COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 30 novembre 2016
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission,
La séance est ouverte à 16 h 30
I. Audition de Mme Delphine Batho, rapporteure de la mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale
Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir notre collègue Delphine Batho, rapporteure de la mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale. Le sujet a une forte dimension européenne.
Ce rapport est le résultat d'une année de travail exigeant, sérieux, approfondi et de qualité. Il est pour l'instant en Europe le plus important travail parlementaire réalisé sur le « Dieselgate » et ses conséquences, tant pour l'Union européenne que pour la filière automobile elle-même. Vous allez d'ailleurs être auditionnée dans quelques jours par la commission d'enquête EMIS mise en place par le Parlement européen. L'on voit que les travaux menés en ce domaine sont complémentaires. Comme présidente de cette commission, je ne peux que m'en réjouir.
Je ne rappelle pas les détails du scandale Volkswagen, bien connus, et notamment l'utilisation de méthodes frauduleuses par cet industriel. Cependant, puisque la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a transmis à la justice les conclusions de ses investigations sur les émissions de polluants par les véhicules Renault, nous voyons bien que la France n'est pas tout à fait dans une situation simple vis-à-vis de ces problèmes.
Il a fallu qu'une petite ONG américaine soit à l'origine de ce scandale énorme. Mais n'y a-t-il pas vraiment de quoi s'inquiéter et s'interroger encore plus sur les fameux facteurs de conformité ? Peut-on tolérer des systèmes d'optimisation ? Est-ce que la mise en concurrence des États membres ne participe pas des problèmes d'homologation des véhicules ?
Il me semble que tous les États membres devraient réfléchir davantage ensemble à avoir une position plus claire. En particulier, l'ambition initiale du deuxième paquet sur les tests en conditions réelles de conduite (ou real driving emissions, RDE), relatif au NOx, a été amoindrie. Le bilan des commissions indépendantes mises en place reste à faire. Les solutions envisagées divergent d'un État à l'autre. Quant au Conseil « Compétitivité » des lundi et mardi 28 et 29 novembre, il n'a pas donné d'indication très claire sur ce que devrait être l'ambition partagée au sein de l'Union européenne. Les procédures d'infraction annoncées voilà un peu plus de deux mois pourraient-elles être incluses dans la liste publiée le mois prochain ?
Les deux commissions de notre Assemblée concernées au fond, la commission des affaires économiques et celle du développement durable, ont réagi immédiatement, en demandant en conférence des présidents la création de la mission d'information dont vous avez été rapporteure. Quand vous aurez porté vos conclusions au niveau européen, il serait bon que nous formalisions, sous forme d'une résolution, une position officielle de l'Assemblée nationale. Après la publication de votre rapport, nous devons travailler ainsi à l'étape suivante.
Le point de départ de notre mission d'information fut le scandale Volkswagen. Toute la première partie de notre rapport porte sur le volet européen de la question. Nous avons réalisé un travail important : 42 auditions en plénière, 86 auditions supplémentaires que j'ai conduites moi-même, 24 déplacements dans les usines automobiles, les centres de recherche et les services chargés de l'homologation, deux déplacements à Bruxelles.
Les conclusions présentées ont été adoptées à l'unanimité. C'est la première fois depuis dix ans qu'il y a un rapport parlementaire sur l'industrie automobile en France. Ce secteur emploie tout de même plus de 500 000 salariés directs, plus de 600 000 dans les filières aval. Si l'on compte les emplois indirects, il représente 9 % de la population active. Le secteur a connu une crise grave, puisque la France y a perdu en douze ans 42 % de sa production industrielle.
Il offre un coefficient multiplicateur de 4,1, ce qui est très élevé : chaque point de valeur ajoutée créé par le secteur automobile entraîne dans l'économie une production de valeur ajoutée quatre fois supérieure, grâce à l'effet d'entraînement sur les secteurs de la chimie, de la plasturgie et du numérique. Aussi notre rapport plaide-t-il pour une stratégie offensive fondée sur une alliance entre écologie et automobile, pour des véhicules zéro émission, pour une révolution des usages et pour le développement des véhicules autonomes.
Je concentrerai mon propos aujourd'hui sur l'aspect européen de la question. La pollution de l'air est la troisième cause de mortalité en France. L'Agence européenne de l'environnement estime à un demi-million les morts prématurées qui y sont dues en Europe chaque année. D'emblée, une anomalie européenne apparaît. Les seuils européens en matière de qualité de l'air et de particules fines ne sont pas ceux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Ce n'est pas un hasard que le « Dieselgate » ait éclaté aux États-Unis et non en Europe. Voilà qui est révélateur de la faillite d'un système. À partir de 2005, tout le monde savait, non seulement qu'un écart séparait les résultats des tests et la réalité, mais aussi qu'il pouvait exister des logiciels truqués, et même qu'il en existait. Ce fait avait été abordé publiquement par le commissaire Potočnik en 2011. L'Union européenne s'était d'ailleurs engagée à partir de 2007 à procéder aux réformes nécessaires.
Certes, les constructeurs portent une part de responsabilité, car ils ont triché. Il ne faut pas éluder cette responsabilité. Mais le régulateur porte aussi une part de responsabilité, car il n'a pas joué son rôle en ne prévenant pas des tricheries dont il était informé et en ne les sanctionnant pas. Il laissait faire un moins-disant écologique et laissait croire à l'industrie que les choses pouvaient continuer ainsi.
L'affaire Volkswagen fait plus de victimes dans l'Union européenne qu'aux États-Unis, et deux fois plus en moyenne en France qu'aux États-Unis. Or l'on n'indemnise que les consommateurs américains ; je m'inscris en faux contre cette approche du groupe Volkswagen. Il y a eu fraude à la norme Euro 5. Les véhicules concernés ne devraient même plus avoir le droit de circuler, mais l'autorité allemande a négocié avec le constructeur une mise en conformité à la norme Euro 5. En tout état de cause, je veux tordre le cou – c'est aussi le point de vue de la DGCCRF – à cette légende répandue par le groupe Volkswagen selon laquelle la différence de réglementation entre les États-Unis et l'Europe justifierait une différence de traitement entre consommateurs américains et européens.
Dès 2007, on a débattu de la question de savoir si l'on poursuivait la marche en avant des normes, en faisant progresser les seuils théoriques, ou si l'on faisait en sorte que la norme corresponde à la réalité. Plus la norme s'est durcie, plus l'écart entre elle et la réalité s'est ensuite creusé. Alors qu'il correspondait à 100 % pour la norme Euro 3, il était de 700 % pour la norme Euro 6. Il y a donc une complicité européenne, comme nous l'ont dit beaucoup des personnes entendues. Un problème d'opacité anti-démocratique se pose aussi, du fait que des décisions politiques ont été prises en procédure de comitologie.
Nous-mêmes avons été éconduits par la Commission européenne sur la répartition des votes de chacun des États membres au sein du technical committee motor vehicles ou TCMV. Mais nous avons obtenu les renseignements par d'autres voies. Il y a tout de même une anomalie démocratique. La décision du Parlement européen de ne pas engager la procédure d'objection est une décision politique qui ne saurait clore le débat juridique sur le fait que le TCMV a excédé la compétence d'un comité technique en prenant sa décision sur le facteur de conformité au regard des particules fines. Des villes du Royaume-Uni, d'Allemagne et de France ont saisi la Cour de justice de l'Union européenne pour l'interroger sur les procédures de contrôle mises en place après l'affaire Volkswagen.
Il y a eu des échanges d'informations, mais aucun protocole commun à la base de cette procédure de test. La Commission préfère se réfugier derrière le fait que la surveillance de marché et les prérogatives d'homologation ont été confiées aux États membres. À mon sens, au vu des circonstances exceptionnelles et concernant le premier constructeur européen, l'Union européenne devait cependant pouvoir sortir de son cercle d'action habituel pour que la procédure de test soit commune à tous les États membres.
Dans notre rapport, nous formulons trois recommandations majeures. Premièrement, nous proposons l'introduction d'une norme unique. Aujourd'hui, l'Europe fonctionne comme si elle avait deux cerveaux. L'un pense au climat et aux émissions de dioxyde de carbone, l'autre se préoccupe de la pollution atmosphérique. Entre ces deux séries de problèmes, il y a un écart de calendrier et de normes.
Le système européen renvoie aux constructeurs le soin d'arbitrer entre ces différents paramètres. Nous plaidons pour qu'une nouvelle norme Euro 7 intègre tous ces paramètres. Il faudrait qu'elle soit unique et la même pour tous les carburants. Car il n'est pas possible que les normes ne soient pas les mêmes pour le diesel et pour l'essence. Il n'est pas normal qu'un véhicule diesel soit autorisé à émettre plus de NOx qu'un véhicule essence et, réciproquement, que les véhicules essence – dont les nouvelles motorisations, à injection directe, émettent beaucoup plus de particules – soient autorisés à ne pas être équipés d'un filtre à particules et à émettre dix fois plus de particules que le diesel. Vis-à-vis des constructeurs, la puissance publique doit donc redéfinir ses exigences, qui doivent devenir des exigences de résultat. Elles doivent être les mêmes pour tout véhicule thermique circulant sur les routes d'Europe.
Le constructeur doit pouvoir atteindre ce résultat avec la technologie de son choix. Cela renvoie au principe de neutralité technologique qui doit gouverner l'action de l'État et de la puissance publique.
Deuxièmement, nous plaidons pour une règle des cinq ans : les normes nouvelles seraient définitivement fixées et annoncées cinq ans à l'avance. L'adaptation aux nouvelles normes coûte 1,5 milliard d'euros à Renault, soit la totalité des marges de l'entreprise sur une année. À chaque fois qu'une norme change, il faut changer la production des usines, des chaînes de montage, remplacer jusqu'aux trois quarts des pièces d'un moteur… C'est pourquoi nous devons annoncer à l'avance les changements de norme.
