Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 8 décembre 2016 à 9h30
Reconnaissance du génocide perpétré par daech — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise invite le Gouvernement à qualifier juridiquement de génocide « les violences et les crimes commis par l’État islamique en Syrie et en Irak à l’encontre des populations chrétiennes, yézidies et d’autres minorités» et à saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il donne compétence à la Cour pénale internationale, la CPI de poursuivre ces crimes.

S’agissant des faits d’abord, chers collègues, il n’existe évidemment pas le moindre doute quant à l’atrocité des crimes commis par Daech en Syrie et en Irak. Les populations yézidies en particulier subissent un calvaire épouvantable. Les massacres commis en août 2014 dans la région du Sinjar, au Nord de l’Irak, se seraient accompagnés de plusieurs milliers de morts, de la réduction en esclavage de 2 000 à 3 000 femmes et jeunes filles et de l’exil de 90 % de la population yézidie d’Irak.

Outre les Yézidis, de nombreuses minorités religieuses ou ethniques sont victimes de persécutions systématiques en Irak et en Syrie. Daech cible les chrétiens d’Orient mais aussi les chiites, les Turkmènes, les Kurdes ou encore les Shabaks. Ces communautés sont visées pour ce qu’elles sont. A travers elles, c’est la diversité religieuse, ethnique et culturelle que Daech veut faire disparaître. Daech les contraint à un choix cruel : l’asservissement ou l’exil forcé, ou la mort. Soyons clairs : c’est d’une entreprise d’élimination physique dont il s’agit.

Tous ces faits sont documentés, notamment grâce au travail engagé par la commission d’enquête internationale sur la Syrie, qui a été créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et dont la commission des affaires étrangères a entendu les membres.

Dès 2014, la commission d’enquête publiait un rapport intitulé «Vivre sous le règne de la terreur : Daech en Syrie». Fondé sur d’innombrables témoignages de personnes ayant fui ou vivant dans les territoires contrôlés par Daech, ce rapport donne la nausée. En effet Daech ne recule devant aucun crime pour asservir les populations et opprimer les minorités : meurtres, tortures, traitements inhumains et dégradants, recours à l’esclavage, viols et autres violences sexuelles, déplacements forcés de populations, disparitions. Comme l’a souligné la commission d’enquête, ces abus, ces crimes et ces violations des droits de l’homme sont commis par Daech de façon délibérée et calculée.

C’est donc à juste titre que la proposition de résolution cible les actes commis par Daech contre des minorités ethniques et religieuses en Irak et en Syrie.

Mais j’estime qu’il faudrait s’intéresser à l’ensemble des exactions dirigées contre la population civile, quels que soient leurs auteurs et quelles que soient les considérations ethniques ou religieuses. Les musulmans sunnites, qui ne sont pas une minorité puisqu’ils sont majoritaires dans la région, sont les premières victimes de Daech. Eux aussi subissent son oppression, ses persécutions et son régime de terreur.

Je me demande quel message nous ferions passer en ne nous intéressant qu’aux minorités. Chers collègues, nous devons rendre justice à toutes les victimes. Et nous devons aussi penser à la réconciliation de demain. Elle doit inclure toutes les catégories de population.

Les atrocités commises par Daech ne doivent pas non plus détourner l’attention des crimes commis par d’autres acteurs, qu’ils soient ou non étatiques. En Syrie et en Irak, des exactions épouvantables sont attribuées à d’autres organisations terroristes et à diverses milices, parfois venues de l’étranger.

N’oublions pas la responsabilité du régime de Damas dans la situation actuelle. La révolution syrienne a commencé par des manifestations pacifiques. Elles ont été réprimées dans le sang. Telle est l’origine du cycle de violence qui s’abat sur la Syrie depuis 2011.

Aujourd’hui, à Alep-Est, le régime syrien et ses alliés soumettent quelque 250 000 personnes à un siège et à des bombardements d’une violence inouïe. Ces chiffres sont contestés mais ce sont ceux des Nations-unies.

Les hôpitaux font l’objet d’attaques directes et systématiques. Au delà du sort tragique d’Alep, plus de 700 000 personnes sont assiégées en Syrie, notamment dans les régions rurales de Damas.

Permettez-moi d’insister sur la situation humanitaire dans l’ensemble de la Syrie et aussi en Irak.

Sur le plan humanitaire, l’attention de l’opinion publique s’est focalisée sur la situation dramatique de la population civile d’Alep, mais il importe que notre assemblée soit également consciente de l’ampleur de la crise humanitaire qui sévit en Irak et en Syrie.

En Irak, par exemple, 650 000 civils, dont plus de 300 000 enfants, sont privés d’accès à l’eau potable dans Mossoul, à la suite des dommages commis sur le réseau de distribution. Plus de 76 000 civils ont fui les zones de combat depuis le lancement de l’offensive.

Cette situation est néanmoins gérée par les nombreuses organisations internationales et organisations non gouvernementales présentes sur place. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés, notamment, se prépare à accueillir un nombre encore plus élevé de personnes déplacées, en bonne coordination avec les autorités irakiennes.

En Syrie en revanche, la situation humanitaire est beaucoup plus alarmante, du fait de l’ampleur de la crise et des obstacles mis à l’acheminement de l’aide humanitaire par les belligérants.

À Alep-Est, chacun se souvient que le cessez-le-feu a été interrompu par le bombardement d’un convoi humanitaire des l’ONU. Ces derniers jours, alors que des civils ont trouvé la mort en essayant d’échapper au siège, les personnels de santé et humanitaires demeurent les cibles des attaques. L’ONU estimait à 25 000 le nombre de personnes qui ont quitté Alep-Est, la majorité étant des femmes et des enfants. Parmi ceux qui réussissent à atteindre les zones contrôlées par le régime, certains subissent encore des arrestations arbitraires, sont torturés voire exécutés.

Des attaques directes menées contre les hôpitaux endommagent fortement les infrastructures. À Alep-Est, aucun hôpital – je dis bien : aucun – n’est entièrement opérationnel et une seule unité de santé est capable d’assurer des soins de traumatologie. En l’absence d’ambulances, les civils blessés sont transportés dans des charrettes. Les prix des produits de première nécessité ont explosé, atteignant des niveaux inabordables pour la population.

À l’ouest d’Alep – car je ne veux oublier aucune victime, aucun territoire –, l’intensification des combats a également détruit de nombreux bâtiments civils et 70 000 déplacés internes ont été recensés depuis le mois de juillet.

Au total, jusqu’à 400 000 déplacés sont installés à l’ouest d’Alep. Le Croissant rouge arabe syrien et les partenaires humanitaires pourvoient aux besoins de ces populations. L’ONU a prépositionné des fournitures non-alimentaires et des vivres pour répondre aux besoins de 275 000 personnes. Mais le succès de ces opérations dépend de l’autorisation du gouvernement syrien pour le déploiement du personnel international et national à Alep. Or, ce déploiement leur est interdit.

N’oublions pas les 700 000 personnes qui se trouvent assiégées en Syrie, notamment dans les régions rurales de Damas. L’action des organisations internationales peut là aussi être décisive. En 2016, l’Unicef a pu venir en aide à 2,9 millions de Syriens dont 350 000 vivant dans des zones difficiles d’accès. L’Unicef a aussi vacciné trois millions d’enfants. Voilà ce qu’il faudrait pouvoir faire et voilà pourquoi le Conseil de sécurité doit impérativement obtenir de toutes les parties qu’elles protègent les civils, qu’elles accordent un accès humanitaire rapide et sûr, qu’elles lèvent les sièges des villes syriennes dont la population est menacée de mort.

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