Intervention de Bruno le Roux

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Présentation

Bruno le Roux, ministre de l’intérieur :

J’ai souhaité avoir au Sénat avec le président Philippe Bas et le rapporteur Michel Mercier une discussion large et en amont sur ce texte, ce qui explique mes quelques minutes de retard à votre séance. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Et surtout, je tiens à tous vous remercier d’avoir accepté d’organiser dans un délai aussi bref l’examen par le Parlement de ce projet de loi prorogeant pour la cinquième fois l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Le sujet qui nous réunit et les circonstances mêmes dans lesquelles nous sommes amenés à en débattre exigeaient en effet que nous procédions à un examen accéléré, dans les délais contraints prévus par l’article 4 de la loi d’avril 1955, aux termes duquel « La loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ». C’est la raison pour laquelle, dans le contexte actuel d’une menace terroriste particulièrement élevée, nous avons considéré qu’il y avait urgence et que la protection des Français, notre priorité absolue, ne pouvait souffrir que l’on temporisât.

Cependant, je tenais évidemment, à titre préalable, et pour les raisons que je viens d’invoquer, à vous adresser mes remerciements les plus sincères, j’y insiste, à vous, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, ainsi qu’à l’ensemble des membres de la représentation nationale, pour avoir fait en sorte que ce débat important puisse se tenir aussi rapidement.

Le projet de loi que le Gouvernement soumet ce soir à votre examen vise à prolonger à nouveau, jusqu’au 15 juillet 2017, le régime d’état d’urgence initialement décrété par le Président de la République dès la nuit du 13 novembre 2015, en réponse aux attentats de Paris et de Saint-Denis.

Par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire, car sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril qui a justifié sa proclamation. C’est donc seulement et uniquement en fonction de l’état de la menace que l’on peut juger de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de prolonger ou non l’état d’urgence. Pèse aujourd’hui sur la France – et je souhaite que nul ne le conteste – un risque terroriste d’un niveau extrêmement élevé, comme l’ont démontré les attentats perpétrés au cours de l’été dernier à Nice, à Magnanville et à Saint-Étienne-du-Rouvray, ainsi que les nombreuses interpellations réalisées ces dernières semaines et les projets d’attaques que nous avons récemment déjoués. L’activité même des services de renseignement et des services antiterroristes témoigne du très haut niveau de menace auquel nous sommes confrontés et de la situation de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » dans laquelle nous nous trouvons.

Depuis le vote de la dernière loi de prorogation le 21 juillet dernier, nous avons en effet déjoué pas moins de treize tentatives d’attentats djihadistes sur notre sol, impliquant plus d’une trentaine d’individus, dont plusieurs femmes et des mineurs, ce qui témoigne d’une évolution très marquante au cours de ces derniers mois. J’ajoute que les faits en question démontrent clairement que c’est bien l’ensemble du territoire national qui est visé. L’ensemble de notre territoire !

L’action de nos services, ainsi que les mesures mises en oeuvre dans le cadre de l’état d’urgence, portent leurs fruits. Je veux vous donner des chiffres précis, qui montrent à la fois le niveau de la menace et le travail effectué au bénéfice des Français et de nos territoires par les forces de sécurité. Depuis le début de l’année 2016 donc, nous avons interpellé plus de 420 individus en lien avec des réseaux terroristes. Depuis le 1er septembre, 143 interpellations ont eu lieu, 52 personnes ont été écrouées et 21 placées sous contrôle judiciaire. Au cours du seul mois de novembre qui vient de s’écouler, les services antiterroristes ont procédé à l’interpellation de 43 individus, dont 28 ont été déférés.

À cet égard, les mesures permises par l’état d’urgence sont indispensables et complémentaires des mesures de droit commun. À ce jour, 90 personnes sont assignées à résidence ; je reviendrai sur cette mesure particulière tout à l’heure. Ces mesures sont efficaces notamment en ce qu’elles limitent les déplacements de personnes susceptibles de constituer une menace et les empêchent d’entrer en relation avec des complices potentiels.

