Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 6 décembre 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, co-rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, notre collègue Sophie Rohfritsch étant souffrante, nous allons, Philip Cordery et moi-même, vous présenter notre travail commun.

Le 8 mars dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux, lequel avait été annoncé par le président Juncker au Parlement européen le 9 septembre 2015. Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire et de la création d'un marché du travail équitable. Notre commission a décidé de répondre à cette consultation publique, qui prend fin le 31 décembre 2016. Il est en effet important que l'Assemblée nationale fasse entendre son point de vue dans ce processus, et participe à l'élaboration de ce socle, qui sera sans doute l'une des bases de l'évolution de l'Europe sociale dans les années à venir. Ceci est d'autant plus important que nous avons, depuis le début de la législature, collectivement beaucoup travaillé sur les sujets sociaux, que ce soit sur la question de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, sur laquelle notre collègue Savary a beaucoup travaillé, ou encore sur l'emploi des jeunes, la formation, le projet de salaire minimum européen, porté par Philip Cordery, ou d'assurance chômage européenne, porté par moi-même.

Jusqu'à présent, les avancées en matière sociale ont porté sur des passerelles entre les systèmes – comme les systèmes d'indemnisation chômage ou de retraite – afin que la diversité des régimes ne fasse pas obstacle à la circulation des travailleurs. On pensait que l'harmonisation se ferait naturellement et qu'il s'agissait de se contenter de veiller au respect des règles de la libre concurrence et de la libre circulation des travailleurs. Or, aujourd'hui, la réalité du dumping social au sein de l'Union et de la dévaluation compétitive au sein de la zone euro a mis à mal cette croyance, et des craintes fortes se font jour quant à la capacité de l'Union européenne de subsister, craintes renforcées depuis le résultat du référendum britannique sur le « Brexit », qui a largement porté sur les questions liées au champ social.

Dans un contexte de grands changements, liés notamment aux mutations du monde du travail du fait de la place grandissante de la numérisation et du vieillissement de la population, l'Europe va dans les années à venir devoir faire face à de nombreux défis, qui vont en premier lieu toucher son modèle de protection sociale et ainsi demander de définir une nouvelle stratégie européenne du marché du travail. La question sous-jacente est ainsi celle de la capacité de l'Union, dans un tel contexte, à maintenir son modèle et à assurer la convergence par le haut des modèles nationaux, pour l'instant en compétition les uns avec les autres.

À cet égard, nous nous félicitons de l'initiative de la Commission, qui montre son souci, qui est aussi le nôtre, de rééquilibrer le poids de l'économique et du social en Europe, face au financier. Malgré son caractère trop large et imprécis, car voulant embrasser tout le champ de la protection sociale et du droit du travail, cette consultation laisse transparaître les objectifs principaux de la Commission : faciliter la mobilité et l'adaptabilité des travailleurs en Europe, lutter contre le dumping social, l'inégalité et les exclusions.

Au fond, le socle devra permettre de consolider l'acquis social de l'Union et le faire entrer pleinement dans le XXIème siècle. À ce titre, la transition réussie du marché du travail est un enjeu majeur, afin notamment d'apporter aussi des garanties à tous les travailleurs de la nouvelle économie, les nouvelles formes de travail se traduisant par une précarité accrue et une protection sociale dégradée.

Nous estimons ainsi tous les trois que le futur socle européen des droits sociaux devra être offensif et concentré sur quelques points précis et concrets : portabilité de droits attachés à la personne et non au contrat – c'est l'idée du compte personnel –, accent mis sur l'adaptation du droit du travail aux nouvelles formes d'emploi, maintien de l'acquis social de l'Union, incitation à la création d'une assurance chômage européenne et d'un salaire minimum européen. Il s'agit de définir un cadre social propice à la compétitivité des entreprises et à la reprise du marché du travail, qui permettront le maintien d'un fort niveau de protection sociale, spécificité européenne à laquelle nous demeurons attachés.

Pour cela, le socle – qui doit être compris aussi comme un outil économique, les déséquilibres sociaux ayant un impact sur le potentiel de croissance et de compétitivité de long terme – devra se construire sur des principes fondateurs clairs de convergence ascendante, de lutte contre les inégalités, et d'adaptation aux mutations de l'économie. Ses choix stratégiques devront être précis et efficaces, et permettre d'intégrer les questions économiques et sociales afin d'améliorer l'accès au marché du travail, de consolider le modèle européen de protection sociale et de lutter contre les inégalités sociales.

Avant de laisser la parole à Philip Cordery, qui va vous exposer plus en détail les différents points que nous souhaitons mettre en avant dans notre réponse à la consultation de la Commission européenne, je me permets de développer la question de l'assurance chômage européenne, sujet sur lequel comme vous le savez j'ai particulièrement travaillé. Il me semble que celui-ci, même si c'est encore un sujet embryonnaire, doit faire partie des réflexions prioritaires de la Commission européenne dans l'élaboration du socle, pour plusieurs raisons. D'une part, ce sujet n'est pas encore consensuel, et il faut approfondir la réflexion au niveau communautaire. D'autre part, alors que la zone euro est devenue celle du chômage de masse, où le chômage et le salaire jouent les variables d'ajustement en cas de crise, c'est vraiment un sujet qui met en jeu à la fois la question plus globale de la convergence sociale et celle de la relance de l'Europe sociale. Il s'agit de lutter contre cela, et de favoriser l'émergence d'un véritable marché de l'emploi européen, ainsi que de porter un projet commun nécessaire à la survie de l'euro.

Sur la question plus spécifique du socle, concernant sa définition et son périmètre, il sera nécessaire de clarifier la notion de socle, et en particulier de la différencier de celle de pilier, présente dans la sémantique anglaise, ainsi que d'indiquer clairement et précisément ses objectifs et sa fonction. Nous sommes en faveur d'un socle qui permettre, par le dialogue social européen, de bâtir une convergence sociale ascendante.

Le périmètre du socle devra, dans un premier temps, pour des raisons de pragmatisme et d'efficacité, se restreindre la zone euro, tout État membre de l'Union hors zone euro étant bien sûr invité à s'y joindre. Il s'agit de créer un acquis social de la zone euro qui devra être accepté par tout nouvel État membre de la zone.

Sur les principes directeurs du socle, alors que la seule question financière n'épuise pas la problématique européenne et a, au contraire, du fait des résultats des politiques d'austérité, montré ses limites, les principes directeurs du futur socle européen des droits sociaux devront favoriser une approche intégrée de la question économique et de la question sociale afin de rééquilibrer leur poids face aux questions financières.

Cette relance de la politique sociale européenne ne saurait se faire sans les partenaires sociaux. Or, le dialogue social est pour l'instant en panne au niveau de l'Union. Sa relance, ainsi que celle du dialogue social au sein des pays membres, devront être au coeur du projet de socle européen des droits sociaux.

Or, le dialogue social est pour l'instant en panne au niveau de l'Union. Sa relance, ainsi que celle du dialogue social au sein des pays membres, devront être au coeur du projet de socle européen des droits sociaux.

La question du renforcement de l'effectivité des droits existants est primordiale. Ainsi, un des objectifs principaux du socle devra être de régler les problèmes que rencontrent les travailleurs lorsqu'ils tentent de faire appliquer leurs droits, que ce soit au niveau national ou lors de mobilités entre les États membres. L'accompagnement des citoyens européens dans leurs démarches d'accès aux droits nationaux et européens, tout comme le renforcement de l'acquis social existant et de son effectivité, doivent être une priorité du socle.

Enfin, comme évoqué précédemment, le socle devra être fondé sur des principes peu nombreux permettant l'évolutivité des droits, et sur une démarche prospective permettant de s'adapter aux mutations du contexte économique et social.

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