Aujourd'hui, la réforme annoncée en 2007 n'a pas encore abouti à la publication des textes définitifs, alors même qu'ils devront s'appliquer dès septembre 2017… Si l'on veut faire de la norme écologique un levier de la politique industrielle, cette question du temps doit être prise en compte, en annonçant les normes cinq ans à l'avance et les objectifs cibles dix ans à l'avance. Que la Commission européenne ne commence à poser la question de la nouvelle norme en matière de dioxyde de carbone que mi-2016, dans sa communication sur la stratégie de mobilité à bas carbone, c'est tard, si cette norme doit entrer en vigueur en 2025.
Au Japon, un plan à l'horizon 2050 prévoit des objectifs intermédiaires en 2020, en 2030 et 2040. Nous-mêmes n'avons pas encore traduit l'accord de Paris en termes d'objectifs pour l'industrie automobile. Nous avons donc un besoin de planification.
Troisièmement, nous plaidons en faveur d'une agence européenne de contrôle pour éviter le contrôle à la carte. Par exemple, le groupe Daimler-Benz a obtenu en Allemagne l'homologation d'une climatisation dont la France réclame le retrait du marché. La Commission européenne a saisi sur ce sujet la Cour européenne de justice. Mais l'affaire n'est toujours pas jugée. La question cruciale porte donc sur l'articulation entre le niveau européen et le niveau des États membres. À notre sens, la certification doit relever de l'agence européenne, tandis que les États membres doivent être compétents pour effectuer les contrôles.
Nous pourrions comparer le modèle européen et le modèle américain. Certes, je n'idéalise pas ce dernier, car les normes qu'il édicte en matière de dioxyde de carbone ne sont pas satisfaisantes. Mais il repose sur l'autocontrôle ou self-control. Si la norme n'est pas respectée par cette voie, une procédure fédérale est intentée devant les tribunaux. Comme il n'y a pas de contrôle a priori, le fonctionnement est moins lourd. Cela n'empêche pas l'agence fédérale de l'environnement de tester chaque année 15 % des véhicules en circulation.
Les premières procédures de test n'ont été définies qu'après le scandale Volkswagen. Sur ce sujet, la France doit adresser un mémorandum à ses partenaires européens.
Mais, pour l'heure, tout reste comme avant. Cela n'est pas acceptable sur le plan de la santé publique, ni sur le plan de l'environnement. Cela n'est pas acceptable non plus sur le plan industriel, car cela remet en cause la crédibilité internationale des normes automobiles européennes, en concurrence avec les normes américaines. Nous aurons un jour besoin d'une norme automobile unique. Si nous ne réagissons pas, nous ne serons pas les meilleurs pour peser sur l'harmonisation mondiale de ce système normatif.
J'ai observé le travail diplomatique remarquable effectué sur la ratification de l'accord de Paris, que l'Union européenne risquait à première vue de ne pas ratifier dans les délais. Je vous propose que nous engagions sur ce dossier des normes automobiles le même travail diplomatique.
Quand je vous entends dire, madame la rapporteure, qu'à la fin, rien ne se passe, je m'interroge, car il y a tout de même eu tricherie. Les procédures en cours n'ont-elles pas de chances d'aboutir ? Il en va non seulement de notre capacité à faire valoir le droit, mais aussi de son impact sur les entreprises.
La question de la qualité de l'air constitue un sujet d'inquiétude depuis des années, chacun reconnaissant qu'il y a un vrai danger.
De mon expérience auvergnate de responsable d'une association pour la surveillance de la qualité de l'air, j'ai retiré l'impression que l'on changeait plus volontiers, au détriment des besoins de la santé publique, les normes de qualité de l'air pour qu'elles correspondent mieux aux besoins des entreprises, qu'on ne faisait l'inverse. Tout cela est masqué sous le prétexte d'une cause certes importante – l'emploi –, que l'on met en balance avec la qualité de l'air. À la lumière de vos travaux, pourrons-nous enfin envisager cette dichotomie sous un jour nouveau ? Quant à la question de la norme unique, le risque est naturellement qu'elle soit fixée le plus bas possible, plutôt que de constituer une référence de qualité.
Madame la rapporteure, je vous suis sur les trois propositions que vous formulez. Sur la question des cinq ans à prévoir avant l'entrée en vigueur d'une norme annoncée, il est malheureusement classique qu'il n'y ait pas d'anticipation. Si une planification est sous-entendue, le terme est presque regardé comme un gros mot. Avez-vous néanmoins des choses à dire qui puissent être relayées sous un jour positif auprès du Parlement européen ? Si parlements nationaux et Parlement européen portent ensemble des propositions, nous serons en effet plus cohérents et plus efficaces.
Nous posons en fait la question des véhicules thermiques et de la façon dont on est amené à les développer. Comme vous l'avez bien dit, nous nous focalisons en effet sur le « Dieselgate ». Mais l'on oublie complètement que l'essence est aussi concernée. Des constructeurs, y compris des constructeurs français, affirment soit que les pots catalytiques règlent les problèmes environnementaux inhérents au diesel, soit que la motorisation à l'essence est plus propre que la motorisation au diesel. Mais tout moteur thermique entraîne une combustion, c'est-à-dire une forme de pollution.
Ne faut-il pas anticiper ? Ne faut-il pas, comme en Asie, questionner les constructeurs sur leurs choix de politique industrielle et sur leurs modèles de nouvelle génération ? Car leurs nouveaux véhicules n'emploient plus seulement des moteurs thermiques. J'ai l'impression que la politique se plie trop souvent aux demandes de l'industrie, et non l'inverse.
En ce qui concerne une agence européenne de contrôle, certains députés du Parlement européen ont la même volonté que vous, quoique sous une forme légèrement différente peut-être. Mais qu'en est-il de la volonté politique au Conseil, et par rebond de la Commission, de faire exister une telle entité comme entité indépendante ? Je rappelle que nous entendons souvent qu'il y a déjà trop d'agences, et que les conflits d'intérêt sont trop nombreux en leur sein – ce qui est malheureusement démontré. Que prévoyez-vous pour répondre à cela ? Comment cette nouvelle agence pourrait-elle être aussi une agence de nouvelle génération, qui échapperait aux critiques que l'on a faites aux autres ?
En ce qui concerne les recours, le rapport tente de dresser un inventaire non exhaustif de l'ensemble des procédures judiciaires visant Volkswagen. Les procédures engagées aux États-Unis, par leur nombre et leur lourdeur, sont sans commune mesure avec celles qui le sont aujourd'hui en Europe.
Vous le savez, une procédure est en cours en France. Toutefois, la loi Hamon a malheureusement exclu le préjudice environnemental des motifs de l'action de groupe : celle-ci requiert un préjudice économique. Les associations de consommateurs nous ont indiqué que, du fait de cette lacune, il faut attendre de savoir si les véhicules affectés par le logiciel truqueur perdront de la valeur sur le marché de l'occasion, ou s'ils seront techniquement moins performants après la mise en conformité, avant de pouvoir faire éventuellement valoir un préjudice économique ouvrant la voie à une action de groupe. Notre rapport préconise de modifier la loi Hamon sur ce point. Cela a été fait, mais partiellement et de manière imparfaite, par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Du point de vue politique, qui n'est pas sans conséquences juridiques, il paraît choquant que les autorités européennes et françaises n'aient pas réagi beaucoup plus fortement à ce qui constitue bien une violation de la réglementation européenne, en l'espèce de la norme Euro 5. Il est faux de dire que cette norme, concernant les NOx, a été respectée. Je rappelle par ailleurs que la réglementation européenne interdit formellement tout dispositif d'invalidation et que les dérogations prévues ne peuvent en aucun cas s'appliquer à un logiciel truqueur qui a pour but d'induire en erreur le protocole d'homologation, comme le logiciel de Volkswagen ou comme celui qui a été découvert chez Fiat et qui fait fonctionner le système de traitement des émissions polluantes pendant vingt-deux minutes, sachant que le test dure vingt minutes. C'est parfaitement illégal.
Il existe en revanche un débat sur la légalité d'autres dispositifs d'invalidation, qui réglaient le système de traitement des émissions polluantes sur les mêmes points de fonctionnement du moteur ou sur la même température que ceux du protocole d'essais. Leur conformité à la réglementation actuelle doit être appréciée par la justice au cas par cas. Il paraît néanmoins très désuet que la réglementation européenne continue en 2016 de comporter une autorisation de dérogation qui y a été introduite en 1998 : aujourd'hui, un constructeur automobile peut faire fonctionner un système de traitement des émissions polluantes en permanence sans risque de casse moteur. Il est incroyable que l'on exploite des textes juridiques correspondant à un état de l'art technologique aujourd'hui caduc pour passer entre les mailles du filet et contourner les exigences de la réglementation – avec le plein assentiment de la Commission européenne.
La proposition d'un nouveau règlement par la Commission européenne a le mérite d'exister et opère d'indéniables progrès par rapport au texte actuel, mais elle reste très imparfaite : comme d'habitude, on ajoute un étage à une réglementation dont les bases sont vacillantes au lieu de résoudre entièrement le problème. En particulier, la distinction entre ce qui relève respectivement des États membres et de l'Union n'est pas clarifiée, alors qu'il s'agit d'une question majeure.
En matière de santé publique, des progrès ont été accomplis : sans les normes, sans la réglementation européenne avec toutes ses imperfections, la différence, incontestable, entre un diesel Euro 1 et un diesel Euro 6 n'existerait pas. Du point de vue écologique, ce ne sont pas les nouveaux modèles qui posent le plus gros problème dans notre pays – en dépit de leurs défauts, du fait qu'ils émettent encore trop de NOx, etc. –, mais les 61 % de véhicules diesel en circulation en France qui ne sont pas équipés d'un filtre à particules. L'accélération du renouvellement du parc est le levier principal d'une lutte efficace contre la pollution. C'est l'objet de la troisième partie du rapport.
Toutefois, les progrès plafonnent depuis Euro 4, d'autant que tous les constructeurs n'ont pas fait les mêmes choix d'investissement. Ainsi, PSA a installé des filtres à particules avant que cela ne soit obligatoire, a inventé et déployé la SCR (« selective catalytic reduction »), la technologie la plus efficace de traitement des NOx. Aujourd'hui, ces technologies sont généralisées. Sont-elles parfaites ? Non. Ont-elles définitivement résolu le problème des NOx ? Pas davantage. Mais il faut reconnaître les efforts réalisés.
