La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Mes chers collègues, cet après-midi, notre collègue Éric Elkouby a voté pour la déclaration de politique générale. Pour des raisons techniques, son vote n’a pas été enregistré par la machine et n’a donc pas pu être pris en compte. Par conséquent, il n’apparaît pas dans le résultat chiffré du scrutin annoncé en séance qui, conformément à l’usage, ne peut être modifié. Je tiens à présenter nos excuses à Éric Elkouby. Le système devrait changer dans les semaines qui viennent pour éviter que ce genre de mésaventures ne se reproduise. Le vote d’approbation était large aujourd’hui, mais je vous laisse imaginer quelles auraient pu être les conséquences lors d’un vote serré !
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, cher Dominique Raimbourg, monsieur le rapporteur, cher Pascal Popelin, mesdames, messieurs les députés…
Sourires.
J’ai souhaité avoir au Sénat avec le président Philippe Bas et le rapporteur Michel Mercier une discussion large et en amont sur ce texte, ce qui explique mes quelques minutes de retard à votre séance. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Et surtout, je tiens à tous vous remercier d’avoir accepté d’organiser dans un délai aussi bref l’examen par le Parlement de ce projet de loi prorogeant pour la cinquième fois l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Le sujet qui nous réunit et les circonstances mêmes dans lesquelles nous sommes amenés à en débattre exigeaient en effet que nous procédions à un examen accéléré, dans les délais contraints prévus par l’article 4 de la loi d’avril 1955, aux termes duquel « La loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ». C’est la raison pour laquelle, dans le contexte actuel d’une menace terroriste particulièrement élevée, nous avons considéré qu’il y avait urgence et que la protection des Français, notre priorité absolue, ne pouvait souffrir que l’on temporisât.
Cependant, je tenais évidemment, à titre préalable, et pour les raisons que je viens d’invoquer, à vous adresser mes remerciements les plus sincères, j’y insiste, à vous, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, ainsi qu’à l’ensemble des membres de la représentation nationale, pour avoir fait en sorte que ce débat important puisse se tenir aussi rapidement.
Le projet de loi que le Gouvernement soumet ce soir à votre examen vise à prolonger à nouveau, jusqu’au 15 juillet 2017, le régime d’état d’urgence initialement décrété par le Président de la République dès la nuit du 13 novembre 2015, en réponse aux attentats de Paris et de Saint-Denis.
Par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire, car sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril qui a justifié sa proclamation. C’est donc seulement et uniquement en fonction de l’état de la menace que l’on peut juger de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de prolonger ou non l’état d’urgence. Pèse aujourd’hui sur la France – et je souhaite que nul ne le conteste – un risque terroriste d’un niveau extrêmement élevé, comme l’ont démontré les attentats perpétrés au cours de l’été dernier à Nice, à Magnanville et à Saint-Étienne-du-Rouvray, ainsi que les nombreuses interpellations réalisées ces dernières semaines et les projets d’attaques que nous avons récemment déjoués. L’activité même des services de renseignement et des services antiterroristes témoigne du très haut niveau de menace auquel nous sommes confrontés et de la situation de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » dans laquelle nous nous trouvons.
Depuis le vote de la dernière loi de prorogation le 21 juillet dernier, nous avons en effet déjoué pas moins de treize tentatives d’attentats djihadistes sur notre sol, impliquant plus d’une trentaine d’individus, dont plusieurs femmes et des mineurs, ce qui témoigne d’une évolution très marquante au cours de ces derniers mois. J’ajoute que les faits en question démontrent clairement que c’est bien l’ensemble du territoire national qui est visé. L’ensemble de notre territoire !
L’action de nos services, ainsi que les mesures mises en oeuvre dans le cadre de l’état d’urgence, portent leurs fruits. Je veux vous donner des chiffres précis, qui montrent à la fois le niveau de la menace et le travail effectué au bénéfice des Français et de nos territoires par les forces de sécurité. Depuis le début de l’année 2016 donc, nous avons interpellé plus de 420 individus en lien avec des réseaux terroristes. Depuis le 1er septembre, 143 interpellations ont eu lieu, 52 personnes ont été écrouées et 21 placées sous contrôle judiciaire. Au cours du seul mois de novembre qui vient de s’écouler, les services antiterroristes ont procédé à l’interpellation de 43 individus, dont 28 ont été déférés.
À cet égard, les mesures permises par l’état d’urgence sont indispensables et complémentaires des mesures de droit commun. À ce jour, 90 personnes sont assignées à résidence ; je reviendrai sur cette mesure particulière tout à l’heure. Ces mesures sont efficaces notamment en ce qu’elles limitent les déplacements de personnes susceptibles de constituer une menace et les empêchent d’entrer en relation avec des complices potentiels.
Depuis le 21 juillet dernier, plus de 600 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont donné lieu à une centaine d’interpellations et plus d’une soixantaine de gardes à vue. Elles ont en outre permis la saisie de trente-cinq armes, dont deux armes de guerre et vingt et une armes longues. Permettez-moi d’être précis pour montrer l’utilisation qui est faite des outils que vous avez mis entre les mains de la République. À l’occasion de ces perquisitions, près de 140 copies et saisies de données contenues dans des systèmes informatiques ont été réalisées. Dans la très grande majorité des cas, l’exploitation de ces données a été autorisée par le juge et a révélé des documents et des éléments caractérisant des risques de passage à l’acte terroriste.
D’une manière générale, comme l’a rappelé le Premier ministre samedi dernier, depuis le 14 novembre 2015, près de 4 200 perquisitions administratives ont été réalisées ; 653 d’entre elles ont abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire, tous chefs infractionnels confondus. Si l’on exclut les enquêtes ouvertes des chefs d’apologie ou de provocation au terrorisme à la suite de perquisitions administratives – une quarantaine environ – on recense dix-neuf procédures initiées par la section antiterroriste du parquet de Paris du chef d’association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste.
C’est à dessein que j’ai détaillé ces chiffres certes arides mais dont le niveau montre bien la menace qui pèse constamment sur notre territoire et nos concitoyens. Il existe donc bien une forte complémentarité entre l’action judiciaire et l’action administrative. La nécessité de cette articulation a d’ailleurs fait l’objet d’une circulaire conjointe du garde des sceaux et du ministre de l’intérieur ainsi que d’une réunion ayant rassemblé il y a quelques semaines les préfets, les procureurs généraux et les procureurs de la République. Comme l’a souligné publiquement le procureur de la République de Paris, François Molins, la loi du 3 juin 2016 facilite l’action de la police judiciaire en matière de lutte antiterroriste. La mise en oeuvre de l’état d’urgence n’a donc pas eu pour effet de se substituer à l’action judiciaire mais a en partie favorisé la mise en évidence de faits dont l’autorité judiciaire s’est ensuite saisie.
Parallèlement, le recours aux mesures administratives de droit commun demeure significatif. En particulier, 235 interdictions de sortie du territoire et 202 interdictions administratives du territoire sont en cours. Nous ne cessons donc de monter en puissance face à une menace qui elle-même ne cesse de se préciser. J’en veux pour preuve le nombre croissant des attentats que nous avons déjoués au cours de ces dernières années : en 2013, un attentat ; en 2014, quatre attentats ; en 2015, sept attentats ; en 2016, dix-sept attentats, dont treize après ce qui s’est passé au mois de juillet dernier – soit en tout une trentaine d’attentats déjoués depuis 2013. Comme chacun sait, des coups très durs ont été portés aux groupes terroristes en Afrique et au Moyen-Orient. Pour autant, l’intensité de la menace n’a pas diminué et nous commettrions une grave erreur si nous venions à baisser la garde.
À la suite des revers qu’ils ont récemment essuyés, les chefs de Daech ont en effet appelé à la commission de nouveaux attentats en Occident et notamment sur notre sol. Nous devons donc faire preuve d’une vigilance absolue. De surcroît, les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015 et à Bruxelles en mars 2016 ont mis en lumière l’existence de cellules dormantes bénéficiant de ramifications européennes et passant à l’action en lien avec la base syrienne. L’analyse du projet d’attentat déjoué à la fin du mois de novembre a également révélé l’existence d’un projet de longue date, complexe et diligenté par des individus en lien direct avec Daech.
Nous sommes donc confrontés à deux types de modes opératoires, qui participent néanmoins d’une même stratégie globale de déstabilisation : d’une part, des attentats multi-sites, perpétrés à l’arme de guerre et au moyen d’explosifs, planifiés à l’étranger et mis en oeuvre par des criminels spécialement dépêchés sur notre sol pour les accomplir ; d’autre part, des actions fomentées à la libre initiative d’individus radicalisés pratiquant un terrorisme de proximité et utilisant des moyens plus rudimentaires. À l’heure actuelle, un peu plus de 2 000 Français ou résidents habituels en France sont impliqués, à un titre ou à un autre, dans les filières de recrutement djihadistes. Environ 700 d’entre eux se trouvent actuellement sur le théâtre des opérations en Syrie et en Irak, dont près de 290 femmes et 22 mineurs combattants. Sur ce point également, je souhaite livrer des chiffres précis. Par ailleurs, au moment où je vous parle, près de 230 Français ou étrangers résidant sur le sol français sont considérés comme morts au combat en portant les armes pour le compte des terroristes.
En outre, environ 970 individus ont manifesté des velléités de départ en vue de rejoindre les rangs djihadistes et plus de 180 autres sont actuellement en transit vers des zones de combats. Enfin, environ 200 de nos ressortissants sont d’ores et déjà revenus en France.
Jamais la menace n’a été aussi élevée sur notre territoire, il s’agit là d’un constat objectif ; mais jamais la réponse de l’État n’a été aussi forte, et elle doit absolument le demeurer. Voilà pourquoi la prorogation des dispositions prévues par le régime de l’état d’urgence est absolument nécessaire : pour empêcher la commission de nouveaux attentats et mieux protéger les Français. Or, depuis le débat que nous avons connu au mois de juillet dernier, une donnée nouvelle a surgi : l’intense période électorale dans laquelle nous entrons. Il s’agit d’une période essentielle pour la vie démocratique de notre pays, ce qui accroît encore les risques de passage à l’acte des terroristes, nous le savons.
Eux qui voulaient frapper nos territoires et nos concitoyens, espérant dresser les uns contre les autres, peuvent à présent, parce qu’ils ont aussi une lecture politique de nos temps démocratiques, s’attaquer, dans la période qui s’ouvre, à l’organisation des élections qui rythment la vie démocratique de notre République. À ce troisième titre, nous ne devons absolument pas baisser la garde. J’ai d’ailleurs réuni ce matin les préfets afin de leur rappeler la responsabilité qui leur incombe pour assurer la bonne organisation et les bonnes conditions de sécurité de tous les débats qui rythment notre vie démocratique.
Je les ai remerciés de l’organisation qu’ils ont mise en place à l’occasion de la primaire de la droite et du centre, pour faire en sorte que chaque lieu retenu permette aux Français de se mobiliser en toute sécurité pour procéder à une désignation sans problèmes d’organisation ni contestations et en toute transparence.
Je les ai mobilisés pour que la primaire de la gauche se tienne dans les mêmes conditions de sécurité et pour qu’ensuite les Français, qui auront à voter aux mois d’avril puis de juin lors des élections législatives et qui auront au mois de septembre, moins nombreux, à se déplacer pour les élections sénatoriales, puissent le faire dans des conditions montrant bien à tous ceux qui veulent nous attaquer que notre démocratie fonctionne parfaitement. Telle sera la spécificité de l’année 2017 : il nous faut prendre toutes les précautions pour que ces débats se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité.
Comme vous le savez, mesdames et messieurs les parlementaires, l’objectif des terroristes est de semer la haine. Nous devons donc prendre toutes les mesures qui s’imposent, dès lors qu’elles s’inscrivent dans le strict cadre de l’État de droit, pour préserver le fonctionnement normal des institutions et garantir la protection de nos concitoyens, quelles que soient les circonstances.
Comme nous prenons en compte le contexte sensible que je viens de rappeler, le projet de loi, dont je vais à présent évoquer les articles, permet de proroger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017, ce qui nous permet d’inclure, ou d’« enjamber » si on préfère, la séquence électorale. La durée de prorogation retenue, d’environ sept mois, est significativement plus longue que celle de deux ou trois mois votée lors des premières prorogations mais comparable à celle de six mois que vous avez votée au mois de juillet dernier. Elle se veut donc pleinement cohérente non seulement avec l’état de la menace mais aussi avec les échéances démocratiques de notre pays. Pour la même raison, le projet de loi introduit une dérogation à la loi du 3 avril 1955. L’article 3 a pour objet d’éviter que la loi de prorogation ne devienne caduque en raison de la démission du Gouvernement suivant traditionnellement l’élection du Président de la République et celle des députés à l’Assemblée nationale. Ce choix traduit notre volonté d’assurer la continuité de l’état d’urgence dans le contexte de menace terroriste.
Bien entendu, nous prévoyons des garanties. Ainsi, le gouvernement nommé après la démission de son prédécesseur pourra, s’il le souhaite, mettre fin à l’état d’urgence au moyen d’un simple décret pris en conseil des ministres. Le texte qui vous est soumis ce soir, mesdames et messieurs les députés, s’emploie donc à concilier les exigences opérationnelles qu’emporte l’état de la menace avec le respect du cadre constitutionnel et des droits fondamentaux qui s’y attachent. Dès lors que l’état d’urgence a été décrété, nous n’avons jamais cessé de veiller à cet équilibre essentiel. L’exception en droit fait partie de l’histoire républicaine de notre pays. Tout État démocratique a le devoir de prévoir un dispositif d’exception susceptible de lui donner les moyens légitimes et légaux de faire face à toute situation d’une extrême gravité. Telle était la conviction profonde qui animait les pères de la loi du 3 avril 1955 et telle est encore la nôtre.
Comme l’a souvent dit le Premier ministre Bernard Cazeneuve lorsqu’il assumait les fonctions qui sont désormais les miennes, l’état d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit : il en est, dès lors que la situation l’exige, le bouclier. C’est la raison pour laquelle nous avons fait en sorte, dès le mois de novembre 2015, de soumettre l’application des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence à un triple contrôle : le contrôle des juridictions administratives, d’abord, dont le rôle est de s’assurer que ces mesures sont motivées, adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités prévues ; celui de l’autorité judiciaire, ensuite, dès lors que les mesures mises en oeuvre aboutissent à une procédure judiciaire ; et enfin celui du Parlement, car nous sommes en démocratie et qu’il est donc indispensable que les élus du peuple souverain puissent exercer leur vigilance sur l’application de l’état d’urgence.
À cet égard, je tiens à saluer l’excellent travail mené dans le cadre de ce contrôle parlementaire inédit qui confère des pouvoirs au Parlement lui permettant d’assurer en toute transparence le suivi et l’évaluation de l’ensemble des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, et notamment d’obtenir toutes les garanties nécessaires en termes de respect des droits fondamentaux et de protection des libertés individuelles. Ce travail de contrôle en situation exceptionnelle, nous le devons à la représentation nationale, et je remercie M. le président de la commission des lois, dont les recommandations ont été précieuses pour le Gouvernement, de l’avoir mis en oeuvre sans tarder ; nous le devons également aux Français et à la République. Sur ce point, les échanges qui ont eu lieu au Conseil d’État ont montré que la durée des assignations était au coeur de débats sensibles.
Des préconisations du rapport sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence comme des discussions en commission des lois est ressortie l’expression d’une ferme volonté de s’inscrire dans cette logique de limitation. C’est donc avec le même souci d’équilibre, et afin de ne pas conférer un caractère excessif à la restriction de liberté d’aller et venir, que le projet de loi assortit les assignations à résidence d’une durée limite et soumet leur renouvellement à un mécanisme spécifique nouveau. Nous aurons l’occasion d’en discuter. Certes, l’introduction d’une demande au juge administratif préalable à la prorogation d’une assignation à résidence est inhabituelle, mais nous sommes dans le cas de figure particulier de l’état d’urgence. Ce genre d’autorisation n’a pas vocation à se renouveler, et ne se renouvellera pas dans notre droit commun, mais nous a semblé constituer une bonne solution dans le cadre de l’état d’urgence.
Je remercie une fois encore M. le rapporteur, Pascal Popelin, ainsi que M. le président de la commission des lois, mais aussi Michel Mercier et Philippe Bas avec lesquels nous avons mené un travail préalable au Sénat. Il me semble que le caractère inhabituel de l’intervention du juge administratif dans la procédure des assignations à résidence se justifie par le caractère lui aussi inhabituel de l’état d’urgence, qui n’a pas vocation à se renouveler dans le temps ni à devenir un état permanent.
Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement entend elle aussi concilier, dans le contexte d’une grave menace terroriste, la protection de l’ordre et de la sécurité publics avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution. C’est mû par cette ambition que le Gouvernement vous soumet, mesdames et messieurs les députés, cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, au soir des attentats du 13 novembre 2015, le Président de la République a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national. Par la loi du 20 novembre 2015, le Parlement en a autorisé une première fois la prolongation pour trois mois. Il a renforcé et actualisé le cadre juridique de la loi du 3 avril 1955 à cette occasion. L’état d’urgence a ensuite été prorogé pour trois mois supplémentaires par la loi du 19 février 2016, puis pour deux mois par la loi du 20 mai 2016, enfin pour six mois par la loi du 21 juillet 2016.
Au printemps prochain, l’élection présidentielle, puis les élections législatives constitueront un moment particulièrement important de la vie démocratique de notre pays. Les initiatives diverses et les rassemblements de campagne seront nombreux dans les mois qui viennent. Alors que la menace terroriste n’a pas diminué, vous en avez fait le détail, monsieur le ministre, il appartient aux pouvoirs publics d’en garantir le bon déroulement et d’assurer la sécurité des Français dans cette période particulière.
C’est la raison pour laquelle une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, qui prendrait fin le 21 janvier 2017 à minuit en l’état actuel du droit, a été souhaitée par le chef de l’État et le Gouvernement, il y a plusieurs semaines. Le changement de gouvernement intervenu mardi dernier a conduit à accélérer le calendrier initial. En effet, aux termes de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955, « La loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ». Le gouvernement de Manuel Valls ayant démissionné le 6 décembre, sans nouvelle loi de prorogation, le terme de l’état d’urgence interviendrait donc jeudi 22 décembre à zéro heure.
Chacun d’entre nous en a pleine conscience : l’état d’urgence n’a pas vocation à être prolongé indéfiniment. Le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, n’a pas manqué de le rappeler, avec son co-rapporteur Jean-Frédéric Poisson, dans le cadre de la présentation de leurs travaux relatifs au contrôle parlementaire de cet état d’exception. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont fait de même.
L’état d’urgence est d’abord une réponse à une situation précise : la menace d’un péril imminent au sens de la loi du 3 avril 1955, tel que la récidive d’attentats de masse. La réduction très sensible, depuis le début de l’année, des territoires sous l’emprise de Daech, ainsi que l’engagement d’opérations militaires pour reconquérir les villes de Mossoul et de Raqqa par des forces soutenues par la coalition militaire à laquelle participe la France, accroissent fortement le risque d’attentat dans notre pays.
En 2016, les attaques perpétrées et les projets déjoués en France étaient principalement le fait d’individus résidant sur notre sol ou dans des pays voisins : sur les dix-sept projets d’attentats déjoués depuis le début de l’année, un seul est attribuable à des individus de retour de zones de combat. Nous avons néanmoins le devoir de ne pas sous-estimer le risque nouveau que représente l’évolution militaire dans ces territoires.
Au regard du risque, la condition de « péril imminent » posée par l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 paraît donc satisfaite. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs confirmé dans son avis du 8 décembre dernier.
S’il n’a pas suffi, et si personne ne peut prétendre qu’il suffira à lui seul à prévenir la survenue de nouveaux attentats, l’état d’urgence est un outil de mobilisation inédite des forces de l’ordre. Outre les perquisitions administratives et les assignations à résidence, qui ont focalisé l’attention, je veux donc rappeler les autres mesures, individuelles ou générales, qu’il permet : l’interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; l’institution par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; l’interdiction de séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ; la dissolution des associations ou des groupements de fait ; la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion ; l’interdiction des cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique dès lors que l’autorité administrative n’est pas en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose ; l’autorisation des contrôles d’identité, inspections visuelles et de la fouille des bagages, ainsi que la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ; la remise des armes des catégories A à C et de celles de catégorie D soumises à enregistrement ; la réquisition des personnes ou des biens ; le blocage des sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.
L’état d’urgence n’est bien sûr pas le seul dispositif légal à la disposition des pouvoirs publics. Pour ne citer que le dernier texte que nous avons adopté sur le sujet, la loi du 3 juin 2016 relative à la procédure pénale en matière de lutte contre le terrorisme, que j’ai eu l’honneur de rapporter avec Colette Capdevielle, a permis des avancées significatives. Elle a accru les moyens mis à la disposition des juges d’instruction et des procureurs de la République. Ils peuvent désormais utiliser des dispositifs techniques spéciaux d’investigation, dont certains étaient jusque-là réservés aux services de renseignement ou à l’instruction.
Cette loi a également créé de nouvelles infractions terroristes en incriminant la provocation à la commission d’actes de terrorisme ainsi que l’entrave au blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme. Elle a par ailleurs donné la possibilité au Gouvernement d’intégrer le renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement.
Enfin, la loi du 3 juin 2016 a accru l’efficacité des contrôles d’identité, décidés par le procureur de la République et sous son contrôle, en autorisant l’inspection visuelle et la fouille des bagages. Les personnes dont le comportement paraîtrait lié à des activités terroristes peuvent désormais être retenues, afin d’examiner leur situation, pendant une durée maximum de quatre heures. Les individus qui se sont rendus sur des théâtres d’opérations terroristes peuvent également faire l’objet d’assignation à résidence ou d’autres mesures de contrôle administratif à leur retour.
L’état d’urgence se combine donc utilement avec les mesures administratives de droit commun destinées à lutter contre le terrorisme. En un an, le nombre de personnes mises en examen ou condamnées dans des affaires en lien avec le terrorisme a augmenté de plus de 50 %. On dénombre, au 18 novembre 2016, 244 mesures d’interdiction de sortie du territoire, 202 interdictions administratives du territoire concernant des individus liés aux mouvances terroristes et islamistes radicales, 82 mesures d’expulsion de personnes en lien avec le terrorisme et 319 mesures de déréférencement de sites faisant l’apologie du terrorisme. Ne baissons pas la garde !
