Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 14 décembre 2016 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, rapporteur :

Il n'est aujourd'hui plus possible de distinguer sécurité intérieure et extérieure au niveau européen. Voilà pourquoi, à côté des mesures que vient de présenter Mme Marietta Karamanli, le pacte de sécurité européen contient également « des propositions concrètes devant permettre de progresser vers une défense de l'Union européenne globale, réaliste et crédible ». Ces propositions s'articulent autour de trois axes.

Le premier axe est une coopération accrue en matière de défense.

Alors que la sécurité figure désormais parmi les priorités de l'agenda européen, il est pour le moins aberrant qu'il n'existe toujours pas de Conseil des ministres de la Défense. Ceux-ci se réunissent, certes, mais sous couvert du Conseil des affaires étrangères. L'une des mesures du pacte de sécurité européen vise donc à renforcer la prise de décision en institutionnalisant un Conseil des ministres de la Défense.

Le pacte de sécurité européen propose également de mettre enfin en oeuvre la coopération structurée permanente prévue par les articles 42, paragraphe 6, et 46 du Traité sur l'Union européenne entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». C'est un moyen d'aller de l'avant en matière de défense en contournant l'obstacle de l'unanimité. La coopération structurée permanente a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs rapports au sein de la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale.

Enfin, au-delà de la coopération structurée permanente, la France et l'Allemagne estiment nécessaire de renforcer la coopération entre les États membres par la coordination et la transparence de leurs développements capacitaires et de leurs budgets de défense. Cette coopération pourrait être appuyée par l'Agence européenne de défense (AED) dans le cadre d'un « semestre européen de défense », sur le modèle du « semestre européen » consacré à la coordination des politiques économiques et budgétaires.

Le deuxième axe est le développement de nouvelles capacités de défense.

La sécurité de l'Union européenne implique une autonomie stratégique qui ne peut être atteinte sans capacités militaires suffisantes en hommes, en matériels et en technologie. Il en découle les propositions suivantes.

Premièrement, se fixer l'objectif de consacrer 20 % des budgets nationaux de défense à l'investissement, afin de financer adéquatement l'avenir dans le cadre coordonné qui vient d'être décrit. De tels investissements sont nécessaires au maintien d'une capacité industrielle européenne.

Deuxièmement, lancer un programme de recherche sur la défense en vue du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, corollaire de l'investissement précité. Il doit porter sur du matériel européen de dernière génération, lequel exige un effort de recherche considérable qui n'est possible qu'au niveau européen.

Troisièmement, étendre le mécanisme Athena de financement des opérations militaires. Celui-ci ne finance actuellement que les coûts communs des missions militaires, si bien que l'essentiel des dépenses repose sur les États membres contributeurs, d'où la réticence de certains à s'engager. Nous avons proposé d'améliorer ce dispositif dans le cadre de la commission des Affaires européennes.

Quatrièmement, renforcer l'Eurocorps, qui pourrait soutenir l'Union européenne pour des missions de formation, de conseil stratégique et d'assistance, et continuerait à appuyer l'OTAN si nécessaire.

Cinquièmement enfin, développer de nouvelles capacités en matière de transport stratégique terre, air et mer.

Le développement de nouvelles capacités doit aussi s'entendre au sens juridique du terme. En effet, l'article 41 du Traité sur l'Union européenne, strictement interprété par la Commission européenne, interdit à l'Union de financer des dépenses afférentes à des opérations comportant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Par conséquent, alors que plusieurs missions de formation d'armées africaines sont en cours au Sahel, en particulier au Mali – l'EUTM Mali, l'European Union Training Mission in Mali –, l'Union européenne n'a pu fournir aux recrues les équipements, même non létaux, nécessaires à l'entraînement, pas plus qu'elle ne pourra équiper par la suite les bataillons formés. Voilà pourquoi la France et l'Allemagne soutiennent la proposition de la Commission européenne, rendue publique le 5 juillet dernier, d'autoriser un financement des acteurs du secteur de la sécurité dans les pays partenaires, y compris les acteurs militaires, sans toutefois aller jusqu'à la fourniture de matériel létal.

Le troisième axe du pacte comporte des propositions visant à rendre les forces plus opérationnelles.

Il propose ainsi de renforcer la capacité de planification stratégique et de conduite militaire de l'Union européenne par la création d'un quartier général permanent, de créer un commandement médical européen, d'améliorer la capacité de déploiement des groupements tactiques – étant précisé que ces battlegroups n'ont encore jamais été déployés, enfin de raffermir le processus de génération de forces pour les missions et opérations de l'Union européenne grâce à une meilleure prise en charge de leur coût par le mécanisme Athena.

L'ensemble de ces propositions vise à garantir l'autonomie stratégique et opérationnelle de l'Union européenne, pour lui permettre d'intervenir pour « assurer la paix, la sécurité et le développement dans des zones-clés, en particulier la Méditerranée, l'Afrique de l'Ouest et le Sahel, la République centrafricaine et la corne de l'Afrique, zones dans lesquelles notre sécurité commune est en jeu ». Ces zones sont des espaces où l'OTAN n'intervient pas. Toutefois, le lien entre la défense européenne et l'OTAN n'est pas oublié. Bien au contraire, la coopération entre l'Union et l'OTAN doit être « intensifiée, notamment dans le domaine cyber, la lutte contre les menaces hybrides, le renseignement […] ».

Une première étape a été franchie lors du Conseil du 14 novembre dernier, dont les conclusions reprennent certaines des propositions exposées à l'instant. Cependant, le Conseil n'a défini qu'une feuille de route dont la mise en oeuvre est subordonnée à l'émergence d'un consensus entre les États membres.

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