Intervention de Delphine Batho

Réunion du 30 novembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure de la mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale :

Le point de départ de notre mission d'information fut le scandale Volkswagen. Toute la première partie de notre rapport porte sur le volet européen de la question. Nous avons réalisé un travail important : 42 auditions en plénière, 86 auditions supplémentaires que j'ai conduites moi-même, 24 déplacements dans les usines automobiles, les centres de recherche et les services chargés de l'homologation, deux déplacements à Bruxelles.

Les conclusions présentées ont été adoptées à l'unanimité. C'est la première fois depuis dix ans qu'il y a un rapport parlementaire sur l'industrie automobile en France. Ce secteur emploie tout de même plus de 500 000 salariés directs, plus de 600 000 dans les filières aval. Si l'on compte les emplois indirects, il représente 9 % de la population active. Le secteur a connu une crise grave, puisque la France y a perdu en douze ans 42 % de sa production industrielle.

Il offre un coefficient multiplicateur de 4,1, ce qui est très élevé : chaque point de valeur ajoutée créé par le secteur automobile entraîne dans l'économie une production de valeur ajoutée quatre fois supérieure, grâce à l'effet d'entraînement sur les secteurs de la chimie, de la plasturgie et du numérique. Aussi notre rapport plaide-t-il pour une stratégie offensive fondée sur une alliance entre écologie et automobile, pour des véhicules zéro émission, pour une révolution des usages et pour le développement des véhicules autonomes.

Je concentrerai mon propos aujourd'hui sur l'aspect européen de la question. La pollution de l'air est la troisième cause de mortalité en France. L'Agence européenne de l'environnement estime à un demi-million les morts prématurées qui y sont dues en Europe chaque année. D'emblée, une anomalie européenne apparaît. Les seuils européens en matière de qualité de l'air et de particules fines ne sont pas ceux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Ce n'est pas un hasard que le « Dieselgate » ait éclaté aux États-Unis et non en Europe. Voilà qui est révélateur de la faillite d'un système. À partir de 2005, tout le monde savait, non seulement qu'un écart séparait les résultats des tests et la réalité, mais aussi qu'il pouvait exister des logiciels truqués, et même qu'il en existait. Ce fait avait été abordé publiquement par le commissaire Potočnik en 2011. L'Union européenne s'était d'ailleurs engagée à partir de 2007 à procéder aux réformes nécessaires.

Certes, les constructeurs portent une part de responsabilité, car ils ont triché. Il ne faut pas éluder cette responsabilité. Mais le régulateur porte aussi une part de responsabilité, car il n'a pas joué son rôle en ne prévenant pas des tricheries dont il était informé et en ne les sanctionnant pas. Il laissait faire un moins-disant écologique et laissait croire à l'industrie que les choses pouvaient continuer ainsi.

L'affaire Volkswagen fait plus de victimes dans l'Union européenne qu'aux États-Unis, et deux fois plus en moyenne en France qu'aux États-Unis. Or l'on n'indemnise que les consommateurs américains ; je m'inscris en faux contre cette approche du groupe Volkswagen. Il y a eu fraude à la norme Euro 5. Les véhicules concernés ne devraient même plus avoir le droit de circuler, mais l'autorité allemande a négocié avec le constructeur une mise en conformité à la norme Euro 5. En tout état de cause, je veux tordre le cou – c'est aussi le point de vue de la DGCCRF – à cette légende répandue par le groupe Volkswagen selon laquelle la différence de réglementation entre les États-Unis et l'Europe justifierait une différence de traitement entre consommateurs américains et européens.

Dès 2007, on a débattu de la question de savoir si l'on poursuivait la marche en avant des normes, en faisant progresser les seuils théoriques, ou si l'on faisait en sorte que la norme corresponde à la réalité. Plus la norme s'est durcie, plus l'écart entre elle et la réalité s'est ensuite creusé. Alors qu'il correspondait à 100 % pour la norme Euro 3, il était de 700 % pour la norme Euro 6. Il y a donc une complicité européenne, comme nous l'ont dit beaucoup des personnes entendues. Un problème d'opacité anti-démocratique se pose aussi, du fait que des décisions politiques ont été prises en procédure de comitologie.

Nous-mêmes avons été éconduits par la Commission européenne sur la répartition des votes de chacun des États membres au sein du technical committee motor vehicles ou TCMV. Mais nous avons obtenu les renseignements par d'autres voies. Il y a tout de même une anomalie démocratique. La décision du Parlement européen de ne pas engager la procédure d'objection est une décision politique qui ne saurait clore le débat juridique sur le fait que le TCMV a excédé la compétence d'un comité technique en prenant sa décision sur le facteur de conformité au regard des particules fines. Des villes du Royaume-Uni, d'Allemagne et de France ont saisi la Cour de justice de l'Union européenne pour l'interroger sur les procédures de contrôle mises en place après l'affaire Volkswagen.

Il y a eu des échanges d'informations, mais aucun protocole commun à la base de cette procédure de test. La Commission préfère se réfugier derrière le fait que la surveillance de marché et les prérogatives d'homologation ont été confiées aux États membres. À mon sens, au vu des circonstances exceptionnelles et concernant le premier constructeur européen, l'Union européenne devait cependant pouvoir sortir de son cercle d'action habituel pour que la procédure de test soit commune à tous les États membres.