Voilà pourquoi l’article 1er du projet de loi que je vous propose d’adopter prévoit que l’état d’urgence sera prorogé jusqu’au 15 juillet 2017. Il dispose expressément que les préfets pourront, à nouveau, ordonner des perquisitions domiciliaires administratives, de jour comme de nuit.
L’article 2 modifie le régime des assignations à résidence prévues dans le cadre de l’état d’urgence. Le Gouvernement avait annoncé une limite de quinze mois, en l’absence d’éléments nouveaux. Avec le président Raimbourg, nous avons hier proposé à la commission des lois, qui l’a accepté, une durée maximale d’assignation à résidence de douze mois. À l’issue de ce délai, le ministère de l’intérieur, s’il souhaite maintenir l’assignation, devra saisir le Conseil d’État aux fins de prolongation de la mesure.
Quant à l’article 3, il prévoit une exception ponctuelle à la caducité de l’état d’urgence lors d’un changement de gouvernement, afin d’enjamber les échéances électorales d’avril, mai et juin.
S’agissant du terme de l’état d’urgence, il me semblerait opportun que ce débat soit porté devant nos compatriotes à l’occasion des élections qui s’annoncent. Cela permettrait au gouvernement qui en sera issu de disposer d’un mandat clair du peuple, lui donnant les moyens, au vu de l’évolution de la menace, de se prononcer sur l’opportunité de le prolonger ou de le faire cesser.
Je reste enfin convaincu de l’opportunité d’inscrire cet état d’exception dans notre Constitution, au même titre que les deux autres. À tout le moins, il me semble nécessaire d’envisager de tirer les enseignements de notre travail de contrôle parlementaire, en prenant le temps nécessaire pour adapter encore la loi du 3 avril 1955 aux exigences démocratiques de notre temps et à l’évolution des besoins justifiant son recours. Dans l’attente, et pour les raisons de calendrier que chacun comprendra, je vous invite à adopter ce projet de loi, dans la version issue des travaux de la commission des lois.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’ai reçu de Mme Cécile Duflot une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Cécile Duflot.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, pour la cinquième fois – oui, la cinquième fois ! – depuis novembre 2015, nous sommes sollicités pour voter une prorogation de l’état d’urgence. Une urgence, donc, qui dure depuis plus d’un an et qui serait cette fois justifiée par le contexte préélectoral et par les manifestations qu’il pourrait supposer. Une urgence qui n’en est plus une puisque, on le sent à l’ambiance de cet hémicycle, il y a une forme de résignation et d’habitude à débattre ici d’une mesure pourtant exceptionnelle.
L’enchaînement des dispositions spéciales, la succession des mesures faussement provisoires et réellement attentatoires à notre idée commune de la démocratie, font que nous avons basculé – c’était notre crainte – de l’état d’urgence à l’état d’exception permanent. À chaque débat, monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont expliqué que c’était temporaire, que cela n’était pas fait pour durer, que cela ne pouvait pas durer. Le Président de la République lui-même l’a dit. Et pourtant, nous voici ici encore aujourd’hui.
Je m’y refuse. Et je ne suis pas la seule, puisque des parlementaires de tous bords ont fait entendre à chaque fois que l’occasion leur en a été donnée leur opposition à un tour de force juridique.
Le piège s’est refermé sur ce gouvernement qui, à force d’arguments de circonstance, est conduit à persévérer dans une voie sans issue. Parce qu’assumer de mettre fin à l’état d’urgence nécessite beaucoup de courage. Nous étions nombreux à exprimer cette juste crainte dès sa deuxième prorogation : quel gouvernement osera mettre fin à l’état d’urgence ou le laisser expirer ? Je le disais déjà le 19 novembre, lorsqu’il nous était proposé de proroger l’état d’urgence pour trois mois : l’état d’urgence temporaire ne saurait ouvrir la voie à l’état d’exception permanent. L’acceptation de la prorogation de l’état d’urgence ne vaut pas quitus mais s’inscrit dans un contexte précis et ne vaut que pour celui-ci.
Ce contexte est terminé. Et nous avons tous pu constater, suite à l’effroyable massacre de Nice et à l’assassinat du Père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, que l’état d’urgence n’avait pas empêché l’horreur. L’état d’urgence, aussi strict et répressif soit-il, n’empêche en rien que des individus habités par la haine, le ressentiment ou la folie, quand les trois ne les habitent pas en même temps, ne commettent des massacres qui nous révulsent et blessent à jamais notre mémoire collective.
À l’inverse, nous savons aujourd’hui que l’état d’urgence a visé et touche toujours aujourd’hui des personnes sans lien avec les mouvances terroristes : nous avons vu depuis novembre que l’état d’urgence a servi à museler les contestations sociales ou ceux qui luttaient contre le réchauffement climatique.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Que les choses soient claires, ce n’est pas moi qui le dis, mais le Président de la République lui-même !
Mêmes mouvements.
Je le cite : « Imaginons qu’il n’y ait pas eu les attentats, on n’aurait pas pu interpeller les zadistes pour les empêcher de venir manifester. Cela a été une facilité apportée par l’état d’urgence, pour d’autres raisons que la lutte contre le terrorisme, pour éviter qu’il y ait des échauffourées ». Une facilité, pour éviter des échauffourées. Une facilité pour éviter des échauffourées !
Comment croire que l’état d’urgence pourrait être compatible avec le débat démocratique libre et ouvert nécessaire durant la période électorale à venir ? Notre droit commun évolue, alors même que l’état d’urgence est prolongé. Des dispositifs toujours plus dérogatoires sont introduits dans le droit commun au nom de la lutte contre le terrorisme. Il n’y a jamais de retour en arrière. Nous fonçons tout droit vers l’abîme. La sagesse impose de refuser de faire un pas de plus dans cette direction.
Les lois antiterroristes et les réformes pénales successivement adoptées l’attestent : tout l’arsenal juridique existe déjà pour lutter efficacement contre la menace terroriste. Il suffit de l’appliquer. C’est ce qui nous a été dit ici, de manière très claire, au moment du vote de ces textes de loi. Il conviendrait également et surtout de donner des moyens humains et financiers aux services de renseignement et à la justice afin qu’ils soient pleinement efficaces. Je veux ici redire la gratitude qui est la nôtre à l’égard de celles et de ceux qui assurent notre sécurité dans des conditions d’une exigence et d’une difficulté inouïes.
Cela a été maintes fois souligné, l’état d’urgence ne constitue pas la réponse adaptée à la menace terroriste. C’est un paravent, sans doute commode, pour dire à l’opinion que l’on agit, en prenant des poses martiales et responsables, mais chacun voit bien que la réalité du monde est plus complexe. Nous avons vocation, ici réunis, à dire le droit et à exprimer, par là même, notre vision du destin de notre nation. Voilà pourquoi la question de la défense de nos principes démocratiques ne relève pas de l’esthétique, mais bel et bien de la philosophie politique et morale.
Le droit est ce que nous avons tous et toutes en commun. Alors, que dit le droit commun ? Le droit commun permet de lutter efficacement contre le terrorisme. Au cours de ces quatre ans et demi, plusieurs dispositifs sont venus étoffer l’arsenal sécuritaire dont disposent nos services. La superposition des textes est même étourdissante depuis 1986 et le premier texte qui institue des régimes dérogatoires au droit commun en matière de terrorisme. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme a inscrit dans le droit commun des dispositions propres au terrorisme comme les perquisitions de nuit, la fouille des bagages, la retenue des personnes. Cette même loi permet l’utilisation de dispositifs techniques de proximité pour capter directement les données de connexion, ainsi que le recours aux sonorisation, fixation d’images et captation de données informatiques dans le cadre des enquêtes diligentées par le parquet. Votre gouvernement a ainsi les moyens de faire face à la menace terroriste dans le strict cadre de l’état de droit.
Ainsi, mes chers collègues, la prolongation d’un état d’exception n’a pas de raison d’être. Si l’état d’urgence pouvait être justifié au lendemain des attentats du 13 novembre, compte tenu de la période de grande incertitude qui en découlait et de la nécessité d’arrêter les terroristes en fuite, il n’est plus apte à répondre à une situation durable.
L’état d’urgence, comme tout état d’exception, est pensé pour réagir à une menace temporaire, circonstancielle. Sa structure même est conditionnée par l’idée que la menace lui donnant naissance est elle-même temporaire. Bernard Manin le souligne : « Si ces circonstances ne disparaissent pas au terme d’une durée limitée », il manque alors la condition fondamentale justifiant l’usage d’un tel dispositif.
Or, et vous l’avez dit, monsieur le ministre, la menace terroriste que nous subissons n’est pas un phénomène temporaire, mais une situation durable, une menace durable qui risque de nous faire renier tous nos principes. Si l’on admet qu’une simple menace, un danger imminent donc, puisse justifier un état d’exception, alors tout est possible. Le risque de manipulation politique par les services de sécurité qui, sous couvert du secret-défense, vont invoquer des menaces terroristes pour inciter les gouvernants à prendre toujours plus de mesures de prévention, est trop élevé pour que l’on puisse envisager un tel critère, explique Bruce Ackerman, grand constitutionnaliste américain.
Il semble dès lors nécessaire d’opérer la distinction entre la menace terroriste, qui ne saurait justifier la mise en oeuvre de l’état d’urgence, et le fait terroriste, permettant, dans certaines circonstances, de justifier pour un délai très court une réponse exceptionnelle. C’est cette distinction qui permet selon Bruce Ackerman d’éviter le risque majeur de « la normalisation des pouvoirs extraordinaires », ou si l’on veut, le risque de transformer l’État de droit en État autoritaire.
C’est si évident que nous devrions tous en prendre conscience et considérer les choses différemment : plus on prolonge l’état d’urgence, plus il paraît impossible d’en sortir.
Le Gouvernement présente encore l’état d’urgence comme une réponse évidente à la situation que connaît notre pays. Il nous habitue à cet état d’exception, tout en jetant le discrédit sur ceux qui porteraient une voix dissonante. J’ai entendu ici des propos extrêmement désobligeants à l’égard des parlementaires qui, comme moi, ont porté cette voix. On peut être en désaccord, et nous reconnaissons que ces voix ont été minoritaires, mais on doit respecter ceux et celles qui s’expriment ici au nom des principes qui fondent notre démocratie. Car le débat est comme verrouillé : ceux qui osent remettre en question la pertinence de l’état d’urgence sont accusés, même pas à mots couverts, de faire le jeu du terrorisme, alors que ce régime d’exception porte en lui les germes d’une dérive sécuritaire et stigmatisante pour certaines populations.
En outre, la pérennité de l’état d’urgence institutionnalise une forme d’arbitraire, arbitraire d’une part dans les conditions même d’engagement ou de prolongation de cet état d’exception, arbitraire encore dans les mesures qu’il permet, telles que les perquisitions administratives et les assignations à résidence, décidées désormais sur la base d’un simple « comportement » susceptible de constituer une menace.
Comme le soulignait André Chênebenoit en 1955, au moment de l’adoption de la loi initiale instituant l’état d’urgence, « Il semble que plus un État sent fuir son autorité et plus il cherche à parer aux conséquences de sa faiblesse par des moyens autoritaires ». Chênebenoit s’inquiétait alors de « l’usage que pourraient faire de pareils textes un gouvernement et une Assemblée dans une situation actuellement hors de prévision ». La loi de 1955 a été mise en oeuvre pour lutter contre les indépendantistes algériens. En 1962, c’est en vertu de cette loi que le préfet Papon a fait intervenir la police contre les manifestants pour la paix en Algérie. Ne prenons aucune mesure qui demain porterait préjudice à notre pays. L’état dit « d’urgence » menace notre démocratie en ce qu’il met entre parenthèses l’État de droit et permet un glissement dangereux vers un État de police ou un État sécuritaire.
Le philosophe italien Giorgio Agamben démontre très précisément en quoi l’état d’urgence n’est pas un bouclier qui protège la démocratie mais comment, au contraire, il a accompagné presque à chaque fois la naissance de dictatures.
Que l’on me comprenne bien. Je n’affirme pas ici, pas une seconde, que nous sommes en dictature.
« Ah ! » sur divers bancs.
Ce n’est pas très drôle, vous savez ! Il est confortable de considérer que ceux qui émettent une voix dissonante peuvent être moqués. Mais nous ne devrions pas, dans ce moment aussi grave où l’on nous demande de voter la cinquième, je répète, la cinquième prorogation de l’état d’urgence, que c’est une banalité.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’affirme en revanche avec force que nous préparons de sinistres lendemains en accoutumant notre peuple à accepter l’inacceptable au nom de la lutte contre le terrorisme. Lorsque, comme c’est le cas, l’on habitue de façon durable les Français à vivre dans un pays où des opérations de police administratives peuvent se substituer au pouvoir judiciaire, cela ne peut qu’engendrer une dégradation rapide et potentiellement irréversible des institutions publiques.
L’histoire est un chemin dont nous ignorons le déroulé. Qui peut dire que nous ne donnons pas des pouvoirs exorbitants au pouvoir qui sortira des urnes au lendemain de la prochaine élection présidentielle ? Sommes-nous à ce point certain qu’il sera nécessairement des plus démocratiques ? En êtes-vous sûr, monsieur le ministre ? Pouvez-vous nous garantir le résultat de l’élection présidentielle et des élections législatives qui viennent ?
La sécurité est devenue la nouvelle raison d’État, qui légitime aux yeux de l’opinion tout renforcement des pouvoirs de police, au détriment de celui des juges judiciaires.
Cette inquiétude a été formulée très clairement. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, qui a rencontré Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, fin novembre, demeure persuadé que « plus l’état d’urgence dure, plus le risque est grand pour la démocratie et les droits de l’homme ». Effectivement, pour M. Muižnieks, c’est une illusion de penser pouvoir vaincre la menace terroriste à court terme. Pour autant, selon lui il n’est pas question de légitimer un état d’urgence qui s’éterniserait, sans quoi ce serait un renoncement à la démocratie, et donc la victoire des terroristes.
De quoi est-il question ? Près de 700 procédures liées à l’état d’urgence ont été engagées devant les juridictions administratives. Pour moitié, ce sont des procédures d’urgence, telles que les référés-liberté et les référés-suspension. La majorité de ces recours portent sur des assignations à résidence et, dans près d’un tiers des cas, la décision d’assigner a été suspendue par le juge administratif ou retirée – parfois la veille de l’audience – par l’exécutif.
Selon le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence publié le 6 décembre, 612 arrêtés d’assignation à résidence ont été pris, concernant 434 personnes, parmi lesquelles 95 sont toujours sous le coup de cette mesure, dont 62 depuis juillet 2016.
Vous avez expliqué, monsieur le ministre, que dans nombre de cas, des procédures judiciaires avaient été engagées. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que lorsque ces procédures judiciaires, notamment pour apologie du terrorisme, ont débouché sur un non-lieu, les assignations à résidence n’ont pas été levées pour autant. Cette décision administrative est indépendante de la décision judiciaire : même lorsque les procédures judiciaires vont à leur terme et reconnaissent l’innocence des personnes mises en cause, les assignations à résidence peuvent être maintenues. C’est tout le problème de la séparation, et de la prise de décision par une autorité administrative.
Les juges administratifs font face à des critères d’assignations à résidence insuffisamment précis, puisque la loi sur l’état d’urgence telle que modifiée l’année dernière invoque un « comportement » susceptible de constituer une menace.
Parmi les personnes assignées à résidence, plusieurs le sont effectivement depuis près d’un an sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit ouverte à leur encontre. Comment pouvons-nous accepter cette situation ? Selon des chiffres datant du mois dernier, 46 personnes sont assignées à résidences sur simple décision administrative depuis les premières semaines de l’état d’urgence. Elles ont mis leur vie entre parenthèses, vivent cloîtrées chez elles, ne peuvent plus travailler, n’ont plus de vie sociale, sont obligées de rester sur le territoire de leur commune et de pointer au commissariat deux à trois fois par jour.
Comme le remarque le Conseil d’État dans son avis sur ce texte, « la succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et de venir ». La justice administrative a même accepté l’idée d’assignation à résidence justifiée de façon préventive pour ne pas gêner l’État dans ses missions de maintien de l’ordre, comme cela fut le cas des assignés à résidence à l’occasion de la COP21. Mais où nous mène cette jurisprudence ? Qu’allons-nous allons laisser en héritage ? Des assignations à résidence préventives, entre les mains de la prochaine majorité, que nous ne connaissons pas ?
Murmures.
Les éléments de preuve pour les décisions d’assignation apparaissent toujours lacunaires, dès lors que des notes blanches issues des services de renseignement, non sourcées, peuvent servir de base au maintien d’une assignation à résidence. Ces privations de liberté sont d’une telle durée – plus d’un an pour certaines – qu’elles ne peuvent encore apparaître justifiées en l’absence d’intervention d’un juge judiciaire.
Le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence en fait mention : le juge administratif reconnaît clairement que l’assignation nuit à l’exercice des droits individuels, le Conseil d’État ayant relevé qu’une assignation porte atteinte à la liberté d’aller et venir, qui constitue une liberté fondamentale. Le juge administratif reconnaissait encore en septembre que les obligations de pointage constituent une gêne dans la vie de famille et les activités de loisir.
Mais la lutte contre le terrorisme passe par la lutte contre ce qui l’engendre. Au lieu de voter une énième loi de prorogation de l’état d’urgence, qui est inutile et néfaste, il serait judicieux de cesser de vendre des armes à des régimes liés au terrorisme ou soumis à un embargo.
En effet, il ne s’agit pas de colmater les brèches, d’empêcher au dernier moment de nouveaux attentats, à coup de perquisitions souvent hasardeuses, qui n’ont pas été utiles pour prévenir les actes terroristes les plus récents, mais il s’agit de s’attaquer aux racines du mal. Il est nécessaire de comprendre ce qui conduit au pire des jeunes désoeuvrés. Comprendre n’est pas excuser, mais accepter de faire face à une réalité cruelle, qui blesse notre société.
J’en viens à l’élément qui apparaît le plus problématique compte tenu de l’objet du projet de loi en discussion : nous allons donc organiser des élections présidentielles et législatives sous le régime de l’état d’urgence.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ce projet de loi se fonde sur une aberration sans nom, laquelle réside plus particulièrement dans son article 3, qui révèle un défaut de cohérence entre le dispositif et les motifs avancés.
Dans cet article, monsieur le ministre, vous décidez de faire échec à une disposition de bon sens de la loi initiale de 1955, qui consiste en ce que l’état d’urgence tombe dès lors que le gouvernement qui l’a institué est démis. Ainsi votre gouvernement est-il prêt à ce qu’une élection présidentielle, c’est-à-dire le moment cristallisant le débat démocratique de la France pour les cinq années à venir, se déroule sous un régime d’exception, qui ne permet pas l’exercice des principales libertés politiques.
Par ce vote, mes chers collègues, vous permettrez que les libertés d’association, de réunion, d’expression soient éventuellement limitées par une décision administrative. Au nom de quoi ? En quoi ces réunions, ces rassemblements concentrent-ils plus de danger qu’une rame de métro bondée, qu’une exposition de musée ou qu’un marché le dimanche matin ?
Cette disposition de l’article 3 ne traduit qu’une chose : vous ne savez pas comment arrêter cet état d’urgence. C’est une machine infernale qu’il est impossible d’arrêter.
Or, il est nécessaire de le rappeler, pendant cette période, vous avez décidé que la France pouvait faire exception à la Convention européenne des droits de l’homme, comme la Turquie, comme l’Ukraine.
Quel terrible signal envoyé à la communauté internationale que celle d’une suspension de l’État de droit, au moment où il est absolument nécessaire de défendre notre modèle !
Ce modèle est celui d’une justice dans laquelle les mineurs sont préservés, alors qu’ils connaissent sous l’état d’urgence un traitement très dur. C’est celui qui restreint la liberté d’aller et de venir au terme d’une condamnation et non en amont.
Notre modèle prend en considération les faits pour condamner quelqu’un, non son comportement, notion floue et indéfinie qui ne laisse aucune latitude au juge administratif pour condamner une décision arbitraire de l’administration.
Notre modèle a de la considération et de l’estime pour le pouvoir judiciaire, qu’il ne voit pas comme une menace mais comme un garde-fou contre toutes les dérives qui peuvent survenir et atteindre à la liberté individuelle.
M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le soulignait le 15 novembre : « L’état d’urgence ne peut être renouvelé indéfiniment ». Il nous invitait également, nous, parlementaires, à fixer une durée maximale pour les assignations à résidence.
Le régime d’exception devient donc permanent. Nous sommes pris dans la spirale d’un état de crise qui, sans véritablement garantir la protection des populations contre le terrorisme – parce que personne ne le peut vraiment – compromet la protection des droits de l’homme et met en péril nos libertés fondamentales et la cohésion nationale.
Le poids de la menace terroriste ne saurait nous faire hypothéquer notre lucidité et notre bon sens. L’état d’urgence est inopérant quand il dure. Ce régime d’exception s’est révélé incapable d’empêcher la survenue de nouveaux attentats. Il est devenu une mesure de réassurance collective dont le prix n’est plus proportionné à ce qu’il apporte.
Le Président de la République lui-même avait annoncé, à la veille du drame du 14 juillet dernier, que l’état d’urgence pouvait prendre fin, dès lors que notre arsenal législatif était adapté à la lutte contre le terrorisme. Dans ses confessions aux deux journalistes du quotidien Le Monde, il l’avoue : « Le risque c’est […] qu’on profite de l’état d’urgence. C’est une facilité. » Il disait encore, avec raison : « Je n’y suis pas favorable. Car la tentation, c’est de garder un état d’exception. »
Osons, mes chers collègues, nous délivrer de cette tentation et sortir de l’impasse sécuritaire pour faire face dignement à la menace. Protégeons notre démocratie en ne l’affaiblissant pas inutilement par un état d’exception qui légitime tous les excès, exacerbe les tensions sociales et stigmatise une partie de la population.
Je continue, pour toutes ces raisons, à affirmer notre opposition à l’état d’urgence en ce qu’il apporte une atteinte manifestement excessive à nos droits et libertés. En ce sens, je vous demande, mes chers collègues, de vous prononcer pour le rejet préalable de ce texte.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le rapporteur.
Madame Duflot, non seulement vous ne m’avez pas convaincu – l’exercice, j’en conviens, n’était pas forcément simple – mais je ne vous ai pas trouvée convaincante.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous avez invoqué le non-respect de l’État de droit, alors que nous nous situons pleinement et précisément dans le cadre qu’il prévoit. Vous avez parlé d’arbitraire sans fournir le début du commencement d’un exemple. Vous avez prétendu que l’état d’urgence entravait la liberté d’expression et le mouvement social, alors que nos compatriotes ont pu constater que celui-ci a rarement été aussi actif et récurrent.
Vous avez donc enchaîné des présupposés que l’on aurait pu entendre, à titre de craintes, il y a un an, quand vous avez voté la première loi de prorogation, mais que les actes et les faits ont démentis depuis.
En outre, je n’ai trouvé dans votre intervention aucun des éléments de droit que l’on a l’habitude d’entendre dans une motion de rejet préalable.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas adopter cette motion.
Madame la députée, je n’ai que deux points d’accord avec votre intervention. Le premier est que nous ne sommes pas en dictature. Le second, que l’état d’urgence n’est pas une banalité – je vous l’accorde.
Lorsque vous dites qu’il faut du courage pour sortir de l’état d’urgence, je pense qu’avant cela, il faut une grande lucidité sur la situation, sur ce qui se passe autour de nous et chez nous.
J’ai entendu une mise en cause à peine voilée de ceux qui prennent les décisions, en tout cas qui vous les proposent, et de ceux qui appliquent l’état d’urgence sur le terrain et dont je veux saluer le travail, dans le respect scrupuleux du droit, le droit existant aujourd’hui dans notre pays.
À aucun moment, madame la députée, je ne laisserai dire que ce serait l’arbitraire – puisque vous avez employé ce mot – qui serait aujourd’hui le fondement de l’intervention des forces de sécurité dans notre pays, et de la façon dont elles mettent en oeuvre l’état d’urgence comme chacune des lois que nous avons votées contre le terrorisme.
Qu’empêche aujourd’hui l’état d’urgence ? L’Euro 2016 s’est tenu ; ses rassemblements ont permis à chacun d’aller, de venir et de faire la fête.
Il en est allé de même pour le Tour de France ou la COP21, si je remonte seulement à un an.
Un autre élément vous convaincra peut-être davantage. Le Gouvernement, auquel je n’appartenais pas, et la majorité, à laquelle j’appartenais, ont connu quelques difficultés avant l’été dernier, s’agissant de la loi travail.
Combien y a-t-il eu de manifestations, dans notre pays, à ce moment-là ? Y a-t-il eu la moindre restriction de manifester ? Non. À tout moment, lorsqu’il s’est agi de prendre des décisions, c’était pour assurer la sécurité de ceux qui avaient à exprimer un point de vue.
Hormis ces deux éléments, madame la députée, je ne partage donc rien, absolument rien, de vos propos. Et votre intervention ressemble beaucoup plus à une mise en cause qu’à une démonstration juridique de l’impossibilité ou de l’inutilité de l’état d’urgence. Aussi je demande, bien entendu, le rejet de cette motion.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, lorsqu’on écoute Mme Duflot, on peine à croire qu’elle ait pu siéger au sein d’un gouvernement de la République française.
Pardon de vous le dire, ma chère collègue, mais vous semblez sous l’effet d’une sorte de décalage horaire. Les propos que vous avez tenus sont une sorte de pot-pourri de tous les fantasmes gauchistes contre l’État, contre la police.
C’est, hélas, une insulte à l’endroit des dizaines de milliers de militaires de la gendarmerie nationale et de fonctionnaires de la police nationale qui, chaque jour, chaque nuit, essaient de travailler au service des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Avec l’adoption de ce projet de loi, nous prorogerons l’état d’urgence de sept mois. La France fera l’expérience de l’un des états d’urgence les plus longs depuis la création de ce régime, en 1955.
La question de la prorogation de l’état d’urgence soulève nécessairement, je vous l’accorde, madame la députée, un certain nombre d’interrogations. En effet, nous sommes en train d’inscrire un régime qui relève, par essence, de l’exception et du temporaire dans la durée.
Il me semble, cependant, que les circonstances l’exigent car la situation actuelle est inédite. Elle répond à la définition du péril imminent énoncé par l’article 1er de la loi de 1955. La période particulière d’élections que nous allons vivre, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, nécessite d’autant plus notre vigilance.
Aussi, le groupe UDI votera contre cette motion de rejet.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Comme d’autres députés de mon groupe, j’ai voté l’état d’urgence, la première fois, parce qu’il fallait faire face à une menace et parce qu’il fallait que nos forces de l’ordre aient les moyens de réagir.
La question qui nous est posée aujourd’hui n’est pas celle-ci : c’est celle de la normalisation de l’état d’urgence, de cette poursuite, de ce renouvellement perpétuel de l’état d’urgence.
Cela ne remet pas en cause le soutien que nous apportons aux forces de police, aux services de renseignement, à l’armée, parce que les services de renseignement, la police et l’armée fonctionnent sans l’état d’urgence – et heureusement pour notre république, heureusement pour notre nation.
Aussi, nous voterons pour cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 135 Nombre de suffrages exprimés: 134 Majorité absolue: 68 Pour l’adoption: 13 contre: 121 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
J’ai reçu de M. Sergio Coronado une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Sergio Coronado.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme l’a rappelé Cécile Duflot à cette tribune, c’est donc la cinquième fois depuis les attentats du 13 novembre que le Gouvernement propose de proroger l’état d’urgence, cette fois jusqu’au 15 juillet 2017.
Lors de l’examen du premier projet de loi de prorogation, le 18 novembre 2015, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur du texte et président de la commission des lois, aujourd’hui ministre de la justice, exprimait ainsi sa conviction : « les mesures que nous allons décider ne dureront qu’un temps limité. Elles ne se comprennent d’ailleurs que par leur obsolescence programmée. »
Dans le même esprit, le Conseil d’État rappelait, dans son avis rendu le 6 février 2016 sur le projet de loi relatif à la deuxième prorogation, que « l’état d’urgence reste un "état de crise" qui est par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment », conviction partagée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il indique que les effets d’un régime de pouvoirs exceptionnels doivent être limités dans le temps et l’espace et que la durée de l’état d’urgence « ne saurait être excessive au regard du péril imminent […] ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ».
Dans tous ses avis, celui du 8 décembre 2016, mais également ceux du 2 février, du 28 avril, et du 18 juillet 2016 sur les projets de loi de prorogation, le Conseil d’État a systématiquement rappelé que les renouvellements de cette mesure d’exception ne sauraient se succéder indéfiniment et que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. Voilà ce dont il est question ce soir. Ces mises en garde, ces avertissements seront-ils entendus dans l’hémicycle ?
Avec cinq autres collègues, Pouria Amirshahi, Isabelle Attard, Noël Mamère, Barbara Romagnan et Gérard Sebaoun, nous avions voté contre la première prorogation de l’état d’urgence, parce que nous considérions – nous le considérons toujours – que l’État de droit n’est pas un état de faiblesse, et parce que rien ne semblait non plus indiquer, après les douze jours d’état d’urgence décrété dans la nuit des attentats du 13 novembre en conseil des ministres par le Président de la République, que cet état d’exception était une absolue nécessité. Parce que nous considérions aussi que déroger au droit commun dans une démocratie comporte des risques, et parce que nous nous interrogions sur l’adéquation de ce dispositif hérité de la IVe République et de notre passé colonial avec la nouvelle menace terroriste et que nous pensions que l’option sécuritaire ne pouvait pas être la seule et unique réponse.
Décrété le 14 novembre 2015, l’état d’urgence s’inscrit désormais dans la durée. Treize mois déjà, probablement vingt mois si le Parlement vote la prorogation proposée par l’exécutif afin de couvrir la période électorale à venir.
Une telle durée n’était certainement pas dans les intentions du législateur à l’origine. Et lorsque je relis le compte rendu de nos débats en commission des lois et dans l’hémicycle, je vois, mes chers collègues, que telle n’était pas non plus votre intention lors du vote de la première prorogation.
Comme l’a justement rappelé Jean-Frédéric Poisson, co-rapporteur avec Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, du rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, cette durée a un impact sur la nature de l’état d’urgence, parce que les mesures de police administrative que le dispositif autorise sont désormais, pour l’essentiel, utilisées à des fins de maintien de l’ordre public, qui relèvent du droit commun.
Chers collègues, Jean-Jacques Urvoas, qui était président de la commission des lois lors de la première prorogation, avait annoncé la difficulté de sortir de l’état d’urgence. Pour la majorité d’entre vous, il a semblé logique d’y entrer en raison de la violence inouïe des attaques dont notre pays a été victime. Il nous revient aujourd’hui d’y mettre un terme. Car le risque est grand que le dispositif nous échappe, qu’il s’installe si durablement et si profondément qu’il finisse par modifier l’équilibre du pacte social et républicain et qu’il dessine de nouvelles frontières pour nos libertés et pour nos droits.
Comment mettre fin à l’état d’urgence, ou plutôt, comment réussir à en sortir ? La réponse à cette question n’est pas seulement juridique et sécuritaire. Elle est éminemment politique.
Contrairement au précédent de 1985 en Nouvelle-Calédonie, lors du soulèvement indépendantiste kanak, et à celui de 2005 après les émeutes de banlieue en métropole,…
…il sera cette fois beaucoup plus difficile de constater, à un moment ou un autre, que les raisons ayant justifié le recours à l’état d’urgence ont disparu. Cette décision nous appartient à nous seuls, représentants du peuple.
Depuis un an, le Parlement a beaucoup légiféré pour faire face à la menace terroriste. Comment peut-on penser qu’en dépit des nouvelles dispositions de droit commun adoptées par le Parlement – et que vous avez votées à une très grande majorité – dans le cadre de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, nous serions encore démunis face à elle ? La France s’est dotée d’une loi antiterroriste parmi les plus sévères en Europe. Or, dans une forme d’engrenage, le Gouvernement entend déposer, sans doute en procédure accélérée, un nouveau texte sécuritaire, un projet de loi sur la sécurité publique qui sera prochainement examiné par le Parlement. Pourtant, plusieurs instruments juridiques adoptés récemment par le Parlement permettent aux services de sécurité et à la justice de faire face au terrorisme.
La loi du 3 juin a accru les prérogatives des magistrats spécialisés dans la lutte antiterroriste. Je voudrais que celles et ceux qui nous écoutent aient en mémoire ce que le Parlement a voté et qui est venu durcir notre droit. Les perquisitions de nuit dans les domiciles sont désormais autorisées dans le cadre de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire en matière terroriste. Le parquet s’est vu reconnaître, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, des prérogatives quasi équivalentes aux magistrats instructeurs, dans le cadre aussi bien des enquêtes de flagrance que des enquêtes préliminaires, prérogatives qui leur permettent notamment d’avoir recours aux techniques de sonorisation et de captation d’images dans des lieux privés ou publics.
La loi prévoit en outre des mesures tendant à améliorer les conditions de la lutte contre le financement du terrorisme.
Cela comprend diverses mesures de police administrative, visant à renforcer les dispositifs de contrôle des personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement est en lien avec des activités terroristes.
Le texte a modifié les articles du code de procédure pénale relatifs aux contrôles d’identité, afin d’autoriser aussi l’inspection visuelle et la fouille des bagages. Il a créé une nouvelle retenue administrative, assez polémique, lorsqu’il existe à l’égard d’une personne dont l’identité a été contrôlée ou vérifiée des raisons de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste. Et il a instauré un régime de contrôle administratif applicable aux personnes de retour sur le territoire national et provenant de théâtres d’opérations de groupements terroristes.
Le Parlement a fait entrer dans le droit commun nombre de mesures inspirées de l’état d’urgence. L’entrée en vigueur de ce nouvel arsenal de lutte antiterroriste, à la disposition de la police et de la justice, était censée permettre de se passer de l’état d’urgence. Rappelez-vous : lors de la deuxième prorogation de ce régime d’exception, le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, n’avait-il pas souligné la nécessité d’attendre l’adoption de ce projet de loi pour mettre fin à l’état d’urgence ?
Les auteurs du rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, de même que les membres de la commission d’enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, partagent la même conviction que moi – et je sais que cette conviction grandit parmi les parlementaires réunis ici ce soir : que la voie judiciaire demeure l’outil prééminent de la lutte antiterroriste. Dans son rapport, Sébastien Pietrasanta note : « force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci ».
Mes chers collègues, les treize mois d’application de ce dispositif dérogatoire ne peuvent avoir banalisé les mesures d’exception qu’il comporte. Les perquisitions menées dans le cadre de l’état d’urgence ont certes permis de saisir des armes et de la drogue. Entre le 14 novembre 2015 et le 25 mai 2016, ce sont quelque 3 750 perquisitions qui ont été opérées ; le 30 novembre, plus de 2 000 perquisitions avaient déjà eu lieu, c’est-à-dire 54 % du total. Toutefois, je ne crois pas que l’état d’urgence soit fait pour cela.
Les rapporteurs de la commission sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, constatent qu’une très grande majorité des arrêtés ne visent pas des circonstances particulières et ne relèvent pas d’une logique d’urgence et d’exception, mais en fait se substituent aux mesures de droit commun. L’usage massif de mesures d’interdiction de séjour pendant les mois de mobilisation contre la loi travail et les assignations à résidence pendant de grands événements tels que la COP21 en novembre dernier le démontrent.
La commission des lois a voté hier à une écrasante majorité la cinquième prorogation de l’état d’urgence. Elle a amendé, sur proposition du rapporteur, le régime des assignations à résidence, donnant de fait, via une figure juridique originale et contestable, un pouvoir d’initiative et de contrôle au juge des référés du Conseil d’État : celui-ci aura en effet le pouvoir d’autoriser, sur demande du Gouvernement ou de son représentant, la reconduction pour trois mois d’une assignation à résidence qui aurait atteint douze mois.
Comme vous le voyez, on essaie, avec les moyens du bord, d’encadrer et de limiter l’état d’urgence. Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson ont formulé un certain nombre de propositions dans le rapport d’information qu’ils ont rédigé au nom de la commission des lois.
Ils ont tout d’abord dressé un constat. De façon générale, les mesures les plus efficaces relèvent du droit commun : ce sont les mesures d’enquête et les mesures judiciaires.
Ils ont ensuite formulé une série de préconisations visant à améliorer le fonctionnement de l’état d’urgence. Ils proposent d’encadrer les perquisitions de nuit, qui devraient être obligatoirement motivées. Il faut donner force de loi à cette obligation. Il faut aussi préciser les conditions de recours à la force. Le périmètre géographique des assignations à résidence doit permettre la vie familiale et professionnelle, et les parquets doivent être informés des assignations. Le rapport s’interroge aussi sur l’articulation entre les problèmes de santé mentale et les assignations à résidence frappant des personnes visiblement malades. Il préconise l’information du juge des enfants lorsque des mineurs sont assignés à résidence. Il pose la question de l’évaluation budgétaire de l’état d’urgence, et propose une coordination interministérielle.
Les préconisations sont nombreuses : dix-sept au total, je crois. Les questions soulevées, nombreuses et pertinentes, nous agitent depuis que l’état d’urgence a été décrété. Elles sont toutes d’une très grande importance. Alors que nous sommes appelés à nous prononcer, avons-nous réellement débattu avec le Gouvernement de ce que contient ce rapport, fruit d’un travail de plus d’un an d’évaluation de l’état d’urgence, fruit du contrôle parlementaire, contrôle fait en notre nom à tous, fruit d’un examen complet, rigoureux, fouillé ? Nullement. Nous n’avons jamais débattu des préconisations du rapport. Certes, les délais rendent parfois le débat impossible : les procédures d’urgence s’accompagnent souvent de procédures accélérées. Doit-on l’accepter ? Je ne le pense pas.
Nous avons déploré – mon collègue Larrivé, qui vient de partir, aurait pu le confirmer –…
…l’absence du ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, lors de l’examen du texte par la commission des lois hier soir. Votre présence, monsieur le ministre, nous aurait permis d’avoir votre avis sur les questions formulées par le rapport et sur ses préconisations. Vous auriez pu nous éclairer sur les intentions du Gouvernement, et notamment sur les suites que celui-ci entend donner aux préconisations du rapport et sur le contenu du texte qui sera prochainement soumis à notre examen. Là, c’est une reconduction sans débat, après un an d’évaluation parlementaire, que le Gouvernement nous propose. Au-delà des appréciations divergentes que nous pouvons faire du recours à l’état d’urgence, cela est irresponsable, inacceptable.
Rappelons-nous les mots de l’actuel ministre de la justice – je le cite de mémoire : arrêter l’état d’urgence n’est pas synonyme de moindre protection, car en réalité, l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures semble à présent derrière nous. Ainsi s’exprimait-il le 13 janvier dernier.
À l’époque, on nous avait affirmé, avec force et détermination, que l’état d’urgence avait pour objectif de pallier les faiblesses de notre État de droit. Aujourd’hui, le Gouvernement nous dit, ainsi que le rapporteur, que cet état d’exception est en réalité complémentaire du droit commun. D’une mesure limitée, proportionnée, on passe à un dispositif ordinaire de lutte contre le terrorisme et à un instrument permanent de maintien de l’ordre public, sans qu’aucun débat sérieux sur les conséquences d’un tel glissement ait eu lieu, ni dans cet hémicycle ni dans aucune des commissions concernées.
Voilà, chers collègues, les raisons qui motivent cette motion de renvoi en commission.
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
J’ai écouté avec intérêt ce qu’a dit M. Coronado. En ce qui concerne les recommandations que Jean-Frédéric Poisson et moi-même avons présentées à la commission des lois, celles-ci pourraient être débattues ultérieurement, par exemple lors de l’examen du prochain projet de loi sur la sécurité publique. Un tel débat semble en effet nécessaire, or nous n’avons pas le temps de l’avoir. Ce pourrait être l’occasion.
Je voudrais non pas répondre à M. Coronado, dont je connaissais déjà les arguments, que je ne partage pas, mais revenir sur la question du contrôle. Le Gouvernement est tout disposé à continuer le travail qui a été fait. Si j’ai salué à la tribune la qualité du contrôle parlementaire et du travail de la commission des lois, c’est bien pour en tirer les enseignements et évaluer les conséquences à y donner. Soyez donc assuré de ma disponibilité pour poursuivre ce dialogue dans les prochains jours et examiner comment peut s’exercer le contrôle parlementaire, dans cette période qui est amenée à durer compte tenu des événements qui surviennent sur notre territoire et autour de nous.
D’autre part, je suis à la disposition de la commission des lois pour montrer que les mesures mises en oeuvre dans le cadre de l’état d’urgence ne se substituent en rien à l’action judiciaire, mais qu’elles portent bien souvent sur des cas précis – que je pourrais détailler, en les laissant masqués – qui ont ensuite été pris en charge par l’autorité judiciaire. Il y avait urgence à agir, et nous l’avons fait dans le cadre de l’état d’urgence, puis l’autorité judiciaire a engagé les poursuites nécessaires. Il y a donc non pas substitution, mais complémentarité des outils.
C’est pourquoi je vous demande de rejeter la motion de renvoi en commission présentée par M. Coronado.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis les attentats meurtriers du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été prorogé à quatre reprises, dans des conditions de grande confusion émotionnelle. La France vit sous état d’urgence depuis maintenant plus d’un an. La législation sur le terrorisme et la procédure pénale a été durcie. Des soldats armés de fusils d’assaut patrouillent partout dans le pays. Les services de renseignement et les forces de l’ordre sont proches de la saturation. Pourtant, d’autres attentats ont été commis sur notre sol depuis le 13 novembre. Aussi chacun doit-il aujourd’hui reconnaître que les mesures de l’état d’urgence, nécessaires pour une période transitoire, ont désormais perdu leur efficacité et que ce dispositif juridique d’exception, qui n’a plus rien d’exceptionnel, s’inscrit désormais dans la durée.
Les députés du Front de gauche, pleinement conscients de la menace, refusent majoritairement, en prenant leurs responsabilités, une cinquième prorogation de ce régime d’exception jusqu’au 15 juillet 2017. La menace terroriste est durable ; y répondre par des mesures par nature exceptionnelles et temporaires est totalement inadapté.
Notre conviction s’appuie sur la nécessité, malgré la persistance d’une menace terroriste protéiforme, de ne pas proroger indéfiniment des mesures d’exception qui, dans la durée, ne se révèlent pas plus efficaces que notre droit commun. Il faut avoir le courage politique de sortir de l’état d’urgence et de mettre fin à ce régime d’exception attentatoire par nature aux libertés et aux droits fondamentaux. Le maintenir ne changera rien et ne nous prémunira pas contre les attaques terroristes : nous en avons fait la douloureuse expérience. Au contraire, entretenir l’illusion que l’état d’urgence est la solution pour lutter contre le terrorisme est dangereux, dangereux pour notre État de droit, dangereux pour notre démocratie.
Le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, que nos collègues Raimbourg et Poisson ont remis le 6 décembre dernier, tire les leçons de l’année écoulée sous ce régime d’exception et relève plusieurs dérives et menaces pour la démocratie. Il pointe ainsi le « bilan modeste » de l’état d’urgence en matière de lutte contre le terrorisme. Ses principales mesures, les perquisitions administratives et les assignations à résidence, se sont concentrées sur les jours et semaines suivant chaque attentat. Ensuite, les mesures de l’état d’urgence sont devenues des outils ordinaires pour le pouvoir administratif, au risque de se substituer au droit commun.
Le rapport relève l’efficacité directe très faible des perquisitions administratives en matière de lutte contre le terrorisme. Elles sont largement utilisées par les forces de l’ordre comme un outil permettant soit de recueillir des renseignements, soit de vérifier la dangerosité de suspects n’ayant même pas forcément de liens avec le djihadisme.
Le rapport d’information note également que les assignations à résidence, comme les perquisitions administratives, ont été principalement prononcées dans les premiers mois de l’état d’urgence. Du reste, nos collègues s’interrogent à juste titre sur l’absence de procédure judiciaire engagée à l’encontre de personnes privées de leur liberté d’aller et de venir depuis environ un an sur une simple décision administrative. Il leur paraît en effet inconcevable que des personnes puissent être « maintenues durablement dans un dispositif d’assignation à résidence sans élément de nature à constituer une infraction pénale, sauf à méconnaître les principes fondateurs de l’État de droit ».
À cet égard, l’article 2 du projet de loi, qui prévoit qu’une même personne puisse désormais être assignée à résidence douze mois consécutifs sans éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure, ne permet pas de lever les risques de dérives.