En ce qui concerne l'articulation entre emploi et santé publique et le chantage à l'emploi, la réalité industrielle ne peut pas être balayée d'un revers de main. Mais quand, par conservatisme, l'État enterre le premier rapport qui, en 1997, sonne l'alarme sur les liens entre diesel et cancer, quand, en 2012, l'Organisation mondiale de la santé classe les particules diesel parmi les cancérigènes mais que tout continue comme avant sous prétexte de ne pas menacer l'avenir du secteur, cela n'aide pas l'industrie automobile à se préparer à des évolutions telles que la violente décrue des ventes de véhicules diesel aux particuliers que l'on observe aujourd'hui en France.
De ce point de vue, la règle des cinq ans est la seule manière d'articuler et même de faire converger la poursuite d'un objectif de santé publique et celle d'un objectif industriel – donc social, car il y va de l'emploi –, la reconstruction industrielle de la France. Sur ce point, et c'est l'un des enseignements marquants de nos travaux, tous sont d'accord : l'industrie automobile, les organisations non gouvernementales ; la démarche paraît crédible et réaliste à tout le monde.
Nous nous sommes rendus dans la première usine de moteurs diesel au monde, à Trémery, en Lorraine, dont il ne faut jamais oublier qu'elle a été créée pour « compenser » la crise de la sidérurgie. PSA y a investi dans des chaînes de motorisation essence et l'usine va accueillir des chaînes de production de moteurs électriques, ce qui témoigne d'une démarche de diversification. Mais l'on ne peut pas changer du jour au lendemain les règles du jeu ; il y faut du temps.
C'est également nécessaire dans la mesure où l'un des gros problèmes auxquels les constructeurs français sont confrontés est le financement de la recherche et développement. L'avenir appartient à ceux qui misent sur la R&D. Lors de la crise de 2008-2009, alors que le secteur automobile connaissait une véritable hécatombe, les équipementiers français ont fait le choix judicieux de ne pas réduire leurs budgets de R&D mais, au contraire, de les accroître. Ce pari de l'innovation leur permet de bénéficier aujourd'hui de taux de croissance stupéfiants. Nous devons donc aider nos constructeurs à augmenter leurs budgets de R&D.
À condition de se donner cinq ans et de soutenir la R&D, on peut faire accepter une norme ambitieuse et exigeante, car elle ne pose alors plus de problèmes de compétitivité ni d'emploi.
J'en viens à la focalisation sur le diesel au détriment de l'essence et à la nécessité d'envisager d'autres technologies que le moteur thermique. Pour moi, les informations les plus récentes sur les nouvelles motorisations essence modifient radicalement le débat sur le diesel. J'ai demandé à Transport & Environment, l'ONG européenne la plus en pointe dans la lutte contre la pollution automobile, s'il fallait interdire le diesel ; elle m'a répondu que non : il faut des normes exigeantes, les mêmes pour l'essence et pour le diesel, mais il ne faut pas laisser croire que l'essence serait plus vertueuse que le diesel.
Il convient d'en revenir à une différenciation selon les usages. Le diesel est adapté quand on roule 18 000 à 25 000 kilomètres par an, mais, selon l'association Diésélistes de France elle-même, « rouler en Twingo diesel pour faire cinq kilomètres par jour est une aberration », non seulement écologique, mais économique. Ce ne sont pas seulement les informations environnementales qui ont entraîné la décrue des ventes de véhicules diesel en France, mais aussi les publications de l'UFC-Que Choisir ou d'Auto Plus comparant le coût d'usage kilométrique des véhicules. Il faut donc rompre avec la diésélisation massive sans nécessairement interdire le diesel. Nous demandons dans le rapport que chaque consommateur qui achète une voiture soit informé du coût d'usage kilométrique du véhicule, afin de pouvoir opter pour la technologie de motorisation adaptée à l'usage qu'il va en faire.
Vous l'avez très bien dit, madame la présidente : le véritable enjeu n'est pas le passage du diesel à l'essence, mais le passage des énergies fossiles aux véhicules zéro émission et aux véhicules propres. Le rapport consacre à ce sujet une longue partie qui insiste sur l'électrification des transports et sur l'hydrogène. Le véhicule électrique est une technologie mature, de plus en plus compétitive, dont les ventes commencent à décoller. Quant à l'hydrogène, la France s'en est trop longtemps désintéressée alors que l'Allemagne, le Japon, la Californie, le Danemark ont lancé d'importants programmes, paradoxalement soutenus par une grande entreprise française, Air Liquide. Nous devons développer des flottes captives fonctionnant à l'hydrogène, qui nous fournira sans doute le véhicule électrique longue distance, car doté d'une longue autonomie. Cela dit, s'agissant des voitures électriques, il faut noter l'annonce par Renault du doublement de l'autonomie des batteries de la Zoé.
Et l'évolution va s'accélérer. Si nous sommes en retard sur les objectifs du plan Borloo de 2009, soit deux millions de véhicules électriques en 2020, en revanche la Commission européenne se montre insuffisamment ambitieuse et sous-estime la rapidité des changements du secteur lorsqu'elle vise 17 % de véhicules zéro émission dans l'Union en 2030.
Le problème industriel sous-jacent est celui des batteries, qui concentrent la moitié de la valeur ajoutée d'un véhicule électrique. Lorsque nous accordons un bonus de 10 000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique – et ce soutien de l'État reste indispensable au développement du marché –, nous ne nous demandons pas où va la valeur ajoutée industrielle de cette production. L'Europe et la France doivent s'intéresser à l'industrie européenne des batteries ; c'est un enjeu stratégique majeur. Si nous ne voulons pas verser plus tard des larmes de crocodile sur la désindustrialisation de la France, nous devons dès à présent nous interroger sur ce que sera la filière industrielle du « coup d'après » et prendre les décisions nécessaires.
En ce qui concerne les véhicules thermiques, j'aimerais insister sur la notion de neutralité technologique en matière fiscale. L'État n'a aucune raison de prévoir une fiscalité différente dès lors que l'on en revient à une logique de différenciation selon les usages. Ce problème est également pointé au niveau européen.
S'agissant de l'agence européenne, j'ai entamé ce travail sans idée préconçue et ma proposition n'a rien d'un mot d'ordre ni d'un slogan. J'ai d'abord pensé que l'enjeu principal était la procédure d'homologation – donc, pour la France, la réforme de l'UTAC. Toutefois, chemin faisant, j'ai acquis la conviction que le problème premier, en Europe comme en France, est l'absence de contrôle aléatoire des véhicules en circulation. La réglementation européenne actuelle permet à la France d'instaurer sans attendre un tel contrôle ; le rapport propose donc un projet de loi tendant à créer une sorte de bureau d'enquêtes et d'analyses de la pollution des véhicules. Le mieux serait toutefois de le faire au niveau européen.
J'étais réticente à cause des problèmes de conflits d'intérêts que posent les agences européennes dans le domaine des pesticides ou des produits chimiques, mais j'en ai trouvé d'autres, peut-être moins connues, qui, à ma connaissance, ne s'exposent pas à cette critique, comme l'Agence européenne de la sécurité aérienne, une agence technique. Je n'imagine pas une administration pléthorique, mais une instance de mission dont le rôle serait très précisément défini et l'indépendance garantie, afin que ses décisions soient indiscutables.
Enfin, adopter une seule norme, ce ne peut être choisir la moins exigeante, madame la présidente, puisque l'on part de l'existant. Ce qui m'intéresse, je le répète, c'est le coup d'après : il faut débattre aujourd'hui de ce que sera la norme Euro 7. On ne peut plus accepter qu'une norme soit déclinée comme l'a été Euro 6 avec Euro 6 a, b, c, d, et bientôt e et f : personne n'y comprend plus rien. Quand on parle de la norme Euro 6 pour l'essence, on ne sait pas s'il s'agit de la version qui autorise l'émission de dix fois plus de particules que pour le diesel ou de la suivante, selon laquelle la quantité de particules autorisée est la même que pour le diesel, ce qui implique que les moteurs à essence intègrent un filtre à particules. C'est illisible pour le consommateur.
Il faut donc penser à l'étape ultérieure et en profiter pour refondre le système, ce qui requiert un changement radical s'agissant du CO2. Actuellement, en effet, l'évaluation porte sur la masse globale de la flotte des constructeurs, ce qui handicape l'industrie française, celle qui a fait le plus d'efforts, par rapport à son homologue allemande, celle qui en a fait le moins. Cela ne peut pas continuer ainsi.
Merci beaucoup.
Je souhaite, je le répète, que ce travail très important débouche sur une proposition de résolution européenne que nous pourrions transmettre à la commission compétente au fond, afin d'exprimer la position de l'Assemblée nationale sur le sujet. Votre audition devant le Parlement européen, prévue la semaine prochaine, vous donnera l'occasion de souligner et de clarifier tel ou tel point. Notre proposition nous permettra de contribuer à donner corps à l'Union européenne dans ce qu'elle a de plus vertueux.
Nous avons évoqué ensemble cette idée, qui me paraît essentielle compte tenu du statu quo qui paraît être en train de s'installer. Les conclusions de la commission d'enquête du Parlement européen seront déterminantes pour la suite. Mais il est très important que le Parlement français fasse lui aussi entendre sa voix, notamment pour les raisons suivantes, que je n'ai pas détaillées dans mon propos liminaire.
Les dérogations à l'interdiction des dispositifs d'invalidation doivent être proscrites. Or la proposition franco-allemande en cours de rédaction ne vise qu'à les limiter.
Second exemple : l'homologation des logiciels. Nous sommes à cet égard dans une situation invraisemblable : contrairement à ceux qu'utilisent les secteurs de l'aviation et de la santé, les logiciels qui équipent les voitures ne sont pas homologués ; ce sont des sortes de boîtes noires que personne ne contrôle. Au vu du scandale qui touche aujourd'hui les logiciels truqueurs en matière d'émissions polluantes, on imagine ce qui pourrait se passer demain si l'on commençait à constater des accidents de la circulation ou des problèmes de sécurité dans des véhicules autonomes utilisant des logiciels ou des systèmes d'intelligence artificielle qui ne peuvent jamais être contrôlés par la puissance publique. Ce serait inadmissible. Ce point devra lui aussi figurer dans notre future résolution.
Enfin, ce qui importe dans le travail que nous avons mené, c'est l'unanimité à laquelle nous sommes parvenus et qui ne donne que plus de force à nos conclusions. Cette unanimité n'a pas été le fruit d'un compromis sur le plus petit dénominateur commun : au fil des auditions et des déplacements, nous avons construit une vision partagée de l'action à mener pour l'avenir de l'industrie automobile, pour une industrie automobile du XXIe siècle.
Plusieurs de nos collègues du Parlement européen y travaillent parallèlement ; je songe notamment à Karima Delli. Nous allons donc pousser les feux, conformément à notre rôle. Merci encore pour votre excellent travail.
II. Communication de Mme Marietta Karamanli et M. Joaquim Pueyo sur la proposition franco-allemande d'un « pacte de sécurité »
Je laisse maintenant la parole à Marietta Karamanli et à Joaquim Pueyo sur la proposition franco-allemande d'un « pacte de sécurité » pour l'Union européenne.
Nous allons, tour à tour, avec Marietta Karamanli vous présenter les points forts de cette initiative franco-allemande qui vise à imbriquer étroitement la sécurité intérieure et la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.
En 2003, la Stratégie européenne de sécurité, élaborée par le Haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité, M. Javier Solana, commençait par ces mots : « l'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre ». 2003, c'était il y a maintenant 13 ans et depuis, l'environnement de sécurité de l'Union européenne s'est considérablement dégradé. Celle-ci est en effet actuellement confrontée à une multitude sans précédent de crises déstabilisant son voisinage proche, en Syrie, en Ukraine ou au Sahel, dont les répercussions se font sentir à l'intérieur de ses frontières, notamment par l'afflux de réfugiés et la multiplication des actes terroristes en France, en Belgique, au Danemark ou en Allemagne.
Ces crises, parmi les plus graves qu'a eues à affronter l'Union européenne, remettent en cause ce qu'elle a réussi à bâtir depuis sa création, un espace de liberté bien sûr mais également les valeurs communes et une certaine idée de la solidarité qui doit unir ses membres dans l'adversité.
Compte tenu de ce nouvel environnement sécuritaire et des crises qu'il suscite, il n'est guère étonnant que la sécurité soit parmi les principales préoccupations des citoyens européens. Ces derniers attendent de l'Union européenne qu'elle prenne la mesure des menaces, qu'elle agisse et qu'elle les protège. Celle-ci doit maintenant répondre rapidement et efficacement à cette attente, sauf à voir sa légitimité, déjà entamée par ces crises comme par les scandales affectant la Commission, s'affaiblir encore.
Un premier pas a été franchi avec la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité présentée par la Haute Représentante Mme Federica Mogherini au Conseil européen des 28 et 29 juin derniers. Non seulement cette Stratégie remplace celle, dépassée, de 2003, mais elle fait clairement le lien entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, tout en affirmant la nécessité d'une réponse globale à des crises elles-mêmes globales.
La Stratégie globale pour la PESC n'est cependant pas un document opérationnel et elle est, en tant que telle, dénuée de portée pratique. C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont présenté une proposition « Pour une Europe plus forte » dont l'un des axes principaux était la mise en oeuvre d'un pacte européen de sécurité. Cette proposition a, par la suite, été approfondie, s'agissant de la sécurité intérieure, par une initiative présentée par les ministres français et allemand de l'Intérieur le 23 août 2016, et, s'agissant de la Défense européenne, par des propositions des Ministres français et allemand de la Défense, présentée le 11 septembre 2016. Les ministres de la Défense italien et espagnol se sont joints par la suite à cette initiative.
Je laisse la parole à Marietta Karamanli, pour les aspects sécurité intérieure.
Avant de vous présenter le volet sécurité intérieure des propositions du pacte de Sécurité, je voudrais dire avant quelques mots du contexte.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale : les arguments et propos des eurosceptiques semblent dominer le débat public et peu de voix parviennent à faire oeuvre pédagogique pour parler des réussites de l'Europe ; il est vrai qu'en même temps les attentes en matière de sécurité sont très fortes quelle que soit l'autorité publique que l'on sollicite.
L'Union européenne n'est plus aujourd'hui perçue d'abord comme un grand marché. On lui demande d'être un espace de protection et on voudrait lui conférer certains attributs régaliens comme la défense contre le terrorisme, ou la gestion efficace des frontières extérieures.
Les citoyens ont bien conscience de la forte interdépendance des États membres et de leur impuissance à réagir et à agir efficacement, chacun de leur côté, contre les menaces transnationales, comme par exemple contre le terrorisme ou la maîtrise des flux migratoires et les crises qui s'y attachent. L'Union européenne doit faire de ces épreuves et contraintes une occasion de prouver sa pertinence et d'en faire des opportunités.
Les incertitudes soulevées par le résultat de l'élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016 s'agissant de la pérennité et de l'ampleur de l'implication des États-Unis dans la sécurité européenne, notamment dans le cadre de l'Otan, sont une occasion historique pour élaborer une nouvelle stratégie de sécurité pour l'UE qui coordonne étroitement sa politique extérieure avec les enjeux de sécurité intérieure. Nous devons répondre à la demande de sécurité des citoyens et faire de l'Union européenne un pôle de stabilité régionale et internationale, condition de sa croissance.
Cette démarche globale et cohérente ne peut être crédible que si nous faisons collectivement un effort de mobilisation. L'Union européenne est perçue trop souvent par les citoyens comme le symbole d'un espace de discussion sans effets rapides car les grandes déclarations ne sont pas suivies de réalisations concrètes et rapides, tant il faut d'effort pour convaincre et de temps pour mettre en oeuvre.
De façon générale il convient de considérer que l'Union doit incarner une coordination moderne, une confédération puissante et une protection efficace de ses citoyens.
Pour paraphraser celui qui fut d'abord un général révolutionnaire, Napoléon Bonaparte, « La guerre est un art simple et tout d'exécution. »
La bataille de la construction européenne est elle-même un art d'exécution.
Il aura fallu plus de dix ans pour décider de la création d'un corps de garde-frontières alors que la sécurisation des frontières extérieures est vitale.
Les fichiers de sécurité d'Europol ou le système d'information Schengen II sont encore peu complétés par les États membres alors que la lutte contre le terrorisme suppose des échanges d'information les plus complets possibles. Sans nier la complexité de certains mécanismes, il faut que l'Union européenne accélère la mise en oeuvre de ses décisions et vérifie concrètement que les mesures annoncées sont véritablement opérationnelles.
Il faut donc que les États prompts à dénoncer l'Europe décident et agissent de concert.
Récemment, le Commissaire Julian King, chargé de l'union de la sécurité a présenté son deuxième rapport sur les progrès accomplis dans « la mise en place d'une union de la sécurité réelle et effective » et M. Gilles De Kerchove, le coordinateur européen de la lutte anti-terroriste a dressé devant le Conseil des ministres JAI, le 18 novembre dernier, le bilan des mesures prises par les Européens en matière de lutte anti-terroriste. Ces deux rapports soulignent les progrès réalisés pour répondre aux menaces, mais constatent aussi que les résultats opérationnels ne sont pas à la hauteur des enjeux. Des textes sont toujours en souffrance ou de graves lacunes dans la mise en oeuvre des décisions sont à déplorer. L'Union européenne doit passer aux actes. Il y va de notre crédibilité et en matière de Défense il faut éviter de se payer de mots.
J'en viens aux propositions : concernant la sécurité intérieure, il s'agit plutôt de poursuivre les choix déjà opérés, mais en cherchant une véritable cohérence et une meilleure efficacité.
Un des axes majeurs est de mieux sécuriser les frontières extérieures.
Dans ce domaine, les décisions juridiques ont été prises, il faut accélérer la gestion intégrée des frontières.
En moins d'un an, les États membres ont été capables d'adopter un nouveau Règlement créant un corps de garde-frontières et dotant l'Agence Frontex de nouvelles missions pour parvenir à une gestion intégrée des frontières extérieures et rendant ainsi possible, à terme, le retour à un fonctionnement normal de l'espace Schengen. Sans contrôle effectif des frontières extérieures, il sera impossible de garantir la libre circulation des personnes sur le territoire de l'Union.
Cette nouvelle Agence doit donc être opérationnelle dans les meilleurs délais. Tous les États membres doivent y apporter les ressources nécessaires.
La nouvelle Agence de garde-frontières européens devra organiser d'ici la fin de l'année un exercice de simulation de crise, sur le terrain, aux frontières extérieures de l'Union.
Parmi ses nouvelles missions, l'agence devra analyser les risques et assurera une surveillance des flux migratoires au sein de l'Union européenne. Les analyses devront traiter aussi de la criminalité transfrontalière et du terrorisme.
Une évaluation des vulnérabilités des États membres sera effectuée pour mesurer leur capacité de faire face aux risques. L'Agence a engagé des réflexions pour mettre en place une méthodologie, afin d'effectuer des « stress tests » en matière de vulnérabilité.
L'Agence devra aussi innover en matière de politique de reconduite dans leur pays d'origine des migrants irréguliers. Il s'agit là d'une mission très délicate, mais pourtant vitale pour la crédibilité de notre maîtrise des frontières. Au sein de l'Agence un Bureau des retours aura la capacité d'affréter, d'initier des vols pour des immigrés en situation irrégulière vers les pays source.
Elle devra le faire en respectant les garanties auxquelles ont droit les hommes et femmes concernés par ces reconduites. Pour ce faire, l'Agence aura un rôle diplomatique très important avec les pays tiers pour négocier des accords de réadmission et faciliter l'obtention de documents de voyage pour des migrants dépourvus de tout titre d'identité.
La nouvelle Agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes deviendra un interlocuteur à part entière des autres agences chargées de la sécurité et devra mettre en oeuvre une coopération active avec l'ensemble des autres institutions européennes (Europol, Eurojust, Douanes), couvrant un spectre sécuritaire général : terrorisme et lutte contre la criminalité transfrontalière, au-delà de la gestion des frontières extérieures.
