Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’examen de ce texte n’est pas une surprise puisque le Président de la République et l’ex-Premier ministre avaient publiquement déclaré, le 15 novembre dernier, leur volonté de prolonger l’état d’urgence jusqu’à l’élection présidentielle, alors que l’intensité de la menace terroriste qui pèse sur notre pays n’a pas décliné, bien au contraire : sur la base des informations données par le Gouvernement, pas moins de douze tentatives d’attentat ont été déjouées depuis l’attentat de Nice, qui avait motivé la quatrième prorogation de l’état d’urgence, avec le vote de la loi du 21 juillet 2016, qui prolongeait ce régime d’exception jusqu’au 20 janvier à minuit.

La démission du Gouvernement est venue accélérer le processus législatif, puisque l’examen du projet de loi était initialement prévu le 21 décembre, alors que l’état d’urgence devenait caduc à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la démission du Gouvernement, conformément à l’article 4 de la loi de 1955, c’est-à-dire précisément ce 21 décembre, date à laquelle, si aucune loi n’était promulguée, l’ensemble des mesures administratives propres à l’état d’urgence tombaient.

Il ne s’agit donc pas tant aujourd’hui de se poser la question de savoir s’il est nécessaire ou non de prolonger, et pour quelle durée, le régime de l’état d’urgence, que de se poser celle de l’utilité de la sauvegarde et du maintien dans notre ordre juridique des mesures prises sous l’empire de l’état d’urgence depuis le soir des attentats du 13 novembre 2015.

En effet, l’extinction brutale de l’état d’urgence, le 20 janvier à minuit, aurait signifié la remise en liberté des personnes assignées à résidence ne faisant pas l’objet d’une procédure judiciaire, la remise ou la destruction précoce des données saisies dans le cadre de perquisitions administratives, l’annulation des remises d’armes, voire la réouverture de lieux de réunion ayant fait l’objet d’une fermeture provisoire, notamment des lieux de culte.

Ce cas de figure était évidemment inenvisageable, sous peine de ruiner le patient travail de nos forces de sécurité et du renseignement et, accessoirement, d’exposer l’État à des demandes reconventionnelles. Il faut donc maintenir l’état d’urgence et, pour cela, le proroger.

Je me contenterai de rappeler qu’en tout état de cause, il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres sans attendre l’expiration du délai légal, conformément à l’article 3 de la loi du 20 novembre 2015.

Faut-il pour autant prolonger ce régime d’exception sans y apporter les modifications nécessaires, comme cela a été effectué lors des prorogations successives ? Non. Comme nous y invite le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence présenté par nos collègues Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, comme nous le suggère notre rapporteur Pascal Popelin et comme nous le propose d’ailleurs le projet de loi que nous examinons ce soir, des modifications, des adaptations sont nécessaires.

Ces modifications apportées à notre ordre juridique doivent se limiter strictement à l’état d’urgence. Nous nous étions émus, lors de l’examen du projet de loi de juillet 2016 tel qu’il était issu des travaux de la CMP, de l’ampleur et du champ des onze mesures nouvelles intéressant la procédure pénale et concernant les délits et les peines qui avaient été introduites dans la loi, formant un volet spécifique s’insérant dans le droit commun. Notre collègue Stéphane Claireaux s’était justement exprimé en dénonçant la réintroduction par les sénateurs de dispositions qu’ils avaient préalablement présentées sur d’autres textes, sans succès.

Nous sommes en tous points d’accord avec la préconisation du rapport d’information de la commission des lois : s’il est utile qu’une loi de prorogation de l’état d’urgence puisse, outre la prorogation stricto sensu, prévoir des aménagements indispensables de la loi du 3 avril 1955, il n’est pas souhaitable qu’un véhicule législatif aussi particulier soit utilisé pour insérer des dispositions de droit commun, notamment lorsqu’elles intéressent des délits et des peines. Gageons que, cette fois-ci, les membres de la Haute assemblée sauront se montrer plus raisonnables qu’il y a cinq mois.

La principale modification proposée consiste à instaurer une durée maximale d’assignation à résidence. Cette solution était justement, et logiquement, préconisée par le rapport d’information de MM. Raimbourg et Poisson, logiquement car, comme je le disais un peu plus tôt, il faut maintenir l’état d’urgence pour que les mesures administratives prises sous son empire ne tombent pas, mais, comme ces mesures, en particulier les assignations à résidence, peuvent attenter à l’exercice de libertés individuelles, l’administration doit agir avec célérité et ne pas gérer ces situations au fil de l’eau, ce que le rapport Raimbourg-Poisson appelle une forme d’activité à bas bruit.