Pour ce qui concerne les autres mesures permises par l’état d’urgence, le rapport constate également l’usage détourné qui peut en être fait pour répondre à des opérations classiques de maintien de l’ordre. Ainsi, précise-t-il, « Les contrôles d’identité, fouilles de bagages et visites de véhicules, introduits en juillet 2016, ont été massivement utilisés ». Désormais, ils relèvent d’une « réponse banalisée à des risques », sans s’inscrire « dans un cadre exceptionnel de riposte à une menace imminente ».
S’agissant du pouvoir accordé au préfet d’interdire réunions publiques, rassemblements et manifestations, le rapport relève, là encore, un usage massif de la mesure au moment des manifestations contre la loi de réforme du code du travail à partir du mois de juin 2016.
En résumé, l’efficacité très relative des mesures permises par l’état d’urgence, et les abus qui en découlent, attestent que ce régime doit rester un instrument de l’urgence. Les mises en garde affluent de toutes parts : l’ONU, le Conseil de l’Europe, le Défenseur des droits et de nombreuses associations de défense de droits de l’homme ne cessent d’alerter sur les risques et les dérives de ce régime d’exception de nature à fragiliser l’État de droit et l’exercice des libertés fondamentales.
Rappelons aussi les propos du Président de la République lui-même qui, le 14 juillet dernier, reconnaissait, quelques heures avant l’attaque sanglante de Nice : « On ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement. Cela n’aurait aucun sens. Cela voudrait dire que nous ne serions plus une République avec un droit qui pourrait s’appliquer en toutes circonstances. L’état d’urgence, cela fait partie des situations exceptionnelles. »
La raison et la lucidité nous commandent de faire confiance à notre État de droit. Notre arsenal antiterroriste est aujourd’hui largement suffisant. Il a d’ailleurs été maintes et maintes fois remanié, complété et durci, parfois même de manière abusive, pour être adapté aux nouvelles formes de terrorisme. Il nous faut donc nous appuyer sur notre législation de droit commun pour affronter, de manière réfléchie et sur le long terme, le terrorisme international et intérieur. Cessons de considérer qu’il y a un risque à sortir de l’état d’urgence. Ne cédons pas à la facilité : ce serait un aveu d’impuissance.
Aujourd’hui, l’enjeu réside moins dans le renforcement de l’arsenal répressif que dans celui des moyens humains et matériels de nos services de renseignement et de nos autorités judiciaires spécialisées. Combattre le terrorisme nécessite avant tout, nous ne cesserons de le répéter, un accroissement des effectifs de police et de renseignement, des douanes et de justice.
Certes, un effort budgétaire continu a été accompli sous cette législature, effort encore accru face à la menace terroriste. Sous l’effet du plan de lutte antiterroriste consécutif aux attentats de janvier 2015 et du pacte de sécurité annoncé suite aux attentats du 13 novembre 2015, la police comme la gendarmerie ont connu des hausses d’effectifs qui, ajoutées à celles déjà prévues dans le cadre triennal, atteignent près de 9 000 postes sur la législature. Mais cette augmentation n’est malheureusement pas suffisante au regard de la disparition de 13 000 postes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Combattre le terrorisme suppose aussi d’étudier, de comprendre et de concevoir, enfin, des réponses globales, qui s’inscrivent dans une démarche de prévention afin de conjurer, à terme, le terrorisme comme mode d’action politique : c’est là un objectif bien plus légitime que celui d’éradiquer des ennemis avec des moyens qui ne feront que les multiplier. Sans cette introspection, sans cette réflexion, le terrorisme a de beaux jours devant lui.
La lutte contre le terrorisme dans l’urgence, donc la lutte à courte vue, permettra de déjouer un attentat quand, dans le même temps, d’autres se prépareront et atteindront leur but.
Nous l’avons dit à maintes reprises, mais la pédagogie de la répétition a ses vertus : parce que l’état d’urgence doit être seulement considéré comme un nécessaire moment transitoire, parce qu’on ne peut pas justifier les abus comme étant des effets collatéraux acceptables dans un État de droit, parce que notre droit commun nous fournit les outils juridiques nécessaires pour lutter contre le terrorisme, nous devons sortir de l’état d’urgence et penser une réponse globale pour prévenir, de manière pérenne, la menace terroriste qui pèse sur notre pays.
C’est cette détermination qui conduira ce soir la majorité des députés du Front de gauche et, au-delà, d’autres progressistes de cette assemblée, à refuser la prolongation de l’état d’urgence. À écouter certaines réflexions, je constate cependant que tout le monde n’admet pas, dans cet hémicycle, le débat démocratique et le respect dû aux orateurs.
Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – « Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce jour est forcément particulier puisque, cher Bruno Le Roux, nous vous retrouvons pour la première fois à ce banc,…
S’il vous plaît… Nous vous retrouvons donc pour la première fois à ce banc ministériel que, depuis quelques jours, vous êtes amené à occuper. Ce jour est aussi particulier car je vous ai succédé à la tête d’un groupe que vous connaissez bien, dont vous appréciez la qualité autant que la diversité.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous êtes désormais attelé à une tâche infiniment plus essentielle, pour garantir notre sécurité mais aussi nos libertés. Le groupe majoritaire, vous n’apprendrez rien sur ce point, ne prend aucune discussion à la légère : les interventions de Pascal Popelin, qui m’a précédé à cette tribune, et de Sébastien Pietrasanta, qui m’y succédera, en témoignent.
Nous sommes conscients de la menace, monsieur le ministre, ou plus exactement nous en soupçonnons l’étendue au vu des 9 624 personnes placées sous surveillance pour terrorisme et du nombre d’attentats déjoués au cours des derniers mois. Placés devant nos responsabilités, devant ce péril imminent, nous avons déjà prolongé à quatre reprises l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats tragiques du 13 novembre. Nous nous apprêtons à le faire une cinquième fois, afin que soit couverte la période de l’élection présidentielle de mai et des législatives de juin. Nous savons en effet que, pour ceux qui ont la démocratie en horreur, cette période est propice à de nouvelles opérations spectaculaires, à forte portée symbolique.
Nous savons aussi que, si le pire advenait de nouveau sur notre sol, la levée préalable de l’état d’urgence serait forcément instrumentalisée par l’extrême droite, qui aurait tôt fait d’utiliser l’argument pour en appeler à un changement de régime.
Toutes ces raisons militent activement en faveur d’un soutien au Gouvernement dans sa détermination à éradiquer le terrorisme. Mais, monsieur le ministre, je vous sais comme nous attaché à ce subtil équilibre entre sécurité et défense de nos libertés publiques, équilibre qui permet de distinguer entre État de droit et état d’exception ou, pire encore, régime autoritaire.
Nous sommes également attentifs aux messages adressés par la société civile, qui craint que l’état d’exception ne devienne la norme. Nous sommes, enfin, sensibles aux avis du Conseil d’État, qui souligne que « la succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et de venir ».
Le Gouvernement a choisi de tenir compte d’une partie de ces remarques en conditionnant le maintien de l’assignation à résidence au-delà de la durée maximale de quinze mois par l’apparition d’éléments nouveaux la justifiant.
Sur cette ligne de crête entre volonté de protéger la société et volonté de protéger la liberté d’individus pour lesquels des soupçons existent, mais sans qu’il soit possible d’engager contre eux une action judiciaire, nous souhaitons, à l’instar de la commission des lois, aller plus loin.
La commission des lois a donc limité cette durée à douze mois, comme le prônait le Conseil d’État, et prévu l’intervention, avant chaque prorogation, du juge des référés au Conseil d’État. Certains, j’imagine, se demanderont pourquoi nous sommes si attentifs à garantir les droits de femmes ou d’hommes potentiellement dangereux pour notre société. C’est précisément ce point que nous voulons soumettre à l’appréciation et à la vérification du juge administratif.
Nous avons aussi la volonté de ne pas offrir le moindre argument à nos ennemis. Rien ne serait plus dommageable que de laisser s’installer l’idée que la France, désormais, ne s’inscrit plus dans sa propre histoire ; rien ne serait plus dommageable que de nourrir ces tensions qui constituent le terreau sur lequel prospèrent malheureusement les agents de Daech.
Telles sont, monsieur le ministre, les pistes sur lesquelles le groupe que j’ai l’honneur de présider souhaite avancer en confiance avec vous.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Nul besoin de répéter, à ce stade de nos débats, ce que tous les Français lucides ont désormais compris : les ennemis islamistes qui menacent notre nation n’ont pas rendu les armes.
Le péril est immense, nourri par la sombre concurrence que se livrent l’État islamique et Al-Qaïda, alimenté par des flux migratoires incontrôlés, favorisé par la perméabilité des frontières européennes, accéléré par l’utilisation de communications cryptées, accentué par la multiplication des techniques d’attentats, d’attaques et d’agressions.
Aux ennemis extérieurs, qui sont engagés sur le théâtre irako-syrien et reviennent en Europe à mesure que l’emprise territoriale de l’État islamique se réduit, s’ajoutent des ennemis intérieurs, lesquels constituent ce que le Gouvernement lui-même appelle désormais, aux termes de l’exposé des motifs du projet de loi, « la menace endogène », celle qui peut frapper partout, à tout moment, par la mobilisation d’individus présents en France. Le devoir de tous les Républicains volontaires, le devoir de tous les patriotes sincères est de réarmer la nation pour vaincre nos ennemis. C’est ce qui nous réunit, une nouvelle fois, ce soir.
Il est vrai que, mois après mois, certains pourraient être tentés, sur divers bancs, par une forme de relâchement – le caractère tristement clairsemé de notre hémicycle ce soir tend d’ailleurs à le montrer.
Après les minutes de silence et les démonstrations compassionnelles, l’esprit de routine n’est jamais loin. Le Maréchal Foch, dans ses Principes de la guerre, nous avait avertis contre « la faiblesse française : l’inconstance ». Dans la France de 2016, la constance de l’effort est, précisément, une nécessité vitale.
C’est pourquoi nous devons aborder cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence en pleine conscience de ce qu’elle signifie. Je la crois nécessaire, et pas seulement pour les raisons conjoncturelles qui tiennent au calendrier interne du parti socialiste, calendrier qui a conduit le Premier ministre Manuel Valls à démissionner et, ipso facto, à faire cesser la précédente prorogation de l’état d’urgence, lequel aurait dû s’appliquer jusqu’au 31 janvier 2017 : au-delà de cette péripétie donc, la prorogation de l’état d’urgence jusqu’à l’été prochain me semble justifiée par la nécessité de ne pas nous priver des instruments de police administrative – perquisitions et assignations notamment – que cet état permet au Gouvernement d’utiliser, avec mesure, sous un double contrôle juridictionnel et parlementaire.
Par leur volume et plus encore par leur nature, ces mesures de police sont utiles dès lors qu’elles sont correctement articulées avec des investigations de nature judiciaire, qu’elles viennent compléter et auxquelles elles ne sauraient bien entendu se substituer.
Alors que les rendez-vous électoraux vont, au printemps, multiplier à dates fixes les cibles potentielles, il est tout particulièrement nécessaire de laisser aux préfets la faculté de mener des perquisitions administratives afin de permettre des « levées de doute ».
Je voterai donc en faveur de la prorogation de l’état d’urgence jusqu’à l’été prochain, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’une nouvelle majorité assume les responsabilités de l’État. Mais le réarmement de la nation nécessitera bien d’autres efforts que les députés du groupe Les Républicains proposent avec constance depuis bientôt cinq ans.
À cet égard, je regrette que la commission des lois ait, hier, rejeté les amendements que nous avons présentés, avec Éric Ciotti notamment, en vue de mieux protéger ceux qui nous protègent : les fonctionnaires de la police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale et tous les agents dépositaires de l’autorité publique.
Au moment même où le péril terroriste islamiste justifie la prorogation de l’état d’urgence pour une durée sans précédent dans l’histoire de la République, il est invraisemblable, monsieur le ministre de l’intérieur, que le régime d’emploi des armes par les policiers n’ait toujours pas été rapproché de celui des gendarmes.
Certes, vous n’y êtes pour rien puisque vous venez de prendre vos fonctions, mais depuis 2012, à trois ou quatre reprises, le groupe Les Républicains a fait des propositions extrêmement précises à cette fin, qui ont toujours été rejetées par la majorité socialiste. Cela fait quatre ans, mes chers collègues de la majorité, que vous vous obstinez à ne pas améliorer la protection des policiers dans les conditions très difficiles de leur activité !
De même, vous avez tort de refuser que les agressions contre les policiers et les gendarmes soient enfin punies des peines planchers indispensables pour mettre hors d’état de nuire les individus qui s’attaquent aux forces de sécurité intérieure.
Vous avez également tort d’aggraver encore le désarmement pénal en confirmant l’extension à tous les délits, dès le 1er janvier prochain, de la funeste contrainte pénale créée par la loi du 15 août 2014 dite loi Taubira. Tous les délits, y compris les agressions les plus violentes, punies de plus de cinq ans de prison en raison de leur particulière gravité, seront désormais, au 1er janvier 2017, passibles d’une simple contrainte pénale, c’est-à-dire sans peine de prison. C’est une absurdité qu’il faudra corriger afin de solder le passif des années Taubira et de mieux protéger les Français.
Il est tout de même complètement extravagant qu’au moment où le Gouvernement nous saisit afin de proroger l’état d’urgence, les effets pervers de la loi Taubira de 2014 montent en puissance avec, au 1er janvier, cette extension de la contrainte pénale à l’ensemble des délits, y compris les plus graves d’entre eux !
En disant cela, madame Untermaier, je suis au coeur du sujet qui nous préoccupe, car nous avons un devoir de cohérence et de constance. Il est tout de même tout à fait étrange que l’on appelle la représentation nationale à confier aux préfets et au ministre de l’intérieur de nouveaux pouvoirs de police administrative au moment même où les effets du désarmement pénal que votre majorité a choisi d’engager ne cessent de s’accentuer !
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, partout en France, dans chacune de nos villes et dans chacun de nos villages, les Français veulent que le pouvoir exerce le pouvoir.
Tâchons donc d’être à la hauteur de cette exigence. C’est en tous cas dans cet esprit que le groupe Les Républicains assume pleinement ses responsabilités : il approuvera la prorogation de l’état d’urgence sans cesser, jusqu’au terme de cette législature, c’est-à-dire au cours des 132 jours qui nous séparent désormais du premier tour de l’élection présidentielle, de renouveler des propositions utiles à la France et aux Français.
Réarmer l’État, aujourd’hui et demain, est une nécessité impérieuse pour sauver des vies et sauvegarder notre nation.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Plus d’un an après les terribles attentats qui ont frappé Paris, et alors que plusieurs autres tragédies ont, ces derniers mois, endeuillé la France, la question d’une cinquième prorogation de l’état d’urgence se pose.
Le péril imminent justifiant que nous vivions six mois de plus sous ce régime législatif d’exception hérité de la loi de 1955 existe-t-il encore ? On peut légitimement se poser la question.
L’état d’urgence, s’il ne constitue bien sûr pas la seule et unique d’entre elles, fait-il partie des réponses que nous pouvons apporter à l’immense défi de l’éradication du terrorisme sur notre sol ? On peut, là encore, se poser la question.
Enfin, sa prorogation est-elle encore indispensable à la protection de nos concitoyens ? Il n’est pas anormal que ce projet de loi soulève de nombreuses interrogations.
Il faut tout d’abord rappeler que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a toujours soutenu le Gouvernement dans son effort de guerre ainsi que dans le renforcement de notre arsenal législatif antiterroriste.
Nous l’avons toujours soutenu, monsieur le ministre, lorsqu’il s’est agi des opérations extérieures, de la prorogation de l’état d’urgence ou de l’adoption de lois antiterroristes ou relatives au renseignement : nous sommes en effet convaincus qu’aucun enjeu politicien ni électoral ne doit affaiblir la position ni la politique de la France en la matière.
Mes chers collègues, en ce 13 décembre 2016, la question de la prorogation de l’état d’urgence ne se pose pas de la même manière qu’au lendemain du 13 novembre 2015. Il ne s’agit désormais plus, en effet, d’une mesure nouvelle et brève destinée à répondre à une menace imminente : voilà treize mois que la France fait l’expérience de ce régime législatif d’exception.
Au cours de ces treize mois, les autorités administratives auront mobilisé la quasi-totalité des outils à leur disposition en période d’état d’urgence : perquisitions, assignations à résidence, contrôles d’identité, saisies de données informatiques. Désormais, ce régime, par essence exceptionnel et temporaire, s’inscrit dans la durée. Mais la situation que nous connaissons aujourd’hui semble cependant répondre à l’exigence posée par l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 : l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.
Treize mois après les attentats de Paris, comme l’a reconnu le Conseil d’État dans son avis, la menace terroriste n’a rien perdu de son intensité, en raison tant du retour en Europe d’individus en provenance de zones de combat en Syrie que de la présence d’individus résidant en France et adhérant aux objectifs de Daech.
L’attentat de Nice comme l’assassinat du père Hamel, prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray, ont démontré combien notre pays pouvait encore être la cible d’attentats. Depuis le 14 juillet dernier, de nombreuses tentatives ont d’ailleurs été déjouées. Nous allons en outre bientôt vivre une période bien particulière, celle des campagnes électorales en vue des élections présidentielle et législatives, moments très importants dans la vie démocratique de la nation, au cours desquels seront organisées de nombreuses réunions publiques.
Depuis le 14 novembre 2015, il a été procédé à plus de 4 000 perquisitions et 612 assignations à résidence ont été prononcées. De nombreux contrôles d’identité, fouilles de véhicules et saisies de données informatiques ont également été menés.
Ces opérations n’auront pas été vaines : les perquisitions ont débouché sur 670 procédures judiciaires et de nombreux attentats ont été déjoués. Dans sa déclaration de politique générale cet après-midi, M. le Premier ministre a évoqué dix-sept projets.
Selon le rapport fait au nom de la commission des lois sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence par Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, le renseignement recueilli à l’occasion de la réalisation des opérations de police administrative constitue l’un des principaux apports de l’état d’urgence.
Compte tenu de cette situation, une très large majorité du groupe UDI considère que les autorités administratives doivent encore disposer des pouvoirs exceptionnels que leur confère l’état d’urgence. Sa prorogation est nécessaire afin de mener à bien des opérations destinées à protéger les Français dans cette période délicate qui nous conduira au lendemain des élections législatives.
Pour autant, mes chers collègues, n’oublions pas que l’état d’urgence est, par essence, exceptionnel et temporaire.
Le Conseil d’État l’a rappelé : « les renouvellements de l’état d’urgence ne sauraient se succéder indéfiniment » car il « doit demeurer temporaire. » Le Président de la République lui-même avait fait part, quelques heures avant l’attentat de Nice, de son opposition à une nouvelle prolongation.
Ainsi que l’a démontré le rapport de la commission des lois, les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence l’ont été principalement en réaction aux attentats du 13 novembre et du 14 juillet. Passé le temps de la réaction, ces mesures se sont raréfiées. Nous savons tous, par ailleurs, et cela a été évoqué à maintes reprises, que l’effet déstabilisateur de l’état d’urgence, et notamment des perquisitions, perd de sa force au fil du temps, une fois passé l’effet de surprise.
En outre, l’état d’urgence a souvent permis, au cours de l’année écoulée, de prendre des mesures tendant moins à lutter directement contre la menace terroriste qu’à maintenir l’ordre, même si cet aspect n’est pour autant pas négligeable.
Mais cette évolution révèle aussi la nécessité de recentrer l’état d’urgence sur son objectif initial de protection de la population face à la menace terroriste.
Nous le voyons, les prorogations successives de l’état d’urgence questionnent la nature même de ce dispositif juridique. Elles nous conduisent à nous interroger sur les conséquences de sa pérennisation comme sur son encadrement dans le temps. La question d’un meilleur encadrement de ce régime ne doit pas être éludée.
La succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard du respect de la liberté d’aller et de venir. L’article 2 du projet de loi initial fixait à quinze mois la durée maximale de l’assignation à résidence d’une même personne. La commission des lois a suivi les préconisations du Conseil d’État en ramenant cette durée à douze mois, ce qui garantit un meilleur encadrement des assignations à résidence.
Enfin et surtout, la prorogation de l’état d’urgence ne peut se faire sans envisager ni préparer sa nécessaire fin. Nous devons à nos concitoyens un discours de vérité : non, l’état d’urgence ne permet pas d’éviter les attentats, ces derniers mois en ont malheureusement fait la terrible démonstration. Non, l’état d’urgence ne suffit pas à lui seul à faire face à cette menace sans précédent.
Lutter contre le terrorisme ne se fera pas en prorogeant indéfiniment un régime dérogatoire au droit commun qui ne constitue en définitive qu’une part de la réponse. La voie judiciaire est l’outil prééminent de la lutte antiterroriste : c’est dans le cadre d’un système permanent que notre pays doit inscrire cette lutte et s’adapter à la menace.
Écoutons le Conseil d’État : « Les menaces durables ou permanentes doivent être traitées, dans le cadre de l’État de droit, par les instruments permanents de la lutte contre le terrorisme ».
Nous ne gagnerons la guerre contre le terrorisme qu’en réformant la justice et en instaurant, au niveau européen, une coordination de nos systèmes d’information.
Nous ne gagnerons cette guerre contre le terrorisme qu’en donnant à l’État, à nos forces de police et à nos magistrats toutes les armes et tous les moyens de détection, d’identification et de répression dont ils ont tant besoin pour mener à bien cette mission.
Aussi je réitère la proposition formulée par le président du groupe UDI, Philippe Vigier, lors des débats sur la quatrième prorogation de l’état d’urgence : nous devons mettre en place une stratégie qui mobilise l’ensemble des Français dans une lutte qui nous concerne tous, qui va bien au-delà du simple aspect sécuritaire et qui passera inévitablement par l’éducation, la culture et le partage de nos valeurs.
Sourires.
Tout en formulant ce voeu, le groupe UDI votera dans sa très grande majorité en faveur de ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’examen de ce texte n’est pas une surprise puisque le Président de la République et l’ex-Premier ministre avaient publiquement déclaré, le 15 novembre dernier, leur volonté de prolonger l’état d’urgence jusqu’à l’élection présidentielle, alors que l’intensité de la menace terroriste qui pèse sur notre pays n’a pas décliné, bien au contraire : sur la base des informations données par le Gouvernement, pas moins de douze tentatives d’attentat ont été déjouées depuis l’attentat de Nice, qui avait motivé la quatrième prorogation de l’état d’urgence, avec le vote de la loi du 21 juillet 2016, qui prolongeait ce régime d’exception jusqu’au 20 janvier à minuit.
La démission du Gouvernement est venue accélérer le processus législatif, puisque l’examen du projet de loi était initialement prévu le 21 décembre, alors que l’état d’urgence devenait caduc à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la démission du Gouvernement, conformément à l’article 4 de la loi de 1955, c’est-à-dire précisément ce 21 décembre, date à laquelle, si aucune loi n’était promulguée, l’ensemble des mesures administratives propres à l’état d’urgence tombaient.
Il ne s’agit donc pas tant aujourd’hui de se poser la question de savoir s’il est nécessaire ou non de prolonger, et pour quelle durée, le régime de l’état d’urgence, que de se poser celle de l’utilité de la sauvegarde et du maintien dans notre ordre juridique des mesures prises sous l’empire de l’état d’urgence depuis le soir des attentats du 13 novembre 2015.
En effet, l’extinction brutale de l’état d’urgence, le 20 janvier à minuit, aurait signifié la remise en liberté des personnes assignées à résidence ne faisant pas l’objet d’une procédure judiciaire, la remise ou la destruction précoce des données saisies dans le cadre de perquisitions administratives, l’annulation des remises d’armes, voire la réouverture de lieux de réunion ayant fait l’objet d’une fermeture provisoire, notamment des lieux de culte.
Ce cas de figure était évidemment inenvisageable, sous peine de ruiner le patient travail de nos forces de sécurité et du renseignement et, accessoirement, d’exposer l’État à des demandes reconventionnelles. Il faut donc maintenir l’état d’urgence et, pour cela, le proroger.
Je me contenterai de rappeler qu’en tout état de cause, il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres sans attendre l’expiration du délai légal, conformément à l’article 3 de la loi du 20 novembre 2015.
Faut-il pour autant prolonger ce régime d’exception sans y apporter les modifications nécessaires, comme cela a été effectué lors des prorogations successives ? Non. Comme nous y invite le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence présenté par nos collègues Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, comme nous le suggère notre rapporteur Pascal Popelin et comme nous le propose d’ailleurs le projet de loi que nous examinons ce soir, des modifications, des adaptations sont nécessaires.
Ces modifications apportées à notre ordre juridique doivent se limiter strictement à l’état d’urgence. Nous nous étions émus, lors de l’examen du projet de loi de juillet 2016 tel qu’il était issu des travaux de la CMP, de l’ampleur et du champ des onze mesures nouvelles intéressant la procédure pénale et concernant les délits et les peines qui avaient été introduites dans la loi, formant un volet spécifique s’insérant dans le droit commun. Notre collègue Stéphane Claireaux s’était justement exprimé en dénonçant la réintroduction par les sénateurs de dispositions qu’ils avaient préalablement présentées sur d’autres textes, sans succès.
Nous sommes en tous points d’accord avec la préconisation du rapport d’information de la commission des lois : s’il est utile qu’une loi de prorogation de l’état d’urgence puisse, outre la prorogation stricto sensu, prévoir des aménagements indispensables de la loi du 3 avril 1955, il n’est pas souhaitable qu’un véhicule législatif aussi particulier soit utilisé pour insérer des dispositions de droit commun, notamment lorsqu’elles intéressent des délits et des peines. Gageons que, cette fois-ci, les membres de la Haute assemblée sauront se montrer plus raisonnables qu’il y a cinq mois.
La principale modification proposée consiste à instaurer une durée maximale d’assignation à résidence. Cette solution était justement, et logiquement, préconisée par le rapport d’information de MM. Raimbourg et Poisson, logiquement car, comme je le disais un peu plus tôt, il faut maintenir l’état d’urgence pour que les mesures administratives prises sous son empire ne tombent pas, mais, comme ces mesures, en particulier les assignations à résidence, peuvent attenter à l’exercice de libertés individuelles, l’administration doit agir avec célérité et ne pas gérer ces situations au fil de l’eau, ce que le rapport Raimbourg-Poisson appelle une forme d’activité à bas bruit.
Comme pour les perquisitions administratives, le droit commun, tel qu’il résulte des lois de 2014, 2015 et 2016, qui ont facilité les perquisitions de données informatiques, les perquisitions domiciliaires nocturnes dans les affaires présentant un caractère terroriste, a vocation à supplanter le droit d’exception.
Le rapport d’information est, de ce point de vue, très instructif. Outre que la troisième prorogation de l’état d’urgence, effectuée par la loi du 20 mai 2016, ne prévoyait pas cette possibilité, le Conseil d’État l’ayant jugée inutile, l’usage des perquisitions administratives pendant l’état d’urgence a été très variable et leur objet a évolué en fonction des cibles à atteindre. Leur régime juridique a été mouvant. L’état d’urgence est donc un état d’adaptation constante et urgente du droit aux circonstances. Or le respect des libertés individuelles ne peut s’acclimater d’un environnement juridique en perpétuelle évolution.
Un bon moyen de fixer le régime de l’état d’urgence aurait été de le constitutionnaliser. Comme M. Raimbourg et M. Poisson, nous regrettons que le débat constitutionnel, qui devait notamment aboutir à l’inscription du régime de l’état d’urgence dans la Constitution, ait été dévoyé.
Dans son rapport sur le projet de loi prorogeant pour la première fois l’état d’urgence, le sénateur Philippe Bas estimait qu’une révision constitutionnelle était sur ce point justifiée d’un point de vue formel, mais discutable sur le plan juridique car les dispositions de la loi de 1955 avaient déjà été validées par le Conseil constitutionnel et que les conditions de mise en oeuvre du régime de l’état d’urgence avaient été précisées par la jurisprudence du Conseil d’État.
Les délais et modalités d’examen des quatre dernières lois relatives à l’état d’urgence, dérogatoires au droit commun car constituant des projets de loi relatifs aux états de crise en vertu de l’article 42, alinéa 4, de la Constitution, ne nous ont pas permis d’avoir cette nécessaire réflexion.
Il faut certainement renouveler le régime de l’état d’urgence par la mention de son existence dans la Constitution et l’examen d’une nouvelle loi qui viendrait abroger la loi du 3 avril 1955, nouvelle loi qui viendrait assurer une meilleure conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la vie privée et l’exercice des libertés individuelles.
Pour finir, et si nous revenons à l’état du droit de l’urgence actuel, les membres du groupe RRDP auraient été tentés, puisqu’il s’agit selon nous de travailler sur un état du droit satisfaisant afin qu’il puisse épouser les circonstances et non l’inverse, de déposer un amendement afin de supprimer une disposition que nous avions nous-même introduite dans la première loi de prorogation de l’état d’urgence.
Cette disposition permettait, par arrêté du ministre de l’intérieur, de bloquer les sites internet poussant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Cette procédure est en effet restée lettre morte, notamment parce que le droit commun résultant de la loi du 13 novembre 2014 comportait déjà une mesure administrative voisine.
Cependant, notre rapporteur a très aimablement fait remarquer que cette mesure s’articulait particulièrement bien avec les dispositions permanentes de notre arsenal juridique. Étant naturellement portés à lui faire confiance, nous décidons donc de la laisser subsister.
Au terme d’un état d’exception qui, au 15 juillet 2017, aura duré vingt mois, la représentation nationale devra faire l’examen de ce régime d’exception. Si l’on met de côté la période qui a suivi le putsch des généraux, puisque sa prolongation avait été décidée par le Président de la République sur le fondement de l’article 16, il n’aura jamais duré aussi longtemps depuis les événements qui avaient motivé sa création en 1955 : il avait alors été appliqué du 4 avril au 1er décembre.
Nous souhaitons que cette prorogation soit la dernière. Nous ne voulons pas fragiliser la lutte contre le terrorisme. Nous ne sommes pas persuadés que l’État de droit inclue le régime de l’état d’urgence car, si les circonstances qui en motivent l’application deviennent habituelles, l’exception doit s’effacer devant la règle. Nous voterons néanmoins la cinquième prorogation de l’état d’urgence.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France a connu de nombreuses attaques terroristes. Elles ont meurtri notre pays, ébranlé nos concitoyens. Les terroristes islamistes ont voulu mettre notre patrie à genoux.
Nous avons légiféré comme jamais en renforçant notre arsenal juridique contre le terrorisme.
Nous avons dégagé des moyens sans précédent en renforçant les effectifs de la police, de la gendarmerie, de nos services de renseignement et de notre armée déployés sur notre sol. Nous les avons mieux armés et mieux équipés.
Nous avons renforcé nos techniques de renseignement, mis l’accent sur la prévention mais aussi sur le désengagement.
Nous avons agi avec force et détermination dans tous les secteurs et je voudrais rendre hommage, monsieur le ministre, à vos deux prédécesseurs, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve.
La question de la nouvelle prorogation de l’État d’urgence peut se résumer ainsi : est-ce une mesure symbolique ou est-ce une mesure efficace dans la lutte contre le terrorisme ?
Le Président de la République a eu parfaitement raison, le soir du 13 novembre 2015, de décréter l’état d’urgence. C’était une réponse forte aux terribles attentats que nous avions subis à Paris et à Saint-Denis,…
…une mesure forte qui a permis, par un effet de surprise, de réaliser des perquisitions administratives permettant aux services de renseignement de faire progresser des enquêtes. Ce coup de pied dans la fourmilière a permis de déstabiliser sur certains territoires un certain nombre d’individus et de réseaux.
Mais, avec le temps, chacun le reconnaîtra, l’efficacité de l’État d’urgence s’est estompée. Dans le rapport de la commission d’enquête sur les attentats que j’ai remis en juillet avec Georges Fenech, j’avais, à la suite des auditions réalisées, considéré que l’état d’urgence avait eu un apport utile mais limité dans la lutte antiterroriste.
Alors que toutes les auditions de notre commission se sont tenues pendant l’état d’urgence, force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme.
Disons les choses encore plus franchement, les dispositifs de l’état d’urgence ne sont pas utilisés par la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. Parmi les cibles appartenant au haut du spectre, celles qui sont les plus dangereuses ne font pas obligatoirement l’objet d’une perquisition.
Il est évident qu’on ne va pas perquisitionner chez un individu que l’on surveille. Autrement dit, on ne va pas lui faire « coucou, on perquisitionne chez vous parce qu’on vous surveille ».
L’état d’urgence n’est pas le principal outil dans la lutte contre le terrorisme.
De même, on peut s’interroger sur les assignations à résidence.
La proposition de loi défendue par Éric Ciotti en septembre dernier proposait dans son article 1er que, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un individu constitue, par son comportement, une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, le ministre de l’intérieur puisse prononcer l’assignation à résidence, le placement sous surveillance électronique mobile ou le placement en centre de rétention spécialisé. Mon groupe s’était alors opposé fermement à cette proposition qui prévoyait une assignation de 150 jours.
Aujourd’hui, j’adopte la même cohérence avec les mêmes arguments. L’état d’urgence ne doit pas se traduire par une assignation à résidence permanente. Soit nous avons des éléments matériels prouvant la dangerosité de ces individus et, dans ces cas-là, ils peuvent être judiciarisés, soit nous n’avons pas ces éléments et les assigner de manière permanente peut nous faire sortir de notre État de droit.
Je me réjouis donc de la proposition de Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson de limiter dans le temps les assignations à résidence, que la commission des lois a adoptée hier.
Mes chers collègues, je le dis clairement, nous devrons sortir de l’état d’urgence.
Chacun s’accorde à dire que la menace est très forte et que ce sera un combat d’au moins une génération. Le péril imminent existera encore dans six mois, dans un an et certainement dans dix ans. Il sera même certainement encore accru.
L’état d’urgence ne peut être galvaudé infiniment. Ne soyons pas tétanisés face à la lutte contre le terrorisme. Ne soyons pas tétanisés face à l’état d’urgence. Lever l’état d’urgence n’est pas un désarmement de l’État face au terrorisme.
Si nous avions une classe politique à la hauteur, nous pourrions avoir une unité nationale sur ce sujet.
Pourquoi avoir conspué le Président de la République, qui, le 14 juillet, avait annoncé la sortie de l’état d’urgence ? Qui, aujourd’hui, prendra le risque de sortir de l’état d’urgence, de peur de se faire brocarder pour des raisons politiciennes au prochain attentat ?
Il y aura de nouveaux attentats, état d’urgence ou non. Nous devons donc éviter les postures, les surenchères et nous concentrer sur l’essentiel,…
…continuer à bâtir une politique de lutte contre le terrorisme utile et efficace.
Il faudra, après les échéances électorales, avoir un véritable consensus républicain pour sortir de cet état d’exception.
Notre nation doit faire front face à la menace. Nous devons le faire ensemble, unis, pour signifier que la République ne cède pas à ce fanatisme.
Applaudissements sur divers bancs.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis pour la cinquième fois en un an depuis les attentats du 13 novembre, afin de proroger une nouvelle fois l’état d’urgence. Cet outil, dont le Conseil constitutionnel a pu vérifier la conformité avec notre texte fondateur, complété en tenant compte de sa jurisprudence en matière de perquisitions et de saisies administratives, est nécessaire à notre sécurité collective, tant le risque terroriste est élevé et s’aggrave au fur et à mesure du recul territorial de Daech.
L’intensité de la menace s’incarne dans des appels au massacre relayés sur les réseaux sociaux : elle concerne aussi bien des réseaux terroristes dormants implantés sur notre sol que des mercenaires envoyés de l’étranger. Face à une menace protéiforme et durable, la mobilisation des services de renseignement, des forces de l’ordre et des forces armées, malgré les renforts de moyens humains comme juridiques que nous avons votés avec vous, dans un esprit d’union républicaine depuis 2012 et contrairement à ce qui s’était passé antérieurement, ne fait toujours pas le compte, en l’absence de réarmement juridique. Elle ne suffira pas, de surcroît, à faire face aux sorties de prison des premiers terroristes condamnés et aux retours du djihad.
Il faudra aussi un réarmement budgétaire. Notre pays ne consacre en effet que 3 % de son PIB à ses quatre piliers régaliens contre 34 % pour ce que l’on pourrait qualifier d’État-providence.
Or, ce texte ne répond pas à cette problématique. En effet, si 203 djihadistes sont revenus sur notre territoire, comme vous l’avez confirmé, monsieur le ministre, 687 sont encore présents sur zone, soit une hausse de 15 % depuis le début de l’année, dont une augmentation de 12 % de terroristes identifiés, et 40 % de ceux revenus de Syrie ne peuvent faire l’objet d’une judiciarisation immédiate, sans compter les 15 000 individus radicalisés présents sur notre territoire. Il ne répond pas davantage à la question des retours des femmes et des mineurs djihadistes qui seront les terroristes de demain : près de 400 sont présents sur zone, et les femmes représentent maintenant 40 % de ces djihadistes.
Quant aux sorties de prison, le coordinateur national du renseignement, jusqu’à sa candidature récente aux législatives comme candidat socialiste, s’est inquiété que 200 terroristes actuellement emprisonnés n’effectuent en réalité que la moitié de leur peine et soient libérés entre 2017 et 2020. Selon le principe de non-rétroactivité, ceux déjà jugés ne seront pas concernés par la suppression des réductions automatiques que vous avez fini par voter sur notre insistance, lors de la dernière prorogation de l’état d’urgence.
Face aux risques encourus, le Gouvernement donne une fois de plus le sentiment d’improviser. Après avoir rejeté notre proposition de loi relative à la lutte antiterroriste du 13 octobre et ma propre proposition de loi sur l’isolement électronique des détenus, qui aurait permis de traiter la question des prisons, aujourd’hui pépinières de djihadistes, où 15 % des terroristes au moins se sont radicalisés, vous annoncez de nouvelles mesures visant à prendre le relais de l’état d’urgence dans un projet de loi à venir sur la sécurité. On attend de voir ! Mais que de temps perdu, même si l’on ne peut vous le reprocher à vous, monsieur le ministre, alors que le Gouvernement avait toutes les clés en main.
Par ailleurs, vous n’utilisez pas en totalité les possibilités que vous donne l’état d’urgence, comme d’autres l’ont dit avant moi. Vous autorisez toutes les manifestations, même celles des ZAD – je pense à Notre-Dame-des-Landes –, très consommatrices d’effectifs pourtant déjà épuisés et victimes d’une hausse des violences de 14 %. Confrontés au désarmement pénal provoqué par les lois Taubira face à la délinquance de droit commun où le « gangstéro-terrorisme » trouve sa source, les policiers n’ont d’autre choix que de manifester, parfois en service, comme en ce moment même aux Invalides, pour tenter de se faire entendre.
Ils vous ont apparemment convaincus de réviser le régime de la légitime défense, alors que cela aurait dû être fait depuis longtemps, comme l’a dit notre collègue Guillaume Larrivé, après que vous avez rejeté nos cinq – je dis bien cinq – propositions de loi depuis le début de la mandature. Mais c’est loin d’être suffisant. Je crains, monsieur le ministre, que votre exhortation à sourire aux policiers croisés dans la rue ne les rassérénera pas forcément.
Au-delà de cette prorogation indispensable de l’état d’urgence jusqu’aux législatives, que vous auriez dû porter directement à un an comme le proposait Éric Ciotti, vous devez vous interroger sur la pertinence d’un cinquième renouvellement et mettre en oeuvre à la place une véritable législation antiterroriste de droit commun, en somme un état de haute sécurité. Vous avez repris, contraints et forcés, certaines de nos suggestions, mais nombre de nos préconisations, inspirées notamment par la commission d’enquête Fenech-Pietrasanta, restées lettre morte, demeurent valables car, contrairement aux assertions du Président de la République, notre arsenal n’est pas complet et non, nous n’avons pas tout essayé !
Décloisonner les services de renseignement, créer une agence nationale de lutte antiterroriste et lancer un troisième plan de lutte antiterroriste ;…
…créer un fichier unique des individus radicalisés et expulser les étrangers fichés S, rétablir les contrôles stricts aux frontières, exiger un passeport biométrique pour pénétrer dans l’espace Schengen, fermer tous les lieux de culte salafistes et interdire le financement étranger ; supprimer toute possibilité même de réduction ou d’aménagement de peine pour les terroristes, et pas seulement les réductions automatiques, les soumettre à la rétention administrative et à la surveillance de sûreté, adapter le contrôle judiciaire et interdire le retour des djihadistes nationaux.
Une fois de plus, mes chers collègues, tout en votant ce texte, nous vous mettons en garde contre les demi-mesures qui nous donnent un temps de retard sur le terrorisme, quand il faut avoir un temps d’avance. Les Français savent que le risque zéro n’existe pas, mais ils ne vous pardonneront pas d’avoir hésité, d’avoir tergiversé. Pour notre part, parce que nous sommes en état de guerre, nous assumons d’astreindre nos concitoyens à davantage de contraintes salvatrices par les instruments de l’État de droit, car notre nation a le devoir de tout mettre en oeuvre afin de se protéger contre la barbarie et de l’éradiquer définitivement.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec la cinquième prorogation de l’état de l’urgence, nous vivons une sorte de paradoxe, que le débat de ce soir a d’ailleurs bien mis en lumière. Au-delà de l’exigence des nécessités immédiates, que je ne mets pour ma part aucunement en cause, il y a le constat que des mois après la première instauration de l’état d’urgence, la situation de notre pays ne s’améliore pas, du point de vue des risques que le terrorisme fait peser sur l’ensemble de notre population.
Dans le débat de ce soir, nous prenons donc explicitement parti sur le besoin absolu, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, des mesures d’urgence nécessaires, que je ne conteste pas, mais nous prenons aussi implicitement parti sur l’état de notre pays et, peut-être, les besoins à long terme de son intégration.
S’agissant du besoin immédiat, fût-il renouvelé, j’en crois les justifications solides et les dispositifs globalement appropriés. Je ne reviens pas sur les risques d’attentats, et surtout, sur le caractère multiforme qu’ils risquent de prendre. Je ne reviens pas non plus sur les risques particuliers que, dans le contexte géopolitique, le retour des djihadistes fait peser sur notre pays. Je ne reviens pas non plus sur le contexte électoral. Personnellement, il me semble l’argument le plus faible. Nous avons évoqué d’autres contextes, comme ceux du Tour de France ou de grands événements. Le contexte électoral importe, mais il n’aurait, à l’évidence, pas suffi à justifier cette prorogation.
Quant aux dispositifs, nous aurons le débat à l’occasion de l’examen des amendements. Je n’y reviens donc pas, si ce n’est pour dire que dans les trois dernières lois, nous avons procédé à un certain remodelage du dispositif. Nous le faisons ici encore dans le texte voté par la commission, en remodelant l’approche de l’assignation à résidence, assortie d’un dispositif assez original, nous en débattrons.
Ce remodelage m’inspire un regret, que je partage avec d’autres, à commencer par le rapporteur : celui que nous n’ayons pu inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. Je crois avoir été la première à en parler dans cet hémicycle, il y a de longs mois. De faux débats ont eu lieu sur cette question de l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence. En réalité, la permission constitutionnelle – le texte n’est pas autre chose que permissif – est en même temps, bien entendu, une limitation.
Par ailleurs, le grand mérite du texte constitutionnel, c’est qu’il aurait pu intégrer le principe du contrôle parlementaire. Cela avait d’autant plus d’intérêt que j’entends dire beaucoup de choses qui ne sont pas justes, je crois. Il ne s’agit absolument pas du pouvoir d’évaluation du Parlement, mais d’un réel pouvoir de contrôle sui generis, que les commissions des lois ont largement inventé pour elles-mêmes. Il aurait eu un grand intérêt à être intégré à la Constitution, d’autant qu’à l’époque de la loi de 1955, les pouvoirs réciproques de l’exécutif et du législatif n’étaient pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui. C’était une raison supplémentaire pour l’y inscrire. C’est un regret.
Ce soir, implicitement, nous nous prononçons sur la situation de notre pays. Nous devons le faire sans complaisance, mais en regardant à quel degré de délaissement sont arrivés certains quartiers, mais aussi certains territoires ruraux ou périurbains. Nous devons nous poser la question des mesures de long terme, qui seraient aujourd’hui nécessaires pour compléter des mesures sécuritaires immédiates, qui, je le répète, sont à mes yeux indispensables et nécessaires.
De cette manière, nous tiendrions les deux bouts de l’exigence républicaine et, plutôt que de s’en tenir à de sempiternelles critiques sur l’État de droit, l’état d’exception, nous irions vers des mesures positives et constructives. Il y aurait d’un côté la sécurité, à laquelle la population française a droit sans qu’il n’y ait à transiger sur ce point ; de l’autre, une intégration de long terme, sans laquelle nous risquerons de nous fracasser un jour sur la division au sein de la nation et de la République. Les risques, mes chers collègues, pesant sur l’intégration dans notre pays sont aujourd’hui très réels. Les attentats n’en sont qu’un révélateur.