Cette Agence devra mette en place un dispositif de formation en matière de lutte contre la fraude documentaire. Il faut de plus que ces garde-frontières soient équipés du matériel adéquat et des dernières applications technologiques, pour faciliter le contrôle de chaque personne entrant ou sortant de l'espace Schengen. Ils devront dans ce cadre avoir accès aux fichiers nationaux et européens. À ce titre, l'usage de la biométrie doit être renforcé. En effet, étant donné l'utilisation frauduleuse de vrai-faux passeports volés syriens et irakiens, notamment par Daech, la biométrie est le seul moyen de réellement garantir l'identité d'une personne.
Pour que les contrôles aux frontières soient efficaces, il faut un partage systématique de l'information dans les fichiers européens. Il est bien entendu essentiel que ces fichiers soient systématiquement alimentés par tous les États membres. La France fait partie des pays qui les alimentent le plus. Mais ce préalable n'est pas suffisant. Le Pacte de sécurité insiste sur l'importance du caractère interopérable des différents fichiers de sécurité, c'est-à-dire reliés entre eux. Il est en effet impératif que nos policiers et gendarmes sur le terrain disposent d'une interface unique, interrogeant de manière simultanée tous les fichiers nationaux et européens, pour mener les vérifications nécessaires à notre sécurité. Nous ne pouvons pas accepter qu'une information disponible dans un fichier et cruciale pour notre sécurité, ne soit pas rapidement accessible, notamment lors de contrôles.
La Commission européenne est consciente de l'urgence d'améliorer le partage d'informations. Elle va proposer, dans le cadre de la prochaine révision de la base juridique du système d'information Schengen, d'étendre l'accès d'Europol à tous les fichiers de sécurité de l'Union européenne, ce qui permettra par exemple à Europol de demander les données des dossiers passagers du PNR.
Je tiens d'ailleurs à vous informer d'une décision récente de traduire la Bulgarie devant la Cour de justice de l'UE. En effet celle-ci n'a pas respecté l'obligation de créer un point de contact unique, pour assurer l'échange obligatoire d'informations en matière de sécurité des documents. Elle empêche ainsi d'autres États membres d'avoir un accès sécurisé aux empreintes digitales stockées sur les puces dont sont munis les passeports bulgares et de vérifier les empreintes.
Le Pacte de sécurité propose aussi la création d'une plateforme européenne pour le renseignement.
Pour le moment les agences de renseignement relèvent de la compétence nationale des États membres, mais il y a urgence à trouver une solution concrète au cloisonnement entre services répressifs et services de renseignement, et entre le Centre européen de la lutte contre le terrorisme et le Groupe antiterroriste, de façon à permettre une interaction plus systématique entre les deux communautés et, partant, une coopération opérationnelle accrue.
Concernant la lutte contre le terrorisme, le document franco-allemand propose une coopération institutionnalisée contre le terrorisme et rappelle le progrès représenté par le centre européen de lutte contre le terrorisme d'Europol, mis en place en janvier, qui doit encore monter en puissance. La France et l'Allemagne sont prêtes à y contribuer ensemble sur le modèle de la Task force « Fraternité » mise en place entre la France et la Belgique après les attentats de novembre. Le document souligne qu'il « faut institutionnaliser et dupliquer ce type de coopération au niveau européen ».
Un des aspects important de la lutte anti-terroriste est la lutte contre la propagande islamiste. L'initiative franco-allemande propose un centre commun d'expertise "radicalisation" à Europol en renforçant le réseau actuel d'experts nationaux (« Radicalisation Awareness Network » - RAN), réseau qui rassemble les acteurs de terrain et professionnels, et notamment l'unité référente Internet (IRU), au sein d'Europol, « pour en faire un véritable centre européen d'expertise ».
Ce réseau a déjà fait un travail important sur la radicalisation en prison et a publié un rapport sur le rôle des femmes dans l'extrémisme violent.
L'expérience acquise avec les attentats de Paris et de Bruxelles indique que le Centre européen de la lutte contre le terrorisme a besoin de davantage de ressources financières, technologiques et humaines pour être en mesure de gérer et de traiter des volumes plus élevés d'informations et de renseignements en matière pénale. Ces besoins augmenteront encore avec l'accès élargi d'Europol aux informations et aux bases de données. Aujourd'hui déjà, le centre n'est pas suffisamment équipé pour apporter une assistance aux États membres 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui constitue un handicap majeur en cas d'évènements tels qu'un attentat terroriste de grande ampleur.
La Commission européenne a d'ailleurs annoncé en septembre 2016 qu'elle allait prendre des mesures pour renforcer les moyens humains du Centre européen.
Le Pacte de sécurité suggère aussi d'accélérer la mise en oeuvre du paquet dit des frontières intelligentes (« smart borders »), ce qui revient à accélérer l'adoption de certaines innovations technologiques pour mieux réguler les flux de personnes aux frontières de l'Union.
Rappelons que suite aux attentats de novembre 2015, la Commission a présenté le 15 décembre 2015 la modification ciblée du code frontières Schengen pour prévoir des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'Union, y compris en particulier des ressortissants de l'Union européenne, au moyen des bases de données pertinentes. Des négociations sont engagées entre le Conseil européen, la Commission et le Parlement européen et l'objectif annoncé est d'adopter un texte définitif d'ici la fin décembre 2016.
Ce texte devrait être complété par deux dispositifs qui permettraient de parfaire le contrôle de l'immigration clandestine et des risques terroristes mais qui posent de redoutables problèmes techniques.
Second dispositif du programme « frontière intelligente », le système d'entréesortie (« EES ») serait une base de données biométriques permettant d'enregistrer les passages à la frontière extérieure de l'espace Schengen des ressortissants de pays tiers.
Le système d'entréesortie comporterait également une « calculatrice automatique » déterminant automatiquement le nombre de jours passés dans l'espace Schengen et alertant les États dans l'hypothèse où la période de séjour autorisée (90 jours par exemple pour un visa de court séjour) aurait expiré. L'EES indiquerait également les cas où l'entrée sur le territoire d'un pays de l'espace Schengen a été refusée ainsi que les motifs de ce refus.
L'autre projet important pour maitriser les frontières vient d'être annoncé par la Commission le 16 novembre et était aussi préconisé par le pacte de sécurité. Ce projet figurait d'ailleurs dans la feuille de route de Bratislava. Il s'agit de créer un système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS).
Ce projet s'inspire de ce qui existe déjà aux États-Unis, au Canada, ou en Australie, c'est-à-dire un système électronique d'autorisation de voyage concernant les personnes non soumises à visa, avant qu'elles n'entrent sur le territoire européen. L'objectif de ce dispositif est triple :
– vérifier les informations communiquées par les voyageurs exemptés de demande de visa (identité, document de voyage, informations de séjour, coordonnées, etc) afin d'évaluer s'ils présentent un risque pour la migration irrégulière, la sécurité ou la santé publique ;
– traiter automatiquement chaque demande par un système informatique recoupant les bases de données européennes et internationales (telles que le SIS, VIS, la base de données d'Europol, Eurodac, ECRIS). Cela permettra à Europol d'établir une liste de surveillance pour déterminer s'il y a des motifs raisonnables pour délivrer ou refuser une autorisation de voyage ;
– délivrer les autorisations de voyage contre le paiement par internet d'une somme de cinq euros.
Ce système devrait être opérationnel en 2020 et suppose un investissement de l'ordre de 212 millions d'euros.
Le dernier volet des propositions concerne la régulation d'Internet et la surveillance de la propagande islamiste.
Le pacte de sécurité aborde la question du cryptage ou du chiffrement des communications utilisés par les terroristes.
Il est en revanche demandé que les échanges de plus en plus systématiques opérés via certaines applications, telle que Telegram, puissent dans le cadre des procédures judiciaires - j'insiste sur ce point - être identifiés et utilisés comme éléments de preuve par les services d'investigations et les magistrats.
Le document franco-allemand propose que la Commission européenne étudie la possibilité d'un acte législatif rapprochant les droits et les obligations de tous les opérateurs proposant des produits ou des services de télécommunications ou Internet dans l'Union européenne, que leur siège juridique soit ou non en Europe.
Si un tel acte législatif était adopté, cela nous permettrait, au niveau européen, d'imposer des obligations à des opérateurs qui se révéleraient non coopératifs, notamment pour retirer des contenus illicites ou déchiffrer des messages, exclusivement dans le cadre d'enquêtes judiciaires.
Il est aussi préconisé de ratifier la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. En effet, la France estime que l'article 18 de cette Convention peut conférer une base légale à des réquisitions adressées par les autorités compétentes d'un pays partie à la convention en direction d'un fournisseur de services établi physiquement ou légalement à l'étranger, mais qui offre des prestations sur son territoire.
Au niveau européen, au sein d'Europol, une unité référente Internet (IRU), commandée par un policier français, est opérationnelle depuis un an. Son action a permis la suppression de plus de 10 000 contenus en ligne incitant au terrorisme et à la haine. Cette unité doit être renforcée.
Je suggère enfin, que notre assemblée, comme les autres assemblées des parlements nationaux, puisse disposer d'une information régulière sur l'avancement des objectifs, des dispositifs en matière de sécurité et donner un avis fondé et circonstancié, sur les difficultés le cas échéant rencontrées.
Il me semble que nous sommes comptables des avancées mais aussi des diligences à réaliser auprès de l'Union si nous constatons des réticences ou difficultés à faire venant des États nationaux ; en effet la sécurité reste une prérogative centrale de nos parlements, alors même qu'elle compte comme une compétence désormais effectivement partagée avec l'Union européenne.
Je laisse la parole à Joachim Pueyo, qui va présenter les propositions relatives à la Défense et à la politique extérieure.
Il n'est plus possible, aujourd'hui, de distinguer entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. C'est pourquoi, à côté des mesures que vient de vous présenter Marietta Karamanli, le Pacte européen de sécurité contient également – je cite : « des propositions concrètes devant permettre de progresser vers une Défense de l'Union européenne globale, réaliste et crédible ». Ces propositions s'articulent autour de trois axes.
