COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 6 décembre 2016
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 30
I. Examen du rapport d'information de M. Philip Cordery, Mme Sophie Rohfritsch et M. Jean-Patrick Gille sur le projet de « socle européen » des droits sociaux
Madame la présidente, mes chers collègues, notre collègue Sophie Rohfritsch étant souffrante, nous allons, Philip Cordery et moi-même, vous présenter notre travail commun.
Le 8 mars dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux, lequel avait été annoncé par le président Juncker au Parlement européen le 9 septembre 2015. Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire et de la création d'un marché du travail équitable. Notre commission a décidé de répondre à cette consultation publique, qui prend fin le 31 décembre 2016. Il est en effet important que l'Assemblée nationale fasse entendre son point de vue dans ce processus, et participe à l'élaboration de ce socle, qui sera sans doute l'une des bases de l'évolution de l'Europe sociale dans les années à venir. Ceci est d'autant plus important que nous avons, depuis le début de la législature, collectivement beaucoup travaillé sur les sujets sociaux, que ce soit sur la question de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, sur laquelle notre collègue Savary a beaucoup travaillé, ou encore sur l'emploi des jeunes, la formation, le projet de salaire minimum européen, porté par Philip Cordery, ou d'assurance chômage européenne, porté par moi-même.
Jusqu'à présent, les avancées en matière sociale ont porté sur des passerelles entre les systèmes – comme les systèmes d'indemnisation chômage ou de retraite – afin que la diversité des régimes ne fasse pas obstacle à la circulation des travailleurs. On pensait que l'harmonisation se ferait naturellement et qu'il s'agissait de se contenter de veiller au respect des règles de la libre concurrence et de la libre circulation des travailleurs. Or, aujourd'hui, la réalité du dumping social au sein de l'Union et de la dévaluation compétitive au sein de la zone euro a mis à mal cette croyance, et des craintes fortes se font jour quant à la capacité de l'Union européenne de subsister, craintes renforcées depuis le résultat du référendum britannique sur le « Brexit », qui a largement porté sur les questions liées au champ social.
Dans un contexte de grands changements, liés notamment aux mutations du monde du travail du fait de la place grandissante de la numérisation et du vieillissement de la population, l'Europe va dans les années à venir devoir faire face à de nombreux défis, qui vont en premier lieu toucher son modèle de protection sociale et ainsi demander de définir une nouvelle stratégie européenne du marché du travail. La question sous-jacente est ainsi celle de la capacité de l'Union, dans un tel contexte, à maintenir son modèle et à assurer la convergence par le haut des modèles nationaux, pour l'instant en compétition les uns avec les autres.
À cet égard, nous nous félicitons de l'initiative de la Commission, qui montre son souci, qui est aussi le nôtre, de rééquilibrer le poids de l'économique et du social en Europe, face au financier. Malgré son caractère trop large et imprécis, car voulant embrasser tout le champ de la protection sociale et du droit du travail, cette consultation laisse transparaître les objectifs principaux de la Commission : faciliter la mobilité et l'adaptabilité des travailleurs en Europe, lutter contre le dumping social, l'inégalité et les exclusions.
Au fond, le socle devra permettre de consolider l'acquis social de l'Union et le faire entrer pleinement dans le XXIème siècle. À ce titre, la transition réussie du marché du travail est un enjeu majeur, afin notamment d'apporter aussi des garanties à tous les travailleurs de la nouvelle économie, les nouvelles formes de travail se traduisant par une précarité accrue et une protection sociale dégradée.
Nous estimons ainsi tous les trois que le futur socle européen des droits sociaux devra être offensif et concentré sur quelques points précis et concrets : portabilité de droits attachés à la personne et non au contrat – c'est l'idée du compte personnel –, accent mis sur l'adaptation du droit du travail aux nouvelles formes d'emploi, maintien de l'acquis social de l'Union, incitation à la création d'une assurance chômage européenne et d'un salaire minimum européen. Il s'agit de définir un cadre social propice à la compétitivité des entreprises et à la reprise du marché du travail, qui permettront le maintien d'un fort niveau de protection sociale, spécificité européenne à laquelle nous demeurons attachés.
Pour cela, le socle – qui doit être compris aussi comme un outil économique, les déséquilibres sociaux ayant un impact sur le potentiel de croissance et de compétitivité de long terme – devra se construire sur des principes fondateurs clairs de convergence ascendante, de lutte contre les inégalités, et d'adaptation aux mutations de l'économie. Ses choix stratégiques devront être précis et efficaces, et permettre d'intégrer les questions économiques et sociales afin d'améliorer l'accès au marché du travail, de consolider le modèle européen de protection sociale et de lutter contre les inégalités sociales.
Avant de laisser la parole à Philip Cordery, qui va vous exposer plus en détail les différents points que nous souhaitons mettre en avant dans notre réponse à la consultation de la Commission européenne, je me permets de développer la question de l'assurance chômage européenne, sujet sur lequel comme vous le savez j'ai particulièrement travaillé. Il me semble que celui-ci, même si c'est encore un sujet embryonnaire, doit faire partie des réflexions prioritaires de la Commission européenne dans l'élaboration du socle, pour plusieurs raisons. D'une part, ce sujet n'est pas encore consensuel, et il faut approfondir la réflexion au niveau communautaire. D'autre part, alors que la zone euro est devenue celle du chômage de masse, où le chômage et le salaire jouent les variables d'ajustement en cas de crise, c'est vraiment un sujet qui met en jeu à la fois la question plus globale de la convergence sociale et celle de la relance de l'Europe sociale. Il s'agit de lutter contre cela, et de favoriser l'émergence d'un véritable marché de l'emploi européen, ainsi que de porter un projet commun nécessaire à la survie de l'euro.
Sur la question plus spécifique du socle, concernant sa définition et son périmètre, il sera nécessaire de clarifier la notion de socle, et en particulier de la différencier de celle de pilier, présente dans la sémantique anglaise, ainsi que d'indiquer clairement et précisément ses objectifs et sa fonction. Nous sommes en faveur d'un socle qui permettre, par le dialogue social européen, de bâtir une convergence sociale ascendante.
Le périmètre du socle devra, dans un premier temps, pour des raisons de pragmatisme et d'efficacité, se restreindre la zone euro, tout État membre de l'Union hors zone euro étant bien sûr invité à s'y joindre. Il s'agit de créer un acquis social de la zone euro qui devra être accepté par tout nouvel État membre de la zone.