Avec des mesures très ambitieuses, de plus longue portée que celles que nous avons prises, en matière de politique des quartiers et d’éducation, combinées – vous seriez étonné que je n’en parle pas, monsieur le ministre – à un service national obligatoire qui restituerait le sens et l’esprit de la règle civique, nous serions armés pour répondre au grand défi de l’intégration dans la République, devant lequel nous sommes. Sans y mettre l’ambition ni les moyens, nous n’y arriverons pas. C’est ainsi que les besoins de la France ne se portent pas seulement sur la sécurité immédiate : il faut assurer à notre pays un avenir solide au sein d’une République apaisée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chacun se souvient des conditions peu glorieuses qui vous ont conduits à demander en catastrophe – c’est le cas de le dire, hélas ! – la quatrième prorogation de l’état d’urgence, le 21 juillet dernier. Quelques jours auparavant, dans l’après-midi du 14 juillet, le Président de la République, qui ne cachait pas sa joie d’avoir surmonté sans problème l’Euro 2016 de football, avait annoncé la fin de l’état d’urgence, qui ne s’imposait plus, selon lui, au regard de la loi qui venait d’être promulguée le 3 juin précédent sur la sécurité intérieure.
Hélas, la boucherie de la promenade des Anglais survenait quelques heures plus tard, le contraignant à un revirement à 180 degrés. Il fallait d’urgence reconduire l’état d’urgence. Mais quelques jours après Nice, et cinq jours à peine après la nouvelle prorogation de l’état d’urgence, survenait le lamentable attentat du 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray, dont l’un des auteurs faisait précisément l’objet d’une assignation à résidence. Voilà qui, une nouvelle fois, montrait les limites de l’exercice que vous nous demandez à nouveau de renouveler aujourd’hui.
Depuis son entrée en vigueur, le 14 novembre 2015, le moins que l’on puisse dire en effet, c’est que la mise en oeuvre de l’état d’urgence n’a nullement permis d’empêcher la série d’attaques survenues depuis le Bataclan et Saint-Denis, ce que, du côté du Gouvernement, on semble avoir oublié : trois au mois de janvier 2016, à Valence, à Paris et à Marseille ; l’ignoble attentat de Magnanville en juin ; et, bien sûr, Nice et le père Hamel assassiné en pleine messe à Saint-Étienne-du-Rouvray.
Cette série d’attentats n’a fait que confirmer les limites de la procédure de l’état d’urgence et l’urgence, en revanche, d’une réforme en profondeur de notre système de renseignement, tant dans la collecte que dans le traitement des informations, sans parler du cyber. C’est dans ces différents domaines, étudiés par la commission d’enquête Pietransanta-Fenech, que reste à faire un énorme travail, que vous n’avez pas voulu engager jusqu’ici et que la simple reconduction de l’état d’urgence ne saurait remplacer. C’est la raison pour laquelle je n’avais pas voté la prorogation de l’état d’urgence au mois de juillet dernier, pas plus que je ne la voterai ce soir.
Mais il y a plus grave cette fois-ci. Alors que vous nous demandez cette prorogation, vous ignorez les développements extrêmement importants qui se sont produits au Proche-Orient cette année, surtout depuis l’été dernier : premièrement, l’offensive américano-irakienne sur Mossoul, à laquelle nous participons ; deuxièmement, l’offensive russo-syrienne à Alep.
Le noeud est en train de se resserrer progressivement sur l’État islamique en Syrie et en Irak, et donc sur les djihadistes étrangers, notamment français, qui y combattent. Dans le même temps, la pression militaire s’accroît au Yémen, mais également au Nord Mali et en Libye. Le résultat prévisible est que beaucoup de ces djihadistes qui auront survécu à ces guerres vont revenir en Europe et en France. Or la France se situe au premier rang des pays fournisseurs, si j’ose dire, de contingents djihadistes, avec au minimum 1 200 combattants, 200 tués, 200 de retour et au moins 800 sur place. Pour avoir consulté les rares études disponibles sur ces « revenants » et en faisant la part des déçus et autres repentis, on ne saurait trop souligner l’extrême dangerosité de ce qui nous attend.
David Thomson, qui a consacré une étude à ces revenants, dit que la menace est triple : « celle des retours d’éléments formés militairement et missionnées pour tuer ; celle des revenants déçus mais non repentis, capables de passer à l’acte violent individuellement ; et celle des sympathisants restés en France et pénétrés par ce discours ». C’est à la lumière de ces dangers, monsieur le ministre, qu’il convient d’examiner votre projet de loi sur l’état d’urgence. Que fait notre droit face à cette menace ? D’abord, il faudrait que nos services de renseignement soient capables de repérer les djihadistes de retour ; or ce n’est pas le cas. Ceux qui ne prennent pas un avion direct entre Istanbul et Paris n’apparaissent pas sur les écrans radar. C’est le cas d’un djihadiste qui s’est confié, il y a quinze jours, dans le Journal du dimanche pour expliquer qu’il est rentré sans problème et a repris sa vie comme avant ; il a été interpellé par la police en allant chercher un nouveau passeport – le comble pour un combattant djihadiste !
En second lieu, la volonté de les mettre hors d’état de nuire n’est pas démontrée, c’est le moins qu’on puisse dire. À Istanbul, où je me suis récemment entretenu avec les représentants du consulat, on accueille les djihadistes sur le retour avec douceur. David Thomson rapporte d’ailleurs dans son livre un échange téléphonique franchement renversant entre le consulat et un de ces djihadistes ! Les gens sont accueillis à bras ouverts ; on leur indique comment revenir. Le moins qu’on pourrait attendre d’un État décidé à se battre sérieusement contre le terrorisme serait que tous les djihadistes fassent l’objet d’une rétention administrative indéfinie, en attendant que la justice puisse étudier chaque dossier, et non qu’ils soient renvoyés chez eux, comme c’est le cas actuellement, lorsque les preuves de leur implication dans des opérations de guerre ne peuvent pas être immédiatement réunies à l’issue de leur garde à vue.
Je termine, monsieur le président. Notre collègue Guillaume Larrivé n’a pas épuisé son temps de parole. Merci de m’accorder les deux minutes qu’il n’a pas utilisées…
Sourires
Il faut aussi sanctionner durement ces djihadistes. J’avoue ne pas comprendre pourquoi les articles 414-4 et suivants du code pénal ne sont pas appliqués. Ces articles prévoient qu’en cas d’intelligence avec l’ennemi, les terroristes sont passibles de trente ans d’emprisonnement et de 450 000 euros d’amende. Pourquoi ces textes ne sont-ils pas appliqués ? Au lieu de cela, on prévoit des réductions et des aménagements de peine dans le cadre de la loi Taubira. C’est incompréhensible !
Enfin, il faut cesser de subventionner les terroristes de retour. La République est bonne fille avec ces assassins ! Comment expliquer aux familles de victimes du terrorisme que la République subventionne, à coup de RSA et d’allocations sociales, ces gens qui reviennent en France ?
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
C’est ce qui se passe, mes chers collègues ! Et savez-vous pourquoi ? Parce que le code de la sécurité sociale n’impose comme conditions que la nationalité française et la résidence dans le pays, et non l’absence d’incrimination. C’est invraisemblable !
C’est par exemple le cas de Farouk Ben Abbes, qui a pourtant été condamné. Il faut faire cesser ce scandale ! Ce n’est pas la peine de proroger l’état d’urgence si l’on n’est pas capable de régler ce genre de problème…
Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission de lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis le 7 janvier 2015, la France est en guerre. À l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ont tragiquement succédé les horreurs du Bataclan, de Nice, de Magnanville et de Saint-Étienne-du-Rouvray – autant de noms et de lieux gravés à jamais dans la mémoire nationale. En réponse à ces attentats, face à la folie meurtrière du terrorisme islamiste, la France a su se relever et se renforcer dans l’adversité. Contre la barbarie, comme un défi lancé à ceux qui veulent briser notre vivre-ensemble et faire plonger notre pays dans la guerre civile, nous avons réussi à prouver notre unité, et le Gouvernement a su mettre en oeuvre les mesures indispensables à la lutte contre le terrorisme. La majorité a compris, elle, qu’il fallait débloquer les moyens humains, légaux et financiers nécessaires, alors que certains ont refusé de voter la loi renseignement et que d’autres prônent la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Augmentation du nombre de policiers et de militaires, accroissement pour la première fois en vingt ans du budget de la défense, vote de la loi renseignement, déclenchement de l’opération Sentinelle, intervention directe contre l’État islamique sont à mettre au crédit de la majorité et du Gouvernement. Je tiens à rendre hommage à notre ancien Premier ministre, Manuel Valls, qui a porté cette action avec réalisme.
La guerre que nous menons se joue sur deux terrains, deux théâtres d’opérations complémentaires qui impliquent des moyens et des dispositifs différents. Au Levant, nos troupes participent à la destruction de Daech. Après plusieurs mois d’opération, l’ennemi recule et se trouve aujourd’hui particulièrement affaibli. Mais même si toutes ces actions ont montré leur efficacité, la menace reste présente et elle est loin d’être éradiquée. Rien que depuis juillet, ce ne sont pas moins de douze projets d’attentat qui ont été déjoués par nos services de police et de renseignement, ce qui montre bien que la menace reste très forte et que notre ennemi ne va pas se laisser abattre sans combattre. Même si Daech recule sur le terrain grâce notamment à l’action formidable de nos troupes, l’idéologie ignoble qu’il propage n’est pas morte. Ses capacités de recrutement demeurent, et c’est pour cela que l’on doit proroger une nouvelle fois l’état d’urgence – même s’il ne s’agit ni d’une solution miracle ni d’une solution pérenne –, car c’est sur notre sol que se joue cette partie de la guerre.
Nous devons lutter contre la radicalisation dans certaines parties de notre territoire. Fermer les mosquées où l’on prêche la haine de la France et où l’on veut détruire, au nom de l’islam radical, tout ce qui fonde notre République est une nécessité absolue. Il ne doit plus y avoir d’angélisme ni de complaisance, parfois pour des raisons clientélistes, face à ces obscurantismes. Le combat contre l’islamisme radical passe aussi par une lutte pied à pied contre ceux qui imposent aux femmes de certaines villes de rester cloîtrées, rejettent la mixité et tendent à faire appliquer leurs dogmes religieux dans l’espace public. Aucune règle religieuse ne saurait être supérieure aux lois républicaines et c’est aussi notre devoir de lutter sur ce terrain. Nous devons éradiquer d’internet les sites de propagande islamiste qui diffusent la haine, tout comme il est temps d’en finir avec les sources de financement du terrorisme, ici comme ailleurs.
Si le droit doit s’appliquer, de tels actes relèvent-ils encore du système judiciaire classique ? Si nous devons la sécurité aux Français, nous leur devons également le respect de l’État de droit et des règles démocratiques. Nous avons le devoir d’obéir à cet impératif absolu d’équilibre entre efficacité et respect des droits, un équilibre entre capacité d’action et protection des libertés individuelles. Sans cet équilibre, nous laisserions le terrorisme saper les fondements de notre nation et de notre République. Alors oui à l’état d’urgence, tel que vous le proposez, monsieur le ministre ! Le dispositif, tel qu’il a été mis en place en 2015 et amélioré par la suite, respecte cet impératif d’équilibre ; cela a été démontré par le Conseil d’État ainsi que par le Conseil constitutionnel. On ne peut reprocher au Gouvernement de faire fi des droits de nos concitoyens et encore moins de leur sécurité. Ne tombons pas dans le piège tendu par les terroristes, mais également par les extrêmes ! Ne détruisons pas, au nom de la sécurité, ce qui fait que la France est la France : une République laïque, indivisible, solidaire, ouverte sur le monde et respectueuse des droits de chacun. Sans cela, et je le dis avec gravité, la France ne serait plus la France, et nous ne pouvons pas l’accepter.
Oui, la sécurité est un bien précieux, elle est le socle du bien-être de chacun de nos concitoyens. Il est de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour qu’elle leur soit assurée. Mais sans liberté, elle deviendrait mortifère, et c’est cet équilibre que nous devons respecter à tout prix. Casser l’État de droit, briser les fondements de notre République par la création de règles discriminatoires ou de camps d’internement arbitraires, fermer la France sur elle-même, ce serait en réalité détruire notre pays. C’est justement ce que nous cherchons à éviter avec le vote de l’état d’urgence, tel que proposé par le Gouvernement. Les extrêmes comme les terroristes veulent détruire ce qui fonde la République ; face à eux, je vous le dis, cet état d’urgence se doit d’être la République, toute la République et rien que la République.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la représentation nationale discute une fois de plus une prorogation de l’état d’urgence – la cinquième en treize mois. Nous faisons encore le constat amer et réaliste que la France ne peut pas baisser la garde face aux menaces d’attaques terroristes. Personne ne peut s’habituer à la peur. Personne ne peut s’habituer à voir des militaires déployés dans les rues, dans les transports en commun. Personne ne peut s’habituer à voir son sac fouillé à l’entrée des lieux ouverts au public. Et pourtant, depuis des mois, les Français font preuve d’un courage qui force l’admiration. Ils se sont montrés à la hauteur des exigences d’aujourd’hui, à la hauteur des événements. Mais la réponse politique, elle, a-t-elle été à la hauteur ?
L’état d’urgence était la réponse adéquate aux attentats du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016. Chacun a compris que le danger pouvait venir de n’importe où, à n’importe quel moment. Mais si l’état d’urgence a permis d’agir vite après l’horreur, il ne saurait s’inscrire dans la durée. Nous allons de nouveau voter pour, mais cette fois, plus que jamais, en ayant conscience que l’état d’urgence permanent ne serait ni souhaitable ni même efficace sur le long terme. Proroger l’état d’urgence sans préparer sa fin implique de laisser les élus locaux toujours livrés à eux-mêmes pour assurer la sécurité de leurs administrés. Car c’est vrai, l’État ne peut pas tout. Des élus doivent parfois prendre des décisions à contrecoeur, aller à l’encontre de l’avis de la population, abandonner certaines traditions. Je pense à ces maires qui ont pris la décision d’annuler les feux d’artifice du 14 juillet, certaines fêtes populaires, ou encore la braderie de Lille – pour la première fois depuis soixante-dix ans ! Mais avec les fêtes de Noël qui arrivent, et les marchés traditionnels qui ont déjà ouvert depuis le début du mois, sommes-nous certains que l’état d’urgence renforce effectivement la sécurité de tous ?
Proroger l’état d’urgence sans imaginer y mettre fin suppose d’aggraver encore les conditions de travail des forces de l’ordre. Policiers et gendarmes, à qui je souhaite rendre hommage, sont surmenés, surmobilisés et épuisés par l’année qui vient de s’écouler : risques quotidiens d’attentat, crise migratoire, maintien de la sécurité lors de manifestations sociales ou sportives, et maintenant les fêtes de fin d’année. Sans oublier, car nous n’oublierons jamais, les attaques contre les dépositaires de l’ordre public, dans l’exercice de leurs fonctions, et même à leur domicile ! Dans ce contexte, le ministre de l’intérieur a pour seule proposition devant les caméras d’inviter chacun à adresser un sourire aux forces de l’ordre… Mais en écoutant cela, monsieur le ministre, je n’ai pas le coeur à vous sourire. Le Gouvernement devrait plutôt sérieusement songer à aider les forces de l’ordre en leur permettant notamment de prendre les temps de récupération auxquels ils ont droit ou de renouveler les équipements des commissariats de province.
Le Gouvernement devrait par ailleurs limiter les déplacements facultatifs de ses ministres, qui mobilisent les forces de l’ordre pour des missions qui ne sont pas toujours prioritaires.
Proroger l’état d’urgence est crucial, mais des défaillances de sécurité persistent. D’un côté, nous votons des aménagements du dispositif des assignations à résidence ; de l’autre, le Gouvernement prend des mesures dangereuses dans un contexte de lutte contre le terrorisme, comme la suppression de la brigade de surveillance intérieure d’Hirson, à la frontière belge, dans l’Aisne – une décision qui, si elle était maintenue, supprimerait la protection de notre frontière par les douanes sur près de 140 kilomètres ! Le président de la région Hauts-de-France a déjà alerté M. le ministre de l’économie et des finances, puis le Président de la République. Sur ce sujet, nous sommes toujours sans réponse.
Proroger l’état d’urgence demande que la population soit formée aux réflexes à avoir en cas de danger, comme cela a déjà été fait à la rentrée 2016 dans les écoles, où chacun a pris connaissance des consignes de sécurité élémentaires. À cette occasion, ce sont encore les maires qui ont dû s’organiser, en coopération avec les chefs d’établissement, les enseignants et les parents d’élèves. Il est indispensable que tous les Français comprennent comment notre pays fonctionne en état d’urgence pour pouvoir réagir correctement. Il est temps que le Gouvernement organise des formations dans les centres sociaux, et donne les outils de sensibilisation aux entreprises pour les inciter à former leurs salariés à la gestion de crise.
Proroger l’état d’urgence n’est finalement pas faisable sur plusieurs années. Nous arrivons à un moment où nous devons envisager un dispositif de sortie graduée. Nous allons très certainement proroger l’état d’urgence ce soir à l’issue des débats car il est nécessaire dans un contexte de menace qui n’a pas diminué en intensité. Toutefois, il doit par nature demeurer exceptionnel, et un tel statu quo ne saurait durer éternellement.
Il ne serait pas raisonnable d’y mettre fin du jour au lendemain, mais nous ne pouvons plus nous retrouver tous les six mois, comme nous le faisons actuellement, pour à chaque fois reconduire une situation qui ne peut véritablement pas s’inscrire dans la durée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai bien conscience d’être le dernier orateur inscrit dans la discussion générale. C’est sans doute le privilège du responsable du groupe SER.
Maintenir la France sous le régime d’exception de l’état d’urgence est une décision grave. Il est normal que des opinions diverses s’expriment dans cet hémicycle. J’ai entendu les réserves de Sébastien Pietrasanta, ainsi que celles de Sergio Coronado. Elles doivent être écoutées.
La démission du gouvernement de Manuel Valls amène le gouvernement de Bernard Cazeneuve à saisir le Parlement plus rapidement que nous ne l’avions prévu, ce qui ne permettra sans doute pas de tirer toutes les conclusions du très utile rapport d’information de Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson.
Nous devons cependant prendre nos responsabilités. Vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’intérieur : la menace est plus grande que jamais. Elle est aggravée par plusieurs facteurs. Daech régresse partout dans le monde et perd le contrôle des territoires qu’elle avait conquis. N’étant plus en mesure d’y accueillir de nouveaux djihadistes, l’organisation donne des instructions très claires : « Ne venez pas, mais perpétrez des attentats là où vous vous trouvez, avec des moyens simples : des camions, des armes blanches, des bombes artisanales. Faites-le à des endroits où la démocratie sera frappée au coeur. » Qu’est-ce qui peut frapper davantage une démocratie que de s’en prendre à des gens réunis pour préparer l’avenir du pays, au moment d’une élection présidentielle ou d’élections législatives ?
Tout cela a déjà été dit, mais je le répète d’une manière très simple, peut-être même trop directe : les grands rassemblements de femmes et d’hommes réunis pour définir ce qu’il faudra faire demain, ce qui sera bon pour notre pays, seront des cibles, non seulement parce que ce seront des groupements d’individus, mais aussi parce qu’ils seront le coeur battant de la démocratie. Nous devons donc prendre nos responsabilités.
J’entends dire qu’on a déjà fait beaucoup et que l’état d’urgence serait donc, d’une certaine manière, vidé de sa substance. Je respecte cette idée. Mais si notre droit commun actuel couvre totalement le champ de l’état d’urgence, pourtant avoir autant peur de ce dernier ? La réalité est un peu différente. L’état d’urgence va plus loin que le droit commun actuel, et nous en avons besoin – j’allais presque dire « malheureusement ».
Pourquoi proroger l’état d’urgence ? Parce que la menace est intense. Parce que, techniquement, nous avons besoin de disposer des moyens de contrôle des grandes foules que seul l’état d’urgence procure. Parce que nous avons aussi besoin de maintenir assignés à résidence certains individus, à la vérité très peu nombreux, mais qui doivent être empêchés d’agir sans pour autant pouvoir être judiciarisés dans l’immédiat. Parce que, contrairement à ce que j’entends dire ici ou là, les perquisitions administratives de jour comme de nuit ne sont pas devenues inutiles. Il suffit de lire le rapport de Dominique Raimbourg pour apprendre que, dès que ces perquisitions administratives ont été réinstituées, elles ont permis d’engager un certain nombre de poursuites judiciaires.
Cependant, toutes ces mesures doivent être conduites sous le contrôle étroit du juge. Permettez-moi simplement de citer les propos du vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, dans un entretien au Monde à propos des placements en résidence surveillée et des perquisitions : « Le juge exerce en matière de légalité un triple contrôle sur le caractère nécessaire, adapté et proportionné des mesures contestées. » On ne peut donc pas prétendre sérieusement que l’état d’urgence donnerait lieu à je ne sais quels dérapages. S’il devait y en avoir, ils seraient sanctionnés à bon droit.
Quant au contrôle parlementaire, mes chers collègues, toutes les données sont disponibles, qu’il s’agisse du nombre d’assignations, de perquisitions ou des résultats obtenus… N’est-ce pas le signe du bon fonctionnement de la démocratie, y compris sous l’empire de l’état d’urgence ?
Le rapport de Dominique Raimbourg comporte de nombreuses préconisations. L’une des plus importantes, concordante avec l’avis du Conseil d’État, est de limiter la durée du placement en résidence surveillée. C’est chose faite : le Gouvernement avait proposé quinze mois, la commission des lois a proposé et voté douze mois avec un délai permettant de traiter les cas les plus anciens. Au-delà de cette durée, le juge administratif interviendra. Nous allons certainement en reparler, monsieur le ministre, mais je pense que nous pouvons vous remercier de votre soutien.
Reste la question de la sortie de l’état d’urgence. Évidemment, cette question se pose car, comme tout le monde l’a dit, l’état d’urgence ne peut pas être prolongé indéfiniment.
Il est difficile d’en sortir quand les causes qui ont déclenché son instauration sont plus réelles que jamais et peuvent faire basculer la France au beau milieu d’une campagne présidentielle.