Le premier axe, c'est une coopération accrue en matière de Défense. Alors que la sécurité est désormais en haut de l'agenda européen, il est pour le moins aberrant qu'il n'y ait toujours pas de Conseil des ministres de la Défense. Ceux-ci se réunissent, certes, mais sous couvert d'un Conseil des Affaires étrangères. L'une des mesures du « Pacte de sécurité européen » vise donc à renforcer la prise de décision en matière de sécurité en institutionnalisant un Conseil des ministres de la Défense.
Le Pacte européen de sécurité contient également la proposition de mettre enfin en oeuvre la Coopération structurée permanente prévue par les articles 42§6 et 46 du Traité sur l'Union européenne entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». C'est un moyen d'aller de l'avant en matière de Défense en contournant l'obstacle de l'unanimité.
Enfin, au-delà de la CSP, la France et l'Allemagne estime également nécessaire de renforcer la coopération entre les États-membres par une coordination et une transparence accrue de leurs développements capacitaires et de leurs budgets de Défense. Cette coopération pourrait être appuyée par l'Agence européenne de Défense (AED) dans le cadre d'un « Semestre européen de Défense » sur le modèle du « Semestre européen » consacré à la coordination des politiques économiques et budgétaires.
Le deuxième axe est le développement de nouvelles capacités de Défense. En effet, la sécurité de l'Union européenne implique une autonomie stratégique qui ne peut être atteinte sans capacités militaires suffisantes, en hommes, en matériels et en technologie. Par conséquent, le « Pacte de sécurité européen » propose :
– un objectif de 20 % des budgets nationaux de la Défense consacrés à l'investissement, « afin d'engager un financement adéquat dans l'avenir de notre Défense ». Cependant, il serait contreproductif que ces investissements ne soient pas coordonnés au niveau européen. D'où la proposition, déjà évoquée supra, d'un « Semestre européen de Défense ». De tels investissements sont en outre nécessaires pour maintenir une véritable capacité industrielle européenne dans le secteur de la Défense ;
– un vrai programme de recherche défense pour le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027). C'est le corollaire de l'effort d'investissement précité. Il doit porter sur du matériel européen de dernière génération, lequel exige un effort de recherche considérable qui n'est possible qu'au niveau européen ;
– une extension du mécanisme de financement des opérations militaires (Athéna). Celui-ci ne finance, actuellement, que les coûts communs des missions militaires, si bien que l'essentiel du coût de celles-ci repose sur les États membres contributeurs qui, dès lors, peuvent être réticents à s'engager dans de telles missions militaires ;
– le renforcement de l'Eurocorps qui pourrait ainsi appuyer l'Union européenne pour des missions de formation, de conseil stratégique et d'assistance. L'Eurocorps continuerait également à pouvoir soutenir l'OTAN si nécessaire ;
– enfin, le développement de nouvelles capacités en matière de transport stratégique (terreairmer).
Enfin, développer de nouvelles capacités doit aussi s'entendre au sens juridique du terme. En effet, aux termes de l'article 41 du Traité sur l'Union européenne, strictement interprété par le service juridique de la Commission, il est aujourd'hui légalement interdit, pour l'Union européenne, de financer des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Par conséquent, alors que plusieurs missions de formation d'armées africaines sont en cours au Sahel, en particulier au Mali (EUTM Mali), l'Union européenne n'a pu fournir aux recrues les équipements (même non-létaux) nécessaires à leur entraînement, pas plus que par la suite, elle ne pourra équiper les bataillons ainsi formés.
C'est pourquoi la France et l'Allemagne soutiennent la proposition de la Commission européenne, rendue publique le 5 juillet dernier, d'autoriser un financement plus large aux acteurs du secteur de la sécurité dans les pays partenaires, y compris les acteurs militaires dans des circonstances exceptionnelles, sans toutefois aller jusqu'à la fourniture de matériel létal.
Enfin, le troisième axe du Pacte européen de sécurité, s'agissant de la défense, comporte des propositions visant à rendre les forces plus opérationnelles. Il propose ainsi :
– de renforcer la capacité de planification stratégique et de conduite militaire de l'Union, par la création d'un quartier général permanent pour les missions et opérations militaires et civiles ;
– de créer un commandement médical européen ;
– d'améliorer la capacité de déploiement des groupements tactiques, étant précisé que ces « Battlegroups » n'ont encore jamais été déployés ;
– d'améliorer le processus de génération de forces pour les missions et opérations de l'Union européenne, laquelle amélioration reposera notamment sur une meilleure prise en charge de leur coût par le mécanisme Athéna précédemment évoqué ;
L'ensemble de ces propositions visent à renforcer l'autonomie stratégique et opérationnelle de l'Union européenne, notamment pour lui permettre d'intervenir pour « assurer la paix, la sécurité et le développement dans des zones clés, en particulier la Méditerranée, l'Afrique de l'ouest et le Sahel, la République centrafricaine et la Corne de l'Afrique, zones dans lesquelles notre sécurité commune est en jeu ». Ces zones sont pour l'essentiel des zones où l'OTAN n'intervient pas. Toutefois, le lien entre la Défense européenne et l'OTAN n'est pas oublié. Bien au contraire, la coopération UE-OTAN doit être « intensifiée, notamment dans le domaine cyber, la lutte contre les menaces hybrides, le renseignement… ».
Une première étape dans le renforcement de la Défense européenne a été franchie lors du Conseil des ministres de la Défense, réuni le 14 novembre sous couvert, comme à l'habitude, d'un Conseil des Affaires étrangères, dont les conclusions reprennent un certain nombre des propositions du Pacte européen de sécurité. Cependant, le Conseil n'a défini qu'une feuille de route qu'il appartiendra à la Haute représentante et à la Commission de mettre en oeuvre en faisant des propositions au Conseil, au sein duquel le consensus devra être atteint.
Quelques mots pour conclure. Au-delà de la mobilisation de tous les États Membres pour mettre en oeuvre rapidement les décisions déjà prises pour renforcer la sécurité intérieure de l'Union, nous devons adresser un signal politique en affirmant notre engagement à faire progresser la démarche de défense et de sécurité commune.
C'est pourquoi l'essentiel va se jouer au prochain Conseil européen, qui se tiendra à Bratislava les 15 et 16 décembre 2016. Il sera en effet décisif par l'impulsion politique qu'il donnera, ou non, à la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de sécurité à la hauteur des menaces auxquelles est et sera confrontée l'Union européenne. Dès lors et dans cette perspective, il nous semble donc important que l'Assemblée nationale soutienne les propositions du Pacte européen de sécurité et appelle le Conseil européen à les reprendre à son compte. Tel est le sens de la proposition de résolution européenne que nous vous proposons aujourd'hui.
je vous remercie pour cette présentation très complète. Je voudrais juste souligner qu'en matière de sécurité commune, l'Union Européenne est dans une position très inconfortable. L'Union européenne est tentée de construire une sorte de « château-fort », ce qui est contraire à ses valeurs et à ses principes fondamentaux de liberté de circulation. De plus, aucun château–fort n'est imprenable et les mesures adoptées n'empêcheront pas de prochaines attaques. Nous sommes confrontés à un véritable défi : comment éviter les assimilations dangereuses comme celle de migrant et terroriste potentiel et comment trouver des solutions inédites pour que ceux qui viennent chercher du travail en Europe, malgré tous les dangers encourus, puissent éviter de le faire parce que leur pays aura trouvé des moyens de se développer. Nous devons aussi nous interroger sur certaines de nos pratiques, comme celle de vendre des armes à des pays dont les politiques sont largement contestables ou celle de tirer profit des richesses naturelles des pays du sud dans des conditions économiques inéquitables.
Mes interrogations ne remettent pas du tout en cause la qualité de votre travail et la nécessité d'oeuvrer pour la sécurité.
Votre résolution se situe dans le prolongement d'un long travail réalisé par notre Commission pour plaider en faveur d'une autonomie de l'Union européenne en matière de sécurité et de politique étrangère.
Je crois que le plus important est de répondre concrètement aux attentes des citoyens européens. Même si la stratégie de sécurité intérieure ne peut juguler toutes les menaces, l'essentiel est de dépasser les clivages nationaux et de se donner les moyens de réagir. Il faut impérativement que l'Union européenne soit plus réactive. Notre résolution ne va pas bouleverser la situation mais elle peut conforter la démarche initiée par la France et l'Allemagne pour que, dans le respect des droits fondamentaux, l'Europe se dote de moyens efficaces pour protéger ses citoyens.
je voudrais insister sur les progrès réalisés récemment, comme, par exemple, le renforcement de la coopération avec les pays tiers qui a conduit par exemple à la formation des personnels de sécurité et de l'armée malienne ou l'opération Sophia en Méditerranée. Des étapes importantes ont été franchies mais il faut gagner en cohérence et en efficacité. En liant étroitement la sécurité intérieure et la politique extérieure on contribue très concrètement à renforcer la construction européenne. Tel est notre objectif avec cette proposition de résolution.
