Intervention de Gilles Savary

Réunion du 30 novembre 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Je voudrais surtout partager, en cette période extrêmement compliquée, quelques réflexions.

Nous avons finalement construit, au plan politique, une Europe quasi exclusivement coopérative, qu'on a un peu asservie juridiquement. La construction européenne s'est faite à côté du discours politique, elle s'est faite par les directives, par la mise en commun d'un espace juridique, pas d'un espace politique. L'espace politique reste fondamentalement national. Nous avons créé un poste de président du Conseil européen, et ledit président est devenu un modérateur, un négociateur, souvent de haut vol – MM. Van Rompuy et Tusk ont fait un travail remarquable –, mais ce n'est pas une voix pour l'Europe. Chaque chef d'État ou de gouvernement rentrant du Conseil européen se pose la question de ce qu'il va dire à son opinion publique nationale, de ce qu'il a envie de raconter ou d'occulter du Conseil européen. Nous sommes simplement au bout du bout de cette réalité, parce que la situation est moins euphorique que dans les années soixante-dix et qu'en période de tension nous cherchons des boucs émissaires, des responsables. D'une certaine manière, nous constatons que l'Europe politique n'a jamais existé, qu'elle était fondamentalement coopérative, qu'en fait de communauté c'était une fiction communautaire – pas tout à fait fictive, cependant, si l'on en croit le mal qu'ont les Britanniques à défaire les fils. Nous avons créé une Europe juridique, pas une Europe politique, une Europe fondamentalement coopérative parce qu'aucun des États membres, à commencer par ceux qui se prétendaient les plus européistes, en particulier la France, ne veut rien céder de sa souveraineté sur les sujets essentiels.

Vous parliez tout à l'heure d'un espace public qui avait été créé, mais il s'agissait encore d'espaces nationaux. L'Europe sociale, c'était l'Europe française. L'Europe de la défense, c'était l'Europe française – on nous donne de l'argent, et on appuie sur le bouton nucléaire. Cette ambiguïté nous apparaît aujourd'hui de manière éclatante, et elle est évidemment mortifère dans une période de souffrance des peuples et d'inquiétude face aux bouleversements du monde, alors que les populistes arment la peur et ont les outils de la peur : les référendums.

La première des fragilités sur laquelle nous devons nous interroger, c'est que, comme vous, je pense que l'on ne peut plus réformer les institutions. Ce n'est pas que ce n'est pas souhaitable, mais on ne le peut plus ; le premier qui essaye, redisjoncte. Je me demande cependant s'il ne faudrait pas un petit traité de démocratisation. Il peut très bien arriver que l'on nous demande en juin, par référendum, si nous souhaitons quitter l'Europe. Les choses peuvent aller très vite. Le Brexit n'est pas un accident de l'histoire mais résulte d'une certaine ambiance européenne. À ma grande surprise, les pays de l'Est, que j'ai beaucoup fréquentés sur la question des travailleurs détachés, sont plus européens, et plus inquiets, que nous. Pour eux, l'Europe c'est l'émancipation nationale, tandis que nous autres, vieux pays impériaux, pensons pouvoir nous suffire à nous-mêmes.

La question qui nous est aujourd'hui posée est celle de l'articulation entre les États nations et la construction européenne. Tout en étant fédéraliste, j'ai bien conscience que les nations sont susceptibles de faire disjoncter la construction européenne. Je me demande si nous ne pourrions pas avoir des procédures de ratification supranationales, telles qu'un référendum européen ou bien un Congrès associant le Parlement européen et les Parlements nationaux, avec des pondérations de voix. Cela supposerait une clarification des compétences car la procédure serait déclenchée pour les compétences exclusives. Les choses seraient ainsi relativement verrouillées par rapport aux alternances politiques.

S'agissant de l'ouverture d'un espace public, je ne suis pas entièrement d'accord avec vous : il n'y a pas que les entreprises. Le mandat de la Commission européenne porte certes sur le marché mais il faut bien reconnaître aussi qu'elle tricote ce qu'on lui a demandé de tricoter, et ce n'est pas demain la veille que cela se fera ailleurs, sauf sur les questions de sécurité et de frontières, si nous nous y prenons vite, pour reconstituer une légitimité européenne.

Mais n'oublions pas non plus les ONG : une grande partie de la politique européenne passe par elles. En France, on se bouche le nez devant les lobbies, mais c'est quand il s'agit de Total, car quand il s'agit d'Oxfam ou de Greenpeace on trouve que c'est bien, que c'est noble. Or les deux fonctionnent. Sur certains sujets, la réflexion est très avancée à Bruxelles. Sans Bruxelles, personne n'aurait travaillé sur la question des Roms, par exemple. Il faudrait réfléchir au moyen d'associer les lobbies de façon plus formelle et plus ouverte.

Cela suppose d'impliquer les syndicats. Ces derniers, aujourd'hui, n'ont aucune envie de tenir un discours européen. Alors que je m'occupe beaucoup des questions ferroviaires au Parlement, je n'entre dans aucun des dépôts de la SNCF car la CGT ne souhaite surtout pas que je dise à ses militants ce qui se passe, à savoir qu'ils sont en danger. Je pense qu'il faudrait l'effet d'entraînement que pourrait créer une nouvelle chambre, différente du Comité économique et social européen actuel ou du Conseil des communes et régions d'Europe.

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