Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec la cinquième prorogation de l’état de l’urgence, nous vivons une sorte de paradoxe, que le débat de ce soir a d’ailleurs bien mis en lumière. Au-delà de l’exigence des nécessités immédiates, que je ne mets pour ma part aucunement en cause, il y a le constat que des mois après la première instauration de l’état d’urgence, la situation de notre pays ne s’améliore pas, du point de vue des risques que le terrorisme fait peser sur l’ensemble de notre population.

Dans le débat de ce soir, nous prenons donc explicitement parti sur le besoin absolu, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, des mesures d’urgence nécessaires, que je ne conteste pas, mais nous prenons aussi implicitement parti sur l’état de notre pays et, peut-être, les besoins à long terme de son intégration.

S’agissant du besoin immédiat, fût-il renouvelé, j’en crois les justifications solides et les dispositifs globalement appropriés. Je ne reviens pas sur les risques d’attentats, et surtout, sur le caractère multiforme qu’ils risquent de prendre. Je ne reviens pas non plus sur les risques particuliers que, dans le contexte géopolitique, le retour des djihadistes fait peser sur notre pays. Je ne reviens pas non plus sur le contexte électoral. Personnellement, il me semble l’argument le plus faible. Nous avons évoqué d’autres contextes, comme ceux du Tour de France ou de grands événements. Le contexte électoral importe, mais il n’aurait, à l’évidence, pas suffi à justifier cette prorogation.

Quant aux dispositifs, nous aurons le débat à l’occasion de l’examen des amendements. Je n’y reviens donc pas, si ce n’est pour dire que dans les trois dernières lois, nous avons procédé à un certain remodelage du dispositif. Nous le faisons ici encore dans le texte voté par la commission, en remodelant l’approche de l’assignation à résidence, assortie d’un dispositif assez original, nous en débattrons.

Ce remodelage m’inspire un regret, que je partage avec d’autres, à commencer par le rapporteur : celui que nous n’ayons pu inscrire l’état d’urgence dans la Constitution. Je crois avoir été la première à en parler dans cet hémicycle, il y a de longs mois. De faux débats ont eu lieu sur cette question de l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence. En réalité, la permission constitutionnelle – le texte n’est pas autre chose que permissif – est en même temps, bien entendu, une limitation.

Par ailleurs, le grand mérite du texte constitutionnel, c’est qu’il aurait pu intégrer le principe du contrôle parlementaire. Cela avait d’autant plus d’intérêt que j’entends dire beaucoup de choses qui ne sont pas justes, je crois. Il ne s’agit absolument pas du pouvoir d’évaluation du Parlement, mais d’un réel pouvoir de contrôle sui generis, que les commissions des lois ont largement inventé pour elles-mêmes. Il aurait eu un grand intérêt à être intégré à la Constitution, d’autant qu’à l’époque de la loi de 1955, les pouvoirs réciproques de l’exécutif et du législatif n’étaient pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui. C’était une raison supplémentaire pour l’y inscrire. C’est un regret.

Ce soir, implicitement, nous nous prononçons sur la situation de notre pays. Nous devons le faire sans complaisance, mais en regardant à quel degré de délaissement sont arrivés certains quartiers, mais aussi certains territoires ruraux ou périurbains. Nous devons nous poser la question des mesures de long terme, qui seraient aujourd’hui nécessaires pour compléter des mesures sécuritaires immédiates, qui, je le répète, sont à mes yeux indispensables et nécessaires.

De cette manière, nous tiendrions les deux bouts de l’exigence républicaine et, plutôt que de s’en tenir à de sempiternelles critiques sur l’État de droit, l’état d’exception, nous irions vers des mesures positives et constructives. Il y aurait d’un côté la sécurité, à laquelle la population française a droit sans qu’il n’y ait à transiger sur ce point ; de l’autre, une intégration de long terme, sans laquelle nous risquerons de nous fracasser un jour sur la division au sein de la nation et de la République. Les risques, mes chers collègues, pesant sur l’intégration dans notre pays sont aujourd’hui très réels. Les attentats n’en sont qu’un révélateur.

Avec des mesures très ambitieuses, de plus longue portée que celles que nous avons prises, en matière de politique des quartiers et d’éducation, combinées – vous seriez étonné que je n’en parle pas, monsieur le ministre – à un service national obligatoire qui restituerait le sens et l’esprit de la règle civique, nous serions armés pour répondre au grand défi de l’intégration dans la République, devant lequel nous sommes. Sans y mettre l’ambition ni les moyens, nous n’y arriverons pas. C’est ainsi que les besoins de la France ne se portent pas seulement sur la sécurité immédiate : il faut assurer à notre pays un avenir solide au sein d’une République apaisée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion