La réunion

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La réunion débute à 10 heures 30.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, vice-présidente.

La Commission examine, en deuxième lecture, la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale (n° 4135) (M. Alain Tourret, rapporteur).

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La proposition de loi portant réforme de la prescription pénale a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 mars 2016, puis par le Sénat le 13 octobre dernier. Elle sera examinée en séance publique le jeudi 12 janvier prochain, à l'initiative du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP).

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Il s'agit d'une proposition de loi importante puisqu'elle touche au domaine essentiel de la prescription. Les règles de prescription datent de 1808, sous Napoléon Ier, mais leur existence historique en France remonte à l'octroi par Saint-Louis d'une charte s'inspirant elle-même de la jurisprudence romaine.

La prescription a évolué au cours du temps. Avec les progrès scientifiques, notamment en matière d'ADN, et la définition de nouvelles règles applicables en matière d'imprescriptibilité, il a fallu repenser cette « loi de l'oubli », d'autant que, depuis 1935, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend des décisions contra legem, s'appuyant en particulier sur le fait qu'en matière économique, le délai de prescription ne court pas à compter de la commission des faits mais de leur révélation. Il fallait donc s'attacher à modifier le droit pour assurer la sécurité juridique.

Dans le cadre de la mission d'information qui nous a été confiée, M. Georges Fenech et moi-même avons procédé à de très nombreuses auditions pour élaborer un rapport de près de 500 pages, adopté par cette commission. À la demande du président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, et de l'ancien président de notre Commission, M. Jean-Jacques Urvoas, désormais ministre de la Justice, la proposition de loi issue de ce travail a été transmise pour avis au Conseil d'État. Pendant près de trois heures, nous avons, M. Georges Fenech et moi, été interrogés par le président de la section de l'intérieur, M. Christian Vigouroux. Nous avons ensuite soutenu le texte devant cette même section pendant près de sept heures d'affilée, puis devant les sections réunies du Conseil d'État, de façon plus brève. Le Conseil d'État a rendu un avis très intéressant, non pas pour nous dire ce qu'il fallait faire mais pour nous donner des informations nous permettant de trancher.

En première lecture, la proposition de loi a été adoptée par notre assemblée à l'unanimité, mais la commission des Lois du Sénat l'a substantiellement modifiée. Je tiens à remercier le garde des Sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas, d'avoir organisé une mission de conciliation entre les commissions des Lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui s'est tenue en sa présence. C'est le texte issu de cette discussion qui a été adopté par le Sénat. Ce procédé, très semblable à celui d'une commission mixte paritaire, était la seule façon d'éviter que la proposition de loi ne tombe aux oubliettes.

Le Sénat a approuvé des dispositions essentielles : l'allongement de la durée des délais de prescription de l'action publique, de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes ; l'allongement de la durée du délai de prescription des peines correctionnelles de cinq à six ans ; le maintien des délais de prescription de l'action publique, allongés pour certains crimes et délits particulièrement graves – infractions commises sur les mineurs, actes de terrorisme, trafic de stupéfiants ; le maintien, à une exception près, des délais de prescription de l'action publique pour certaines infractions d'une nature particulière qui se prescrivent suivant un délai fortement abrégé ; le report du point de départ du délai de prescription de certaines infractions, notamment sexuelles, commises sur les mineurs à la majorité de la victime – dans les faits, le délai peut courir, en matière criminelle jusqu'à ce que les victimes atteignent l'âge de trente-huit ans ; l'objectif d'un ordonnancement clarifié des dispositions encadrant la prescription de l'action publique et des peines.

Dans cette énumération, je mets en exergue l'accord des deux assemblées sur la consécration législative de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au report du point de départ du délai de prescription de l'action publique des infractions occultes et dissimulées. C'est un point capital, car c'est celui sur lequel toutes les réformes de la prescription ont échoué, notamment les projets présentés par M. Pierre Mazeaud, ancien président de la commission des Lois de l'Assemblée nationale puis du Conseil constitutionnel, et celui qui fut son homologue au Sénat et qui siège à son tour en qualité de membre au Conseil constitutionnel, M. Jean-Jacques Hyest. Nous avons considéré qu'il valait mieux s'en tenir à la jurisprudence que la Cour de cassation avait confortée, étendue et stratifiée depuis 1935, plutôt qu'au texte de Bonaparte de 1808. C'est ce qui fait que la criminalité « en col blanc » pourra être poursuivie pour des délits occultes et dissimulés, exécutés de façon intelligente et pas commis de manière impulsive.

Le Sénat a également consacré la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la suspension du délai de prescription en cas d'obstacle de droit ou de fait à l'exercice des poursuites. Enfin, il a reconnu le principe d'une définition plus encadrée des actes interruptifs de prescription.

Le Sénat a aussi modifié ou ajouté certaines dispositions.

Nous avons d'abord renoncé à étendre aux crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité la règle de l'imprescriptibilité. C'était le compromis trouvé avec le ministre de la Défense. La ministre de la Justice Christiane Taubira aurait souhaité qu'on aille plutôt vers l'imprescriptibilité de tous les crimes de guerre, conformément au traité créant la Cour pénale internationale, mais cela nous a semblé impossible.

Nous avons accepté l'allongement à six ans, soit le délai de droit commun, du délai de prescription de l'action publique pour certains délits : provocation à la commission d'actes terroristes et apologie publique de ces actes, consultation habituelle de certains sites djihadistes, entrave au blocage de ces sites et discrédit jeté sur une décision de justice. Le Sénat a également ajouté un délai butoir pour le déclenchement de l'action publique en cas d'infractions occultes ou dissimulées, de douze ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle, afin de prévenir l'engagement trop tardif des poursuites.

Concernant l'interruption de la prescription, le Sénat a établi une liste limitative d'actes interruptifs et supprimé le caractère interruptif de la plainte simple. Dans le cadre de notre transaction, j'ai accepté de renoncer à cette disposition à laquelle je tenais beaucoup. La plupart des gens ne sachant pas ce que veut dire une plainte avec constitution de partie civile, il me semblait préférable de nous en tenir à une plainte simple ayant date certaine.

Le Sénat a également ajouté des précisions relatives aux causes de suspension du délai de prescription de l'action publique et introduit une nouvelle disposition portant de trois mois à un an le délai de prescription de l'action publique des infractions de presse commises sur internet. Il nous avait semblé préférable de ne pas aborder la question de la presse, mais le Sénat a souhaité le faire.

Ce sont des modifications d'une ampleur variable mais qui ne remettent nullement en cause l'équilibre de la réforme qui est attendue par les praticiens du droit et va renforcer la sécurité juridique. Je souhaite donc un vote conforme de ce texte par notre Commission puis par notre assemblée, ce qui permettra une entrée en vigueur de la loi dès la fin du mois de janvier prochain.

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Cette proposition de loi soulagera certainement les magistrats, qui avaient fort à faire dans l'application de la jurisprudence et qui avançaient déjà dans cette direction.

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Je me félicite à mon tour qu'au terme d'un long cheminement, nous aboutissions à un texte fort satisfaisant. Nous avions effectivement quelques craintes quant à la position sénatoriale. C'est pourquoi je tiens vraiment à remercier M. Jean-Jacques Urvoas qui, tenant lui-même beaucoup à ce texte, a joué le rôle inhabituel d'amiable compositeur entre le Sénat et notre assemblée.

Ce texte répond à une attente des acteurs du monde judiciaire qui, tous, nous avaient fait part de l'incohérence résultant de l'empilement des décisions jurisprudentielles et des textes législatifs. Le procureur général près la Cour de cassation a même parlé d'un véritable « chaos ». Il fallait donc remettre les choses en perspective, pas seulement pour le confort juridique des acteurs de la justice, mais aussi pour répondre à une attente réelle de notre société qui, davantage soucieuse de mémoire que d'oubli, ne pouvait plus admettre que des crimes extrêmement graves soient frappés de prescription. Chacun se souvient de l'affaire dite « Émile Louis », dans laquelle il a fallu torturer les textes pour que la prescription ne soit pas retenue et pour que le tueur de l'Yonne soit jugé. La même démarche a dû être adoptée pour d'autres affaires, et au plus haut niveau, puisque la Cour de cassation en assemblée plénière a retenu un motif général de suspension du délai de prescription de l'action publique dans l'affaire dite de l'« octuple infanticide ».

Certaines décisions ont été prises contra legem, du moins contre la volonté du législateur, notamment en matière d'infractions astucieuses pour lesquelles la Cour a retenu la théorie dite de la révélation. Nous avons fait le choix de consacrer cette jurisprudence, et le Sénat a fini par se rallier à notre position, à la condition essentielle – que nous avons acceptée – d'instaurer un délai butoir de douze ans en matière délictuelle et de trente ans en matière criminelle. On ne pourra donc avancer l'argument de l'imprescriptibilité de fait de certains délits.

Voilà donc un texte qui a recueilli le consensus de notre assemblée, du Sénat, du Conseil d'État et du monde judiciaire. Il sera intéressant, au cours d'une prochaine législature, d'évaluer ce dispositif très novateur, qui va bouleverser en profondeur une justice pénale jusqu'alors figée dans des délais illusoires, fixés sous Napoléon Ier.

Bien entendu, le groupe Les Républicains votera ce texte.

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Le groupe Socialiste, écologiste et républicain est satisfait de voir revenir devant notre Commission cette proposition de loi issue du remarquable rapport rédigé par nos deux collègues, auxquels je rends hommage. Cherchant à écarter les difficultés, ils ont judicieusement travaillé avec le Conseil d'État afin de garantir au texte solidité juridique et effectivité. Nous nous associons aussi à la gratitude exprimée envers M. Jean-Jacques Urvoas qui, dans le débat avec le Sénat, a joué un rôle prééminent.

Personnellement, je n'ai jamais beaucoup apprécié l'expression de « loi de l'oubli », formulation ancestrale qui remonte à la jurisprudence du droit romain. Elle est impropre et à l'origine d'une incompréhension du principe même de la prescription. La prescription n'est pas un droit à l'oubli ; elle répond à l'obligation de garantir l'effectivité de l'action publique au regard des sanctions qu'elle prononce. La difficulté est que cette approche n'est pas partagée par certaines personnes qui revendiquent la prise en compte de l'intérêt, éminemment respectable, des victimes. Vous l'avez toutefois bien résolue.

Il était impératif que le législateur reprenne la main en ce domaine. Au-delà même du fait que le juge judiciaire ait été amené, depuis 1935, à construire une jurisprudence complexe, le justiciable – qu'il soit partie civile ou poursuivi – ne pouvait jamais savoir avec certitude selon quelles modalités lui serait appliquée la règle de la prescription. Il fallait donc apporter le plus de stabilité possible à cette règle.

Bien entendu, le groupe Socialiste, écologiste et républicain votera cette proposition de loi en espérant que l'unanimité dans laquelle s'est inscrit son parcours se maintiendra, permettant une entrée en vigueur rapide de ses dispositions.

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Je salue à mon tour le travail accompli par nos deux collègues. Sur la forme, le texte a été élaboré d'une manière à la fois exceptionnelle et originale – issu du rapport considérable concluant une mission d'information, bénéficiant de l'intervention du garde des Sceaux, ancien président de notre Commission, visant à mettre le liant nécessaire dans cette belle initiative. Nos collègues ont fait preuve aussi bien de ténacité que de pragmatisme pour parvenir à ce résultat.

Sur le fond, le temps avait fait son oeuvre – une oeuvre peu claire et peu intelligible sur le plan juridique, aboutissant à une stratification de règles telle que plus personne ne s'y retrouvait, à commencer par les acteurs du monde judiciaire, tous demandeurs d'une évolution. Une clarification et une homogénéisation des règles s'imposaient donc, tout en prenant en compte les secteurs les plus sensibles de notre droit pénal. Je salue très respectueusement les collègues qui ont effectué ce travail de fond et remercie le Gouvernement d'avoir assumé sa responsabilité à nos côtés, avec l'espoir très serein que ce texte, voté à l'unanimité par notre assemblée puis par le Sénat, devienne rapidement une très solide loi de la République.

La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er (art. 7, 8, 9, 9-1 A [nouveau], 9-1 [nouveau], 9-3 [nouveau] et 15-3 du code de procédure pénale) : Modification des dispositions relatives à la prescription de l'action publique

La Commission adopte l'article 1er sans modification.

Article 2 (art. 133-2, 133-3 et 133-4-1 [nouveau] du code pénal) : Modification des dispositions relatives à la prescription des peines

La Commission adopte l'article 2 sans modification.

Article 3 (art. 213-5, 215-4, 221-18, 434-25 et 462-10 du code pénal ; art. 85, 706-25-1, 706-31 et 706-175 du code de procédure pénale ; art. L. 211-12 et L. 212-37 à L. 212-39 du code de justice militaire ; art. 351 du code des douanes et art. 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Coordinations diverses – Prescription de l'action de l'administration des douanes – Prescription de l'action publique et de l'action civile des infractions de presse commises sur internet

La Commission adopte l'article 3 sans modification.

Article 4 : Effets de la loi sur les infractions non prescrites au jour de son entrée en vigueur

La Commission adopte l'article 4 sans modification.

Article 5 (art. 804 du code de procédure pénale ; art. 711-1 du code pénal et art. 69 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Mesures d'application outre-mer

La Commission adopte l'article 5 sans modification.

Puis elle adopte, à l'unanimité, l'ensemble de la proposition de loi sans modification.

La Commission procède à l'examen du rapport d'information sur l'évaluation de la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive (MM. Georges Fenech et Alain Tourret, rapporteurs).

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L'évaluation de cette loi a été décidée par la commission des Lois le 21 septembre 2016, et confiée à MM. Georges Fenech et Alain Tourret.

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Notre assemblée a souhaité fixer un certain nombre de règles relatives à la révision et au réexamen des condamnations pénales. Deux principes s'opposaient en la matière : d'un côté, l'autorité de la chose jugée et, de l'autre, le fait que des éléments nouveaux permettent de douter de la culpabilité de certains condamnés – et donc du bien-fondé de leur emprisonnement. Ayant constaté que très peu de décisions étaient rendues en matière de réexamen et de révision, nous avons présenté une proposition de loi créant une nouvelle juridiction au sein de la Cour de cassation, permettant la fusion des procédures de réexamen et de révision et, enfin, instaurant la faculté d'obtenir l'aide du parquet pour effectuer des actes d'investigations complémentaires.

La justesse de certaines condamnations continue, dans plusieurs grandes affaires, de nous interpeler. À la suite de la loi du 20 juin 2014, de nouvelles expertises ont ainsi pu être menées dans le cadre de l'affaire « Omar Raddad », démontrant qu'un doute pouvait exister en raison de la présence sur les scellés de traces ADN appartenant à d'autres personnes. Dans l'affaire « Seznec », une nouvelle demande de révision pourrait être déposée. Pour ce qui est de l'affaire « Dominici », je regrette que notre collègue Gilbert Collard ne soit pas là puisque c'est lui qui en est chargé. En dehors de ces affaires très symptomatiques, il existe une justice du quotidien dans le cadre de laquelle nombre de personnes ont été condamnées et emprisonnées à tort, ce qui pose évidemment un grave problème.

