Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, au soir des attentats du 13 novembre 2015, le Président de la République a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national. Par la loi du 20 novembre 2015, le Parlement en a autorisé une première fois la prolongation pour trois mois. Il a renforcé et actualisé le cadre juridique de la loi du 3 avril 1955 à cette occasion. L’état d’urgence a ensuite été prorogé pour trois mois supplémentaires par la loi du 19 février 2016, puis pour deux mois par la loi du 20 mai 2016, enfin pour six mois par la loi du 21 juillet 2016.
Au printemps prochain, l’élection présidentielle, puis les élections législatives constitueront un moment particulièrement important de la vie démocratique de notre pays. Les initiatives diverses et les rassemblements de campagne seront nombreux dans les mois qui viennent. Alors que la menace terroriste n’a pas diminué, vous en avez fait le détail, monsieur le ministre, il appartient aux pouvoirs publics d’en garantir le bon déroulement et d’assurer la sécurité des Français dans cette période particulière.
C’est la raison pour laquelle une nouvelle prorogation de l’état d’urgence, qui prendrait fin le 21 janvier 2017 à minuit en l’état actuel du droit, a été souhaitée par le chef de l’État et le Gouvernement, il y a plusieurs semaines. Le changement de gouvernement intervenu mardi dernier a conduit à accélérer le calendrier initial. En effet, aux termes de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955, « La loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ». Le gouvernement de Manuel Valls ayant démissionné le 6 décembre, sans nouvelle loi de prorogation, le terme de l’état d’urgence interviendrait donc jeudi 22 décembre à zéro heure.
Chacun d’entre nous en a pleine conscience : l’état d’urgence n’a pas vocation à être prolongé indéfiniment. Le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, n’a pas manqué de le rappeler, avec son co-rapporteur Jean-Frédéric Poisson, dans le cadre de la présentation de leurs travaux relatifs au contrôle parlementaire de cet état d’exception. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont fait de même.
L’état d’urgence est d’abord une réponse à une situation précise : la menace d’un péril imminent au sens de la loi du 3 avril 1955, tel que la récidive d’attentats de masse. La réduction très sensible, depuis le début de l’année, des territoires sous l’emprise de Daech, ainsi que l’engagement d’opérations militaires pour reconquérir les villes de Mossoul et de Raqqa par des forces soutenues par la coalition militaire à laquelle participe la France, accroissent fortement le risque d’attentat dans notre pays.
En 2016, les attaques perpétrées et les projets déjoués en France étaient principalement le fait d’individus résidant sur notre sol ou dans des pays voisins : sur les dix-sept projets d’attentats déjoués depuis le début de l’année, un seul est attribuable à des individus de retour de zones de combat. Nous avons néanmoins le devoir de ne pas sous-estimer le risque nouveau que représente l’évolution militaire dans ces territoires.
Au regard du risque, la condition de « péril imminent » posée par l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 paraît donc satisfaite. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs confirmé dans son avis du 8 décembre dernier.
S’il n’a pas suffi, et si personne ne peut prétendre qu’il suffira à lui seul à prévenir la survenue de nouveaux attentats, l’état d’urgence est un outil de mobilisation inédite des forces de l’ordre. Outre les perquisitions administratives et les assignations à résidence, qui ont focalisé l’attention, je veux donc rappeler les autres mesures, individuelles ou générales, qu’il permet : l’interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; l’institution par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; l’interdiction de séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ; la dissolution des associations ou des groupements de fait ; la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion ; l’interdiction des cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique dès lors que l’autorité administrative n’est pas en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose ; l’autorisation des contrôles d’identité, inspections visuelles et de la fouille des bagages, ainsi que la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ; la remise des armes des catégories A à C et de celles de catégorie D soumises à enregistrement ; la réquisition des personnes ou des biens ; le blocage des sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.
L’état d’urgence n’est bien sûr pas le seul dispositif légal à la disposition des pouvoirs publics. Pour ne citer que le dernier texte que nous avons adopté sur le sujet, la loi du 3 juin 2016 relative à la procédure pénale en matière de lutte contre le terrorisme, que j’ai eu l’honneur de rapporter avec Colette Capdevielle, a permis des avancées significatives. Elle a accru les moyens mis à la disposition des juges d’instruction et des procureurs de la République. Ils peuvent désormais utiliser des dispositifs techniques spéciaux d’investigation, dont certains étaient jusque-là réservés aux services de renseignement ou à l’instruction.