Avant de vous présenter le volet sécurité intérieure des propositions du pacte de Sécurité, je voudrais dire avant quelques mots du contexte.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale : les arguments et propos des eurosceptiques semblent dominer le débat public et peu de voix parviennent à faire oeuvre pédagogique pour parler des réussites de l'Europe ; il est vrai qu'en même temps les attentes en matière de sécurité sont très fortes quelle que soit l'autorité publique que l'on sollicite.
L'Union européenne n'est plus aujourd'hui perçue d'abord comme un grand marché. On lui demande d'être un espace de protection et on voudrait lui conférer certains attributs régaliens comme la défense contre le terrorisme, ou la gestion efficace des frontières extérieures.
Les citoyens ont bien conscience de la forte interdépendance des États membres et de leur impuissance à réagir et à agir efficacement, chacun de leur côté, contre les menaces transnationales, comme par exemple contre le terrorisme ou la maîtrise des flux migratoires et les crises qui s'y attachent. L'Union européenne doit faire de ces épreuves et contraintes une occasion de prouver sa pertinence et d'en faire des opportunités.
Les incertitudes soulevées par le résultat de l'élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016 s'agissant de la pérennité et de l'ampleur de l'implication des États-Unis dans la sécurité européenne, notamment dans le cadre de l'Otan, sont une occasion historique pour élaborer une nouvelle stratégie de sécurité pour l'UE qui coordonne étroitement sa politique extérieure avec les enjeux de sécurité intérieure. Nous devons répondre à la demande de sécurité des citoyens et faire de l'Union européenne un pôle de stabilité régionale et internationale, condition de sa croissance.
Cette démarche globale et cohérente ne peut être crédible que si nous faisons collectivement un effort de mobilisation. L'Union européenne est perçue trop souvent par les citoyens comme le symbole d'un espace de discussion sans effets rapides car les grandes déclarations ne sont pas suivies de réalisations concrètes et rapides, tant il faut d'effort pour convaincre et de temps pour mettre en oeuvre.
De façon générale il convient de considérer que l'Union doit incarner une coordination moderne, une confédération puissante et une protection efficace de ses citoyens.
Pour paraphraser celui qui fut d'abord un général révolutionnaire, Napoléon Bonaparte, « La guerre est un art simple et tout d'exécution. »
La bataille de la construction européenne est elle-même un art d'exécution.
Il aura fallu plus de dix ans pour décider de la création d'un corps de garde-frontières alors que la sécurisation des frontières extérieures est vitale.
Les fichiers de sécurité d'Europol ou le système d'information Schengen II sont encore peu complétés par les États membres alors que la lutte contre le terrorisme suppose des échanges d'information les plus complets possibles. Sans nier la complexité de certains mécanismes, il faut que l'Union européenne accélère la mise en oeuvre de ses décisions et vérifie concrètement que les mesures annoncées sont véritablement opérationnelles.
Il faut donc que les États prompts à dénoncer l'Europe décident et agissent de concert.
Récemment, le Commissaire Julian King, chargé de l'union de la sécurité a présenté son deuxième rapport sur les progrès accomplis dans « la mise en place d'une union de la sécurité réelle et effective » et M. Gilles De Kerchove, le coordinateur européen de la lutte anti-terroriste a dressé devant le Conseil des ministres JAI, le 18 novembre dernier, le bilan des mesures prises par les Européens en matière de lutte anti-terroriste. Ces deux rapports soulignent les progrès réalisés pour répondre aux menaces, mais constatent aussi que les résultats opérationnels ne sont pas à la hauteur des enjeux. Des textes sont toujours en souffrance ou de graves lacunes dans la mise en oeuvre des décisions sont à déplorer. L'Union européenne doit passer aux actes. Il y va de notre crédibilité et en matière de Défense il faut éviter de se payer de mots.
J'en viens aux propositions : concernant la sécurité intérieure, il s'agit plutôt de poursuivre les choix déjà opérés, mais en cherchant une véritable cohérence et une meilleure efficacité.
Un des axes majeurs est de mieux sécuriser les frontières extérieures.
Dans ce domaine, les décisions juridiques ont été prises, il faut accélérer la gestion intégrée des frontières.
En moins d'un an, les États membres ont été capables d'adopter un nouveau Règlement créant un corps de garde-frontières et dotant l'Agence Frontex de nouvelles missions pour parvenir à une gestion intégrée des frontières extérieures et rendant ainsi possible, à terme, le retour à un fonctionnement normal de l'espace Schengen. Sans contrôle effectif des frontières extérieures, il sera impossible de garantir la libre circulation des personnes sur le territoire de l'Union.
Cette nouvelle Agence doit donc être opérationnelle dans les meilleurs délais. Tous les États membres doivent y apporter les ressources nécessaires.
La nouvelle Agence de garde-frontières européens devra organiser d'ici la fin de l'année un exercice de simulation de crise, sur le terrain, aux frontières extérieures de l'Union.
Parmi ses nouvelles missions, l'agence devra analyser les risques et assurera une surveillance des flux migratoires au sein de l'Union européenne. Les analyses devront traiter aussi de la criminalité transfrontalière et du terrorisme.
Une évaluation des vulnérabilités des États membres sera effectuée pour mesurer leur capacité de faire face aux risques. L'Agence a engagé des réflexions pour mettre en place une méthodologie, afin d'effectuer des « stress tests » en matière de vulnérabilité.
L'Agence devra aussi innover en matière de politique de reconduite dans leur pays d'origine des migrants irréguliers. Il s'agit là d'une mission très délicate, mais pourtant vitale pour la crédibilité de notre maîtrise des frontières. Au sein de l'Agence un Bureau des retours aura la capacité d'affréter, d'initier des vols pour des immigrés en situation irrégulière vers les pays source.
Elle devra le faire en respectant les garanties auxquelles ont droit les hommes et femmes concernés par ces reconduites. Pour ce faire, l'Agence aura un rôle diplomatique très important avec les pays tiers pour négocier des accords de réadmission et faciliter l'obtention de documents de voyage pour des migrants dépourvus de tout titre d'identité.
La nouvelle Agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes deviendra un interlocuteur à part entière des autres agences chargées de la sécurité et devra mettre en oeuvre une coopération active avec l'ensemble des autres institutions européennes (Europol, Eurojust, Douanes), couvrant un spectre sécuritaire général : terrorisme et lutte contre la criminalité transfrontalière, au-delà de la gestion des frontières extérieures.
Cette Agence devra mette en place un dispositif de formation en matière de lutte contre la fraude documentaire. Il faut de plus que ces garde-frontières soient équipés du matériel adéquat et des dernières applications technologiques, pour faciliter le contrôle de chaque personne entrant ou sortant de l'espace Schengen. Ils devront dans ce cadre avoir accès aux fichiers nationaux et européens. À ce titre, l'usage de la biométrie doit être renforcé. En effet, étant donné l'utilisation frauduleuse de vrai-faux passeports volés syriens et irakiens, notamment par Daech, la biométrie est le seul moyen de réellement garantir l'identité d'une personne.
Pour que les contrôles aux frontières soient efficaces, il faut un partage systématique de l'information dans les fichiers européens. Il est bien entendu essentiel que ces fichiers soient systématiquement alimentés par tous les États membres. La France fait partie des pays qui les alimentent le plus. Mais ce préalable n'est pas suffisant. Le Pacte de sécurité insiste sur l'importance du caractère interopérable des différents fichiers de sécurité, c'est-à-dire reliés entre eux. Il est en effet impératif que nos policiers et gendarmes sur le terrain disposent d'une interface unique, interrogeant de manière simultanée tous les fichiers nationaux et européens, pour mener les vérifications nécessaires à notre sécurité. Nous ne pouvons pas accepter qu'une information disponible dans un fichier et cruciale pour notre sécurité, ne soit pas rapidement accessible, notamment lors de contrôles.
La Commission européenne est consciente de l'urgence d'améliorer le partage d'informations. Elle va proposer, dans le cadre de la prochaine révision de la base juridique du système d'information Schengen, d'étendre l'accès d'Europol à tous les fichiers de sécurité de l'Union européenne, ce qui permettra par exemple à Europol de demander les données des dossiers passagers du PNR.