La loi a été votée le 20 juin 2014 et plusieurs décisions ont déjà été rendues. Elles sont peu nombreuses, car la révision d'une décision pénale est, par définition, l'exception. Les personnes que nous avons auditionnées dans le cadre de notre mission d'évaluation nous ont fait part des améliorations à apporter à la loi, que va vous présenter M. Georges Fenech.

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Une nouvelle fois ce matin, je ne peux que me féliciter d'un travail qui a donné satisfaction à l'ensemble des acteurs de la justice. Les magistrats composant la cour de révision, que nous avons auditionnés, se sont ainsi dits très satisfaits de l'apport que constituait le regard croisé des différentes chambres de la Cour de cassation par rapport à la seule et unique vision de sa chambre criminelle. C'est, en effet, l'une des spécificités du dispositif que d'intégrer dans la cour de révision des magistrats autres que les pénalistes de la chambre criminelle.

Le deuxième point fort de cette réforme est la faculté accordée au parquet de faire droit aux demandes d'actes d'investigations complémentaires adressées par les condamnés définitifs et susceptibles de justifier la saisine de la cour de révision. C'est sans doute la plus grande avancée de ce texte. Elle a, en effet, permis d'ordonner de nouvelles expertises dans l'affaire « Omar Raddad » et de découvrir sur les scellés des traces d'un ADN qui n'était pas celui du condamné.

La loi du 20 juin 2014 est toutefois nécessairement imparfaite, comme tous les textes qu'adopte le législateur. Après avoir reçu et entendu ceux qui la mettent aujourd'hui en application, nous formulons cinq propositions.

La première, à laquelle nous tenons beaucoup, vise à compléter l'article 624-7 du code de procédure pénale afin de prévoir que les décisions de la cour de révision et de réexamen sont motivées. Nous avons renoncé à faire des propositions sur ce sujet s'agissant des cours d'assises, car nous n'avons pas suffisamment de recul par rapport à la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, qui traite de ce sujet.

Une deuxième proposition consiste à prévoir que l'irrégularité substantielle affectant la validité d'une preuve constitue un nouveau cas de recours en révision. Lors de son audition, Me Jean-Pierre Mignard a évoqué devant nous l'affaire « Mis et Thiennot », dans laquelle des informations postérieures au procès montraient que des aveux avaient été obtenus sous la contrainte et sous l'effet de coups. Cette proposition méritera d'être consacrée par le législateur.

La troisième proposition suggère que le procureur de la République se prononce sur la demande d'actes d'investigation dans un délai de deux mois renouvelable une fois, que ces actes doivent être réalisés dans un délai raisonnable à compter de l'acceptation de la demande, et que le procureur informe par écrit le requérant des actes réalisés.

Le condamné – c'est la quatrième proposition – pourrait déposer sa demande d'acte auprès du parquet de son choix dans le ressort de la cour d'appel dans lequel se trouve le parquet du lieu de condamnation. Nous avons été convaincus par l'argument selon lequel il peut être difficile pour le même parquet de se déjuger et d'être suffisamment motivé pour effectuer les actes nécessaires.

Cinquième et dernière proposition, l'avis de destruction des scellés devrait être envoyé au condamné et à son conseil afin qu'ils puissent émettre d'éventuelles objections.

Nous continuons d'espérer que l'évolution de la loi permettra de rectifier les erreurs judiciaires toujours possibles. Le nombre de décisions rendues en ce sens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est insuffisant. La procédure voulue par le législateur permet de donner davantage de place au contradictoire et à l'avocat, en garantissant un meilleur examen avec des regards croisés sur le dossier. Elle s'ouvre à de nouveaux requérants – enfants, petits-enfants, partenaires de pacs… – pour que la cour ne puisse pas être saisie uniquement par le garde de sceaux ou le condamné.

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Je félicite les rapporteurs pour leur travail remarquable. Lors de son adoption, la loi du 20 juin 2014 a été totalement ignorée par les médias alors même qu'ils avaient mené, sur certaines affaires, durant des décennies, d'emblématiques combats. Nous faisons parfois un travail obscur qui n'en demeure pas moins utile.

Cette loi ne s'applique que depuis un an, et nous devrons rester attentifs à la réalité de sa mise en oeuvre. Nous savons, en effet, quelle difficulté une institution peut avoir à remettre en cause ses propres décisions. Dans ce cadre, les cinq propositions que vous nous soumettez dans votre rapport sont essentielles. Une mesure comme la transmission de l'avis de destruction des scellés devrait permettre de mettre progressivement la réforme en pratique.

La commission des Lois n'a pas fini d'assurer le suivi de la mise en oeuvre de la loi du 20 juin 2014. Si elle n'était finalement pas appliquée conformément à l'intention du législateur, le recul serait plus grave que si nous n'avions tout simplement pas légiféré.

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Oserai-je saluer par un trait d'humour les deux « dangereux récidivistes » qui comparaissent devant la commission des Lois ce matin ? Dans la même réunion, ils viennent ensemble de commettre deux actes majeurs : après avoir oeuvré à la réforme de la prescription pénale, ils nous présentent un rapport d'information sur la mise en oeuvre de la loi du 20 juin 2014, qui mérite d'être salué pour son contenu et pour son existence même.

Je veux profiter de ce travail pour insister sur l'extrême importance du contrôle de la mise en oeuvre des lois que nous votons. Il s'agit d'une démarche que notre assemblée n'a engagée qu'il y a une dizaine d'années mais qu'elle accomplit de plus en plus souvent et de mieux en mieux. Nos deux collègues, l'un de l'opposition, l'autre de la majorité, chargés d'un tel travail d'analyse, sont toujours parvenus à l'effectuer de concert. C'est bon signe !

Il importe que tous ceux qui suivent nos travaux sachent bien qu'outre l'élaboration et le vote de la loi, les parlementaires ont une mission de contrôle de l'application de celle-ci, à laquelle ils consacrent une part croissante de leur temps. Nous sommes les premiers à reconnaître que nous adoptons, malheureusement, des lois trop nombreuses, mal écrites et trop bavardes. Une sorte de pression médiatique laisse penser qu'un parlementaire qui ne serait pas producteur direct d'une loi ne serait pas vraiment un parlementaire. Nous devons, certes, participer à l'élaboration de la loi, mais j'affirme que notre principale mission est aussi de veiller à ce que ces textes, que parfois nous imposons à nos concitoyens, soient bons et produisent les effets que nous en attendions.

Le travail sérieux et approfondi qui nous est présenté ce matin est, à ce titre, exemplaire : s'appuyant sur des analyses convergentes et positives, il aboutit à des propositions précises et concrètes. Les pouvoirs publics doivent ainsi se sentir accompagnés par le Parlement dans la mise en oeuvre effective et efficace de la loi.

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La mise en oeuvre des cinq propositions qui nous ont été présentées constituerait une véritable avancée pour notre État de droit. Il ne faut pas que nous perdions de temps pour les inscrire dans notre droit. Je lance un appel en ce sens.

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Notre réunion d'aujourd'hui s'inscrit dans le dispositif logique et vertueux d'évaluation de textes en fin de législature, voulu par le président de la commission des Lois Dominique Raimbourg. Avant le présent rapport d'évaluation, nous avions ainsi examiné, le 16 novembre dernier, celui sur la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

Cette réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive, issue d'une proposition de loi, illustre la qualité du travail parlementaire, depuis l'origine jusqu'à l'évaluation. Il ne faut pas voir, dans les cinq propositions de nos rapporteurs, des signes de l'insuffisance du travail initial, mais plutôt l'expression de la sagacité du législateur à percevoir, à travers l'application de la loi, des éléments dont le Gouvernement pourrait se saisir, et qui ne sont pas forcément d'ordre législatif.

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En guise de conclusion, je ferai part de deux réflexions.

L'une concerne le rôle que peut jouer le Conseil d'État dans l'élaboration de nos propositions de loi qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, peuvent lui être transmises pour avis par l'intermédiaire du président de l'Assemblée. Depuis le début de la législature, cela est très peu arrivé pour des propositions de loi issues de la commission des Lois. Le Sénat a également très peu usé de cette possibilité. Je crois que nous avons tort de ne pas nous servir de l'outil exceptionnel que constitue le Conseil d'État. Souhaitons que nos successeurs lors de la prochaine législature sachent s'appuyer dessus.

L'autre réflexion est que l'évaluation des lois doit devenir une obligation inscrite dans notre droit, intervenir à date fixe et être renouvelée selon une périodicité fixée à cinq ou dix ans.

La Commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information sur l'évaluation de la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive.

La Commission examine la proposition de résolution européenne sur l'initiative franco-allemande d'un pacte européen de sécurité (n° 4268) (Mme Marietta Karamanli et M. Joaquim Pueyo, rapporteurs).

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La proposition de résolution européenne sur l'initiative franco-allemande d'un pacte de sécurité européen a été adoptée par la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale le 30 novembre dernier. Le président Dominique Raimbourg, qui a souhaité renforcer le suivi que nous assurons sur les enjeux européens, a voulu que nous en discutions. C'est une démarche qui est également cohérente avec l'ensemble de nos travaux puisque cette résolution traite de sécurité au niveau continental.

Je rappelle que le texte issu de nos délibérations deviendra définitif, conformément à l'article 151-7 du Règlement, si, dans un délai de quinze jours francs, aucune demande d'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale n'est soumise à la Conférence des présidents ou si cette dernière rejette une telle demande.

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« L'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre », c'est par ces mots que commençait, en 2003, la Stratégie européenne de sécurité. Treize années plus tard, l'environnement de l'Union européenne s'est considérablement dégradé du fait de crises dans son voisinage proche, en Syrie, en Ukraine ou dans le nord de l'Afrique, dont les conséquences se font sentir à l'intérieur des frontières européennes, jusque sur le sol français.

Lundi soir, nous avons voté dans cette Commission la prolongation de l'état d'urgence pour répondre aux menaces terroristes qui pèsent sur notre population, dont les instigateurs se trouvent de l'autre côté de la Méditerranée. Notre police les combat ici ; notre armée les affronte là-bas. Mais, dans cette guerre, nous avons besoin d'une mobilisation de nos alliés à nos côtés et d'une véritable action européenne coordonnée.

