Intervention de Bruno le Roux

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Présentation

Bruno le Roux, ministre de l’intérieur :

En outre, environ 970 individus ont manifesté des velléités de départ en vue de rejoindre les rangs djihadistes et plus de 180 autres sont actuellement en transit vers des zones de combats. Enfin, environ 200 de nos ressortissants sont d’ores et déjà revenus en France.

Jamais la menace n’a été aussi élevée sur notre territoire, il s’agit là d’un constat objectif ; mais jamais la réponse de l’État n’a été aussi forte, et elle doit absolument le demeurer. Voilà pourquoi la prorogation des dispositions prévues par le régime de l’état d’urgence est absolument nécessaire : pour empêcher la commission de nouveaux attentats et mieux protéger les Français. Or, depuis le débat que nous avons connu au mois de juillet dernier, une donnée nouvelle a surgi : l’intense période électorale dans laquelle nous entrons. Il s’agit d’une période essentielle pour la vie démocratique de notre pays, ce qui accroît encore les risques de passage à l’acte des terroristes, nous le savons.

Eux qui voulaient frapper nos territoires et nos concitoyens, espérant dresser les uns contre les autres, peuvent à présent, parce qu’ils ont aussi une lecture politique de nos temps démocratiques, s’attaquer, dans la période qui s’ouvre, à l’organisation des élections qui rythment la vie démocratique de notre République. À ce troisième titre, nous ne devons absolument pas baisser la garde. J’ai d’ailleurs réuni ce matin les préfets afin de leur rappeler la responsabilité qui leur incombe pour assurer la bonne organisation et les bonnes conditions de sécurité de tous les débats qui rythment notre vie démocratique.

Je les ai remerciés de l’organisation qu’ils ont mise en place à l’occasion de la primaire de la droite et du centre, pour faire en sorte que chaque lieu retenu permette aux Français de se mobiliser en toute sécurité pour procéder à une désignation sans problèmes d’organisation ni contestations et en toute transparence.

Je les ai mobilisés pour que la primaire de la gauche se tienne dans les mêmes conditions de sécurité et pour qu’ensuite les Français, qui auront à voter aux mois d’avril puis de juin lors des élections législatives et qui auront au mois de septembre, moins nombreux, à se déplacer pour les élections sénatoriales, puissent le faire dans des conditions montrant bien à tous ceux qui veulent nous attaquer que notre démocratie fonctionne parfaitement. Telle sera la spécificité de l’année 2017 : il nous faut prendre toutes les précautions pour que ces débats se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité.

Comme vous le savez, mesdames et messieurs les parlementaires, l’objectif des terroristes est de semer la haine. Nous devons donc prendre toutes les mesures qui s’imposent, dès lors qu’elles s’inscrivent dans le strict cadre de l’État de droit, pour préserver le fonctionnement normal des institutions et garantir la protection de nos concitoyens, quelles que soient les circonstances.

Comme nous prenons en compte le contexte sensible que je viens de rappeler, le projet de loi, dont je vais à présent évoquer les articles, permet de proroger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017, ce qui nous permet d’inclure, ou d’« enjamber » si on préfère, la séquence électorale. La durée de prorogation retenue, d’environ sept mois, est significativement plus longue que celle de deux ou trois mois votée lors des premières prorogations mais comparable à celle de six mois que vous avez votée au mois de juillet dernier. Elle se veut donc pleinement cohérente non seulement avec l’état de la menace mais aussi avec les échéances démocratiques de notre pays. Pour la même raison, le projet de loi introduit une dérogation à la loi du 3 avril 1955. L’article 3 a pour objet d’éviter que la loi de prorogation ne devienne caduque en raison de la démission du Gouvernement suivant traditionnellement l’élection du Président de la République et celle des députés à l’Assemblée nationale. Ce choix traduit notre volonté d’assurer la continuité de l’état d’urgence dans le contexte de menace terroriste.

Bien entendu, nous prévoyons des garanties. Ainsi, le gouvernement nommé après la démission de son prédécesseur pourra, s’il le souhaite, mettre fin à l’état d’urgence au moyen d’un simple décret pris en conseil des ministres. Le texte qui vous est soumis ce soir, mesdames et messieurs les députés, s’emploie donc à concilier les exigences opérationnelles qu’emporte l’état de la menace avec le respect du cadre constitutionnel et des droits fondamentaux qui s’y attachent. Dès lors que l’état d’urgence a été décrété, nous n’avons jamais cessé de veiller à cet équilibre essentiel. L’exception en droit fait partie de l’histoire républicaine de notre pays. Tout État démocratique a le devoir de prévoir un dispositif d’exception susceptible de lui donner les moyens légitimes et légaux de faire face à toute situation d’une extrême gravité. Telle était la conviction profonde qui animait les pères de la loi du 3 avril 1955 et telle est encore la nôtre.

Comme l’a souvent dit le Premier ministre Bernard Cazeneuve lorsqu’il assumait les fonctions qui sont désormais les miennes, l’état d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit : il en est, dès lors que la situation l’exige, le bouclier. C’est la raison pour laquelle nous avons fait en sorte, dès le mois de novembre 2015, de soumettre l’application des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence à un triple contrôle : le contrôle des juridictions administratives, d’abord, dont le rôle est de s’assurer que ces mesures sont motivées, adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités prévues ; celui de l’autorité judiciaire, ensuite, dès lors que les mesures mises en oeuvre aboutissent à une procédure judiciaire ; et enfin celui du Parlement, car nous sommes en démocratie et qu’il est donc indispensable que les élus du peuple souverain puissent exercer leur vigilance sur l’application de l’état d’urgence.

À cet égard, je tiens à saluer l’excellent travail mené dans le cadre de ce contrôle parlementaire inédit qui confère des pouvoirs au Parlement lui permettant d’assurer en toute transparence le suivi et l’évaluation de l’ensemble des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, et notamment d’obtenir toutes les garanties nécessaires en termes de respect des droits fondamentaux et de protection des libertés individuelles. Ce travail de contrôle en situation exceptionnelle, nous le devons à la représentation nationale, et je remercie M. le président de la commission des lois, dont les recommandations ont été précieuses pour le Gouvernement, de l’avoir mis en oeuvre sans tarder ; nous le devons également aux Français et à la République. Sur ce point, les échanges qui ont eu lieu au Conseil d’État ont montré que la durée des assignations était au coeur de débats sensibles.

Des préconisations du rapport sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence comme des discussions en commission des lois est ressortie l’expression d’une ferme volonté de s’inscrire dans cette logique de limitation. C’est donc avec le même souci d’équilibre, et afin de ne pas conférer un caractère excessif à la restriction de liberté d’aller et venir, que le projet de loi assortit les assignations à résidence d’une durée limite et soumet leur renouvellement à un mécanisme spécifique nouveau. Nous aurons l’occasion d’en discuter. Certes, l’introduction d’une demande au juge administratif préalable à la prorogation d’une assignation à résidence est inhabituelle, mais nous sommes dans le cas de figure particulier de l’état d’urgence. Ce genre d’autorisation n’a pas vocation à se renouveler, et ne se renouvellera pas dans notre droit commun, mais nous a semblé constituer une bonne solution dans le cadre de l’état d’urgence.

Je remercie une fois encore M. le rapporteur, Pascal Popelin, ainsi que M. le président de la commission des lois, mais aussi Michel Mercier et Philippe Bas avec lesquels nous avons mené un travail préalable au Sénat. Il me semble que le caractère inhabituel de l’intervention du juge administratif dans la procédure des assignations à résidence se justifie par le caractère lui aussi inhabituel de l’état d’urgence, qui n’a pas vocation à se renouveler dans le temps ni à devenir un état permanent.

Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement entend elle aussi concilier, dans le contexte d’une grave menace terroriste, la protection de l’ordre et de la sécurité publics avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution. C’est mû par cette ambition que le Gouvernement vous soumet, mesdames et messieurs les députés, cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence.

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