Sur les principes directeurs du socle, alors que la seule question financière n'épuise pas la problématique européenne et a, au contraire, du fait des résultats des politiques d'austérité, montré ses limites, les principes directeurs du futur socle européen des droits sociaux devront favoriser une approche intégrée de la question économique et de la question sociale afin de rééquilibrer leur poids face aux questions financières.
Cette relance de la politique sociale européenne ne saurait se faire sans les partenaires sociaux. Or, le dialogue social est pour l'instant en panne au niveau de l'Union. Sa relance, ainsi que celle du dialogue social au sein des pays membres, devront être au coeur du projet de socle européen des droits sociaux.
Or, le dialogue social est pour l'instant en panne au niveau de l'Union. Sa relance, ainsi que celle du dialogue social au sein des pays membres, devront être au coeur du projet de socle européen des droits sociaux.
La question du renforcement de l'effectivité des droits existants est primordiale. Ainsi, un des objectifs principaux du socle devra être de régler les problèmes que rencontrent les travailleurs lorsqu'ils tentent de faire appliquer leurs droits, que ce soit au niveau national ou lors de mobilités entre les États membres. L'accompagnement des citoyens européens dans leurs démarches d'accès aux droits nationaux et européens, tout comme le renforcement de l'acquis social existant et de son effectivité, doivent être une priorité du socle.
Enfin, comme évoqué précédemment, le socle devra être fondé sur des principes peu nombreux permettant l'évolutivité des droits, et sur une démarche prospective permettant de s'adapter aux mutations du contexte économique et social.
Après avoir évoqué le périmètre et les principes directeurs du socle, il me revient de présenter les droits que nous proposons de voir figurer en priorité dans ce socle.
Un premier groupe de mesures concerne la question de l'amélioration des conditions d'accès à l'emploi, le socle devra avoir pour priorité de favoriser la création d'emploi et l'accès à l'emploi, en créant les conditions d'une véritable flexisécurité. Il devra ainsi favoriser les conditions de la compétitivité européenne dans la compétition économique mondiale, pour apporter aux entreprises et aux salariés des outils permettant à la fois de s'adapter à la réalité du marché et de protéger les parcours professionnels.
Une des priorités du socle devra être d'attacher les droits à la personne et non au contrat, sur le modèle français du compte personnel d'activité (CPA), afin de permettre à chaque citoyen d'accumuler des droits tout au long de sa vie active et de les utiliser au moment où il le souhaite, en fonction de ses besoins.
Parallèlement, la mise en place de la flexisécurité devra s'accompagner d'une politique volontariste d'amélioration des compétences tout au long de la vie, afin de permettre aux citoyens de s'adapter tout au long de leur vie professionnelle, et, donc, d'un effort accru sur la formation initiale mais aussi continue. L'investissement dans le capital humain est en effet décisif pour s'adapter notamment au développement de l'économie du partage et de l'économie numérique.
Ensuite, nous insistons sur la nécessité de permettre une portabilité européenne des droits sociaux afin de favoriser la mobilité des travailleurs.
En matière de chômage, par exemple, trois mois de portabilité des droits est une durée trop courte qui ne permet pas véritablement de rechercher un emploi dans un autre État. Nous pensons qu'il faudrait creuser l'idée selon laquelle l'État de dernier emploi pourrait prendre en charge l'assurance chômage pour une durée plus longue, au minimum six mois, si ce n'est plus.
En matière de formation professionnelle également, de nombreux pays prévoient un droit individuel à la formation professionnelle ; d'autres pourraient s'en doter dans le cadre du socle européen des droits sociaux. Un des grands enjeux des années à venir serait de permettre une coordination européenne de ce droit individuel à la formation, permettant ainsi de favoriser la mobilité intra-européenne en connectant les divers systèmes.
Troisièmement, l'accès au marché du travail pour les jeunes doit être une priorité du socle, via la pérennisation de la Garantie pour la jeunesse et de son corollaire financier, l'IEJ, le renforcement de la mobilité des jeunes (notamment du programme Erasmus des Apprentis) et l'établissement d'une législation européenne des stages plus protectrice que la Charte des stages actuelle, afin de ne pas maintenir les jeunes dans une situation de précarité.
Un deuxième groupe de mesures vise à favoriser les conditions de travail et l'égalité au travail.
La France est motrice dans le projet de création d'un salaire minimum européen ; je vous ai d'ailleurs présenté récemment un rapport sur ce sujet, qui exposait les avantages d'un tel salaire minimum, essentiel tant pour la construction de l'Europe sociale que pour la coordination des politiques économiques en Europe, en particulier dans la zone euro.
Malgré les difficultés de compétence liées au traité, le socle européen des droits sociaux pourrait faire de cette question une de ses priorités. Il s'agirait d'acter la nécessité pour chaque pays de se doter d'un salaire minimum, soit par la loi, soit par la négociation collective et d'organiser un processus de convergence de ces salaires minima dans le cadre du semestre européen, en coordination étroite avec les partenaires sociaux.
Ensuite, il convient de mettre en oeuvre les conditions d'une égalité au travail, tant entre les sexes – en mettant en place notamment une politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle – qu'entre les travailleurs des différents États membres – en mettant en oeuvre le principe « à travail égal, salaire égal », notamment par une nouvelle directive sur le détachement des travailleurs.
Troisième enjeu : il faut garantir les droits des salariés de la nouvelle économie (collaborative notamment). Du fait des mutations actuelles de la relation de travail et la croissance des emplois atypiques peu protégés (faux indépendants notamment), il faut réfléchir à la création de nouvelles protections pour ces travailleurs (droit à une rémunération adéquate et à des conditions de travail équitables, droit à la formation, droit à la protection sociale, droit à une pension), notamment en réfléchissant à la notion de subordination économique. La mise en place de contrats de travail sûrs et flexibles permettant de réduire les inégalités entre les travailleurs plus protégés et les autres, mais aussi de sécuriser les employeurs en simplifiant le cadre réglementaire, devra être une priorité du socle.
Enfin, un troisième groupe de mesures concerne la lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Tous les citoyens européens, actifs ou non actifs, doivent pouvoir bénéficier d'une protection sociale leur apportant des conditions de vie dignes et leur permettant de participer pleinement à la vie en société.
Comme vient de l'exposer notre collègue Jean-Patrick Gille, la mise en place d'une assurance chômage européenne aurait à la fois une vertu de stabilisation économique et de stabilisation sociale pour la zone euro et l'Union dans son ensemble. Le socle devrait ainsi promouvoir la mise en place d'une assurance chômage en Europe, qui constituerait une base que les États membres pourraient compléter.