Comme pour les perquisitions administratives, le droit commun, tel qu’il résulte des lois de 2014, 2015 et 2016, qui ont facilité les perquisitions de données informatiques, les perquisitions domiciliaires nocturnes dans les affaires présentant un caractère terroriste, a vocation à supplanter le droit d’exception.

Le rapport d’information est, de ce point de vue, très instructif. Outre que la troisième prorogation de l’état d’urgence, effectuée par la loi du 20 mai 2016, ne prévoyait pas cette possibilité, le Conseil d’État l’ayant jugée inutile, l’usage des perquisitions administratives pendant l’état d’urgence a été très variable et leur objet a évolué en fonction des cibles à atteindre. Leur régime juridique a été mouvant. L’état d’urgence est donc un état d’adaptation constante et urgente du droit aux circonstances. Or le respect des libertés individuelles ne peut s’acclimater d’un environnement juridique en perpétuelle évolution.

Un bon moyen de fixer le régime de l’état d’urgence aurait été de le constitutionnaliser. Comme M. Raimbourg et M. Poisson, nous regrettons que le débat constitutionnel, qui devait notamment aboutir à l’inscription du régime de l’état d’urgence dans la Constitution, ait été dévoyé.

Dans son rapport sur le projet de loi prorogeant pour la première fois l’état d’urgence, le sénateur Philippe Bas estimait qu’une révision constitutionnelle était sur ce point justifiée d’un point de vue formel, mais discutable sur le plan juridique car les dispositions de la loi de 1955 avaient déjà été validées par le Conseil constitutionnel et que les conditions de mise en oeuvre du régime de l’état d’urgence avaient été précisées par la jurisprudence du Conseil d’État.

Les délais et modalités d’examen des quatre dernières lois relatives à l’état d’urgence, dérogatoires au droit commun car constituant des projets de loi relatifs aux états de crise en vertu de l’article 42, alinéa 4, de la Constitution, ne nous ont pas permis d’avoir cette nécessaire réflexion.

Il faut certainement renouveler le régime de l’état d’urgence par la mention de son existence dans la Constitution et l’examen d’une nouvelle loi qui viendrait abroger la loi du 3 avril 1955, nouvelle loi qui viendrait assurer une meilleure conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la vie privée et l’exercice des libertés individuelles.

Pour finir, et si nous revenons à l’état du droit de l’urgence actuel, les membres du groupe RRDP auraient été tentés, puisqu’il s’agit selon nous de travailler sur un état du droit satisfaisant afin qu’il puisse épouser les circonstances et non l’inverse, de déposer un amendement afin de supprimer une disposition que nous avions nous-même introduite dans la première loi de prorogation de l’état d’urgence.

Cette disposition permettait, par arrêté du ministre de l’intérieur, de bloquer les sites internet poussant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Cette procédure est en effet restée lettre morte, notamment parce que le droit commun résultant de la loi du 13 novembre 2014 comportait déjà une mesure administrative voisine.

Cependant, notre rapporteur a très aimablement fait remarquer que cette mesure s’articulait particulièrement bien avec les dispositions permanentes de notre arsenal juridique. Étant naturellement portés à lui faire confiance, nous décidons donc de la laisser subsister.

Au terme d’un état d’exception qui, au 15 juillet 2017, aura duré vingt mois, la représentation nationale devra faire l’examen de ce régime d’exception. Si l’on met de côté la période qui a suivi le putsch des généraux, puisque sa prolongation avait été décidée par le Président de la République sur le fondement de l’article 16, il n’aura jamais duré aussi longtemps depuis les événements qui avaient motivé sa création en 1955 : il avait alors été appliqué du 4 avril au 1er décembre.

Nous souhaitons que cette prorogation soit la dernière. Nous ne voulons pas fragiliser la lutte contre le terrorisme. Nous ne sommes pas persuadés que l’État de droit inclue le régime de l’état d’urgence car, si les circonstances qui en motivent l’application deviennent habituelles, l’exception doit s’effacer devant la règle. Nous voterons néanmoins la cinquième prorogation de l’état d’urgence.

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