Depuis le 21 juillet dernier, plus de 600 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont donné lieu à une centaine d’interpellations et plus d’une soixantaine de gardes à vue. Elles ont en outre permis la saisie de trente-cinq armes, dont deux armes de guerre et vingt et une armes longues. Permettez-moi d’être précis pour montrer l’utilisation qui est faite des outils que vous avez mis entre les mains de la République. À l’occasion de ces perquisitions, près de 140 copies et saisies de données contenues dans des systèmes informatiques ont été réalisées. Dans la très grande majorité des cas, l’exploitation de ces données a été autorisée par le juge et a révélé des documents et des éléments caractérisant des risques de passage à l’acte terroriste.

D’une manière générale, comme l’a rappelé le Premier ministre samedi dernier, depuis le 14 novembre 2015, près de 4 200 perquisitions administratives ont été réalisées ; 653 d’entre elles ont abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire, tous chefs infractionnels confondus. Si l’on exclut les enquêtes ouvertes des chefs d’apologie ou de provocation au terrorisme à la suite de perquisitions administratives – une quarantaine environ – on recense dix-neuf procédures initiées par la section antiterroriste du parquet de Paris du chef d’association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste.

C’est à dessein que j’ai détaillé ces chiffres certes arides mais dont le niveau montre bien la menace qui pèse constamment sur notre territoire et nos concitoyens. Il existe donc bien une forte complémentarité entre l’action judiciaire et l’action administrative. La nécessité de cette articulation a d’ailleurs fait l’objet d’une circulaire conjointe du garde des sceaux et du ministre de l’intérieur ainsi que d’une réunion ayant rassemblé il y a quelques semaines les préfets, les procureurs généraux et les procureurs de la République. Comme l’a souligné publiquement le procureur de la République de Paris, François Molins, la loi du 3 juin 2016 facilite l’action de la police judiciaire en matière de lutte antiterroriste. La mise en oeuvre de l’état d’urgence n’a donc pas eu pour effet de se substituer à l’action judiciaire mais a en partie favorisé la mise en évidence de faits dont l’autorité judiciaire s’est ensuite saisie.

Parallèlement, le recours aux mesures administratives de droit commun demeure significatif. En particulier, 235 interdictions de sortie du territoire et 202 interdictions administratives du territoire sont en cours. Nous ne cessons donc de monter en puissance face à une menace qui elle-même ne cesse de se préciser. J’en veux pour preuve le nombre croissant des attentats que nous avons déjoués au cours de ces dernières années : en 2013, un attentat ; en 2014, quatre attentats ; en 2015, sept attentats ; en 2016, dix-sept attentats, dont treize après ce qui s’est passé au mois de juillet dernier – soit en tout une trentaine d’attentats déjoués depuis 2013. Comme chacun sait, des coups très durs ont été portés aux groupes terroristes en Afrique et au Moyen-Orient. Pour autant, l’intensité de la menace n’a pas diminué et nous commettrions une grave erreur si nous venions à baisser la garde.

À la suite des revers qu’ils ont récemment essuyés, les chefs de Daech ont en effet appelé à la commission de nouveaux attentats en Occident et notamment sur notre sol. Nous devons donc faire preuve d’une vigilance absolue. De surcroît, les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015 et à Bruxelles en mars 2016 ont mis en lumière l’existence de cellules dormantes bénéficiant de ramifications européennes et passant à l’action en lien avec la base syrienne. L’analyse du projet d’attentat déjoué à la fin du mois de novembre a également révélé l’existence d’un projet de longue date, complexe et diligenté par des individus en lien direct avec Daech.

Nous sommes donc confrontés à deux types de modes opératoires, qui participent néanmoins d’une même stratégie globale de déstabilisation : d’une part, des attentats multi-sites, perpétrés à l’arme de guerre et au moyen d’explosifs, planifiés à l’étranger et mis en oeuvre par des criminels spécialement dépêchés sur notre sol pour les accomplir ; d’autre part, des actions fomentées à la libre initiative d’individus radicalisés pratiquant un terrorisme de proximité et utilisant des moyens plus rudimentaires. À l’heure actuelle, un peu plus de 2 000 Français ou résidents habituels en France sont impliqués, à un titre ou à un autre, dans les filières de recrutement djihadistes. Environ 700 d’entre eux se trouvent actuellement sur le théâtre des opérations en Syrie et en Irak, dont près de 290 femmes et 22 mineurs combattants. Sur ce point également, je souhaite livrer des chiffres précis. Par ailleurs, au moment où je vous parle, près de 230 Français ou étrangers résidant sur le sol français sont considérés comme morts au combat en portant les armes pour le compte des terroristes.

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