Vous êtes désormais attelé à une tâche infiniment plus essentielle, pour garantir notre sécurité mais aussi nos libertés. Le groupe majoritaire, vous n’apprendrez rien sur ce point, ne prend aucune discussion à la légère : les interventions de Pascal Popelin, qui m’a précédé à cette tribune, et de Sébastien Pietrasanta, qui m’y succédera, en témoignent.
Nous sommes conscients de la menace, monsieur le ministre, ou plus exactement nous en soupçonnons l’étendue au vu des 9 624 personnes placées sous surveillance pour terrorisme et du nombre d’attentats déjoués au cours des derniers mois. Placés devant nos responsabilités, devant ce péril imminent, nous avons déjà prolongé à quatre reprises l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats tragiques du 13 novembre. Nous nous apprêtons à le faire une cinquième fois, afin que soit couverte la période de l’élection présidentielle de mai et des législatives de juin. Nous savons en effet que, pour ceux qui ont la démocratie en horreur, cette période est propice à de nouvelles opérations spectaculaires, à forte portée symbolique.
Nous savons aussi que, si le pire advenait de nouveau sur notre sol, la levée préalable de l’état d’urgence serait forcément instrumentalisée par l’extrême droite, qui aurait tôt fait d’utiliser l’argument pour en appeler à un changement de régime.
Toutes ces raisons militent activement en faveur d’un soutien au Gouvernement dans sa détermination à éradiquer le terrorisme. Mais, monsieur le ministre, je vous sais comme nous attaché à ce subtil équilibre entre sécurité et défense de nos libertés publiques, équilibre qui permet de distinguer entre État de droit et état d’exception ou, pire encore, régime autoritaire.
Nous sommes également attentifs aux messages adressés par la société civile, qui craint que l’état d’exception ne devienne la norme. Nous sommes, enfin, sensibles aux avis du Conseil d’État, qui souligne que « la succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et de venir ».
Le Gouvernement a choisi de tenir compte d’une partie de ces remarques en conditionnant le maintien de l’assignation à résidence au-delà de la durée maximale de quinze mois par l’apparition d’éléments nouveaux la justifiant.
Sur cette ligne de crête entre volonté de protéger la société et volonté de protéger la liberté d’individus pour lesquels des soupçons existent, mais sans qu’il soit possible d’engager contre eux une action judiciaire, nous souhaitons, à l’instar de la commission des lois, aller plus loin.
La commission des lois a donc limité cette durée à douze mois, comme le prônait le Conseil d’État, et prévu l’intervention, avant chaque prorogation, du juge des référés au Conseil d’État. Certains, j’imagine, se demanderont pourquoi nous sommes si attentifs à garantir les droits de femmes ou d’hommes potentiellement dangereux pour notre société. C’est précisément ce point que nous voulons soumettre à l’appréciation et à la vérification du juge administratif.
Nous avons aussi la volonté de ne pas offrir le moindre argument à nos ennemis. Rien ne serait plus dommageable que de laisser s’installer l’idée que la France, désormais, ne s’inscrit plus dans sa propre histoire ; rien ne serait plus dommageable que de nourrir ces tensions qui constituent le terreau sur lequel prospèrent malheureusement les agents de Daech.
Telles sont, monsieur le ministre, les pistes sur lesquelles le groupe que j’ai l’honneur de présider souhaite avancer en confiance avec vous.