La commission a ensuite adopté la proposition de résolution européenne suivante :
« L'Assemblée nationale,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le Traité sur l'Union européenne et, en particulier, son article 18,
Vu les conclusions des Conseils européens des 19 et 20 décembre 2013 et des 25 et 26 juin 2015,
Vu le rapport de la Haute représentante intitulé « L'Union européenne dans un environnement mondial en mutation – Un monde plus connecté, plus contesté et plus complexe »,
Vu la Stratégie globale de l'Union européenne de politique étrangère et de sécurité (EUGS) présentée au Conseil européen du 29 juin 2016,
Vu la déclaration franco-allemande pour un pacte de sécurité européen du 23 août 2016,
Vu les conclusions du 20 novembre 2015 du Conseil de l'Union européenne et des États membres, réunis au sein du Conseil, sur la lutte contre le terrorisme,
Vu les conclusions du 20 novembre 2015 du Conseil de l'Union européenne et des États membres, réunis au sein du Conseil, sur le renforcement de la réponse pénale à la radicalisation conduisant au terrorisme et à l'extrémisme violent,
Vu la Communication de la Commission européenne relative aux progrès accomplis dans la mise en place d'une union de la sécurité réelle et effective du 16 novembre 2016,
Vu le rapport du coordinateur européen de la lutte anti-terroriste sur le bilan des mesures prises par les Européens en matière de lutte anti-terroriste du 18 novembre 2016,
Vu les conclusions du Conseil des Affaires étrangères (en format Défense) du 14 novembre 2016,
Vu le Plan de mise en oeuvre portant sur la sécurité et la Défense, présenté par la Haute Représentante au Conseil des Affaires étrangères du 14 novembre 2016,
Vu les résolutions sur l'Union de la Défense et la mise en oeuvre de la Politique de sécurité et de Défense commune, adoptées par le Parlement européen respectivement les 22 et 23 novembre 2016,
Considérant que l'environnement de sécurité de l'Union européenne s'est considérablement dégradé depuis quelques années, au point qu'elle est actuellement confrontée à une multitude sans précédent de crises déstabilisant son voisinage proche, en Syrie, en Ukraine ou au Sahel, dont les répercussions se font sentir à l'intérieur de ses frontières, notamment par l'afflux de réfugiés et la multiplication des actes terroristes en France, en Belgique, au Danemark ou en Allemagne,
Considérant que ces crises et, en particulier, celle des réfugiés, ont mis en lumière des fractures profondes et un manque patent de solidarité entre les États-membres, conduisant à des difficultés importantes dans la mise en oeuvre des décisions prises par l'Union européenne, comme à la remise en cause de l'un des acquis majeurs de la construction européenne : la liberté de circulation des personnes,
Considérant que ces crises sont de nature à ébranler la confiance – déjà fortement dégradée – des citoyens envers les institutions européennes, confiance qu'elle ne pourra regagner sans répondre par des initiatives ambitieuses à leurs attentes en matière de sécurité,
Considérant les incertitudes soulevées par le résultat de l'élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016 s'agissant de la pérennité et de l'ampleur de l'implication des États-Unis dans la sécurité européenne,
Considérant que, globales, ces crises ne peuvent être résolues au seul niveau des États-membres ; qu'elles appellent donc une réponse européenne qui, elle-même, doit être globale et mobiliser l'ensemble des instruments utiles, tant en matière de sécurité intérieure que de sécurité extérieure,
Considérant que, sans réponse appropriée de l'Union européenne à ces crises comme aux attentes des citoyens européens, un risque réel de dislocation existe, rendant plus que jamais nécessaire un approfondissement de la construction européenne, seul à même de lui redonner un sens et une légitimité,
Considérant que le « Pacte de sécurité européen » proposé par la France et l'Allemagne le 23 août 2016 constitue une initiative à la hauteur des enjeux de sécurité actuels et futurs de l'Union européenne,
Considérant l'implication constante de l'Assemblée nationale pour inciter l'Union européenne à adopter une nouvelle stratégie globale en matière de politique étrangère et de sécurité commune, à travers l'adoption de plusieurs résolutions européennes relatives, entre autres, à la création d'un corps de garde-frontières pour sécuriser les frontières extérieures, à l'augmentation des capacités militaires de l'Union, à la création d'un Parquet européen, doté de compétences étendues à la lutte contre la criminalité transnationale, le terrorisme, les trafics d'armes, et le trafic des êtres humains,
1° Attire l'attention sur la dégradation de l'environnement de sécurité de l'Union européenne, en particulier dans son voisinage, et sur les défis qu'elle devra affronter au cours des prochaines années, notamment ceux en lien avec les menaces globales que sont le changement climatique, la cybercriminalité et le terrorisme islamiste ;
2° Se félicite que l'Union européenne ait pris conscience de ces défis et de ces menaces en validant, lors du Conseil européen du 29 juin 2016, la Stratégie globale de politique extérieure et de sécurité commune présentée par la Haute représentante ;
3° Estime nécessaire que, sur la base de cette Stratégie globale, les institutions européennes adoptent des mesures ambitieuses à même d'assurer la sécurité de l'Union européenne et, de ce fait, de répondre aux attentes des citoyens européens ;
4° Considère que le « Pacte de sécurité européen » présenté par la France et l'Allemagne le 23 août 2016 constitue une réponse à la hauteur des enjeux de sécurité actuels et futurs de l'Union européenne ;
5° Soutient le « Pacte de sécurité européen » et appelle les institutions européennes et, en particulier, le Conseil européen, à adopter dans les meilleurs délais les mesures ambitieuses qu'il contient pour la sécurité intérieure et extérieure de l'Union européenne ;
6° Rappelle l'urgence de mettre en oeuvre dans les meilleurs délais la directive sur les données des dossiers passagers (PNR), et d'adopter rapidement la proposition de directive sur la lutte contre le terrorisme et celle relative aux armes à feu ;
7° Rappelle que la maitrise des frontières extérieures de l'Union exige la mise en place rapide de la nouvelle agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes et le déploiement de la réserve d'intervention rapide ;
8° Estime nécessaire l'accélération du projet « frontières intelligentes » afin de permettre des vérifications automatiques sur l'identité des personnes qui franchissent les frontières extérieures de l'Union et une lutte plus efficace contre la fraude documentaire ;
9° Insiste sur la nécessité d'une coopération accrue entre les agences de l'Union européenne compétentes en matière de justice et d'affaires intérieures, en particulier l'Office européen de police Europol, l'unité de coopération judiciaire Eurojust et l'Agence européenne des garde-frontières et des gardes côtes, et sur la nécessité d'une réelle interopérabilité des fichiers, condition indispensable à un partage efficace des informations relatives à la sécurité ;
10° Se prononce en faveur d'une information régulière des parlements nationaux sous la forme d'un suivi spécifique des travaux menés et des moyens affectés dans le domaine de la sécurité au plan européen, domaine de compétences partagées entre les États et l'Union. »
III. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur la COP 13 de la Convention sur la diversité biologique (Cancun, du 4 au 17 décembre 2016)
Chers collègues, le dernier point à l'ordre du jour de nos travaux concerne la 13e Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique qui se réunit dans quelques jours à Cancun, au Mexique. La perte de biodiversité constitue en effet, avec le changement climatique, la plus grave des menaces environnementales mondiales, les deux phénomènes étant assurément liés.
« En s'attaquant au capital naturel de la planète, l'humanité se met elle-même en danger puisqu'elle dépend de l'état de santé des écosystèmes pour se développer et plus simplement pour survivre », voilà l'alerte lancée par le Fonds mondial pour la nature le mois dernier.
Une responsabilité particulière incombe à la France, compte tenu des richesses en biodiversité qu'elle recèle dans ses départements et collectivités d'outre-mer, des prélèvements sur la nature opérés par ses entreprises et du rôle qu'elle joue en Europe.
Dans ses conclusions adoptées le 17 octobre dernier, le Conseil Environnement réaffirme son ambition et exprime ses attentes quant aux résultats, qu'il estime aujourd'hui trop maigres, de la mise en oeuvre du plan stratégique 2011-2020, le fonctionnement des structures liées à la CDB. Si je partage ce constat et ces attentes, je regrette néanmoins que le Conseil ne se soit pas montré plus incisif en matière de solutions, en marquant de façon plus prononcée l'importance de la production par chaque partie des plans nationaux d'action – car ce sont les outils qui permettent de faire de la biodiversité un objet politique dans chacun de nos États –, ainsi que l'importance des politiques publiques. Le leadership climatique de l'Union européenne a été moteur d'innovation et a permis des avancées partout dans le monde. Il me semble donc que l'Union européenne peut et doit jouer un rôle d'impulsion plus fort en matière de biodiversité.
Ces conclusions soulignent en premier lieu l'insuffisance de la mise en oeuvre du plan stratégique au regard de la plupart des objectifs d'Aichi pour la biodiversité. Pour y faire face, le Conseil rappelle en particulier la nécessité au niveau mondial – mais aussi dans l'Union –, d'une évaluation efficiente de la biodiversité et des services écosystémiques, d'une part, et d'une synergie effective entre les accords ayant trait à l'environnement, en proposant un outil sous la forme d'une feuille de route, d'autre part.
Ce sont des suggestions pertinentes, mais qui resteront lettre morte si elles ne sont pas accompagnées par des ressources suffisantes – point sur lequel le Conseil met aussi l'accent. Ce sera en effet l'un des grands enjeux de cette plénière. Un objectif financier international en faveur de la biodiversité, prévoyant un doublement d'ici 2015, et le maintien au moins à ce niveau d'ici 2020, des flux financiers internationaux en faveur de la protection de la biodiversité dans les pays dits « du Sud », avait été pris lors des deux dernières CoP. Il s'agit de tenir cette promesse faite à ces pays.
Le cas de l'IPBES doit aussi nous interpeller, puisque cette plateforme n'a pas assez de ressources au regard de son programme de travail. Or cette plateforme, qui joue le rôle d'interface politique entre science et politique pour la diversité – à l'image du GIEC pour le climat – est déjà confrontée à un défi, celui de l'appropriation de ses conclusions par les décideurs dans chaque pays, qui est un facteur clé pour lui permettre d'influer sur les comportements en faveur de la biodiversité et des services systémiques.
Plus d'efficience donc, par exemple en matière d'évaluations comme en matière de rapportage. Sur ce dernier point, l'Union devrait avoir un rôle d'impulsion majeur en mettant en place des mécanismes de transfert de capacités et de connaissances, à l'instar de ce qui a été fait pour aider les États à produire leurs contributions dans le cadre onusien relatif au climat.
Plus de synergie aussi entre les différents accords multilatéraux liés à l'environnement et à la biodiversité. C'est en effet essentiel, mais cela n'est pas suffisant : les accords « économiques » devraient également prendre en compte cet aspect.
Enfin, une question reste ouverte à mes yeux, celle du suivi des engagements et de l'accompagnement. Après l'adoption de l'Accord de Paris, et dans la perspective du prochain plan stratégique post-2020, il me semble que le caractère « robuste » du suivi doit faire l'objet non seulement d'un débat mais d'une avancée réelle vers un éventuel mécanisme de mesure et vérification des performances, sans mécanisme de sanction, en vue d'un constat partagé et d'un accompagnement dans l'évolution des pratiques et des politiques.
