Après avoir évoqué le périmètre et les principes directeurs du socle, il me revient de présenter les droits que nous proposons de voir figurer en priorité dans ce socle.
Un premier groupe de mesures concerne la question de l'amélioration des conditions d'accès à l'emploi, le socle devra avoir pour priorité de favoriser la création d'emploi et l'accès à l'emploi, en créant les conditions d'une véritable flexisécurité. Il devra ainsi favoriser les conditions de la compétitivité européenne dans la compétition économique mondiale, pour apporter aux entreprises et aux salariés des outils permettant à la fois de s'adapter à la réalité du marché et de protéger les parcours professionnels.
Une des priorités du socle devra être d'attacher les droits à la personne et non au contrat, sur le modèle français du compte personnel d'activité (CPA), afin de permettre à chaque citoyen d'accumuler des droits tout au long de sa vie active et de les utiliser au moment où il le souhaite, en fonction de ses besoins.
Parallèlement, la mise en place de la flexisécurité devra s'accompagner d'une politique volontariste d'amélioration des compétences tout au long de la vie, afin de permettre aux citoyens de s'adapter tout au long de leur vie professionnelle, et, donc, d'un effort accru sur la formation initiale mais aussi continue. L'investissement dans le capital humain est en effet décisif pour s'adapter notamment au développement de l'économie du partage et de l'économie numérique.
Ensuite, nous insistons sur la nécessité de permettre une portabilité européenne des droits sociaux afin de favoriser la mobilité des travailleurs.
En matière de chômage, par exemple, trois mois de portabilité des droits est une durée trop courte qui ne permet pas véritablement de rechercher un emploi dans un autre État. Nous pensons qu'il faudrait creuser l'idée selon laquelle l'État de dernier emploi pourrait prendre en charge l'assurance chômage pour une durée plus longue, au minimum six mois, si ce n'est plus.
En matière de formation professionnelle également, de nombreux pays prévoient un droit individuel à la formation professionnelle ; d'autres pourraient s'en doter dans le cadre du socle européen des droits sociaux. Un des grands enjeux des années à venir serait de permettre une coordination européenne de ce droit individuel à la formation, permettant ainsi de favoriser la mobilité intra-européenne en connectant les divers systèmes.
Troisièmement, l'accès au marché du travail pour les jeunes doit être une priorité du socle, via la pérennisation de la Garantie pour la jeunesse et de son corollaire financier, l'IEJ, le renforcement de la mobilité des jeunes (notamment du programme Erasmus des Apprentis) et l'établissement d'une législation européenne des stages plus protectrice que la Charte des stages actuelle, afin de ne pas maintenir les jeunes dans une situation de précarité.
Un deuxième groupe de mesures vise à favoriser les conditions de travail et l'égalité au travail.
La France est motrice dans le projet de création d'un salaire minimum européen ; je vous ai d'ailleurs présenté récemment un rapport sur ce sujet, qui exposait les avantages d'un tel salaire minimum, essentiel tant pour la construction de l'Europe sociale que pour la coordination des politiques économiques en Europe, en particulier dans la zone euro.
Malgré les difficultés de compétence liées au traité, le socle européen des droits sociaux pourrait faire de cette question une de ses priorités. Il s'agirait d'acter la nécessité pour chaque pays de se doter d'un salaire minimum, soit par la loi, soit par la négociation collective et d'organiser un processus de convergence de ces salaires minima dans le cadre du semestre européen, en coordination étroite avec les partenaires sociaux.
Ensuite, il convient de mettre en oeuvre les conditions d'une égalité au travail, tant entre les sexes – en mettant en place notamment une politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle – qu'entre les travailleurs des différents États membres – en mettant en oeuvre le principe « à travail égal, salaire égal », notamment par une nouvelle directive sur le détachement des travailleurs.
Troisième enjeu : il faut garantir les droits des salariés de la nouvelle économie (collaborative notamment). Du fait des mutations actuelles de la relation de travail et la croissance des emplois atypiques peu protégés (faux indépendants notamment), il faut réfléchir à la création de nouvelles protections pour ces travailleurs (droit à une rémunération adéquate et à des conditions de travail équitables, droit à la formation, droit à la protection sociale, droit à une pension), notamment en réfléchissant à la notion de subordination économique. La mise en place de contrats de travail sûrs et flexibles permettant de réduire les inégalités entre les travailleurs plus protégés et les autres, mais aussi de sécuriser les employeurs en simplifiant le cadre réglementaire, devra être une priorité du socle.
Enfin, un troisième groupe de mesures concerne la lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Tous les citoyens européens, actifs ou non actifs, doivent pouvoir bénéficier d'une protection sociale leur apportant des conditions de vie dignes et leur permettant de participer pleinement à la vie en société.
Comme vient de l'exposer notre collègue Jean-Patrick Gille, la mise en place d'une assurance chômage européenne aurait à la fois une vertu de stabilisation économique et de stabilisation sociale pour la zone euro et l'Union dans son ensemble. Le socle devrait ainsi promouvoir la mise en place d'une assurance chômage en Europe, qui constituerait une base que les États membres pourraient compléter.
Le socle devra aussi aborder la question d'un revenu universel ou d'un revenu minimum garanti, conçu comme un facteur de cohésion sociale.
Enfin, nous souhaitons explorer une piste, souvent revenue lors de nos auditions, d'une couverture de santé minimale dans tous les pays européens.
Pour finir, nous traitons dans le rapport des outils pour mettre en oeuvre le socle, car il ne s'agit pas uniquement d'avoir un socle mais d'organiser une convergence vers le haut des droits sociaux.
Pour atteindre tous ces objectifs, le socle doit se doter d'outils efficaces et pragmatiques. Il est nécessaire en premier lieu de développer le débat public en matière sociale, afin de faire participer tous les acteurs à la construction d'indicateurs de mesure de performance sociale des États membres.
De tels indicateurs pourraient participer à la mise en oeuvre d'un code de convergence sociale, basé sur des objectifs sociaux à atteindre, qui pourrait s'articuler avec le semestre européen.
Enfin la réorientation des fonds européens (FSE, FEDER, FEM), afin de lier leur attribution au respect des droits sociaux existant et des priorités fixées en matière sociale ou dans le cadre du semestre européen par la Commission, doit être envisagée, tandis que la pérennité du FEAD doit être garantie.
Voici chers collègues nos propositions, ambitieuses mais réalistes.
Nous pensons qu'un tel socle social serait la base d'une convergence vers le haut des droits sociaux qui aurait un double bénéfice : lutter contre la pauvreté en Europe d'une part et, d'autre part, en luttant contre le dumping social, permettre une meilleure coopération économique notamment au sein de la zone euro, indispensable à la stabilité de notre monnaie commune.
Une Europe plus sociale mais aussi plus stable économiquement serait le meilleur moyen de réconcilier l'Europe avec ses citoyens.