royaume-Uni, le Japon, les États-Unis se permettent, eux, un déficit compris entre 3,5 et 5 % de leur PIB sans que cela semble leur poser problème.

Le choix exclusif d’une politique de l’offre non ciblée, contrebalancée par une contraction des dépenses, elle aussi mal ciblée, aura conduit la France dans les difficultés. Le résultat, c’est une France divisée, une France qui aura vu le nombre de chômeurs s’accroître de plus d’un million, toutes catégories confondues ; une France qui aura vu la fracture territoriale s’aggraver entre des métropoles qui aspirent les capitaux privés et publics et des territoires qui ont le sentiment d’être laissés en déshérence. C’est enfin une France à l’orée d’une fracture démocratique que l’on ne pensait pas revoir et qui abîme notre République. Dans le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, comment accepter ces divisions, ces marques de haine, cette volonté d’exclure, d’interdire, qui, si elles ne sont pas le fait du Gouvernement, se nourrissent de l’échec de sa politique ?

Or, depuis plusieurs mois, voire une année, des organismes internationaux comme l’OCDE, le FMI, voire même la Commission européenne, plaident en faveur d’une véritable relance de l’investissement public, moteur d’une croissance novatrice, dans trois grands domaines, et d’abord dans la transition écologique. Je vous rappelle que depuis le 8 août nous vivons à crédit sur les ressources naturelles de notre planète et que cette dette écologique est bien plus préoccupante qu’une dette financière parce qu’elle ne pourra jamais être étalée, restructurée ni annulée.

Le deuxième domaine est l’amélioration de notre système d’éducation, de formation et d’innovation, notamment par le déploiementdu très haut débit sur tout le territoire. Le troisième domaine concerne bien sûr les transports publics dont les infrastructures ne permettent pas de répondre aux besoins de déplacement.

Le plan Juncker, qui devait apporter des réponses dans ces trois domaines, a en fait montré ses limites. Nous sommes bien en deçà des besoins ; surtout le ratio attendu de quatorze euros privés investis pour un euro public est très loin d’être atteint.

Dans le même temps, la contraction des ressources des collectivités territoriales, d’abord sous le coup de la suppression en 2010 de la taxe professionnelle puis de la diminution sans précédent de la dotation globale de fonctionnement, aura été extrêmement pénalisante pour le maintien et le développement du patrimoine public. Selon une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques – l’OFCE –, l’accent a été tellement mis sur la question de la dette publique que la dépréciation du patrimoine public a été occultée.

Entre 2009 et 2015, l’investissement public a reculé de 4,2 à 3,5 points de PIB. Mais si on prend en compte l’usure et la dépréciation des infrastructures – nos routes, notre réseau ferré, nos bâtiments publics – l’accumulation d’actifs nets représentant le stock de capital public français atteint un point bas de 0,2 point du PIB en 2015 et cela alors même que les réductions de DGF n’en étaient qu’aux balbutiements. A force de vous focaliser sur le passif, vous en avez oublié l’actif et finalement, comme le note l’OFCE, la situation des administrations publiques se dégrade, leur niveau d’endettement augmentant en même temps que leurs actifs non financiers diminuent.

Pendant ce temps des centaines de milliards d’euros de liquidités sont déversées par la Banque centrale européenne sans que l’économie réelle en tire un quelconque bénéfice faute d’un nouveau modèle de croissance. Quand face au robinet monétaire grand ouvert, il y a l’austérité budgétaire prônée par l’ordolibéralisme allemand, relayé par les dogmes européens, on ne marche pas sur ses deux jambes. Tel est l’échec de la zone euro et du Gouvernement en matière de croissance.

D’ailleurs quand on voit les recettes de l’impôt sur les sociétés s’effondrer, on peut mesurer combien des choix comme celui de créer un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – favorisent peu l’investissement privé et la relance de la production.

C’est pourquoi je dis à nos collègues de l’opposition, qui aspirent à devenir la majorité, que lorsqu’ils prônent à qui mieux mieux une rigueur excessive au risque d’étouffer la croissance, ils font fausse route. Les préconisations des organisations internationales vont à l’encontre des méthodes de Père Fouettard, que M. Fillon, leur nouveau champion, voudrait imposer à la France. Cent dix milliards de dépenses publiques en moins, ce sont des drames sociaux, économiques et territoriaux à venir. C’est plus de fragilité pour les plus faibles, plus d’inégalités, plus de division.

L’urgence est a contrario de retrouver des marges de manoeuvre par le biais d’une fiscalité plus juste et plus efficace, plus égalitaire aussi, grâce à une vraie réforme fiscale, celle que le Gouvernement a malheureusement abandonnée.

C’est pourquoi nous réitérons nos propositions pour aller beaucoup plus loin en matière de lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales. Les scandales à répétition, qui touchent tous les domaines – les multinationales, les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – comme le football, sapent le contrat social et amoindrissent les capacités des États.

Durant ces quatre années et demie, il aurait été judicieux de faire sauter le verrou de Bercy, d’interdire vraiment l’utilisation de paradis fiscaux par les banques, de créer un délit d’incitation à la fraude fiscale. C’est avec de telles mesures que l’on combat la spoliation de richesses par une petite caste sans scrupule. Dois-je rappeler qu’au niveau européen, selon les chercheurs, les organisations non gouvernementales et les travaux parlementaires, ce sont mille milliards d’euros qui sont soustraits à l’effort collectif.

Ce combat n’est pas seulement moral, il est démocratique ! Comment avoir confiance dans notre système démocratique si le règlement des dossiers des tricheurs reste dans le flou ? Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’adage qui dit que quand c’est flou c’est qu’il y a un loup.

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