Deuxième enjeu, l'intégration transversale de la biodiversité dans les politiques sectorielles, facteur clé de réussite selon le Conseil pour atteindre les objectifs d'Aichi. Ce dernier appelle donc à la mise en oeuvre d'incitations appropriées et d'approches pratiques en la matière. L'Union européenne est déjà sur cette voie. Des outils concourant efficacement à la protection et au renforcement de la biodiversité sont identifiés, y compris la réduction des subventions néfastes pour l'environnement – j'aurais pour ma part préféré leur suppression pure et simple mais c'est toutefois un progrès de voir cette question mentionnée dans la version finale – ... On aurait pu y ajouter la commande publique, la notion de réorientation partielle des politiques sectorielles, voire le recours à une stratégie de découplage permettant de dissocier création de richesses et consommation de ressources naturelles.
Le sujet des pollinisateurs est exemplaire de cette intégration de la biodiversité dans les politiques sectorielles. Il faut se féliciter de l'appropriation politique de l'alerte lancée par l'IPBES en février dernier, qui fournit une base scientifique incontestable. J‘ai en mémoire nos difficultés pour inclure les mesures de protection appropriées dans la loi Biodiversité enfin adoptée définitivement l'été dernier.
Autre point sur lequel le Conseil prend position, l'arrêt de la perte de biodiversité pour parvenir à la mise en oeuvre pleine et entière de l'Accord de Paris. Cette volonté de pousser à la prise en compte, dans l'agenda politique international, de l'interdépendance entre biodiversité et changement climatique ne peut qu'être soutenue.
En matière d'aires protégées et de restauration des écosystèmes, le Conseil réaffirme simplement des objectifs déjà affichés. Or la biodiversité repose sur un équilibre dynamique, le seul maintien de l'équilibre existant ne peut donc suffire. À cet égard, la proposition, faite par la France, de rehausser dès cette CoP 13 cet objectif à 20 %, tout en l'assortissant d'un sous-objectif de 75 % pour les récifs coralliens et les mangroves, aurait dû être retenue. Car les derniers bilans scientifiques sont alarmants.
Pour enrayer la perte de biodiversité marine, outre un soutien au processus de zonage et à la négociation d'un accord multilatéral en haute mer, le Conseil salue les travaux en cours pour éliminer les déchets marins et les microplastiques, en préconisant en particulier des mesures urgentes contre la dissémination des sacs plastiques. Il y a en effet urgence à agir : plus de 150 millions de tonnes de déchets plastiques flottent sur les océans et la masse de ces déchets pourrait doubler d'ici 2050.
Tant sur les espèces exotiques envahissantes que sur la biologie de synthèse, j'insisterais sur la question du principe de précaution, en particulier pour cette dernière.
Enfin, le Conseil invite toutes les Parties au Protocole de Nagoya, et notamment les États membres, à le ratifier – la France vient d'ailleurs de le faire tout récemment, le 31 août dernier – et à le rendre pleinement opérationnel en remplissant leurs obligations en matière d'accès à l'information et de rapportage. Je regrette que le Conseil n'ait jugé utile d'insister sur la lutte contre la biopiraterie et la garantie des droits des peuples autochtones et des communautés locales, tant de ceux situés sur le territoire de l'Union que de ceux hors de ce dernier, alors que la biopiraterie est aujourd'hui de plus en plus difficile à combattre.
Voilà, mes chers collègues, les raisons qui m'ont conduite à vous proposer d'adopter des conclusions qui récapitulent cette appréciation quant à la position de l'Union ainsi exprimée par le Conseil. Je ne suis saisie d'aucune demande de prise de parole, aussi je les mets aux voix.
La Commission a adopté à l'unanimité des présents les conclusions suivantes :
« La Commission des Affaires européennes,
Vu les résultats de la douzième Conférence des parties (CoP 12) dans le cadre de la convention des Nations unies sur la diversité biologique (CBD), notamment l'examen à mi-parcours des progrès accomplis dans la mise en oeuvre du plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020, y compris la quatrième édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique en vue de la réalisation des objectifs d'Aichi, et les mesures prises pour améliorer la mise en oeuvre,
Vu les conclusions de la réunion du Conseil « Environnement » du 12 juin 2014, en particulier l'engagement de l'Union européenne et de ses États membres à accroître les ressources afin de tenir les engagements pris à Hyderabad, en doublant les ressources financières totales allouées à la biodiversité d'ici 2015,
Vu les conclusions de la réunion du Conseil « Environnement » du 16 décembre 2015 sur l'examen à mi-parcours de la stratégie en faveur de la biodiversité, en particulier la nécessité de renforcer l'approche intersectorielle des politiques, notamment pour obtenir une meilleure interaction avec les politiques agricoles, et la reconnaissance que l'élimination des subventions nuisibles est un élément clé pour une meilleure biodiversité,
Vu les conclusions de la réunion du Conseil « Environnement » du 17 octobre 2016 sur la préparation de la treizième réunion de la Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique, de la huitième réunion des Parties au Protocole de Carthagène sur la prévention des risques et de la deuxième réunion des Parties au Protocole de Nagoya,
Vu le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 2 octobre 2015 sur l'examen à mi-parcours de la stratégie 2020 en faveur de la biodiversité (COM20150478 final),
Vu le premier rapport élaboré par la Plateforme sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), « L'évaluation mondiale sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire », présentée lors de la quatrième plénière de cette instance à Kuala Lumpur (Malaisie) en février 2016,
Vu les priorités mondiales de la conservation définies au Congrès mondial de la nature de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature en septembre 2016,
Vu le rapport « Planète vivante 2016 » du Fonds mondial pour la nature publié en août 2016,
Considérant que la perte de biodiversité constitue, avec le changement climatique, la plus grave des menaces environnementales mondiales, les deux phénomènes étant liés, et qu'en s'attaquant au capital naturel de la planète, l'humanité se met elle-même en danger puisqu'elle dépend de l'état de santé des écosystèmes pour se développer et plus simplement pour survivre,
Considérant que pour juguler la disparition des espèces et des habitats, un changement systémique dans la manière dont nous protégeons, gérons et consommons les ressources de la planète est indispensable,
1. Partage le constat du Conseil et ses attentes quant aux résultats, aujourd'hui nettement insuffisants, de la mise en oeuvre du plan stratégique 2011-2020, mais regrette qu'il ne se montre pas plus ambitieux quant aux solutions proposées, notamment en matière de réorientations des politiques publiques ;
2. Soutient pleinement le Conseil dans sa volonté de garantir la prise en compte de l'interdépendance entre biodiversité et changement climatique, et appelle à une traduction concrète, dans les engagements nationaux des États parties, des solutions naturelles ;
3. Appelle à la mise en place d'une synergie effective non seulement entre les différents accords et conventions ayant trait à l'environnement mais aussi avec les autres conventions et accords en matière économique, tels que les accords de libre-échange ;
4. Est également d'avis que l'intégration transversale de la biodiversité dans les politiques sectorielles est un facteur clé de réussite pour atteindre les objectifs d'Aichi et minimiser l'impact de certains secteurs sur la biodiversité et sur les services systémiques qui en découlent, mais regrette à cet effet l'absence de réorientation partielle de ces politiques ; déplore en particulier que l'impact lié aux échanges et à l'organisation de la chaine de valeur et d'approvisionnement ne soit pas mis en avant de façon plus explicite et qu'une stratégie de découplage permettant de dissocier création de richesses et consommation de ressources naturelles ne soit pas envisagée ;
5. Se félicite de l'appropriation politique de l'alerte lancée par les scientifiques au sujet des pollinisateurs mais constate avec regret que le Conseil se limite à ce stade à recommander d'éviter ou de réduire le recours aux pesticides néfastes pour ces pollinisateurs, sans demander leur interdiction générale, d'une part, et sans mettre en évidence l'impact des actions publiques (notamment en matière de gestion des milieux) et des incitations existantes qui continuent de favoriser l'utilisation des pesticides, d'autre part ;
6. S'inquiète de ce que, en matière d'écosystèmes dégradés, les conclusions du Conseil du 17 octobre 2016 se limitent à un simple rappel des objectifs déjà définis et ne marquent pas de volonté de se situer dans une dynamique plus affirmée, et appelle à une grande vigilance en matière de compensation par l'offre ;
7. Partage toutes les préoccupations exprimées par le Conseil en matière d'espèces exotiques envahissantes, d'une part et de biodiversité marine et côtière, d'autre part, notamment pour ce qui regarde les déchets marins et les microplastiques, et souligne à cet égard l'avance prise par la France dans ce domaine ces deux dernières années ;
8. Prend acte des conclusions du Conseil précitées en matière de biologie de synthèse mais souhaite, compte tenu de l'impact possible de cette dernière sur de nombreux aspects de la conservation de la biodiversité et de la nature, que ce dernier promeuve explicitement l'application du principe de précaution ;
9. Partage le souhait du Conseil de voir le protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages pleinement opérationnel mais regrette que la lutte contre la biopiraterie n'ait pas retenu son attention au même titre que l'importance de mesures législatives ou réglementaires simplifiées pour l'accès aux ressources génétiques à des fins non commerciales et l'approche bilatérale entre fournisseurs et utilisateurs ;
10. Insiste sur les améliorations à apporter en matière d'évaluation comme en matière de rapportage, et demande à l'Union européenne d'avoir un rôle d'impulsion majeur en mettant en place des mécanismes de transfert de capacités et de connaissances, à l'instar de ce qui a été fait pour aider les États à produire leurs contributions nationales dans le cadre onusien relatif au climat ;
11. Souligne avec force l'enjeu que représentent, d'une part, le respect de l'objectif financier international en faveur de la biodiversité défini lors de la CoP 11 à Hyderabad (Inde) puis réitéré lors de la CoP 12 à Pyeongchang (Corée) et, d'autre part, la mise en place d'un mécanisme de suivi et d'accompagnement robuste. »
La séance est levée à 18 h 15