Le socle devra aussi aborder la question d'un revenu universel ou d'un revenu minimum garanti, conçu comme un facteur de cohésion sociale.
Enfin, nous souhaitons explorer une piste, souvent revenue lors de nos auditions, d'une couverture de santé minimale dans tous les pays européens.
Pour finir, nous traitons dans le rapport des outils pour mettre en oeuvre le socle, car il ne s'agit pas uniquement d'avoir un socle mais d'organiser une convergence vers le haut des droits sociaux.
Pour atteindre tous ces objectifs, le socle doit se doter d'outils efficaces et pragmatiques. Il est nécessaire en premier lieu de développer le débat public en matière sociale, afin de faire participer tous les acteurs à la construction d'indicateurs de mesure de performance sociale des États membres.
De tels indicateurs pourraient participer à la mise en oeuvre d'un code de convergence sociale, basé sur des objectifs sociaux à atteindre, qui pourrait s'articuler avec le semestre européen.
Enfin la réorientation des fonds européens (FSE, FEDER, FEM), afin de lier leur attribution au respect des droits sociaux existant et des priorités fixées en matière sociale ou dans le cadre du semestre européen par la Commission, doit être envisagée, tandis que la pérennité du FEAD doit être garantie.
Voici chers collègues nos propositions, ambitieuses mais réalistes.
Nous pensons qu'un tel socle social serait la base d'une convergence vers le haut des droits sociaux qui aurait un double bénéfice : lutter contre la pauvreté en Europe d'une part et, d'autre part, en luttant contre le dumping social, permettre une meilleure coopération économique notamment au sein de la zone euro, indispensable à la stabilité de notre monnaie commune.
Une Europe plus sociale mais aussi plus stable économiquement serait le meilleur moyen de réconcilier l'Europe avec ses citoyens.
J'ai écouté nos collègues avec beaucoup d'intérêt, car, pour paraphraser une formule célèbre, personne n'a le monopole du social, et je ne peux bien évidemment que souscrire aux objectifs de votre proposition, dans la mesure où, améliorer les conditions des travailleurs, comme dirait le camarade Marchais, est un objectif parfaitement louable en soi, tout comme la préservation de l'État providence européen marqué par un accroissement régulier des droits sociaux.
J'ai toutefois le sentiment, à vous écouter, que vous traitez d'avantage les conséquences que les causes, puisqu'in fine vous souhaitez que le socle serve à conforter la zone euro. Il faudrait avant tout que vous vous interrogiez sur les réalités de la machine économique construite en Europe : la monnaie unique a été une formidable machine infernale à créer du chômage. Je suis bien sûr d'accord sur la nécessité de l'égalité au travail et de permettre la conciliation avec la vie familiale, ou encore avec la nécessité de développer Erasmus, mais, vous omettez la cause fondamentale de la crise sociale et économique, qui est directement liée à l'inadéquation de la monnaie unique en Europe et à la faiblesse des investissements dans toute la zone, particulièrement en France, et y compris en Allemagne, qui vit sur son capital.
En exposant fortement vos propositions, avec la passion légitime qui est la vôtre, vous mettez la charrue avant les boeufs : aujourd'hui pour régler le problème social, il faut commencer par relancer la machine économique. À ce titre, les initiatives européennes, comme le plan Juncker – un cautère sur une jambe de bois – sont insuffisantes. Il faut tout mettre sur l'investissement, changer de logiciel économique, et même, comme je l'ai proposé, permettre des avances du système des banques centrales aux États pour l'investissement et la relance de la machine économique. Tout ce que vous dites n'a de sens que si la machine économique est relancée, que si les investissements reprennent ; effectivement, comme disait Bergeron, il faut du grain à moudre. Par ailleurs, on peut s'interroger sur le salaire minimum car beaucoup de nos partenaires n'en veulent pas ; on voit d'ailleurs ce qui se passe en Allemagne, où il y a une véritable exploitation de certains travailleurs immigrés. Une fois qu'on aura relancé l'économie et l'investissement, on pourra défendre un certain nombre de points qui me paraissent effectivement importants et que vous avez défendus, tels qu'Erasmus.
Je salue ce travail extrêmement complet et qui répond au devoir de la France de faire entendre une voix forte sur ce sujet-là. Je suis d'accord avec notre collègue Myard pour dire que nous avons mis en place des politiques procycliques coordonnées et conjointes qui ont terriblement ralenti la croissance, ajouté au ralentissement de la croissance lié à l'onde de choc de la politique des « subprimes », et créé un ralentissement généralisé de l'ensemble de l'économie européenne. Mais cela n'est pas lié à l'euro : ce n'est pas la faute de l'euro mais de la politique économique européenne. D'ailleurs, ce que l'on a pu maintenir s'est fait au prix d'une dérégulation complète et d'une sortie de l'orthodoxie monétaire. C'est la banque centrale qui a à peu près sauvé ce qui restait à sauver en faisant de la production de monnaie ; et ce sont plutôt les États, du fait de difficultés liées aux divergences économiques – les Allemands n'entendant pas payer pour les autres – qui ont fait que la politique économique a été calée sur l'assainissement des dettes – qui n'a pas réussi d'ailleurs – de façon à ce que les Allemands ne considèrent pas qu'ils étaient les financeurs de l'ensemble des autres pays et, surtout, qu'il n'y ait pas d'incitation à s'engager dans un endettement public non contrôlé.
C'est un sujet qui, en réalité, tient plutôt à la génétique de l'Europe, c'est-à-dire au fait qu'on a une politique économique coopérative – même si elle est supervisée aujourd'hui par le semestre européen – alors que l'on a une monnaie unique. Ironie du sort, c'est la structure la moins démocratique – la banque centrale européenne – qui a fait la politique conjoncturelle ; ce n'est pas la structure politique, c'est-à-dire le Conseil. On a la construction européenne, qui est une construction avec un espace public fondamentalement national – on rend des comptes politiques aux nations et on parle à son peuple quand on sort du Conseil – et un tricotage fédéral, furtif pendant des années, ce qui fait qu'on est sur ce porte-à-faux du fait de la crise.
Il est indéniable qu'il y a aussi des problèmes structurels à régler dans chacun des pays ; par exemple le problème du chômage français – à 6 millions de chômeurs de catégorie B – n'est pas le problème de l'ensemble des pays européens. Il ne faut pas intérioriser notre problème et penser qu'il est celui de toute l'Europe : il y a des pays qui font mieux. En outre, nous avons une dérégulation complète du marché du travail ; le marché du travail européen est aujourd'hui une superposition des marchés nationaux sur lesquels s'instillent des dérégulations complètes qui sont en train de complètement déstabiliser les marchés nationaux. La concurrence est saine quand elle améliore la créativité et la qualité de service, mais, aujourd'hui, ce sont les différences fiscales et sociales qui alimentent le jeu concurrentiel.
Je me félicite que nos collègues aient fait un certain nombre de propositions, au premier rang desquelles l'assurance chômage européenne est probablement la plus forte : avec un tel système, aucun pays n'aurait intérêt à laisser le chômage se développer dans les autres pays, car tout pays payerait en partie l'assurance chômage. C'est un mécanisme désincitatif des politiques pro-cycliques et une idée très forte à mettre en place. Si on avait eu un tel mécanisme, aucun pays n'aurait eu intérêt à laisser se développer le chômage en Grèce, en Espagne ou au Portugal. J'ai en revanche une approche plus critique sur d'autres propositions ; il ne faut pas transposer notre modèle social à toute l'Europe car, d'une part, cela reviendrait à entreprendre les travaux d'Hercule, et, d'autre part, ce serait trop autocentré, car on veut toujours transposer son propre système.
Il faut au contraire s'attaquer à des phénomènes nouveaux, non régulés, qui ne font pas partie du patrimoine social des nations. Il faut par exemple une réglementation européenne sur l'économie numérique : quelle est la fiscalisation de l'économie numérique ? Quels sont les droits sociaux attachés à ses travailleurs ? On ne peut pas traiter Uber de manière différenciée en fonction des pays membres. C'est un phénomène radicalement nouveau sur lequel je ne vois pas de réflexion lourde en termes de régulation. En France, Uber ne se considérait pas comme un organisateur de transport ; nous avons eu une réponse législative nationale sur la question des plateformes, mais ce n'est pas le cas partout en Europe. De même, la question des faux indépendants et de l'auto-entreprenariat appelle une régulation européenne. On n'en fait pas de réforme du travail, mais elle se fait toute seule, et le patronat la met en oeuvre grâce au recours à tous ces artifices et moyens : autoentrepreneurs, plateformes numériques, travailleurs détachés des sociétés d'intérim. C'est une flexibilisation que j'appelle « darwinienne », comme pour les travailleurs détachés, c'est-à-dire une flexibilisation sauvage, rapide et violente. Ce sont des sujets sur lesquels j'apprécierais qu'on envoie un message fort à l'Europe : alors que nous sommes tous face au même phénomène, il faudrait une régulation sur ces sujets créateurs d'emplois ; et on n'imposerait pas un modèle national, car ce sont des phénomènes nouveaux. C'est très important.
Je pense qu'il faudrait aussi que vous repreniez l'idée d'une carte de travailleur européen, sur le modèle de la carte Vitale, pour identifier les droits du titulaire. Cela permettrait de s'affranchir des procédures compliquées liées aux bureaux de liaison. Il faut inventer la figure du travailleur européen, et que chaque travailleur européen mobile ait sur lui la carte qui permet d'identifier les droits qu'il porte et les organismes sociaux auxquels il est rattaché.
Je vais enfin revenir sur un sujet qui m'est cher, celui du travail détaché. Il y a quand même une très grande curiosité : la prestation de service internationale, qui est le détachement d'intérim, ressortit de la directive « détachement » et non de la directive « établissement ». C'est pratiquement la seule prestation de service qui n'est pas assujettie à la directive « établissement », parce qu'on considère qu'elle gère un trafic de travailleurs qui doivent être libres de circuler, même s'ils coûtent moins cher que tous les autres et sont moins bien protégés. Or, une société d'intérim est une société de services qui devrait être tenue de s'établir. On a besoin de main d'oeuvre étrangère, notamment pour les métiers en tension où il n'y a pas de main d'oeuvre française – par exemple, de soudeurs polonais qui coûtent 4 000 euros mensuels sur les chantiers de l'Atlantique : le détachement n'est pas forcément du travail low cost – mais ces mises à disposition de main d'oeuvre étrangère ne devraient être liées qu'à des échanges d'entreprises et non à des trafics de main d'oeuvre. La question n'est pas d'interdire le travail détaché : on se tirerait deux fois une balle dans le pied, une première fois en se privant d'envoyer nos travailleurs à l'étranger pour vendre la France, et, une seconde fois, en se privant de main d'oeuvre étrangère dont nous avons besoin ; mais le détachement d'intérim devrait être assujetti à l'établissement.
J'ai deux questions sur ce travail extrêmement stimulant pour l'esprit – quoi que l'on pense du fond de l'affaire et des solutions proposées – et qui ne relève pas de mon domaine de compétence. La première porte sur le périmètre : pourquoi se limiter à la zone euro ? Je ne vois pas très bien ce qui empêcherait que ce socle social s'applique à d'autres pays que ceux de la zone euro ; cela me paraît même, si tant est que ce socle social soit nécessaire, une nécessité dans la mesure où les pays hors zone euro sont ceux desquels on peut craindre le plus le dumping social. Ce serait plutôt un motif supplémentaire pour leur appliquer le socle. Ma deuxième question concerne la portabilité du système social – et cela rejoint ce que disaient nos collègues Myard et Savary sur les questions de travailleurs détachés. Je ne crois pas à l'unification des régimes sociaux pour les raisons qui ont été exposées à l'instant. En revanche, on peut espérer des règles de conflits de lois qui soient claires et précises. Pourquoi ne pas décider, dans ce domaine, que s'agissant d'un travailleur d'un pays A qui vient travailler dans un pays B, le régime qui lui sera applicable sera le plus favorable afin d'éviter le dumping social ? Par exemple pour le salaire minimum et la durée du travail, domaines où la détermination du régime le plus favorable n'est pas trop difficile ? C'est une mesure qui respecterait la diversité des régimes sociaux de chaque État mais qui serait de nature à faire cesser le dumping social que l'on craint, à juste titre.
Merci à nos collègues pour cette présentation très claire du sujet. Je voudrais revenir sur la problématique de la nature juridique du socle, car son manque de clarté ne participe pas à la sécurité juridique de l'ensemble des travailleurs. Quelle serait la nature exacte du socle européen des droits sociaux qui serait créé ? Vous avez parlé de la problématique de la mise en oeuvre de ce socle, que vous comprenez comme un outil économique. Je le vois plutôt de mon côté comme un code qui puisse s'appliquer à l'ensemble des travailleurs dans un délai relativement bref.
