Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chacun se souvient des conditions peu glorieuses qui vous ont conduits à demander en catastrophe – c’est le cas de le dire, hélas ! – la quatrième prorogation de l’état d’urgence, le 21 juillet dernier. Quelques jours auparavant, dans l’après-midi du 14 juillet, le Président de la République, qui ne cachait pas sa joie d’avoir surmonté sans problème l’Euro 2016 de football, avait annoncé la fin de l’état d’urgence, qui ne s’imposait plus, selon lui, au regard de la loi qui venait d’être promulguée le 3 juin précédent sur la sécurité intérieure.

Hélas, la boucherie de la promenade des Anglais survenait quelques heures plus tard, le contraignant à un revirement à 180 degrés. Il fallait d’urgence reconduire l’état d’urgence. Mais quelques jours après Nice, et cinq jours à peine après la nouvelle prorogation de l’état d’urgence, survenait le lamentable attentat du 26 juillet 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray, dont l’un des auteurs faisait précisément l’objet d’une assignation à résidence. Voilà qui, une nouvelle fois, montrait les limites de l’exercice que vous nous demandez à nouveau de renouveler aujourd’hui.

Depuis son entrée en vigueur, le 14 novembre 2015, le moins que l’on puisse dire en effet, c’est que la mise en oeuvre de l’état d’urgence n’a nullement permis d’empêcher la série d’attaques survenues depuis le Bataclan et Saint-Denis, ce que, du côté du Gouvernement, on semble avoir oublié : trois au mois de janvier 2016, à Valence, à Paris et à Marseille ; l’ignoble attentat de Magnanville en juin ; et, bien sûr, Nice et le père Hamel assassiné en pleine messe à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Cette série d’attentats n’a fait que confirmer les limites de la procédure de l’état d’urgence et l’urgence, en revanche, d’une réforme en profondeur de notre système de renseignement, tant dans la collecte que dans le traitement des informations, sans parler du cyber. C’est dans ces différents domaines, étudiés par la commission d’enquête Pietransanta-Fenech, que reste à faire un énorme travail, que vous n’avez pas voulu engager jusqu’ici et que la simple reconduction de l’état d’urgence ne saurait remplacer. C’est la raison pour laquelle je n’avais pas voté la prorogation de l’état d’urgence au mois de juillet dernier, pas plus que je ne la voterai ce soir.

Mais il y a plus grave cette fois-ci. Alors que vous nous demandez cette prorogation, vous ignorez les développements extrêmement importants qui se sont produits au Proche-Orient cette année, surtout depuis l’été dernier : premièrement, l’offensive américano-irakienne sur Mossoul, à laquelle nous participons ; deuxièmement, l’offensive russo-syrienne à Alep.

Le noeud est en train de se resserrer progressivement sur l’État islamique en Syrie et en Irak, et donc sur les djihadistes étrangers, notamment français, qui y combattent. Dans le même temps, la pression militaire s’accroît au Yémen, mais également au Nord Mali et en Libye. Le résultat prévisible est que beaucoup de ces djihadistes qui auront survécu à ces guerres vont revenir en Europe et en France. Or la France se situe au premier rang des pays fournisseurs, si j’ose dire, de contingents djihadistes, avec au minimum 1 200 combattants, 200 tués, 200 de retour et au moins 800 sur place. Pour avoir consulté les rares études disponibles sur ces « revenants » et en faisant la part des déçus et autres repentis, on ne saurait trop souligner l’extrême dangerosité de ce qui nous attend.

David Thomson, qui a consacré une étude à ces revenants, dit que la menace est triple : « celle des retours d’éléments formés militairement et missionnées pour tuer ; celle des revenants déçus mais non repentis, capables de passer à l’acte violent individuellement ; et celle des sympathisants restés en France et pénétrés par ce discours ». C’est à la lumière de ces dangers, monsieur le ministre, qu’il convient d’examiner votre projet de loi sur l’état d’urgence. Que fait notre droit face à cette menace ? D’abord, il faudrait que nos services de renseignement soient capables de repérer les djihadistes de retour ; or ce n’est pas le cas. Ceux qui ne prennent pas un avion direct entre Istanbul et Paris n’apparaissent pas sur les écrans radar. C’est le cas d’un djihadiste qui s’est confié, il y a quinze jours, dans le Journal du dimanche pour expliquer qu’il est rentré sans problème et a repris sa vie comme avant ; il a été interpellé par la police en allant chercher un nouveau passeport – le comble pour un combattant djihadiste !

En second lieu, la volonté de les mettre hors d’état de nuire n’est pas démontrée, c’est le moins qu’on puisse dire. À Istanbul, où je me suis récemment entretenu avec les représentants du consulat, on accueille les djihadistes sur le retour avec douceur. David Thomson rapporte d’ailleurs dans son livre un échange téléphonique franchement renversant entre le consulat et un de ces djihadistes ! Les gens sont accueillis à bras ouverts ; on leur indique comment revenir. Le moins qu’on pourrait attendre d’un État décidé à se battre sérieusement contre le terrorisme serait que tous les djihadistes fassent l’objet d’une rétention administrative indéfinie, en attendant que la justice puisse étudier chaque dossier, et non qu’ils soient renvoyés chez eux, comme c’est le cas actuellement, lorsque les preuves de leur implication dans des opérations de guerre ne peuvent pas être immédiatement réunies à l’issue de leur garde à vue.

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