Intervention de Patrick Vincent

Réunion du 15 novembre 2016 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Patrick Vincent, directeur général délégué de l'IFREMER :

La situation de l'île de Clipperton soulève tout à la fois une question de souveraineté nationale et un enjeu scientifique, l'une et l'autre ne se recouvrant pas pleinement. En effet, la recherche scientifique ne saurait justifier à elle seule l'implantation d'autres activités qui permettraient d'y exercer notre souveraineté. S'agissant des ressources minérales profondes, j'évoquerai brièvement les cas de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française afin de mettre Clipperton en perspective. De façon générale, la place de l'outre-mer dans le projet de stratégie nationale pour la mer et le littoral doit être renforcée.

L'île de Clipperton est un atout géostratégique et un enjeu de souveraineté nationale. De ce point de vue, la communauté scientifique peut être utile, car elle sait s'intéresser aux objets d'étude qui lui sont présentés – même si elle ne s'en serait pas elle-même saisie en priorité. En l'occurrence, Clipperton présente plusieurs objets d'étude intéressants, dans les domaines de la biodiversité et de la climatologie par exemple, d'autant plus que l'océan Pacifique joue un rôle majeur dans les échanges entre atmosphère et océans et dans la régulation climatique. Cela étant, c'est aussi une région où se concentrent de nombreux intérêts stratégiques, ce qui explique que des réseaux d'observation océanique et atmosphérique y sont déjà installés. Ces réseaux semblent suffire, de sorte que l'ajout d'un point d'observation à Clipperton ne produirait pas de données supplémentaires susceptibles d'affiner substantiellement les prévisions climatiques.

D'autres sujets, en revanche, sont plus pertinents. La création d'une aire marine protégée, par exemple, pourrait se justifier à la condition que soient respectés des critères de gestion – qu'ils s'appliquent à l'environnement ou aux ressources biologiques, voire à l'un et aux autres – assortis de moyens de contrôle qui permettraient de vérifier que l'aire en question vit bien. Toute aire marine protégée pose en effet de telles questions de gestion et de contrôle, en métropole comme en outre-mer – et a fortiori dans le cas de Clipperton.

Du point de vue des ressources minérales profondes, la zone d'intérêt est celle de Clarion-Clipperton qui, en réalité, est assez éloignée de l'île elle-même. Une installation établie sur le rocher ne serait donc pas immédiatement utile en cas d'exploitation des nodules polymétalliques. L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a délivré à la France un permis d'exploitation de ces ressources qui arrivait à expiration en juin 2016. Avant de demander la prorogation de ce permis, il a fallu s'interroger sur la capacité des industriels à se doter des processus nécessaires à l'exploitation des nodules ; ils nous ont indiqué qu'ils ne se sentaient pas prêts et qu'ils privilégiaient l'exploitation d'encroûtements métallifères à Wallis-et-Futuna. Le critère économique ne justifiait donc pas la prorogation du permis d'exploitation minière ; en revanche, la France a souhaité en demander la prorogation afin de sauvegarder ses droits. Elle a donc déposé une demande pour cinq ans en décembre 2015. À sa 22e session qui s'est tenue en juillet, l'AIFM a instruit cette demande ainsi que celles de cinq autres pays dits investisseurs pionniers, qui s'intéressent à l'exploitation des nodules depuis plusieurs dizaines d'années. Elle a accepté la demande de la France, en lui accordant un nouveau permis valable jusqu'au 20 juin 2021.

Ce permis qui, encore une fois, servira surtout à sauvegarder nos droits, se traduira par une activité scientifique minimale portant sur l'environnement – un domaine quelque peu délaissé pendant les précédentes périodes de validité du permis. Cette piste d'étude a été suggérée à la suite d'une expertise collective conduite en 2015 sur les impacts de l'exploitation des ressources minérales en haute mer et leur maîtrise. Les recommandations qui en ont résulté sont désormais connues par l'ensemble des acteurs du monde scientifique et industriel et de la société civile.

En somme, la France est en mesure d'entretenir ses droits pendant cinq ans, de réaliser des recherches scientifiques – même si celles-ci ne donneront pas lieu à une campagne océanographique spécifique – et de permettre aux filières industrielles d'évaluer la faisabilité de l'exploitation de ces nodules.

À Wallis-et-Futuna, la question des ressources minérales profondes ne se pose pas dans les mêmes termes puisqu'il ne s'agit pas de nodules polymétalliques mais d'encroûtements métallifères, en particulier cobaltifères, qui sont parfois assez riches. Avec ses partenaires publics, l'IFREMER a réalisé entre 2012 et 2014 plusieurs campagnes d'exploration scientifique qui ont permis de cartographier précisément la région, de réaliser des études géologiques et géophysiques – notamment sur les anomalies magnétiques – et d'examiner l'activité hydrothermale, qui est importante dans cette zone. S'agissant des encroûtements cobaltifères à proprement parler, les processus de transport de matière et d'accumulation métallique sont encore mal connus et nécessitent davantage de recherches. Ajoutons que toute recherche sur les ressources minérales suppose désormais d'étudier parallèlement la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes en exploitant toutes les interactions qui existent entre les disciplines géologiques et les sciences de l'environnement.

Depuis 2014, l'État a décidé de constituer une mission d'experts chargée d'examiner les dimensions environnementale, économique et juridique du dossier sous la direction des ministères de l'outre-mer, de l'environnement et de la recherche et de l'enseignement supérieur, sa coordination étant confiée à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Cette mission tiendra sa première réunion le 22 novembre. Le coordinateur se rendra à Wallis-et-Futuna fin novembre ; ensuite, plusieurs missions se dérouleront en janvier et février, la mission devant rendre ses conclusions en juin prochain. Autrement dit, les recherches scientifiques de ces dernières années cèdent peu à peu le pas à des missions portant sur des questions environnementales et économiques : la confirmation de simples indices de l'existence d'encroûtements cobaltifères permettra en effet aux entreprises d'envisager comment mettre au point les pilotes, voire les filières industrielles d'exploitation.

Ces deux dernières années, l'IRD a également piloté la rédaction d'un rapport d'expertise collective sur les ressources minérales profondes en Polynésie française. Ce rapport a fait l'objet à Papeete, en mai, d'une restititution qui a permis un débat salutaire sur les conclusions présentées avec la communauté scientifique, le monde économique et la société civile. Conjointement menée par l'État et le Gouvernement de la Polynésie française, cette étude pluridisciplinaire a mobilisé un grand nombre d'experts et permis de mieux comprendre les enjeux miniers sous-marins dans cette région, tout en dressant un état des lieux des connaissances. Plusieurs recommandations ont été formulées – dont s'emparera jusqu'en 2017 la nouvelle mission d'experts – en vue de bâtir un système d'information ouvrant l'accès aux données existantes et signalant les lacunes de nos connaissances. Grâce aux données déjà recueillies et à celles qui le seront dans les mois qui viennent, il sera possible d'envisager plusieurs scénarios techniques et économiques et de lancer les premières consultations afin, si possible, d'établir une stratégie de développement d'une filière sous-marine. L'idée, en effet, est de passer du stade de la recherche et de l'exploration à la création d'une filière.

Nos capacités en outre-mer dépassent largement le cadre des seules ressources minérales profondes. Le développement des filières ostréicoles et aquacoles doit se poursuivre, par exemple. Dans ces domaines, l'IFREMER a bâti des capacités scientifiques, et ces connaissances ont été transférées aux exploitants aquacoles. L'une des missions de l'Institut consiste en effet, en tant qu'organisme de recherche, à appuyer les politiques publiques pour permettre le développement de secteurs d'activité : les recherches en biologie et en zootechnie conduites en Nouvelle-Calédonie, par exemple, ont porté leurs fruits et permis le développement de l'élevage de la crevette dans l'archipel. Nous devons renforcer le lien entre la recherche et le développement socio-économique de nos territoires d'outre-mer.

Pour que cette synergie soit durable, il faut prévoir un effort de formation adapté, notamment dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et le littoral. En outre-mer, la stratégie de formation doit tenir compte des connaissances existantes tout en contribuant à leur transfert vers les filières industrielles. De ce point de vue, la Nouvelle-Calédonie est un laboratoire de biodiversité marine sans équivalent qui donne à la France une chance unique d'étudier son évolution. Nous disposons des capacités nécessaires pour favoriser le développement de filières à partir des connaissances acquises non seulement par l'IFREMER, mais aussi par les autres acteurs dans le domaine de la recherche marine – le CNRS, l'IRD, les universités marines de métropole et celles d'outre-mer, en particulier.

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