Il eût été nécessaire de constitutionnaliser l’état d’urgence, non pas pour le banaliser, mais pour en sécuriser les contours et le contenu. On sait ce qu’il en a été.
Il sera sans doute utile, voire indispensable, de sortir de l’état d’urgence progressivement en complétant notre arsenal pénal de droit commun dans le respect de la Constitution et des principes qui fondent la République. Mais compte tenu de la circonstance liée à la démission du Gouvernement, compte tenu de la réalité de la menace, compte tenu de la période d’élections présidentielle et législatives qui se profile, nous ne pouvons pas désarmer le pays et nous devons le doter de tous les moyens de protection au service des Françaises et des Français. C’est pourquoi la grande majorité du groupe SER votera la prorogation de l’état d’urgence.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La séance, suspendue le mercredi 14 décembre 2016 à zéro heure vingt, est reprise à zéro heure vingt-cinq.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à Mme Michèle Bonneton.
Si ce texte est adopté, l’état d’urgence aura duré vingt mois, jusqu’au 15 juillet 2017. Il aura été en vigueur pendant les campagnes électorales du printemps prochain.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
L’urgence perdurera, quelle que soit la majorité sortie des urnes, en vertu de l’article 3 du présent projet de loi. Cela pourrait se révéler extrêmement dangereux, selon la couleur de la prochaine majorité.
Mêmes mouvements.
Ce régime d’exception a été renforcé en juillet dernier : nous avons donné aux autorités administratives la possibilité de faire procéder, entre autres, à des saisies de matériel informatique, de téléphones portables, à des fouilles de bagages ou de véhicules…
L’une des mesures les plus attentatoires aux libertés est l’assignation à résidence. Pour une personne placée dans cette situation, il est impossible d’avoir une activité, de mener une vie sociale ou d’aller travailler. Le projet de loi que nous examinons ce soir limite la durée de l’assignation à résidence à un an.
Murmures continus sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
J’apprécie beaucoup la politesse des députés siégeant sur les bancs de la droite…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
S’il vous plaît, mes chers collègues, retrouvez un peu de calme et écoutez les inscrits sur l’article 1er !
Je disais donc que le projet de loi limitait la durée de l’assignation à résidence à un an. C’est trop long : nous proposerons huit mois.
Le texte dont nous discutons ne recentre pas suffisamment l’état d’urgence sur la lutte contre le terrorisme, qui n’est d’ailleurs défini nulle part. L’état d’urgence deviendrait-il un simple moyen de maintenir l’ordre public ?
Le 6 décembre dernier, la commission des lois de notre assemblée a publié un rapport d’information selon lequel, dans la lutte contre le terrorisme, « les mesures les plus efficaces sont celles du droit commun, c’est-à-dire les mesures d’enquête et les mesures judiciaires ». C’est particulièrement le cas depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 juin 2016. Cependant, il est impératif que les services de renseignement coopèrent beaucoup mieux.
Attention aux dérives ! Certains en France remettent déjà en cause l’adhésion de notre pays à la convention européenne des droits de l’homme.
Les deux minutes sont écoulées ! Il faut passer à l’orateur suivant, monsieur le président !
Cette situation a été pointée du doigt par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Muižnieks, lors d’une visite à Paris le 29 novembre dernier.
D’ailleurs, Amnesty International, la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature viennent de demander…
Merci, madame Bonneton. Je vous rappelle que votre intervention était limitée à deux minutes.
La parole est à M. Arnaud Viala.
Monsieur le ministre, je vais voter le projet de loi que vous avez présenté. Cependant, je souhaite appeler votre attention sur trois points.
Compte tenu de la durée dans laquelle va s’inscrire la mesure, il est important de rassurer la population et de ne pas laisser s’installer une baisse de vigilance. On observe une forme d’accoutumance, mais nos concitoyens doivent être alertés sur le fait qu’ils ont tous un rôle à jouer, à titre individuel, dans la mise en oeuvre de ces mesures de sécurité.
Par ailleurs, il faut assurer un accompagnement beaucoup plus ferme des élus locaux. Ces derniers sont mobilisés, mobilisables et placés en première ligne pour mettre en oeuvre un certain nombre de mesures. Là aussi, ils sont gagnés par un sentiment de solitude face à une situation qui, malheureusement, dure.
Enfin, je veux souligner le besoin de réassurance de nos forces de l’ordre et de nos forces de sécurité, qui se trouvent sous tension, exténuées par les astreintes engendrées par cette situation. Il faut donc les soutenir très fortement !
Au début de l’année, lors du débat sur la deuxième prorogation de l’état d’urgence, j’avais invité l’Assemblée à être lucide en faisant courir cette prorogation jusqu’en mai 2017. Les événements, où se mêlent occasions manquées et terribles attentats comme celui de Nice, me donnent malheureusement raison.
L’état d’urgence est une procédure utile qui aurait gagné à être constitutionnalisée, et surtout à être fixée dans une législation organique. Pour la majorité, c’est un échec que de n’avoir pas rénové cette législation et d’avoir trop souvent examiné les prorogations dans des circonstances que l’on ne peut que qualifier d’acrobatiques.
L’état d’urgence ne doit pas être permanent. Il faut donner du sens à cette tautologie. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport d’information que nos collègues Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson ont consacré à l’état d’urgence. C’est un excellent travail de contrôle parlementaire qui met en lumière les forces et les faiblesses du dispositif, ses avantages et ses inconvénients. Il nous faut en tirer toutes les conséquences aujourd’hui en ne votant pas la prorogation.
Puisque je n’ai pas répondu aux orateurs de la discussion générale – et je remercie chacun pour ses propos – et que M. Viala vient de faire une intervention particulièrement juste, je souhaite dire un mot sur le concours des élus locaux. Ce n’est d’ailleurs pas seulement un concours : c’est une mobilisation totale, non pas dans le cadre des mesures dont nous discutons ce soir, mais dans celui de la production de sécurité. Dans le climat que connaît notre pays, leur rôle est absolument essentiel.
J’ai demandé ce matin même aux préfets de maintenir le lien avec les élus locaux, surtout en cette période des fêtes de fin d’année où se tiendront des rassemblements qu’il faudra absolument sécuriser, et d’examiner comment les moyens de l’État pouvaient être mis à leur disposition afin d’entretenir ce partenariat.
J’ajoute que je ne prends pas à la légère la tension à laquelle sont soumis les policiers, les gendarmes, les sapeurs-pompiers et tous ceux qui assurent une mission de sécurité. Quatorze policiers et gendarmes sont morts en service en 2015, dix-sept en 2016.
En 2016 également, à l’heure où je vous parle, onze mille policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés.
J’en reviens donc à ce que disait M. Dive, en remarquant que depuis qu’il est arrivé à l’Assemblée nationale, le 20 mars dernier, trois lois ont été votées pour faire progresser notre procédure pénale alors même que nous étions sous le régime de l’état d’urgence. Cela montre bien que nous adaptons à tout moment nos dispositifs de sécurité et nos lois antiterroristes – je pense en particulier à l’une d’entre elles, qui était consacrée aux transports. Il ne faut donc jamais baisser la garde dans l’évolution de notre droit.
Enfin, je ne prends pas non plus à la légère le soutien que nos concitoyens doivent apporter aux forces de l’ordre. Même si je n’ai pas commencé par cet aspect, je continue à dire que ce que nous avons connu il y a quelques mois n’est pas acceptable. Après la période qui a suivi l’attentat de Charlie Hebdo, période pendant laquelle on a remercié nos forces de l’ordre, ces remerciements se sont un peu trop souvent mués en une nouvelle forme de défiance à leur égard et à l’égard de leur rôle. C’est pourquoi je renouvelle cet appel à la population, qui doit apporter son soutien total à toutes les forces de sécurité. Qu’on leur adresse le geste qu’on veut, comme on le souhaite, mais que l’on montre à leur endroit une proximité que l’on ne veut rompre en aucun cas !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’ai accepté de cosigner cet amendement de suppression déposé par notre collègue Pouria Amirshahi, qui ne peut pas être présent ce soir. Je reprendrai trois points de son exposé sommaire.
Premièrement, cette cinquième prorogation de l’état d’urgence, si elle était adoptée, inclurait les prochaines élections présidentielle et législatives. Cette nouvelle loi viendrait ainsi modifier exceptionnellement la clause légale qui stipule que tout état d’urgence est rendu caduc par la démission du gouvernement ou la dissolution de l’Assemblée nationale.
Deuxièmement, l’état d’urgence est en soi une atteinte à l’état de droit. Il menace la liberté et compromet l’effectivité de la Constitution en tant que telle puisqu’il suppose, par définition, une dérogation ou une suspension partielle ou totale de l’ordre constitutionnel et des libertés fondamentales garanties par la Constitution. Pour cette raison, il a vocation à rester temporaire, comme l’a rappelé plusieurs fois le Conseil d’État.
Troisièmement, outre le fait qu’elles sont attentatoires à l’état de droit, l’efficacité de ces mesures est plus que discutable. Les mesures les plus efficaces pour lutter contre le terrorisme sont toujours les mesures de droit commun, c’est-à-dire les enquêtes et mesures judiciaires, et non des mesures exceptionnelles fondées sur des critères partiels et pour lesquelles aucune garantie du respect des droits et libertés n’est exigée.
Tels sont les arguments de M. Amirshahi, dont je me suis fait le porte-parole.
La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 20 .
Monsieur le ministre, sans revenir sur les arguments développés par mes collègues Cécile Duflot et Sergio Coronado pour refuser la cinquième prorogation de cet état d’urgence qui n’a que trop duré, j’insisterai sur trois points.
D’abord un exemple pris à l’étranger. Depuis juillet 2016, l’Allemagne a été visée par trois attaques terroristes. De plus, ce pays s’apprête à voter comme nous dans les prochains mois : l’élection présidentielle en février, puis les élections fédérales l’été prochain. Pourtant, l’Allemagne n’a pas décrété l’état d’urgence et la législation allemande n’a pas de mécanisme similaire à l’état d’urgence. Les perquisitions administratives et les assignations à résidence ne sont pas d’actualité outre-Rhin.
Ensuite, monsieur le ministre, vous nous avez annoncé énormément de chiffres concernant les perquisitions et les assignations à résidence qui ont eu lieu depuis le 14 novembre 2015. Est-ce à dire qu’avant l’état d’urgence, aucun attentat n’a été déjoué sur notre sol ? Est-ce à dire qu’aucune perquisition n’a eu lieu, qu’aucune surveillance de groupes d’islamistes très dangereux n’a été effectuée sur notre territoire ? Avant de nous donner les chiffres de l’année écoulée, pourriez-vous s’il vous plaît, afin de nous permettre d’établir une vraie comparaison et de nous faire une vraie idée, nous donner les chiffres des actions des services de renseignement et des forces de l’ordre dans les mêmes domaines avant l’état d’urgence ? Nous pourrions ainsi nous rendre bien compte de l’efficacité de ces mesures.
Il y a quelques mois, j’ai demandé au préfet de mon département de m’indiquer les dates des dernières perquisitions. Il m’a répondu qu’elles remontaient au 20 novembre 2015. Il n’y a rien eu depuis !
J’ai demandé ensuite quels étaient les objectifs positifs de l’état d’urgence. Il m’a répondu que l’on a empêché des supporteurs du club de Rennes de venir perturber un match de football au stade Malherbe. Il m’a enfin annoncé, et c’est mon troisième point, que l’état d’urgence permettait une meilleure collaboration des services de police et de gendarmerie. Je suis désolée, ce sont de mauvais arguments !
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Merci. Je demande à chacun de respecter le temps de parole de deux minutes, car nous avons à examiner un certain nombre amendements et l’heure est déjà avancée.
La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement no 28 .
Trois points à l’appui de cet amendement de suppression de l’article 1er.
Tout d’abord, le projet de loi demande au Parlement une cinquième prorogation de l’état d’urgence. Comme il est difficile d’en sortir, l’état d’urgence devient permanent, ce qui est une violation de l’esprit de la loi de 1955. Il faut tirer les conséquences des avis successifs du Conseil d’État, confirmés lors d’une récente interview par son vice-président : l’état d’urgence ne peut pas être permanent.
Deuxièmement, il faut s’interroger sur l’utilité de la procédure, qui présente un grand intérêt dans une situation de gestion de crise ou de maintien de l’ordre, mais dont l’efficacité contre une menace terroriste élevée et durable est beaucoup moins évidente. Depuis 2015, le Parlement a adopté plusieurs textes qui renforcent les prérogatives de la police et de la justice et qui contribuent effectivement à la lutte antiterroriste.
Enfin, le rapport d’information de nos collègues Raimbourg et Poisson dresse un bilan précis et nuancé des avantages et des inconvénients de cette procédure.
Je vous propose donc à la représentation nationale d’aider le Gouvernement à sortir de l’état d’urgence en supprimant l’article 1er.
Supprimer l’article 1er reviendrait à mettre un terme à l’état d’urgence. Depuis le début de cette séance, chacun a pu s’exprimer sur le sujet. Nous avons d’une certaine manière épuisé le débat, éclairé notamment par le vote sur les motions de procédure. Vous ne serez donc pas surpris que la commission ait rendu un avis défavorable.
L’amendement no 22 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 1er, amendé, est adopté.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 1 .
C’est le seul amendement que je défendrai ici après nos travaux de la nuit dernière en commission des lois. Il s’agit d’une question de principe que l’Assemblée nationale, éclairée par l’avis du Gouvernement, doit trancher.
Je propose donc de rétablir l’article dans sa version issue du projet de loi, différente de celle que la commission des lois a adoptée. La question est simple : quelle est l’autorité qui prend la mesure d’assignation à résidence ? Je soutiens avec cet amendement que ce doit toujours être l’autorité administrative.
Je ne conteste pas l’idée que l’on borne cette mesure dans le temps, mais je pense qu’il revient toujours à l’autorité administrative de la prendre, sous le contrôle ex post du juge. La version votée par la commission des lois inverse le mécanisme, puisqu’elle dispose que c’est l’administration qui doit aller voir le juge pour lui demander l’autorisation.
Ce n’est pas qu’une question de détail. Le Gouvernement doit gouverner, l’administration doit administrer, le juge doit juger : il n’appartient pas au juge d’administrer en se substituant à la décision de l’administration. Le mieux est l’ennemi du bien – n’est-ce pas, monsieur le président Raimbourg ? – et nous aurions tort de voter, nonobstant l’avis de la commission des lois du Sénat dont on me dit qu’elle a été informellement consultée, une sorte de bricolage qui inverse les principes les plus simples de ce que doit être l’État. C’est au Gouvernement de gouverner sous le contrôle des juges, ce n’est pas aux juges de gouverner.
Elle a repoussé cet amendement qui revient sur plusieurs avancées, à commencer par la durée maximale de l’assignation. Vous proposez, mon cher collègue, d’en revenir à quinze mois au lieu de douze – mais ce n’est pas forcément, dites-vous, le coeur de la contestation que vous formulez.
De plus, votre amendement appréciant cette durée de manière consécutive et non pas cumulative, une interruption de l’assignation à résidence, fût-ce pour quelques jours, ferait recommencer le délai de quinze mois.
J’ajoute que le contrôle du juge est un élément protecteur qui intervient au bout de douze mois. La question est de savoir si ce contrôle a priori est recevable.
Je me permets de rappeler qu’une telle autorisation du juge a été introduite par la loi du 21 juillet 2016 dans l’article 15 de la loi du 3 avril 1955 s’agissant de l’exploitation des saisies de données informatiques effectuées lors des perquisitions administratives.
Par ailleurs, l’article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure, créé par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement prévoit une disposition similaire : dans le cas où, pour l’usage de telle ou telle certaine technique de renseignement dans des lieux privés, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement donne un avis défavorable, le Premier ministre ne peut passer outre que s’il dispose d’une décision du Conseil d’État, qui statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter de cette saisine. La décision d’autorisation du Premier ministre ne peut être exécutée avant que le Conseil d’État n’ait statué.
Le rapporteur a déjà livré la plupart des arguments.
Je comprends votre amendement, monsieur Larrivé, puisqu’il revient à la rédaction initiale qui était celle du Gouvernement. Néanmoins, la commission des lois a imaginé un dispositif différent, qui fait intervenir le juge administratif pour prolonger une mesure d’assignation au bout de douze mois.
D’ailleurs, ce n’est pas uniquement le travail du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que je remercie, puisqu’il a travaillé, me semble-t-il, avec le président de la commission des lois du Sénat afin d’essayer d’harmoniser les positions des deux assemblées.
Je comprends la logique qui sous-tend le raisonnement de la commission des lois. Je constate que la procédure est inhabituelle et que le fait que cette autorisation soit demandée au juge administratif ne peut être lié, je le dis avec force, qu’au caractère exceptionnel de l’état d’urgence.
Sous cette réserve – le caractère inhabituel de la procédure lié au caractère exceptionnel de l’état d’urgence – je donne à cet amendement un avis de sagesse.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement no 12 portant article additionnel après l’article 2.
Monsieur le président, je vous indique que, de tous les amendements portant article additionnel après l’article 2 que j’ai déposés, je n’en défendrai que deux, celui-ci puis l’amendement no 7 .
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Sourires.
Vous y gagnez une grande popularité, monsieur Morel-A-L’Huissier !
Vous retirez donc tous vos autres amendements après l’article 2 ?
Cet amendement instaure une présomption de légitime défense au profit du policier et du gendarme qui accomplit, dans l’exercice de ses fonctions, un acte proportionné à la gravité d’une atteinte injustifiée envers lui-même ou envers autrui.
Cela fait quatre ans que vous demandez qu’une réflexion soit engagée sur ce sujet !
Le sujet n’est pas à écarter d’un revers de main, mais comme vous le savez, le 21 décembre, le Conseil des ministres adoptera un projet de loi dont nous devrions avoir à débattre à la reprise de nos travaux au mois de janvier. Je propose que nous prenions le temps de la réflexion et d’une discussion collective sur ces questions, ce qui sera fait à brève échéance.
Dans cette attente, je vous suggère, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, de nous en tenir au texte proposé. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Je confirme que la protection conférée par cet amendement constituerait une mauvaise protection pour ceux qui feraient usage de leur arme dans de telles circonstances et que cela mérite que nous attendions le texte, actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État, qui sera présenté au Conseil des ministres le 21 décembre. Ce texte redéfinit dans son article 1er les règles d’usage des armes à feu pour les policiers et les gendarmes. Sans que je veuille m’engager plus avant, vous constaterez qu’il apporte une réelle avancée en ce qui concerne les règles d’usage des armes, dans le prolongement des discussions que nous avons avec les policiers depuis maintenant plusieurs semaines.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’y serai défavorable.
L’amendement no 12 est retiré.
L’amendement no 21 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement no 27 .
Cet amendement vise à ce que les mesures administratives prévues dans la loi du 3 avril 1955 ne puissent être prononcées que pour des motifs ayant justifié la déclaration d’état d’urgence. La loi de 1955 est souple et permet aux pouvoirs publics de faire face à différentes situations de crise en prenant des mesures administratives exceptionnelles.
La confiance dans cette procédure souffre toutefois d’une application très large, en particulier pour des personnes ou des faits n’ayant aucun rapport avec les motifs qui justifient l’état d’urgence.
Je rappelle ainsi que lors de l’évacuation du camp de la Lande à Calais, le préfet du Pas-de-Calais a utilisé des mesures d’état d’urgence. La loi de 1955 le permet, mais cet usage extensif des moyens administratifs entretient une confusion entre le droit exceptionnel et le droit commun, et crée un trouble pour les citoyens.
La proposition que je vous fais à travers cet amendement est issue d’une préconisation du rapport de MM. Raimbourg et Poisson consistant à recentrer l’état d’urgence. Faire un bon usage de cette procédure nécessite de la limiter dans le temps, mais aussi de restreindre son périmètre aux personnes et événements ayant un rapport direct avec les motifs qui justifient cet état d’exception.
Avant de donner la parole au rapporteur, je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le vote sur l’ensemble du projet de loi aurait lieu par scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 27 ?
Nous avons déjà eu le débat sur la finalisation de l’état d’urgence dans le cadre de l’examen du projet de loi constitutionnelle. À cet égard, il convient de rappeler que l’état d’urgence n’a pas été conçu comme un instrument de lutte contre le terrorisme.
Si certaines des mesures qu’il emporte pour prévenir la menace terroriste ont un effet moindre ou ont progressivement perdu de leur effet, d’autres complètent utilement les dispositions de droit commun. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont jugé que l’état d’urgence permettait de prendre des mesures de police pour d’autres motifs que ceux ayant justifié son application.
Cet amendement ayant été déposé après la réunion que la commission a tenue au titre de l’article 88, celle-ci n’a pu donner d’avis. À titre personnel, j’émets un avis défavorable.
L’amendement no 27 n’est pas adopté.
Cet amendement vise à créer une rétention administrative obligatoire pour toute personne qui se serait rendue à l’étranger pour participer à des activités terroristes.
Cet amendement vise à préparer notre pays à ce qui nous attend, c’est-à-dire le retour massif de djihadistes présents aujourd’hui en Syrie, en Irak, au Yémen et ailleurs. Il rejoint tout à fait celui de mon collègue Morel-A-L’Huissier, et je le complète d’un amendement no 3 .
Toute personne qui rentre du djihad ou de théâtres d’opérations sur lesquels sont présents des groupes terroristes doit faire l’objet d’une rétention administrative – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, mes chers collègues. Aujourd’hui, si beaucoup de ces personnes sont placées en garde à vue, 30 % seulement d’entre elles sont judiciarisées, les autres rentrent à la maison. Le dispositif que je propose permet de les garder suffisamment longtemps pour apporter les preuves et enclencher une procédure judiciaire.
J’appelle l’attention du Gouvernement sur un point très important. Je ne comprends pas pourquoi, alors que nous sommes en guerre contre le terrorisme – le Président de la République lui-même a annoncé cette guerre il y a plus d’un an –, nous n’appliquons pas le droit existant.
Le droit, c’est l’article 411-4 du code pénal, lequel punit le citoyen français qui sert dans une armée étrangère en vue de commettre des attentats contre la France de trente années de prison et de 450 000 euros d’amende. Pourquoi n’appliquez-vous pas cet article ? Pourquoi une instruction pénale n’a-t-elle pas été adressée aux juges pour qu’ils appliquent cet article ?
Tel est le sens de cet amendement qui propose, d’une part, une rétention administrative, d’autre part une judiciarisation aux termes des articles 411-4 et suivants du code pénal, ce qui me paraît être un instrument normal de défense et de dissuasion pour notre pays.