Dans notre rapport, nous formulons trois recommandations majeures. Premièrement, nous proposons l'introduction d'une norme unique. Aujourd'hui, l'Europe fonctionne comme si elle avait deux cerveaux. L'un pense au climat et aux émissions de dioxyde de carbone, l'autre se préoccupe de la pollution atmosphérique. Entre ces deux séries de problèmes, il y a un écart de calendrier et de normes.

Le système européen renvoie aux constructeurs le soin d'arbitrer entre ces différents paramètres. Nous plaidons pour qu'une nouvelle norme Euro 7 intègre tous ces paramètres. Il faudrait qu'elle soit unique et la même pour tous les carburants. Car il n'est pas possible que les normes ne soient pas les mêmes pour le diesel et pour l'essence. Il n'est pas normal qu'un véhicule diesel soit autorisé à émettre plus de NOx qu'un véhicule essence et, réciproquement, que les véhicules essence – dont les nouvelles motorisations, à injection directe, émettent beaucoup plus de particules – soient autorisés à ne pas être équipés d'un filtre à particules et à émettre dix fois plus de particules que le diesel. Vis-à-vis des constructeurs, la puissance publique doit donc redéfinir ses exigences, qui doivent devenir des exigences de résultat. Elles doivent être les mêmes pour tout véhicule thermique circulant sur les routes d'Europe.

Le constructeur doit pouvoir atteindre ce résultat avec la technologie de son choix. Cela renvoie au principe de neutralité technologique qui doit gouverner l'action de l'État et de la puissance publique.

Deuxièmement, nous plaidons pour une règle des cinq ans : les normes nouvelles seraient définitivement fixées et annoncées cinq ans à l'avance. L'adaptation aux nouvelles normes coûte 1,5 milliard d'euros à Renault, soit la totalité des marges de l'entreprise sur une année. À chaque fois qu'une norme change, il faut changer la production des usines, des chaînes de montage, remplacer jusqu'aux trois quarts des pièces d'un moteur… C'est pourquoi nous devons annoncer à l'avance les changements de norme.

Aujourd'hui, la réforme annoncée en 2007 n'a pas encore abouti à la publication des textes définitifs, alors même qu'ils devront s'appliquer dès septembre 2017… Si l'on veut faire de la norme écologique un levier de la politique industrielle, cette question du temps doit être prise en compte, en annonçant les normes cinq ans à l'avance et les objectifs cibles dix ans à l'avance. Que la Commission européenne ne commence à poser la question de la nouvelle norme en matière de dioxyde de carbone que mi-2016, dans sa communication sur la stratégie de mobilité à bas carbone, c'est tard, si cette norme doit entrer en vigueur en 2025.

Au Japon, un plan à l'horizon 2050 prévoit des objectifs intermédiaires en 2020, en 2030 et 2040. Nous-mêmes n'avons pas encore traduit l'accord de Paris en termes d'objectifs pour l'industrie automobile. Nous avons donc un besoin de planification.

Troisièmement, nous plaidons en faveur d'une agence européenne de contrôle pour éviter le contrôle à la carte. Par exemple, le groupe Daimler-Benz a obtenu en Allemagne l'homologation d'une climatisation dont la France réclame le retrait du marché. La Commission européenne a saisi sur ce sujet la Cour européenne de justice. Mais l'affaire n'est toujours pas jugée. La question cruciale porte donc sur l'articulation entre le niveau européen et le niveau des États membres. À notre sens, la certification doit relever de l'agence européenne, tandis que les États membres doivent être compétents pour effectuer les contrôles.

Nous pourrions comparer le modèle européen et le modèle américain. Certes, je n'idéalise pas ce dernier, car les normes qu'il édicte en matière de dioxyde de carbone ne sont pas satisfaisantes. Mais il repose sur l'autocontrôle ou self-control. Si la norme n'est pas respectée par cette voie, une procédure fédérale est intentée devant les tribunaux. Comme il n'y a pas de contrôle a priori, le fonctionnement est moins lourd. Cela n'empêche pas l'agence fédérale de l'environnement de tester chaque année 15 % des véhicules en circulation.

Les premières procédures de test n'ont été définies qu'après le scandale Volkswagen. Sur ce sujet, la France doit adresser un mémorandum à ses partenaires européens.

Mais, pour l'heure, tout reste comme avant. Cela n'est pas acceptable sur le plan de la santé publique, ni sur le plan de l'environnement. Cela n'est pas acceptable non plus sur le plan industriel, car cela remet en cause la crédibilité internationale des normes automobiles européennes, en concurrence avec les normes américaines. Nous aurons un jour besoin d'une norme automobile unique. Si nous ne réagissons pas, nous ne serons pas les meilleurs pour peser sur l'harmonisation mondiale de ce système normatif.

J'ai observé le travail diplomatique remarquable effectué sur la ratification de l'accord de Paris, que l'Union européenne risquait à première vue de ne pas ratifier dans les délais. Je vous propose que nous engagions sur ce dossier des normes automobiles le même travail diplomatique.

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