Intervention de Delphine Batho

Réunion du 30 novembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure de la mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale :

En ce qui concerne les recours, le rapport tente de dresser un inventaire non exhaustif de l'ensemble des procédures judiciaires visant Volkswagen. Les procédures engagées aux États-Unis, par leur nombre et leur lourdeur, sont sans commune mesure avec celles qui le sont aujourd'hui en Europe.

Vous le savez, une procédure est en cours en France. Toutefois, la loi Hamon a malheureusement exclu le préjudice environnemental des motifs de l'action de groupe : celle-ci requiert un préjudice économique. Les associations de consommateurs nous ont indiqué que, du fait de cette lacune, il faut attendre de savoir si les véhicules affectés par le logiciel truqueur perdront de la valeur sur le marché de l'occasion, ou s'ils seront techniquement moins performants après la mise en conformité, avant de pouvoir faire éventuellement valoir un préjudice économique ouvrant la voie à une action de groupe. Notre rapport préconise de modifier la loi Hamon sur ce point. Cela a été fait, mais partiellement et de manière imparfaite, par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Du point de vue politique, qui n'est pas sans conséquences juridiques, il paraît choquant que les autorités européennes et françaises n'aient pas réagi beaucoup plus fortement à ce qui constitue bien une violation de la réglementation européenne, en l'espèce de la norme Euro 5. Il est faux de dire que cette norme, concernant les NOx, a été respectée. Je rappelle par ailleurs que la réglementation européenne interdit formellement tout dispositif d'invalidation et que les dérogations prévues ne peuvent en aucun cas s'appliquer à un logiciel truqueur qui a pour but d'induire en erreur le protocole d'homologation, comme le logiciel de Volkswagen ou comme celui qui a été découvert chez Fiat et qui fait fonctionner le système de traitement des émissions polluantes pendant vingt-deux minutes, sachant que le test dure vingt minutes. C'est parfaitement illégal.

Il existe en revanche un débat sur la légalité d'autres dispositifs d'invalidation, qui réglaient le système de traitement des émissions polluantes sur les mêmes points de fonctionnement du moteur ou sur la même température que ceux du protocole d'essais. Leur conformité à la réglementation actuelle doit être appréciée par la justice au cas par cas. Il paraît néanmoins très désuet que la réglementation européenne continue en 2016 de comporter une autorisation de dérogation qui y a été introduite en 1998 : aujourd'hui, un constructeur automobile peut faire fonctionner un système de traitement des émissions polluantes en permanence sans risque de casse moteur. Il est incroyable que l'on exploite des textes juridiques correspondant à un état de l'art technologique aujourd'hui caduc pour passer entre les mailles du filet et contourner les exigences de la réglementation – avec le plein assentiment de la Commission européenne.

La proposition d'un nouveau règlement par la Commission européenne a le mérite d'exister et opère d'indéniables progrès par rapport au texte actuel, mais elle reste très imparfaite : comme d'habitude, on ajoute un étage à une réglementation dont les bases sont vacillantes au lieu de résoudre entièrement le problème. En particulier, la distinction entre ce qui relève respectivement des États membres et de l'Union n'est pas clarifiée, alors qu'il s'agit d'une question majeure.

En matière de santé publique, des progrès ont été accomplis : sans les normes, sans la réglementation européenne avec toutes ses imperfections, la différence, incontestable, entre un diesel Euro 1 et un diesel Euro 6 n'existerait pas. Du point de vue écologique, ce ne sont pas les nouveaux modèles qui posent le plus gros problème dans notre pays – en dépit de leurs défauts, du fait qu'ils émettent encore trop de NOx, etc. –, mais les 61 % de véhicules diesel en circulation en France qui ne sont pas équipés d'un filtre à particules. L'accélération du renouvellement du parc est le levier principal d'une lutte efficace contre la pollution. C'est l'objet de la troisième partie du rapport.

Toutefois, les progrès plafonnent depuis Euro 4, d'autant que tous les constructeurs n'ont pas fait les mêmes choix d'investissement. Ainsi, PSA a installé des filtres à particules avant que cela ne soit obligatoire, a inventé et déployé la SCR (« selective catalytic reduction »), la technologie la plus efficace de traitement des NOx. Aujourd'hui, ces technologies sont généralisées. Sont-elles parfaites ? Non. Ont-elles définitivement résolu le problème des NOx ? Pas davantage. Mais il faut reconnaître les efforts réalisés.

En ce qui concerne l'articulation entre emploi et santé publique et le chantage à l'emploi, la réalité industrielle ne peut pas être balayée d'un revers de main. Mais quand, par conservatisme, l'État enterre le premier rapport qui, en 1997, sonne l'alarme sur les liens entre diesel et cancer, quand, en 2012, l'Organisation mondiale de la santé classe les particules diesel parmi les cancérigènes mais que tout continue comme avant sous prétexte de ne pas menacer l'avenir du secteur, cela n'aide pas l'industrie automobile à se préparer à des évolutions telles que la violente décrue des ventes de véhicules diesel aux particuliers que l'on observe aujourd'hui en France.

De ce point de vue, la règle des cinq ans est la seule manière d'articuler et même de faire converger la poursuite d'un objectif de santé publique et celle d'un objectif industriel – donc social, car il y va de l'emploi –, la reconstruction industrielle de la France. Sur ce point, et c'est l'un des enseignements marquants de nos travaux, tous sont d'accord : l'industrie automobile, les organisations non gouvernementales ; la démarche paraît crédible et réaliste à tout le monde.

Nous nous sommes rendus dans la première usine de moteurs diesel au monde, à Trémery, en Lorraine, dont il ne faut jamais oublier qu'elle a été créée pour « compenser » la crise de la sidérurgie. PSA y a investi dans des chaînes de motorisation essence et l'usine va accueillir des chaînes de production de moteurs électriques, ce qui témoigne d'une démarche de diversification. Mais l'on ne peut pas changer du jour au lendemain les règles du jeu ; il y faut du temps.

C'est également nécessaire dans la mesure où l'un des gros problèmes auxquels les constructeurs français sont confrontés est le financement de la recherche et développement. L'avenir appartient à ceux qui misent sur la R&D. Lors de la crise de 2008-2009, alors que le secteur automobile connaissait une véritable hécatombe, les équipementiers français ont fait le choix judicieux de ne pas réduire leurs budgets de R&D mais, au contraire, de les accroître. Ce pari de l'innovation leur permet de bénéficier aujourd'hui de taux de croissance stupéfiants. Nous devons donc aider nos constructeurs à augmenter leurs budgets de R&D.

À condition de se donner cinq ans et de soutenir la R&D, on peut faire accepter une norme ambitieuse et exigeante, car elle ne pose alors plus de problèmes de compétitivité ni d'emploi.

J'en viens à la focalisation sur le diesel au détriment de l'essence et à la nécessité d'envisager d'autres technologies que le moteur thermique. Pour moi, les informations les plus récentes sur les nouvelles motorisations essence modifient radicalement le débat sur le diesel. J'ai demandé à Transport & Environment, l'ONG européenne la plus en pointe dans la lutte contre la pollution automobile, s'il fallait interdire le diesel ; elle m'a répondu que non : il faut des normes exigeantes, les mêmes pour l'essence et pour le diesel, mais il ne faut pas laisser croire que l'essence serait plus vertueuse que le diesel.

Il convient d'en revenir à une différenciation selon les usages. Le diesel est adapté quand on roule 18 000 à 25 000 kilomètres par an, mais, selon l'association Diésélistes de France elle-même, « rouler en Twingo diesel pour faire cinq kilomètres par jour est une aberration », non seulement écologique, mais économique. Ce ne sont pas seulement les informations environnementales qui ont entraîné la décrue des ventes de véhicules diesel en France, mais aussi les publications de l'UFC-Que Choisir ou d'Auto Plus comparant le coût d'usage kilométrique des véhicules. Il faut donc rompre avec la diésélisation massive sans nécessairement interdire le diesel. Nous demandons dans le rapport que chaque consommateur qui achète une voiture soit informé du coût d'usage kilométrique du véhicule, afin de pouvoir opter pour la technologie de motorisation adaptée à l'usage qu'il va en faire.

Vous l'avez très bien dit, madame la présidente : le véritable enjeu n'est pas le passage du diesel à l'essence, mais le passage des énergies fossiles aux véhicules zéro émission et aux véhicules propres. Le rapport consacre à ce sujet une longue partie qui insiste sur l'électrification des transports et sur l'hydrogène. Le véhicule électrique est une technologie mature, de plus en plus compétitive, dont les ventes commencent à décoller. Quant à l'hydrogène, la France s'en est trop longtemps désintéressée alors que l'Allemagne, le Japon, la Californie, le Danemark ont lancé d'importants programmes, paradoxalement soutenus par une grande entreprise française, Air Liquide. Nous devons développer des flottes captives fonctionnant à l'hydrogène, qui nous fournira sans doute le véhicule électrique longue distance, car doté d'une longue autonomie. Cela dit, s'agissant des voitures électriques, il faut noter l'annonce par Renault du doublement de l'autonomie des batteries de la Zoé.

Et l'évolution va s'accélérer. Si nous sommes en retard sur les objectifs du plan Borloo de 2009, soit deux millions de véhicules électriques en 2020, en revanche la Commission européenne se montre insuffisamment ambitieuse et sous-estime la rapidité des changements du secteur lorsqu'elle vise 17 % de véhicules zéro émission dans l'Union en 2030.

Le problème industriel sous-jacent est celui des batteries, qui concentrent la moitié de la valeur ajoutée d'un véhicule électrique. Lorsque nous accordons un bonus de 10 000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique – et ce soutien de l'État reste indispensable au développement du marché –, nous ne nous demandons pas où va la valeur ajoutée industrielle de cette production. L'Europe et la France doivent s'intéresser à l'industrie européenne des batteries ; c'est un enjeu stratégique majeur. Si nous ne voulons pas verser plus tard des larmes de crocodile sur la désindustrialisation de la France, nous devons dès à présent nous interroger sur ce que sera la filière industrielle du « coup d'après » et prendre les décisions nécessaires.

En ce qui concerne les véhicules thermiques, j'aimerais insister sur la notion de neutralité technologique en matière fiscale. L'État n'a aucune raison de prévoir une fiscalité différente dès lors que l'on en revient à une logique de différenciation selon les usages. Ce problème est également pointé au niveau européen.

S'agissant de l'agence européenne, j'ai entamé ce travail sans idée préconçue et ma proposition n'a rien d'un mot d'ordre ni d'un slogan. J'ai d'abord pensé que l'enjeu principal était la procédure d'homologation – donc, pour la France, la réforme de l'UTAC. Toutefois, chemin faisant, j'ai acquis la conviction que le problème premier, en Europe comme en France, est l'absence de contrôle aléatoire des véhicules en circulation. La réglementation européenne actuelle permet à la France d'instaurer sans attendre un tel contrôle ; le rapport propose donc un projet de loi tendant à créer une sorte de bureau d'enquêtes et d'analyses de la pollution des véhicules. Le mieux serait toutefois de le faire au niveau européen.

J'étais réticente à cause des problèmes de conflits d'intérêts que posent les agences européennes dans le domaine des pesticides ou des produits chimiques, mais j'en ai trouvé d'autres, peut-être moins connues, qui, à ma connaissance, ne s'exposent pas à cette critique, comme l'Agence européenne de la sécurité aérienne, une agence technique. Je n'imagine pas une administration pléthorique, mais une instance de mission dont le rôle serait très précisément défini et l'indépendance garantie, afin que ses décisions soient indiscutables.

Enfin, adopter une seule norme, ce ne peut être choisir la moins exigeante, madame la présidente, puisque l'on part de l'existant. Ce qui m'intéresse, je le répète, c'est le coup d'après : il faut débattre aujourd'hui de ce que sera la norme Euro 7. On ne peut plus accepter qu'une norme soit déclinée comme l'a été Euro 6 avec Euro 6 a, b, c, d, et bientôt e et f : personne n'y comprend plus rien. Quand on parle de la norme Euro 6 pour l'essence, on ne sait pas s'il s'agit de la version qui autorise l'émission de dix fois plus de particules que pour le diesel ou de la suivante, selon laquelle la quantité de particules autorisée est la même que pour le diesel, ce qui implique que les moteurs à essence intègrent un filtre à particules. C'est illisible pour le consommateur.

Il faut donc penser à l'étape ultérieure et en profiter pour refondre le système, ce qui requiert un changement radical s'agissant du CO2. Actuellement, en effet, l'évaluation porte sur la masse globale de la flotte des constructeurs, ce qui handicape l'industrie française, celle qui a fait le plus d'efforts, par rapport à son homologue allemande, celle qui en a fait le moins. Cela ne peut pas continuer ainsi.

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