Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, chers collègues, pour la cinquième fois – oui, la cinquième fois ! – depuis novembre 2015, nous sommes sollicités pour voter une prorogation de l’état d’urgence. Une urgence, donc, qui dure depuis plus d’un an et qui serait cette fois justifiée par le contexte préélectoral et par les manifestations qu’il pourrait supposer. Une urgence qui n’en est plus une puisque, on le sent à l’ambiance de cet hémicycle, il y a une forme de résignation et d’habitude à débattre ici d’une mesure pourtant exceptionnelle.
L’enchaînement des dispositions spéciales, la succession des mesures faussement provisoires et réellement attentatoires à notre idée commune de la démocratie, font que nous avons basculé – c’était notre crainte – de l’état d’urgence à l’état d’exception permanent. À chaque débat, monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont expliqué que c’était temporaire, que cela n’était pas fait pour durer, que cela ne pouvait pas durer. Le Président de la République lui-même l’a dit. Et pourtant, nous voici ici encore aujourd’hui.
Je m’y refuse. Et je ne suis pas la seule, puisque des parlementaires de tous bords ont fait entendre à chaque fois que l’occasion leur en a été donnée leur opposition à un tour de force juridique.
Le piège s’est refermé sur ce gouvernement qui, à force d’arguments de circonstance, est conduit à persévérer dans une voie sans issue. Parce qu’assumer de mettre fin à l’état d’urgence nécessite beaucoup de courage. Nous étions nombreux à exprimer cette juste crainte dès sa deuxième prorogation : quel gouvernement osera mettre fin à l’état d’urgence ou le laisser expirer ? Je le disais déjà le 19 novembre, lorsqu’il nous était proposé de proroger l’état d’urgence pour trois mois : l’état d’urgence temporaire ne saurait ouvrir la voie à l’état d’exception permanent. L’acceptation de la prorogation de l’état d’urgence ne vaut pas quitus mais s’inscrit dans un contexte précis et ne vaut que pour celui-ci.
Ce contexte est terminé. Et nous avons tous pu constater, suite à l’effroyable massacre de Nice et à l’assassinat du Père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, que l’état d’urgence n’avait pas empêché l’horreur. L’état d’urgence, aussi strict et répressif soit-il, n’empêche en rien que des individus habités par la haine, le ressentiment ou la folie, quand les trois ne les habitent pas en même temps, ne commettent des massacres qui nous révulsent et blessent à jamais notre mémoire collective.
À l’inverse, nous savons aujourd’hui que l’état d’urgence a visé et touche toujours aujourd’hui des personnes sans lien avec les mouvances terroristes : nous avons vu depuis novembre que l’état d’urgence a servi à museler les contestations sociales ou ceux qui luttaient contre le réchauffement climatique.