Je vous invite, monsieur Lellouche, à défendre également votre amendement no 3 .
Il prolonge le précédent. Je vais vous donner un exemple qui a été rapporté dans la presse, mais il en existe beaucoup d’autres. Un Belgo-Tunisien, Farouk Ben Abbes, cité dans l’attentat du Caire qui a coûté la vie à une jeune lycéenne, Cécile Vannier, a été placé en détention. Il a été jugé que cette détention était injustifiée pour une certaine période, si bien qu’il a été accordé à M. Ben Abbes la somme de 21 650 euros à titre d’indemnisation – payée bien entendu par le contribuable ! Cela s’est passé au mois d’août 2016.
Un peu plus tard, nous apprenions par la presse que le même Farouk Ben Abbes, résidant à Toulouse, avait pu obtenir à sa sortie de prison le bénéfice du RSA. Lorsque nous avons interrogé les fonctionnaires de la Caisse d’allocations familiales de la Haute-Garonne pour savoir comment un terroriste condamné avait pu toucher le RSA à sa sortie de prison, on nous a répondu que sa dangerosité supposée, je cite, « ne fait pas partie des critères prévus par les textes ». J’ai vérifié lesdits textes et c’est absolument exact. L’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles, qui institue le RSA, s’applique pleinement aux fichés S et autres terroristes en liberté ou de retour de Syrie.
Mes chers collègues, ce n’est pas un sujet léger, alors que nous avons eu à déplorer 250 morts et 800 blessés, que de savoir que des terroristes condamnés ou de retour du djihad rentrent chez eux et y vivent du RSA et des allocations familiales. C’est absolument incroyable ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Allez expliquer aux familles des victimes que leurs impôts servent à entretenir des terroristes. C’est inconcevable dans mon esprit !
Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Quel est le rapport ?
S’il vous plaît, monsieur Lellouche ! Nous avons eu une longue discussion. Si vous souhaitez mettre en cause l’un de vos collègues, faites-le au travers d’un fait personnel ou à l’extérieur de l’hémicycle, mais pas de cette façon !
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?
C’est un sujet dont nous avons déjà débattu, lors de l’examen des différents projets de loi de prorogation de l’état d’urgence mais également à l’occasion de la loi du 3 juin 2016, laquelle comporte un certain nombre de dispositions à ce sujet.
Afin que celles et ceux qui nous écoutent sachent ce que le droit rend possible, permettez-moi de citer ces dispositions : « Toute personne qui a quitté le territoire national et dont il existe des raisons sérieuses de penser que le déplacement a pour but de rejoindre un théâtre d’opérations de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français peut faire l’objet d’un contrôle administratif dès son retour sur le territoire national ».
Cela signifie concrètement que, dans le cadre de la loi du 3 juin 2016, nous avons créé les conditions pour que les cas de retour qui ne pouvaient être immédiatement judiciarisés fassent l’objet de mesures de contrôle administratif allant de l’assignation à résidence pour une durée maximale de trois mois – c’était un mois au départ mais nous avons permis que cela passe à trois mois – à d’autres mesures de la palette du contrôle administratif.
Ensuite, ce que vous proposez n’est pas conforme à la Constitution.
« Faux » ! sur les bancs du groupe Les Républicains.
Le Conseil d’État l’a rappelé dans son avis du 17 décembre 2015 : au sein de la République française, la détention des personnes, en dehors de toute procédure pénale, sur simple soupçon, fût-ce de risque de radicalisation, est exclue sur le plan constitutionnel.
Enfin, dans l’usage, le concept d’intelligence avec l’ennemi n’est pas l’outil juridique le plus pertinent pour lutter judiciairement contre le terrorisme, car cette incrimination n’ouvre pas droit aux techniques d’enquête spécifiques liées aux affaires terroristes. Je pense en particulier à la garde à vue de quatre-vingt-seize heures.
Voilà pourquoi la commission a repoussé ces amendements.
Même avis que le rapporteur. Vous me permettrez toutefois d’ajouter, parce que ceux qui nous écoutent doivent avoir un avis clair sur la question des prestations sociales, que bien entendu, tout individu parti combattre à l’extérieur de nos frontières contre la République, notamment pour commettre des actes terroristes, ne doit avoir droit à aucune prestation sociale.
La loi le permet déjà, mais cette question ne dépend pas du seul Gouvernement. Comme vous le savez, les prestations sociales sont versées sous condition de résidence habituelle.
Bien entendu, quand nous apprenons que des personnes veulent rentrer dans notre pays après avoir commis des méfaits à l’extérieur, nous signalons à la Caisse nationale des allocations familiales que leur résidence n’était pas habituelle, et nous obtenons dans la plupart des cas la suspension de toutes les prestations sociales qui leur sont versées.
Il convient d’observer la plus grande vigilance, mais point n’est besoin de modifier la loi pour obtenir ce qui va de soi : ceux qui sont partis combattre contre nous ne doivent plus, à leur retour, percevoir ces prestations.
Il faut, comme le propose M. Lellouche, inscrire cette disposition dans la loi. Vous prétendez, monsieur le ministre, qu’aucune prestation sociale n’est versée dans ce cas. Mais selon une enquête publiée il y a quelques semaines dans un hebdomadaire tout à fait respectable, Le Point, un Toulousain ayant perdu un oeil et un bras à Falloujah a touché à son retour l’allocation adulte handicapé.
Le versement d’une telle prestation choque beaucoup de Français. Quelqu’un qui est parti combattre et a renié les valeurs de la République, ne doit pas pouvoir, à son retour, prétendre à une prestation.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Malheureusement, ce que vient de dire M. Mariani correspond à la stricte réalité.
Je ne suis pas convaincu par les réponses du rapporteur et du ministre, dont je comprends l’embarras.
La loi du 3 juin 2016 à laquelle j’ai travaillé, comme j’ai travaillé sur toutes les lois relatives à la lutte contre le terrorisme et toutes les lois de prorogation de l’état d’urgence – je ne suis donc pas suspect de ne pas avoir approfondi la question depuis cinq ans ! –, donne effectivement la possibilité au Gouvernement de judiciariser ces personnes, mais, de l’aveu même de M. Cazeneuve, car ce sont ses chiffres que j’ai cités, seuls 30 % des combattants de retour du djihad sont judiciarisés.
Quelle est la procédure ? Tout d’abord, il suffit aux djihadistes de passer par la Belgique ou un autre pays pour ne pas être repérés à leur retour. S’ils le sont, ils sont placés en garde à vue et, quand on peut réunir des preuves de leur implication dans des opérations de guerre, ils sont judiciarisés. Mais les autres rentrent chez eux !
La loi donne la possibilité de judiciariser. C’est tout ce qu’elle prévoit. L’amendement no 2 propose que les personnes restent en détention administrative parce qu’elles sont dangereuses, comme le prouvent tous les travaux qui leur sont consacrés.
Tous ceux qui ont interviewé d’anciens djihadistes disent que ceux-ci sont encore extrêmement dangereux, puisqu’ils sont militarisés et fanatisés. Il est par conséquent risqué de les relâcher dans la nature.
Deuxièmement, une rétention pendant trois mois ne permet pas nécessairement de réunir toutes les preuves.
Troisièmement, vous prétendez que l’article 414-1 du code pénal ne s’applique pas, mais c’est ce texte qui nous protège du terrorisme, en punissant de trente ans de prison et de 450 000 euros d’amende ceux qui prennent les armes contre la République. Pourquoi n’est-il pas appliqué ?
Enfin, pour ce qui est de percevoir le RSA et d’autres allocations sociales diverses…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Nous avons presque fini. Laissez M. Lellouche terminer son propos. Il ne reste que trois amendements à examiner.
…excluent la prise en compte de la dangerosité.
Puisque vous faites proroger ce soir l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme, faites cesser ce scandale qui consiste à faire financer ceux qui rentrent du…
Merci, monsieur Lellouche.
Je donne la parole à M. Arnaud Richard, et nous en resterons là.
Monsieur le président, ce que je vais dire ne va pas vous plaire. M. Morel-A-L’Huissier avait déposé beaucoup d’amendements. Il a été très correct et en a défendu très brièvement un seul.
En toute honnêteté, j’ai hésité à prendre la parole, mais le sujet est trop grave. Le ministre s’est exprimé. Il a annoncé qu’un projet de loi serait déposé prochainement, sans doute en janvier, ce qui m’a interpellé, car le sujet me tient à coeur. Tous les élus des Yvelines ont été touchés par le problème des fonctionnaires de police tués dans l’exercice de leurs fonctions.
Sur l’amendement de M. Morel-A-L’Huissier, nous n’avons pas voté. Vous ferez ce que vous voulez, monsieur le président, mais notre collègue a dit « Défendu » et, alors que nous n’avions pas voté, vous êtes passé aux amendements suivants.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
Vous aussi ! Mais qu’en est-il de l’amendement no 18 de M. Morel-A-L’Huissier ?
Et l’amendement no 12 ?
Cet amendement a été appelé, puis M. Morel-A-L’Huissier l’a retiré. Vous avez eu toutes les explications.
L’article 3 est adopté.
La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement no 5 portant article additionnel après l’article 5.
De manière quelque peu dérogatoire, cet amendement propose la remise au Parlement d’un rapport concernant la situation des gendarmes et des policiers après les prorogations successives de l’état d’urgence. Nous voulons pouvoir analyser leurs conditions de travail.
Celle-ci a émis un avis défavorable, comme à tous les amendements proposant la remise d’un rapport, même si l’objet en est pertinent. Notre doctrine est que le Parlement dispose de moyens suffisants pour établir lui-même tous les rapports et se saisir de toutes les informations nécessaires pour exercer sa mission de contrôle du Gouvernement.
L’amendement no 5 n’est pas adopté.
Monsieur le président, je demande une suspension de séance de cinq minutes.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La séance, suspendue à une heure dix, est reprise à une heure quinze.
La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
En effet, l’adoption de l’amendement no 1 de M. Larrivé a abouti à supprimer les garanties que nous avions mises en place, à savoir la limitation des assignations à résidence à douze mois, la possibilité de les proroger seulement à la suite de l’intervention du juge administratif et l’obligation de soumettre la demande de prolongation tous les trois mois au juge. En dépit des difficultés juridiques exceptionnelles inhérentes à l’état d’urgence – on touche en effet, dans une certaine mesure, à l’organisation administrative –, nous avions suivi une ligne de crête et étions parvenus à un équilibre entre la protection des libertés et l’efficacité de l’état d’urgence. Cet équilibre est à présent rompu. J’ajoute que c’est d’autant plus regrettable que nous prorogeons l’état d’urgence pour une longue durée : son application aura duré près de vingt mois. En conséquence, je souhaite que nous revoyions la question
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
; l’Assemblée décidera souverainement.
Par ailleurs, nous sommes pris par le temps ; nous avions conduit des discussions à ce sujet avec le Sénat. L’état d’urgence expirant mercredi 21 décembre à défaut de nouvelle prorogation, il serait très difficile d’organiser une navette sur le présent projet de loi.
En conséquence, en raison de la disparition des garanties résultant de l’adoption de l’amendement de M. Larrivé, je sollicite une seconde délibération, en application de l’article 101 de notre règlement.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
Le président de la commission des lois ayant dit l’essentiel, je serai bref : nous avons travaillé, au sein de la commission, pour faire en sorte que les assignations à résidence soient encadrées, puissent être placées sous le contrôle du juge. De fait, depuis le début de cette séance, on ne cesse de dire qu’il faut faire attention, que l’état d’urgence doit demeurer sous le contrôle du juge.
Très honnêtement, il serait sage de revenir à la proposition de la commission. Telle est en tout cas la position du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mes chers collègues, la demande de la commission des lois est de droit.
Pour lui permettre de rédiger l’amendement, je suspends la séance pour trois minutes.
Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La séance, suspendue à une heure vingt, est reprise à une heure vingt-cinq.
En application de l’article 101 du règlement, la commission des lois demande qu’il soit procédé à une seconde délibération de l’article 2.
Cet amendement a pour objet de revenir à la rédaction de l’article 2 adoptée par la commission des lois hier soir, en la complétant par le texte d’un amendement de précision qui devait venir en discussion, mais qui est tombé à la suite de l’adoption de l’amendement no 1 de M. Larrivé. Il est précisé qu’à compter de la déclaration de l’état d’urgence, et pour toute sa durée, une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de douze mois. Le caractère cumulatif des douze mois est ainsi précisé.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Les autres dispositions de l’amendement qui vous est proposé visent à rétablir ce qui a été voté par la commission hier soir, c’est-à-dire à fixer une durée maximale de douze mois, et non pas quinze (Mêmes mouvements)…
… et à garantir qu’un magistrat interviendra avant que le Gouvernement ne puisse éventuellement renouveler, pour trois mois, l’assignation à résidence, quand elle a excédé douze mois.
Vous dites « sagesse » : oui, par homothétie, tel sera mon avis.
Je souhaiterais tout d’abord vous remercier du soutien que vous m’apportez sur le texte initial que j’ai présenté en conseil des ministres, ce qui augure d’une collaboration qui, je l’espère, prendra le même chemin sur les autres textes et nous permettra d’avancer ensemble.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mais le parlementaire un peu aguerri que j’ai été, pour avoir siégé près de vingt ans dans cette assemblée, dont quinze ans à la commission des lois, accorde une importance toute particulière – s’agissant, en particulier, de l’état d’urgence – au travail de contrôle du Parlement. Pour moi, ce travail ne se limite pas au contrôle de l’application de la loi – je réponds avec la meilleure des grâces aux demandes d’information concernant les mesures administratives permises par l’état d’urgence, à savoir les assignations à domicile, les interdictions de séjour ou de paraître ou bien encre es perquisitions administratives. Il est en effet une seconde dimension du contrôle : le travail préalable des commissions. La commission des lois s’efforce d’adapter en permanence nos outils.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Un peu de respect !
Si vous ne comprenez pas, ce n’est pas nécessairement parce que c’est du bla-bla ; cela peut être dû au fait, par exemple, qu’un sommet a été atteint.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Lorsque l’on discute de l’état d’urgence, il ne s’agit pas de bla-bla ! Le respect que j’ai pour vos positions devrait vous inciter, à tout le moins, à écouter l’avis du Gouvernement…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
…selon lequel le travail qui a été accompli par les commissions des lois des deux chambres a permis de mettre en place une procédure inhabituelle, correspondant à une situation exceptionnelle. C’est pourquoi par homothétie, l’avis du Gouvernement est identique : il s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.
On se trouve dans une situation quelque peu particulière : l’opposition soutient le Gouvernement…
Non, elle soutient le texte du Gouvernement !
…ce qui n’est pas commun sur un tel sujet, même si nous le faisons avec grand plaisir, monsieur le ministre. Toutefois, M. Popelin nous propose maintenant un amendement qui introduit une nouvelle rédaction de l’article 2, ce qui laisse à penser qu’il n’y aura pas homothétie des votes des assemblées.
Sur le fond, monsieur le ministre, je pense que vous avez raison et que c’est à juste titre que nous avons adopté tout à l’heure l’amendement de M. Larrivé.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.
Je le dis en conscience. Pour ma part, je voterai contre l’amendement de M. Popelin, qui est orthogonal à la position du Gouvernement.
Mêmes mouvements.
Aussi curieux que cela puisse paraître, je pense que vous avez tort de soutenir la position du Gouvernement !
Rires sur divers bancs. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
S’il vous plaît, mes chers collègues, on écoute le président de la commission des lois !
Permettez-moi une précision factuelle : le délai de quinze mois va arriver à expiration en février 2017 pour un certain nombre d’assignés à résidence. Le texte, tel qu’il est présenté, n’offre aucune solution pour la reconduction de ces assignations à résidence.
La difficulté tient au fait que le Gouvernement s’est efforcé de suivre l’avis du Conseil d’État alors que celui-ci ne permet pas de couvrir la période qui court jusqu’à la fin du mois de juin. Vous vous êtes fixé pour objectif d’assurer la sécurité, et nous le partageons, mais en votant le texte en l’état, vous n’assurez pas la couverture de la période jusqu’à la fin du mois de juin.
Se pose, outre la question des garanties, celle de l’efficacité. Les premiers assignés à résidence l’ont été à compter de novembre 2015. En février 2017, le délai de quinze mois sera atteint. Cette difficulté était présente dès le dépôt du texte ; nous avons essayé d’y remédier : premièrement, en permettant une prorogation des assignations à résidence ; deuxièmement, en offrant davantage de garanties ; troisièmement, en nous assurant auprès de la commission des lois du Sénat que cette position pouvait paraître admissible à ses membres. Je vous enjoins donc à ne pas prendre le risque de désarmer trop vite nos outils
« Non ! sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains
Je rappelle que l’amendement déposé par le rapporteur et le président de la commission des lois l’a été sur table, ce qui ne fait que confirmer ce que les uns et les autres ont pu dire. On nous demande en effet de nous prononcer sur une cinquième prorogation de l’état d’urgence alors que le débat n’a pas eu lieu. Alors que la commission plaide pour son amendement, le ministre désavoue la proposition de compromis bâtie par le rapporteur et le président de la commission ; voilà qui est assez lunaire !
Le ministre aurait pourtant eu l’occasion de venir exposer sa position devant la commission et d’expliquer pourquoi il ne soutenait pas ce compromis.
Nous n’avons pas pris part au vote sur l’amendement de M. Larrivé. Comme je l’ai dit lors de mon intervention tout à l’heure, le compromis qui a été présenté par le président de la commission et le rapporteur est une figure originale et contestable. Son objet est finalement de permettre la couverture des assignations à résidence au-delà de la période d’un an et d’introduire une sorte de contrôle, ce qui pourrait nous intéresser. Toutefois, soyez honnêtes, chers collègues de la commission : vous avez depuis le départ géré avec la droite, qui aujourd’hui conteste votre proposition, l’ensemble des prorogations de l’état d’urgence. Vous n’avez jamais prêté une oreille attentive aux amendements déposés soit par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soit par les écologistes lorsque le groupe existait encore, et vous voudriez aujourd’hui que nous démêlions ce conflit interne entre l’opposition et la majorité ?
Ce n’est pas ainsi que des débats de cette nature, de cette importance doivent être menés.
Cher collègue le Bouillonnec, laissez-moi terminer s’il vous plaît ! Il aurait été souhaitable que le président de la commission, le rapporteur et le ministre aient une position commune à défendre devant cette assemblée.
La prorogation de l’état d’urgence vient en discussion après la nomination et la mise en place du nouveau gouvernement ; j’ai à ce titre remercié voilà quelques minutes les deux assemblées d’avoir accepté d’étudier ces deux textes dans un délai aussi restreint. Le travail s’est donc poursuivi jusqu’à la dernière minute ; je l’assume volontiers. Si j’avais voulu désavouer le travail de la commission des lois de l’Assemblée nationale, voire par anticipation celui de la commission des lois du Sénat, j’aurais donné un avis favorable à l’amendement de M. Larrivé qui reprenait le texte du Gouvernement. Je ne l’ai pas fait. J’ai au contraire suivi le travail mené par la commission ; il y a eu des allers retours.
J’aimerais répéter au nom du groupe Les Républicains que nous voterons contre l’amendement de M. Popelin.
Je remercie le groupe de l’Union des démocrates et indépendants d’avoir la même position. Je note en revanche que le Gouvernement s’en remet toujours à la sagesse de l’Assemblée, ce qui est bien compréhensible puisqu’il s’agit ni plus ni moins de revenir au texte initial de ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Pour ma part, j’avais un doute, hier. Monsieur le président de la commission, vous nous vendez un texte au prétexte que le Sénat sera d’accord et le votera en termes identiques. Mais nous n’en avons que faire ! Nous sommes légitimes !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cela nous concerne, au contraire ! La vraie question, et cela a été très bien dit par M. le ministre, est celle des délais. Tout ce qui est tenté ici a été pensé pour être voté conforme.
Le débat sur le fond est très clair : les assignations à résidence d’une durée de quinze mois peuvent-elles être levées pendant trois jours puis reconduites pendant quinze mois ?
Et alors, monsieur Rochebloine ? On peut tout simplement considérer que cela constitue une atteinte très importante aux droits et aux libertés. Sur le fond, même si la commission a dû travailler dans les conditions acrobatiques qu’a décrites mon collègue Sergio Coronado, et qui auraient à elles seules justifié un renvoi en commission, elle a essayé de limiter les dégâts, si je puis m’exprimer ainsi.
Cela étant dit, je ne suis pas du tout sûre que la position que vous défendez sera soutenue par une majorité de sénateurs. En effet, sur tous les textes, notamment ceux relatifs à l’état d’urgence, nous avons pu constater que vos amis de la Haute assemblée ont été beaucoup plus pondérés, raisonnables et respectueux des principes que vous-mêmes, qui avez systématiquement adopté une position extrémiste, chers collègues de l’opposition, et ce, sur beaucoup de points.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
La situation est donc tout de même d’une grande complexité. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que vous vous en remettez à la sagesse de l’Assemblée sur cette question. Soit vous considérez que la période de quinze mois correspond à la position du Gouvernement et qu’aucun problème ne se pose, soit vous considérez qu’il faut retenir les limites fixées par la commission des lois.
Je pense donc qu’il vous faut assumer la position du Gouvernement sur ce sujet de manière très claire, et il ne peut s’agir d’un arbitrage entre les uns et les autres, car cela revient à donner crédit à la fois à la droite et à la gauche de cet hémicycle.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 162 Nombre de suffrages exprimés: 161 Majorité absolue: 81 Pour l’adoption: 84 contre: 77 (L’amendement no 1 , rédigeant l’article 2, est adopté.)
La sagesse de l’Assemblée s’est exprimée !
L’Assemblée ayant été largement éclairée, nous allons passer au vote sur l’ensemble.
Je vous prie de patienter quelques instants, mes chers collègues. Le système est en surchauffe parce que deux votes se succèdent.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Contre l’adoption: Nombre de suffrages exprimés 320 Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Il y a un problème !
Mes chers collègues, très franchement, je ne comprends pas que vous poussiez de tels cris en fin de séance. Sur ce dernier vote, il y a des délégations ; c’est pourquoi nous avons dû patienter quelques instants avant de procéder au second scrutin. Je poursuis.
Majorité absolue 161
Pour l’adoption 288
Contre 32
Le projet de loi est adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de l’acquisition de contre-mesures médicales ;
Discussion du projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 14 décembre 2016, à une heure quarante.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly