Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Le Parlement a fait entrer dans le droit commun nombre de mesures inspirées de l’état d’urgence. L’entrée en vigueur de ce nouvel arsenal de lutte antiterroriste, à la disposition de la police et de la justice, était censée permettre de se passer de l’état d’urgence. Rappelez-vous : lors de la deuxième prorogation de ce régime d’exception, le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, n’avait-il pas souligné la nécessité d’attendre l’adoption de ce projet de loi pour mettre fin à l’état d’urgence ?

Les auteurs du rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, de même que les membres de la commission d’enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, partagent la même conviction que moi – et je sais que cette conviction grandit parmi les parlementaires réunis ici ce soir : que la voie judiciaire demeure l’outil prééminent de la lutte antiterroriste. Dans son rapport, Sébastien Pietrasanta note : « force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci ».

Mes chers collègues, les treize mois d’application de ce dispositif dérogatoire ne peuvent avoir banalisé les mesures d’exception qu’il comporte. Les perquisitions menées dans le cadre de l’état d’urgence ont certes permis de saisir des armes et de la drogue. Entre le 14 novembre 2015 et le 25 mai 2016, ce sont quelque 3 750 perquisitions qui ont été opérées ; le 30 novembre, plus de 2 000 perquisitions avaient déjà eu lieu, c’est-à-dire 54 % du total. Toutefois, je ne crois pas que l’état d’urgence soit fait pour cela.

Les rapporteurs de la commission sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, constatent qu’une très grande majorité des arrêtés ne visent pas des circonstances particulières et ne relèvent pas d’une logique d’urgence et d’exception, mais en fait se substituent aux mesures de droit commun. L’usage massif de mesures d’interdiction de séjour pendant les mois de mobilisation contre la loi travail et les assignations à résidence pendant de grands événements tels que la COP21 en novembre dernier le démontrent.

La commission des lois a voté hier à une écrasante majorité la cinquième prorogation de l’état d’urgence. Elle a amendé, sur proposition du rapporteur, le régime des assignations à résidence, donnant de fait, via une figure juridique originale et contestable, un pouvoir d’initiative et de contrôle au juge des référés du Conseil d’État : celui-ci aura en effet le pouvoir d’autoriser, sur demande du Gouvernement ou de son représentant, la reconduction pour trois mois d’une assignation à résidence qui aurait atteint douze mois.

Comme vous le voyez, on essaie, avec les moyens du bord, d’encadrer et de limiter l’état d’urgence. Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson ont formulé un certain nombre de propositions dans le rapport d’information qu’ils ont rédigé au nom de la commission des lois.

Ils ont tout d’abord dressé un constat. De façon générale, les mesures les plus efficaces relèvent du droit commun : ce sont les mesures d’enquête et les mesures judiciaires.

Ils ont ensuite formulé une série de préconisations visant à améliorer le fonctionnement de l’état d’urgence. Ils proposent d’encadrer les perquisitions de nuit, qui devraient être obligatoirement motivées. Il faut donner force de loi à cette obligation. Il faut aussi préciser les conditions de recours à la force. Le périmètre géographique des assignations à résidence doit permettre la vie familiale et professionnelle, et les parquets doivent être informés des assignations. Le rapport s’interroge aussi sur l’articulation entre les problèmes de santé mentale et les assignations à résidence frappant des personnes visiblement malades. Il préconise l’information du juge des enfants lorsque des mineurs sont assignés à résidence. Il pose la question de l’évaluation budgétaire de l’état d’urgence, et propose une coordination interministérielle.

Les préconisations sont nombreuses : dix-sept au total, je crois. Les questions soulevées, nombreuses et pertinentes, nous agitent depuis que l’état d’urgence a été décrété. Elles sont toutes d’une très grande importance. Alors que nous sommes appelés à nous prononcer, avons-nous réellement débattu avec le Gouvernement de ce que contient ce rapport, fruit d’un travail de plus d’un an d’évaluation de l’état d’urgence, fruit du contrôle parlementaire, contrôle fait en notre nom à tous, fruit d’un examen complet, rigoureux, fouillé ? Nullement. Nous n’avons jamais débattu des préconisations du rapport. Certes, les délais rendent parfois le débat impossible : les procédures d’urgence s’accompagnent souvent de procédures accélérées. Doit-on l’accepter ? Je ne le pense pas.

Nous avons déploré – mon collègue Larrivé, qui vient de partir, aurait pu le confirmer –…

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