Je tiens d'ailleurs à vous informer d'une décision récente de traduire la Bulgarie devant la Cour de justice de l'UE. En effet celle-ci n'a pas respecté l'obligation de créer un point de contact unique, pour assurer l'échange obligatoire d'informations en matière de sécurité des documents. Elle empêche ainsi d'autres États membres d'avoir un accès sécurisé aux empreintes digitales stockées sur les puces dont sont munis les passeports bulgares et de vérifier les empreintes.
Le Pacte de sécurité propose aussi la création d'une plateforme européenne pour le renseignement.
Pour le moment les agences de renseignement relèvent de la compétence nationale des États membres, mais il y a urgence à trouver une solution concrète au cloisonnement entre services répressifs et services de renseignement, et entre le Centre européen de la lutte contre le terrorisme et le Groupe antiterroriste, de façon à permettre une interaction plus systématique entre les deux communautés et, partant, une coopération opérationnelle accrue.
Concernant la lutte contre le terrorisme, le document franco-allemand propose une coopération institutionnalisée contre le terrorisme et rappelle le progrès représenté par le centre européen de lutte contre le terrorisme d'Europol, mis en place en janvier, qui doit encore monter en puissance. La France et l'Allemagne sont prêtes à y contribuer ensemble sur le modèle de la Task force « Fraternité » mise en place entre la France et la Belgique après les attentats de novembre. Le document souligne qu'il « faut institutionnaliser et dupliquer ce type de coopération au niveau européen ».
Un des aspects important de la lutte anti-terroriste est la lutte contre la propagande islamiste. L'initiative franco-allemande propose un centre commun d'expertise "radicalisation" à Europol en renforçant le réseau actuel d'experts nationaux (« Radicalisation Awareness Network » - RAN), réseau qui rassemble les acteurs de terrain et professionnels, et notamment l'unité référente Internet (IRU), au sein d'Europol, « pour en faire un véritable centre européen d'expertise ».
Ce réseau a déjà fait un travail important sur la radicalisation en prison et a publié un rapport sur le rôle des femmes dans l'extrémisme violent.
L'expérience acquise avec les attentats de Paris et de Bruxelles indique que le Centre européen de la lutte contre le terrorisme a besoin de davantage de ressources financières, technologiques et humaines pour être en mesure de gérer et de traiter des volumes plus élevés d'informations et de renseignements en matière pénale. Ces besoins augmenteront encore avec l'accès élargi d'Europol aux informations et aux bases de données. Aujourd'hui déjà, le centre n'est pas suffisamment équipé pour apporter une assistance aux États membres 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui constitue un handicap majeur en cas d'évènements tels qu'un attentat terroriste de grande ampleur.
La Commission européenne a d'ailleurs annoncé en septembre 2016 qu'elle allait prendre des mesures pour renforcer les moyens humains du Centre européen.
Le Pacte de sécurité suggère aussi d'accélérer la mise en oeuvre du paquet dit des frontières intelligentes (« smart borders »), ce qui revient à accélérer l'adoption de certaines innovations technologiques pour mieux réguler les flux de personnes aux frontières de l'Union.
Rappelons que suite aux attentats de novembre 2015, la Commission a présenté le 15 décembre 2015 la modification ciblée du code frontières Schengen pour prévoir des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'Union, y compris en particulier des ressortissants de l'Union européenne, au moyen des bases de données pertinentes. Des négociations sont engagées entre le Conseil européen, la Commission et le Parlement européen et l'objectif annoncé est d'adopter un texte définitif d'ici la fin décembre 2016.
Ce texte devrait être complété par deux dispositifs qui permettraient de parfaire le contrôle de l'immigration clandestine et des risques terroristes mais qui posent de redoutables problèmes techniques.
Second dispositif du programme « frontière intelligente », le système d'entréesortie (« EES ») serait une base de données biométriques permettant d'enregistrer les passages à la frontière extérieure de l'espace Schengen des ressortissants de pays tiers.
Le système d'entréesortie comporterait également une « calculatrice automatique » déterminant automatiquement le nombre de jours passés dans l'espace Schengen et alertant les États dans l'hypothèse où la période de séjour autorisée (90 jours par exemple pour un visa de court séjour) aurait expiré. L'EES indiquerait également les cas où l'entrée sur le territoire d'un pays de l'espace Schengen a été refusée ainsi que les motifs de ce refus.
L'autre projet important pour maitriser les frontières vient d'être annoncé par la Commission le 16 novembre et était aussi préconisé par le pacte de sécurité. Ce projet figurait d'ailleurs dans la feuille de route de Bratislava. Il s'agit de créer un système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS).
Ce projet s'inspire de ce qui existe déjà aux États-Unis, au Canada, ou en Australie, c'est-à-dire un système électronique d'autorisation de voyage concernant les personnes non soumises à visa, avant qu'elles n'entrent sur le territoire européen. L'objectif de ce dispositif est triple :
– vérifier les informations communiquées par les voyageurs exemptés de demande de visa (identité, document de voyage, informations de séjour, coordonnées, etc) afin d'évaluer s'ils présentent un risque pour la migration irrégulière, la sécurité ou la santé publique ;
– traiter automatiquement chaque demande par un système informatique recoupant les bases de données européennes et internationales (telles que le SIS, VIS, la base de données d'Europol, Eurodac, ECRIS). Cela permettra à Europol d'établir une liste de surveillance pour déterminer s'il y a des motifs raisonnables pour délivrer ou refuser une autorisation de voyage ;
– délivrer les autorisations de voyage contre le paiement par internet d'une somme de cinq euros.
Ce système devrait être opérationnel en 2020 et suppose un investissement de l'ordre de 212 millions d'euros.
Le dernier volet des propositions concerne la régulation d'Internet et la surveillance de la propagande islamiste.
Le pacte de sécurité aborde la question du cryptage ou du chiffrement des communications utilisés par les terroristes.
Il est en revanche demandé que les échanges de plus en plus systématiques opérés via certaines applications, telle que Telegram, puissent dans le cadre des procédures judiciaires - j'insiste sur ce point - être identifiés et utilisés comme éléments de preuve par les services d'investigations et les magistrats.
Le document franco-allemand propose que la Commission européenne étudie la possibilité d'un acte législatif rapprochant les droits et les obligations de tous les opérateurs proposant des produits ou des services de télécommunications ou Internet dans l'Union européenne, que leur siège juridique soit ou non en Europe.
Si un tel acte législatif était adopté, cela nous permettrait, au niveau européen, d'imposer des obligations à des opérateurs qui se révéleraient non coopératifs, notamment pour retirer des contenus illicites ou déchiffrer des messages, exclusivement dans le cadre d'enquêtes judiciaires.
Il est aussi préconisé de ratifier la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. En effet, la France estime que l'article 18 de cette Convention peut conférer une base légale à des réquisitions adressées par les autorités compétentes d'un pays partie à la convention en direction d'un fournisseur de services établi physiquement ou légalement à l'étranger, mais qui offre des prestations sur son territoire.
Au niveau européen, au sein d'Europol, une unité référente Internet (IRU), commandée par un policier français, est opérationnelle depuis un an. Son action a permis la suppression de plus de 10 000 contenus en ligne incitant au terrorisme et à la haine. Cette unité doit être renforcée.
Je suggère enfin, que notre assemblée, comme les autres assemblées des parlements nationaux, puisse disposer d'une information régulière sur l'avancement des objectifs, des dispositifs en matière de sécurité et donner un avis fondé et circonstancié, sur les difficultés le cas échéant rencontrées.
Il me semble que nous sommes comptables des avancées mais aussi des diligences à réaliser auprès de l'Union si nous constatons des réticences ou difficultés à faire venant des États nationaux ; en effet la sécurité reste une prérogative centrale de nos parlements, alors même qu'elle compte comme une compétence désormais effectivement partagée avec l'Union européenne.
Je laisse la parole à Joachim Pueyo, qui va présenter les propositions relatives à la Défense et à la politique extérieure.