Ces nouvelles menaces peuvent remettre en cause l'acquis communautaire et ce que nous pensions garanti pour l'avenir : un espace de liberté, des valeurs communes et une certaine idée de la solidarité entre États membres face à l'adversité. Compte tenu de ce nouvel environnement sécuritaire et des attaques que nous avons essuyées, il n'est guère étonnant que la sécurité figure parmi les principales préoccupations des citoyens européens et des Français. Ils attendent des institutions et des États membres qu'ils prennent la mesure des menaces, qu'ils agissent et qu'ils soient efficaces.

Un premier pas a été franchi avec la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité présentée par la Haute représentante Federica Mogherini au Conseil européen des 28 et 29 juin derniers. Cette stratégie, qui remplace celle de 2003, dépassée, lie clairement sécurité intérieure et sécurité extérieure, ce qui, selon nous, va dans le bon sens. Ce n'est cependant, à ce stade, qu'un document d'orientation dénué de portée opérationnelle ; il doit trouver une traduction concrète.

C'est la raison pour laquelle la France et l'Allemagne ont présenté une proposition pour une Europe plus forte, dont l'un des axes principaux était la mise en oeuvre d'un « Pacte de sécurité européen ». Cette proposition a été approfondie en deux temps : le 23 août 2016, dans le domaine de la sécurité, par une initiative des ministres français et allemand de l'Intérieur, et le 11 septembre, en matière de défense, par des propositions des ministres français et allemand de la Défense, rejoints par la suite par leurs homologues italien et espagnol.

Nous vous présentons ce matin les mesures de ce pacte de sécurité européen, auquel la proposition de résolution suggère que l'Assemblée nationale apporte son soutien. Mme Marietta Karamanli va exposer les aspects relatifs à la sécurité avant que je reprenne la parole pour faire état de la « dimension défense » de cette initiative.

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Nous nous trouvons dans une situation paradoxale. Alors que les critiques eurosceptiques dominent le débat public et tentent de faire oublier tous les acquis communautaires en matière de protection et de solidarité, il est difficile de faire oeuvre de pédagogie pour parler des réussites de l'Europe,particulièrement en matière de sécurité, car, dans ce domaine, les attentes des citoyens sont bien naturellement maximales.

L'Union européenne n'est plus seulement un grand marché. On lui demande d'être un espace de protectionet on voudrait lui conférer certains attributs régaliens, comme la défense antiterroriste ou la gestion des frontières extérieures. À l'heure de la mondialisation, toute personne sensée comprend que la forte interdépendance des États et leur impuissance à répondre seuls aux questions transnationales, telles que le terrorisme ou les migrations, conduisent à accroître le rôle joué par l'Union européenne. Dans l'épreuve et face aux difficultés,c'est pour elle l'occasion de retrouver une raison d'être et de démontrer la pertinence de son action.

L'élection présidentielle américaine a fait naître des incertitudes sur le degré d'implication des États-Unis dans la sécurité européenne à court et moyen termes, notamment dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Cette évolution géostratégique nous offre l'occasion historique d'élaborer une nouvelle stratégie européenne qui coordonne étroitement politique extérieure et sécurité intérieure. La sécurité des citoyens et la stabilité du continent européen conditionnent le retour de la prospérité économique.

Cette démarche ne peut être crédible que dans un effort de mobilisation collective. L'Union européenne ne peut pas se résumer à la fin des régulations nationales. Elle doit incarner une coordination moderne, une confédération puissante, et assurer une protection efficace de ses citoyens. Les effets de ses politiques doivent s'inscrire dans la réalité et donner à voir des résultats tangibles. Ce n'est pas assez souvent le cas, hélas ! La procédure normative européenne peut se révéler d'une grande lenteur. La persévérance est aussi un art européen, et il faut se battre dans la continuité. Il aura fallu, par exemple, plus de dix ans pour décider de la création d'un corps de garde-frontières alors que la sécurisation des frontières extérieures est une question d'importance vitale.

Le 12 octobre dernier, le commissaire européen chargé de l'Union de la sécurité, M. Julian King, a présenté son deuxième rapport sur les progrès accomplis dans « la mise en place d'une union de la sécurité réelle et effective ». À Bruxelles, le 18 octobre, le coordinateur de la lutte antiterroriste a dressé, devant le Conseil « Justice et affaires intérieures », le bilan des mesures prises en matière d'antiterrorisme. Ces deux rapports soulignent les progrès réalisés, mais ils constatent aussi que les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Des textes sont toujours en souffrance et de graves lacunes dans leur mise en oeuvre sont à déplorer. Par ailleurs, les fichiers d'Europol et du système d'information Schengen IIsont encore insuffisamment alimentés par les États membres. Comment interpréter une telle situation alors que la lutte contre le terrorisme suppose des échanges d'information les plus complets possibles ? Sans nier la complexité de certains mécanismes, l'Union européenne doit accélérer la mise en oeuvre de ses décisions et vérifier qu'elles sont véritablement appliquées.

Agir, c'est précisément le sens de l'initiative franco-allemande dont je vais détailler les propositionsrelatives à la sécurité intérieure. Elle vise à poursuivre les choix opérés en recherchant une cohérence et une efficacité renforcées.

L'un de ses axes majeurs est de mieux sécuriser les frontières extérieures.

Les décisions juridiques ont été prises pour une gestion intégrée. Les États membres ont été capables d'adopter, en moins d'un an, le règlement n° 20161624 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 créant un corps de garde-frontières et dotant l'agence Frontex de nouvelles missions. C'est la condition sine qua non d'un retour, à terme, à un fonctionnement normal de l'espace Schengen : sans contrôle effectif des frontières extérieures, nous risquons de voir la fin de la libre circulation des personnes et le retour des contrôles aux frontières des États.

Dans les meilleurs délais, la nouvelle Agence de garde-frontières européens doit entrer en fonctionnement avec la contribution de tous les États membres. Elle organisera prochainement un exercice de simulation de crise sur le terrain, aux frontières extérieures de l'Union, afin de tester l'efficacité et la rapidité de déploiement de ses moyens. Parmi ses nouvelles missions, l'Agence analysera les risques et assurera une surveillance des flux migratoires, de la criminalité transfrontalière et du terrorisme au sein de l'Union européenne. Elle évaluera la vulnérabilité des États membres face aux risques induits, au besoin au moyen de tests de résistance tels qu'on les rencontre déjà dans le secteur bancaire.

L'Agence agira également pour la reconduite dans leur pays d'origine des migrants irréguliers, mission délicate mais vitale pour la crédibilité de notre maîtrise des frontières. Elle aura la capacité d'affréter des vols vers les pays d'origine des immigrés en situation irrégulière. Elle devra le faire en respectant les droits fondamentaux des hommes et des femmes concernés, en prêtant attention à la nécessaire conciliation de l'ordre public et de la dignité des personnes. Son action diplomatique auprès des pays tiers sera essentielle pour négocier des accords de réadmission et obtenir des documents de voyage. C'est l'aspect novateur, le plus difficile, de ses nouvelles missions.

L'Agence permettra d'accomplir un véritable progrès dans la lutte contre la fraude documentaire. Les garde-frontières seront équipés du matériel adéquat et des dernières applications technologiques pour faciliter le contrôle de chaque personne entrant ou sortant de l'espace Schengen. Ainsi, avec l'utilisation frauduleuse de vrais-faux passeports syriens et irakiens par l'État islamique, la biométrie est-elle le seul moyen permettant de réellement garantir l'identité d'une personne. Il est essentiel d'en généraliser l'usage.

Des contrôles efficaces aux frontières nécessitent un partage systématique de l'information entre les fichiers européens. Il est essentiel que les bases de données soient régulièrement alimentées par tous les États membres. La France fait aujourd'hui partie des pays exemplaires à cet égard. Mais ce préalable n'est pas suffisant. Le pacte de sécurité insiste sur l'importance du caractère interopérable des différents fichiers pour que, sur le terrain, policiers et gendarmes disposent d'une interface unique qui interroge de manière simultanée toutes les ressources nationales et européennes. Nous ne pouvons souffrir qu'une information cruciale pour notre sécurité soit négligée parce qu'elle serait indisponible du fait de dysfonctionnements administratifs au sein d'un État membre.

Lors de la présentation de ces propositions, le ministre allemand de l'Intérieur, M. Thomas de Maizière, a souligné la fragmentation des différents fichiers, tels que le système d'information sur la délivrance des visas, le fichier de l'espace Schengen, le système d'information sur les réfugiés en Europe et bientôt les données des dossiers passagers (PNR). La Commission européenne est consciente de l'urgence à améliorer le partage d'information. Elle va proposer, dans le cadre de la prochaine révision de la base juridique du système d'information Schengen, d'étendre l'accès d'Europol à tous les fichiers de sécurité de l'Union européenne.

Je vous informe, au passage, de la décision récente de traduire la Bulgarie devant la Cour de justice de l'Union européenne pour n'avoir pas respecté l'obligation de créer un point de contact unique afin d'assurer l'échange obligatoire d'informations en matière de sécurité des documents. Elle empêche ainsi les autres États membres d'accéder aux empreintes digitales stockées sur les puces des passeports bulgares et de procéder à leur contrôle.

Un autre axe du pacte est la création d'une plateforme européenne pour le renseignement.

Concernant la lutte contre le terrorisme, le document franco-allemand propose une coopération institutionnalisée et rappelle le progrès représenté par le centre européen de lutte contre le terrorisme d'Europol, mis en place en janvier dernier, et qui doit encore monter en puissance. La France et l'Allemagne sont prêtes à y contribuer sur le modèle de la task force « Fraternité » que la France et la Belgique ont créée après les attentats de novembre 2015.

L'un des aspects importants de la lutte antiterroriste concerne la propagande islamiste. L'initiative franco-allemande propose de créer un centre commun d'expertise sur la radicalisation au sein d'Europol en renforçant le réseau actuel d'experts nationaux, notamment l'unité référente internet (IRU) d'Europol, « pour en faire un véritable centre européen d'expertise », selon les termes du ministre français de l'Intérieur. Ce réseau a déjà produit des travaux importants sur la radicalisation en prison et sur le rôle des femmes.