Il ne faudrait pas changer de paradigme. Le code a vocation à édicter les règles protectrices de droit du travail et non de droit du marché du travail – ce n'est pas la même chose – et je suis d'accord que ce code devrait s'appliquer à l'ensemble de la zone et non se limiter à la zone euro. Le socle pourrait être bénéfique pour l'ensemble des citoyens européens. Aujourd'hui, l'Europe pâtit de suffisamment de défauts pour ne pas créer un nouveau système à deux vitesses, qui accroîtrait les inégalités sociales et le dumping social – qui pourrait paraître encore plus exacerbé si le socle ne s'appliquait qu'à la zone euro.
Je vois que nous répondons à une consultation de la Commission européenne qui date de mars dernier ; la Commission va donc en tirer des conséquences pour modifier le droit social européen via des directives ou des règlements. Mais le modèle social européen va-t-il survivre à la mise en oeuvre de ce socle ? On voit plus de dérégulation que de régulation dans tous ces beaux principes.
Je rappelle que c'est une consultation publique à laquelle tout le monde peut répondre. Nous sommes parmi les parlements nationaux qui répondent le plus aux consultations publiques de la Commission. C'est notre intérêt, car la consultation précède la mise en forme juridique. Je remercie nos collègues de nous faire cette proposition de compromis entre au moins deux tendances des deux côtés de l'hémicycle. C'est un travail collectif et c'est un compromis, très européen de ce point de vue-là.
J'ai deux remarques à faire. Je vous ai trouvé, presque à l'inverse de ce que disent les collègues, un peu tendres dans vos propositions. Il me semble qu'il faudrait que l'on soit plus directif – notamment en remplaçant dans la proposition de résolution le plus souvent possible le verbe « estimer » par le verbe « souhaiter ». Il faut bien que l'on dise ce que l'on souhaite, et ce d'autant plus qu'aujourd'hui, le marché dérégulé est sans arrêt mis en cause (comme en Italie ou lors du « Brexit »). La pauvreté augmente. Si on prend les références « seuil de pauvreté », on s'aperçoit que beaucoup de pays sont concernés et que les gens vivent en grand nombre sous le seuil de pauvreté. Il faut questionner la pauvreté et non seulement les formes de travail. Deuxièmement : vos propositions, réponses à une commande, sont une étape. Il faudra dans un deuxième temps travailler encore sur les droits sociaux face au développement de l'économie collaborative et de l'économie numérique. Je suis, sur beaucoup de sujets, favorable à un travail « de poisson-pilote » sur la zone euro ; mais en l'occurrence, du fait des risques de dumping social, je suis aussi plutôt favorable à un périmètre à 27.
Je voudrais répondre à Jacques Myard que, s'il avait été présent dans cette même salle la semaine dernière lorsque nous avons, Arnaud Richard et moi-même, présenté notre rapport sur l'approfondissement de l'UEM, il aurait entendu que tout cela forme un tout. Nous traitons aujourd'hui de la réponse à la consultation de la Commission européenne sur le socle européen des droits sociaux, mais, évidemment, pour approfondir l'UEM qui est bancale aujourd'hui, avec une union monétaire sans union économique, il nous faut aller plus loin vers la convergence salariale, fiscale, et sociale. Au sein de la zone euro, les déséquilibres créés par des politiques salariales et sociales très divergentes – comme l'a mentionné Gilles Savary – font que notre monnaie est sous le feu de tous ceux qui en veulent la destruction. Notre objectif aujourd'hui est bien de sauver l'UEM dans son ensemble, en lui amenant un aspect social pour assurer son équilibre.
Concernant la question du périmètre, bien sûr, on voudrait un socle pour toute l'Europe, mais il faut être réaliste. On connaît la réalité de l'Union européenne aujourd'hui. On sait que les pays qui sont les moins allants en termes de coopération sociale ne sont pas dans la zone euro aujourd'hui. Il vaut mieux, à notre avis, aller plus vite, avoir un socle au niveau de la zone euro, auquel d'autres pourront adhérer et qui deviendra le socle de tous ceux qui adhéreront demain à la zone euro, puisque l'objectif, à présent, de tous les pays de l'Union hors zone UE hormis le Danemark, est de rejoindre la zone euro. Si on attend que tous les pays de l'Union européenne veuillent adhérer au socle, je crains que nous n'attendions trop longtemps ces adaptations absolument nécessaires.
En réponse à Gilles Savary, je voudrais dire que notre objectif n'a jamais été de créer des réponses franco-françaises, hormis la proposition CPA qui permettrait une portabilité européenne et qui intéresse la Commission. On peut effectivement symboliser le rattachement des droits à la personne dans une carte européenne.
Une des enjeux majeurs des années à venir est d'avoir un règlement de coordination de la formation européenne comme on en a pour la vieillesse, la santé et le chômage.
Sur la question de la nature juridique, l'objectif est de créer un socle, donc des droits minimaux. Nous souhaitons, et ce sera sans doute la position de la France, que l'on ne s'arrête pas à la simple création d'un socle de droits mais qu'on organise la convergence vers le haut de ces droits. C'est pour cela que l'on propose dans la dernière partie du rapport un certain nombre de mesures qui permettraient d'organiser cette convergence au sein du semestre européen, en étant incitatif, et non contraignant – la contrainte en matière sociale se retourne souvent contre ceux qui ont le plus de difficultés. On ne va pas pénaliser un pays parce qu'il a plus de chômeurs ; il faut créer des outils incitatifs pour permettre aux pays les plus en difficulté de pouvoir s'en sortir. C'est pour cela, notamment, que nous proposons que les fonds européens soient orientés vers les priorités en matière sociale, et qu'il y ait une coordination entre la politique des fonds et celle du semestre européen. L'objectif est qu'il y ait moins de différences au niveau européen et plus de coopération en matière économique.
Cedébat peut paraître vague et idéologique mais la PPRE fait toute une série de propositions qui sont tout à fait précises et appréhendables par tout le monde. L'exercice n'était pas de penser toute l'Europe et l'économie mais bien de répondre à la consultation sur le socle ; il est vrai toutefois que c'est l'occasion de relier l'économique et le social, comme nous l'indiquons dans notre rapport. À partir du moment où l'on a une monnaie unique, on ne peut plus dévaluer. On a cru qu'on allait converger, mais en fait ce n'est plus possible car, comme il n'y a plus la possibilité de dévaluer, c'est la politique sociale et les salaires qui jouent le rôle de la variable d'ajustement. Cela ne facilite pas la convergence, c'est même un élément de divergence. Comment compenser aujourd'hui ce point qui a été sous-estimé ? C'est la question qui est posée. La réponse est que l'on est dans une véritable difficulté, car on n'a pas un vrai marché de l'emploi européen, ou, comme disait notre collègue Savary, nous avons un marché qui est sauvage. Il suffit pour éclairer le débat de citer deux chiffres : le salaire minimum en Bulgarie – 184 euros – et celui au Luxembourg – 1 923 euros. C'est quand même très tentant pour les Bulgares de venir travailler chez nous, même au Smic. On a là une vraie difficulté. On a un marché de l'emploi qui n'est pas régulé, pas organisé, mais, en même temps – et c'est le principe de l'Europe – on a organisé la liberté de circulation des travailleurs. On ne peut résoudre cette tension qu'en créant une régulation du marché de l'emploi, seule à même de contrer ces distorsions sociales. Ce ne sera qu'à partir de ce moment-là que l'on pourra parler d'un vrai marché du travail européen. C'est toute la problématique de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. L'idée du droit d'option est compliquée, car qui va définir la manière de lever l'option ? Il faut avoir un dispositif permettant de créer cette convergence, qui, bien sûr, doit être ascendante.
Deuxième sujet connexe que nous défendons : la question du compte personnel – en lien avec la carte de travailleur européen que défend Gilles Savary. Il ne s'agit pas de plaquer le modèle français – d'ailleurs nous en sommes encore aux balbutiements. Ce qui est important, c'est l'idée derrière cette notion de compte : les droits ne sont plus liés au contrat mais à l'individu, et sont garantis collectivement. C'est ce qu'on a fait il y a soixante-dix ans avec la Sécurité sociale. L'idéal serait que ces droits soient garantis collectivement au niveau européen – nous n'y sommes pas encore. Cette idée est sous-jacente aussi dans ma proposition d'assurance chômage européenne, avec un socle garanti collectivement par l'ensemble des pays membres. Elle est importante, car elle nous permet de résoudre deux problèmes : celui de la mobilité, d'une part, et, d'autre part, le problème le plus important de la nouvelle économie qui est la pluriactivité. La forme de salariat classique que l'on connaît est en train d'éclater : ce n'est pas la relation au travail qui change, mais le fait que les gens basculent autour de nous dans des formes de pluriactivité. La notion de compte a un mérite extraordinaire : chaque activité vient abonder le compte et résout donc à la fois le problème de la mobilité et celui de la pluriactivité. C'est pour cela que je pense qu'elle est porteuse.
Sur la zone euro, notre réponse n'est pas idéologique mais pragmatique : nous recherchons l'efficacité. Or, la zone euro est celle qui a le plus intérêt à mettre en oeuvre le socle, car elle est très fragile et a intérêt à se consolider. La zone euro a plus d'intérêt à agir et donc peut-être plus de chance de réussir, quitte à s'élargir aux autres États membres par la suite.
Un dernier mot sur la sémantique de la résolution : on peut tout à fait changer les mots « estime » par les mots « souhaite ».
J'ajouterai que le sujet fondamental n'est pas celui du statut juridique mais celui de la méthode : comment faire ? Par quelle méthode fait-on converger les droits sociaux ? Comment comprendre le socle ? À notre sens, c'est un minimum partagé que chaque État pourra compléter ; c'est d'ailleurs un modèle qui existe déjà beaucoup en Europe. À ce sujet, la question de savoir si toute personne, même démissionnaire, doit avoir des indemnités chômage, va arriver dans le débat public. C'est compliqué dans notre système à nous, mais possible dans d'autres pays où le système est organisé différemment, sur la base d'un socle minimal et de compléments.
Pour conclure sur la méthode, ces avancées ne se feront pas uniquement par l'intergouvernemental : il faudra aussi du dialogue social, ce qui nécessite de renforcer et revitaliser le dialogue social européen, actuellement en difficulté et qui nécessite, comme nous l'ont exposé les organisations rencontrées, d'être revitalisé. Ma conviction est que le sujet est vraiment d'arriver à construire un marché du travail européen, aujourd'hui encore non régulé.
Il faudra en effet approfondir cette réflexion, en particulier sur l'économie du numérique.
La commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne.
« L'Assemblée nationale,
Vu le Traité sur l'Union européenne, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu la Charte sociale européenne, son protocole additionnel et sa version révisée entrée en vigueur le 1er juillet 1999,
Vu le rapport dit des cinq présidents, « Compléter l'Union économique et monétaire européenne », du 22 juin 2015,
Vu la législation existante en matière sociale et économique, et notamment les mécanismes de coordination des politiques et les instruments financiers de l'Union européenne dans les domaines de l'emploi, de la politique sociale, de la politique économique et monétaire, du marché intérieur, de la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux, du Fonds social européen et de la cohésion économique, sociale et territoriale,
Vu la communication de la Commission européenne du 8 mars 2016 sur le lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM(2016) 127) et ses annexes,
Se félicitant que la Commission européenne lance une consultation sur le socle européen des droits sociaux, marquant la volonté de remettre les questions sociales et économiques au coeur des politiques européennes,
Regrettant que le pilier social de l'Union économique et monétaire ait trop longtemps été négligé, alors même qu'il est une des clés de sa réussite,
Jugeant indispensable de rééquilibrer l'action de l'Union européenne en faveur de l'économique et du social, pour sa survie en général et celle de la zone euro en particulier,
Jugeant que ce rééquilibrage est aussi nécessaire pour rendre foi en l'Union européenne aux citoyens afin de lutter contre les replis nationaux et l'euroscepticisme,
Considérant que l'Union européenne et les États membres sont parvenus à créer un modèle social parmi les plus avancés du monde en matière de protection sociale et de droit du travail, s'attachant à promouvoir l'emploi et le progrès social,
Considérant que cet acquis social doit être préservé,
Considérant que cet acquis social est aujourd'hui menacé par les problèmes sociaux auxquels fait face l'Union européenne depuis la crise économique et financière de 2010, ainsi que par les mutations actuelles des économies liées à la numérisation et aux nouvelles technologies, et par les défis sociaux de long terme liés au vieillissement des populations, à l'accroissement des inégalités, aux changements climatiques, aux flux de migrants et de réfugiés,
Considérant que l'Union et ses États membres doivent relever ces défis en s'appuyant sur des initiatives communes ambitieuses,
Considérant que le socle européen des droits sociaux peut constituer une initiative de ce type, de nature à renforcer le modèle social européen en lui permettant d'entrer dans le XXIe siècle,
Considérant que le socle européen des droits sociaux doit être compris aussi comme un outil économique, les déséquilibres sociaux ayant un impact sur le potentiel de croissance et de compétitivité de long terme,
Considérant que la mutation des économies et les défis précédemment cités impliquent de se mobiliser pour inventer les solutions qui permettront de conserver un modèle social juste et des économies créatrices d'emplois de qualité,
Considérant que la transition réussie du marché du travail est un enjeu majeur, afin notamment d'apporter des garanties à tous les travailleurs de la nouvelle économie, les nouvelles formes de travail se traduisant par une précarité accrue et une protection sociale dégradée,
Considérant que tous les citoyens européens, actifs ou non actifs, doivent pouvoir bénéficier d'une protection sociale leur apportant des conditions de vie dignes et leur permettant de participer pleinement à la vie en société,
Considérant que les différences actuelles entre les normes sociales des États sont de nature à créer un dumping social entre les États membres, notamment via les contournements de la directive sur le détachement des travailleurs,
Considérant que la mise en oeuvre d'un salaire minimum européen et d'une assurance chômage européenne, sujets sur lesquels la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale s'est exprimée en détail, est de nature à assurer la convergence sociale entre les pays de l'Union européenne,
1. Se réjouit de l'initiative de la Commission qui remet au coeur du débat européen les questions sociales et économiques et rééquilibre leur importance par rapport aux questions financières ; estime toutefois que le socle européen des droits sociaux tel qu'il résulte de la consultation de la Commission et des documents qui lui sont associés est encore flou et a des contours trop imprécis ;
2. Souhaite que le socle européen des droits sociaux se fonde sur des principes directeurs clairs et affirmés ; que le premier d'entre eux soit la nécessité d'une convergence sociale ascendante et le maintien et le renforcement de l'acquis social européen ;
3. Juge nécessaire de clarifier la notion de socle, et en particulier de la différencier de celle de pilier, présente dans la sémantique anglaise, ainsi que d'indiquer clairement et précisément ses objectifs et sa fonction ;
4. Souhaite que le périmètre du socle, dans un premier temps, pour des raisons de pragmatisme et d'efficacité, se restreigne à la zone euro, tout État membre de l'Union hors zone euro étant bien sûr invité à s'y joindre ;
5. Souhaite que les principes directeurs du futur socle européen des droits sociaux favorisent une approche intégrée de la question économique et de la question sociale afin de rééquilibrer leur poids face aux questions financières ; remarque que la seule question financière n'épuise pas la problématique européenne et a, au contraire, du fait des résultats des politiques d'austérité, montré ses limites ;
6. Estime que la relance de la politique sociale européenne ne saurait se faire sans les partenaires sociaux, et qu'ainsi la relance du dialogue social européen et du dialogue social au sein des pays membres doit être au coeur du projet de socle européen des droits sociaux ;
7. Souhaite qu'un des objectifs principaux du socle soit de régler les problèmes que rencontrent les travailleurs lorsqu'ils tentent de faire appliquer leurs droits, que ce soit au niveau national ou lors de mobilités entre les États membres, que les citoyens européens soient accompagnés dans leurs démarches d'accès aux droits nationaux et européens, et, ainsi, que le renforcement de l'acquis social existant et de son effectivité soit une priorité du socle ;
8. Estime que le socle doit être fondé sur des principes peu nombreux permettant l'évolutivité des droits, et qu'il doit être fondé sur une démarche prospective permettant de s'adapter aux mutations du contexte économique et social ;
9. Estime que le socle doit avoir pour priorité de favoriser la création d'emploi et l'accès à l'emploi en créant les conditions d'une véritable flexisécurité ;
10. Estime ainsi que le socle devra favoriser les conditions de la compétitivité européenne dans la compétition économique mondiale, pour apporter aux entreprises et aux salariés des outils permettant à la fois de s'adapter à la réalité du marché et de protéger les parcours professionnels ;
11. Souhaite que les mutations actuelles de la relation de travail et la croissance des emplois atypiques peu protégés (faux indépendants notamment) incitent à réfléchir à la création de nouvelles protections pour ces travailleurs (droit à une rémunération adéquate et à des conditions de travail équitables, droit à la formation, droit à la protection sociale, droit à une pension), notamment en réfléchissant à la notion de subordination économique ; que la mise en place de contrats de travail sûrs et flexibles permettant de réduire les inégalités entre les travailleurs plus protégés et les autres, mais aussi de sécuriser les employeurs en simplifiant le cadre réglementaire, soit une priorité du socle ;
12. Souhaite ainsi qu'une des priorités du socle soit d'attacher les droits à la personne et non au contrat, sur le modèle français du compte personnel d'activité (CPA), afin de permettre à chaque citoyen d'accumuler des droits tout au long de sa vie active et de les utiliser au moment où il le souhaite, en fonction de ses besoins ;
13. Souhaite que la mise en place de la flexisécurité s'accompagne d'une politique volontaire d'amélioration des compétences tout au long de la vie, afin de permettre aux citoyens de s'adapter tout au long de leur vie professionnelle, et donc d'un effort accru sur la formation initiale mais aussi continue, l'investissement dans le capital humain étant décisif pour s'adapter notamment au développement de l'économie du partage et de l'économie numérique ;
14. Souhaite que le socle permette une meilleure portabilité des droits sociaux afin de favoriser la mobilité des travailleurs, notamment en ce qui concerne le droit au chômage dont la portabilité doit être étendue et le droit individuel à la formation professionnelle qui devrait faire l'objet d'un règlement de coordination ;
15. Souhaite que la mobilisation en faveur de l'emploi des jeunes soit une priorité du socle, via la pérennisation de l'IEJ, le renforcement de la mobilité des jeunes (notamment du programme Erasmus des Apprentis) et l'établissement d'une législation européenne des stages plus protectrice que la Charte des stages actuelle, afin de ne pas maintenir les jeunes dans une situation de précarité ;
16. Estime qu'il est nécessaire de mettre en place un salaire minimum dans chaque pays, soit par la loi, soit par la négociation collective et d'organiser un processus de convergence de ces salaires minima dans le cadre du semestre européen, en coordination étroite avec les partenaires sociaux ;
17. Souhaite que le socle mette en oeuvre les conditions d'une égalité au travail, tant entre les sexes – en mettant en place notamment une politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle – qu'entre les travailleurs des différents États membres – en mettant en oeuvre le principe « à travail égal, salaire égal » ;
18. Souhaite que le socle garantisse les droits des travailleurs dépendant de la nouvelle économie (économie collaborative notamment) ;
19. Souhaite que le socle promeuve la mise en place d'une assurance chômage en Europe qui constituerait un socle que les États membres pourraient compléter, et modifie les règles actuelles d'indemnisation pour permettre une indemnisation chômage supérieure à trois mois en cas de mobilité d'un travailleur dans un autre pays membre ;
20. Souhaite que le socle mette en place un revenu minimum dans chaque pays européen ainsi que tout dispositif de nature à assurer à tous les citoyens européens, et notamment les plus fragiles d'entre eux, un niveau de vie décent et les conditions d'une participation à la vie en société ;
21. Souhaite que le socle garantisse une couverture santé minimale dans chaque pays de l'Union ;
22. Souhaite que, pour atteindre tous ces objectifs, le socle se dote d'outils efficaces et pragmatiques, et estime qu'il est nécessaire de développer le débat public en matière sociale afin de faire participer tous les acteurs à la construction d'indicateurs de mesure de performance sociale des États membres ;
23. Souhaite que de tels indicateurs participent à la mise en oeuvre d'un code de convergence sociale, basé sur des objectifs sociaux à atteindre, qui pourrait s'articuler avec le semestre européen ;
24. Souhaite enfin que la réorientation des fonds européens (FSE, FEDER, FEM), afin de lier leur attribution au respect des droits sociaux existant et des priorités fixées en matière sociale ou dans le cadre du semestre européen par la Commission, soit envisagée, et que la pérennité du FEAD soit garantie. »
II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution
Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Communication écrite
La Commission a approuvé le texte suivant :
Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES
- Proposition de décision du Conseil établissant un cadre pluriannuel pour l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne pour la période 2018-2022 (COM(2016) 442 final – E 11303).
l Textes « actés »
Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :
Ø FISCALITE
- Proposition de décision d'exécution du Conseil modifiant la décision 2013678UE autorisant la République italienne à continuer d'appliquer une mesure particulière dérogeant à l'article 285 de la directive 2006112CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (COM(2016) 644 final – E 11538).
- Proposition de décision d'exécution du Conseil modifiant la décision 2007884CE autorisant le Royaume-Uni à continuer d'appliquer une mesure dérogeant à l'article 26, paragraphe 1, point a), et aux articles 168 et 169 de la directive 2006112CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (COM(2016) 645 final – E 11539).
- Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS (COM(2016) 683 final – E 11598).
- Proposition de directive du Conseil modifiant la directive (UE) 20161164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers (COM(2016) 687 final – E 11601).
Ø POLITIQUE ECONOMIQUE, BUDGETAIRE ET MONETAIRE
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation de la marge pour imprévus en 2017 (COM(2016) 678 final – E 11596).
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union et modifiant le règlement (CE) n° 20122002, les règlements (UE) n° 12962013, (UE) n° 13012013, (UE) n° 13032013, (UE) n° 13042013, (UE) n° 13052013, (UE) n° 13062013, (UE) n° 13072013, (UE) n° 13082013, (UE) n° 13092013, (UE) n° 13162013, (UE) n° 2232014, (UE) n° 2832014, (UE) n° 6522014 du Parlement européen et du Conseil et la décision n° 5412014UE du Parlement européen et du Conseil (COM(2016) 605 final – E 11634).
Ø PROTECTION des DONNÉES
- Décisions Prüm - Projet de décision d'exécution du Conseil concernant l'échange automatisé de données relatives aux données dactyloscopiques en Slovaquie, en Bulgarie, en France, en République tchèque, en Lituanie, aux Pays-Bas, en Hongrie, à Chypre, en Estonie, à Malte, en Roumanie et en Finlande, et remplaçant les décisions 2010682UE, 2010758UE, 2011355UE, 2011434UE, 2011888UE, 201246UE, 2012446UE, 2012672UE, 2012710UE, 2013153UE, 2013229UE et 2013792UE du Conseil (1301316 LIMITE – E 11593).
- Décisions Prüm - Projet de décision d'exécution du Conseil concernant l'échange automatisé de données relatives à l'immatriculation des véhicules en Finlande, en Slovénie, en Roumanie, en Pologne, en Suède, en Lituanie, en Bulgarie, en Slovaquie et en Hongrie, et remplaçant les décisions 2010559UE, 2011387UE, 2011547UE, 2012236UE, 2012664UE, 2012713UE, 2013230UE, 2013692UE et 2014264UE du Conseil (1301416 LIMITE – E 11594).
Ø SANTE ENVIRONNEMENTALE
- Règlement (UE) de la Commission modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) n° 12722008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges (D04764302 – E 11642).
l Procédure d'examen en urgence
Par ailleurs, la Commission a pris acte de la levée de la réserve parlementaire, selon la procédure d'examen en urgence, du texte suivant :
Ø COMMERCE EXTERIEUR
- Proposition conjointe de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part (JOIN(2016) 56 final – E 11669).
l Textes « actés » de manière tacite
En application de la procédure d'approbation tacite, dite procédure 72 heures, adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d'ajustement à la mondialisation), et 1er décembre 2015 (mesures de dérogations en matière de TVA, de décisions relatives à la réduction facultative de droits d'accise et de décisions relatives aux contributions nationales pour financer les tranches du Fonds européen de développement), celle-ci a approuvé tacitement le document suivant :
Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES
- Décision du Conseil portant nomination des membres titulaires et des membres suppléants du conseil de direction de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (1290116 – E 11647).
Accords tacites de la Commission liés au calendrier d'adoption par le Conseil
La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :
Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES
- Décision du Conseil modifiant le règlement intérieur du Conseil (1473016 – E 11665).
Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)
- Décision du Conseil abrogeant la position commune 96697PESC relative à Cuba (1250916 – E 11670).
Ø SANTE
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 19202006 en ce qui concerne l'échange d'informations, le système d'alerte rapide et la procédure d'évaluation des risques pour les nouvelles substances psychoactives (COM(2016) 547 final – E 11411).
Ø SECURITE ALIMENTAIRE
- Règlement (UE) de la Commission concernant le refus d'autoriser une allégation de santé portant sur des denrées alimentaires et faisant référence à la réduction d'un risque de maladie (D04516301 – E 11604).
La séance est levée à 17 h 33