L'expérience des attentats de Paris et de Bruxelles montre que le centre européen de lutte contre le terrorisme a besoin de davantage de ressources financières, techniques et humaines pour gérer et traiter des volumes élevés d'informations et de renseignements. Il n'est pas suffisamment équipé pour apporter une assistance aux États membres vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept ; on imagine le handicap majeur que cela peut représenter en cas d'événement de grande ampleur. Or les besoins augmentent encore avec l'accès élargi d'Europol aux informations et aux bases de données. La Commission européenne a heureusement annoncé, en septembre dernier, qu'elle allait prendre des mesures pour renforcer les moyens humains du centre.

Le pacte de sécurité suggère aussi d'accélérer la mise en oeuvre du paquet dit des « frontières intelligentes » (smart borders).

À la suite des attentats de novembre 2015, la Commission européenne a proposé une modification ciblée du code frontières Schengen pour prévoir des contrôles systématiques aux frontières extérieures, y compris des ressortissants de l'Union européenne, par la consultation des bases de données pertinentes. Des négociations sont engagées entre les institutions européennes en vue d'une adoption à la fin de l'année en cours.

Ce texte devrait être complété par deux dispositifs qui permettraient de parfaire le contrôle de l'immigration clandestine et des risques terroristes, mais qui soulèvent divers problèmes techniques.

Second dispositif du programme « frontière intelligente », le système d'entrée-sortie (EES) serait une base de données biométriques permettant d'enregistrer les passages à la frontière extérieure des ressortissants de pays tiers. Elle comporterait une « calculatrice automatique » déterminant le nombre de jours passés dans l'espace Schengen et alertant les États à l'expiration de la période de séjour autorisée – quatre-vingt-dix jours, par exemple, pour un visa de court séjour. Le fichier EES indiquerait également les cas où l'entrée sur le territoire Schengen a été refusée ainsi que les motifs de ce refus.

Le troisième projet préconisé par le pacte de sécurité a été confirmé par la Commission le 16 novembre. Il s'agit de créer un système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages (ETIAS), sur le modèle du dispositif ESTA qui existe aux États-Unis : un système électronique d'autorisation de voyage concernant les personnes non soumises à visa, avant qu'elles n'entrent sur le territoire européen.

L'objectif de ce dispositif est triple : premièrement, vérifier les informations communiquées par les voyageurs exemptés de demande de visa – identité, documents de voyage, informations de séjour, coordonnées – afin d'évaluer le risque qu'ils présentent concernant la migration irrégulière, la sécurité ou la santé publique ; deuxièmement, traiter automatiquement chaque demande en recoupant les bases de données européennes et internationales pour établir une liste de surveillance, grâce à Europol, et déterminer s'il existe des motifs raisonnables de refuser une autorisation de voyage ; troisièmement, délivrer les autorisations de voyage contre le paiement par internet d'une somme de 5 euros.

Ce système devrait être opérationnel en 2020 ; il suppose un investissement évalué à 212 millions d'euros.

Le dernier volet des propositions concerne la régulation d'internet et la surveillance de la propagande islamiste.

Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le principe du chiffrement des échanges, qui permet de sécuriser les communications, y compris celles des États. Il est, en revanche, demandé que les échanges opérés par l'intermédiaire de certaines applications, comme Telegram, puissent, dans le cadre des procédures judiciaires – j'insiste –, être identifiés et utilisés comme éléments de preuve par les magistrats.

Le document franco-allemand suggère que la Commission européenne étudie la possibilité d'un rapprochement des droits et obligations de tous les opérateurs proposant des services de télécommunications dans l'Union européenne, que leur siège juridique soit ou non situé en Europe. Si un tel acte législatif était adopté, il permettrait, au niveau européen, d'imposer des obligations à des opérateurs non coopératifs, notamment pour retirer des contenus illicites ou déchiffrer des messages.

Il est également préconisé de ratifier la convention de Budapest sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001. La France estime que son article 18 peut conférer une base légale à des réquisitions visant un fournisseur de services établi physiquement ou légalement à l'étranger, mais qui offre des prestations sur son territoire.

Au niveau européen, au sein d'Europol, l'unité référente internet est commandée par un policier français. Elle est opérationnelle depuis un an. Son action a permis la suppression de plus de dix mille contenus en ligne incitant au terrorisme et à la haine. Elle doit être renforcée.

Comme vous le savez puisque nous l'avons auditionné, à l'Assemblée nationale, avec la commission des Affaires européennes, le 23 novembre dernier, le commissaire européen Julian King est aujourd'hui spécifiquement chargé des questions de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme. Il fait le point tous les mois sur l'avancement des textes relatifs à ce domaine. Il exhorte notamment les législateurs à parvenir à un accord sur les projets de directive relatifs aux armes à feu et à la lutte contre le terrorisme.

Je suggère, à la fin de la proposition de résolution, que l'Assemblée nationale, comme les autres parlements nationaux, puisse disposer d'une information régulière sur l'avancement des objectifs, des dispositifs en matière de sécurité, et donner un avis fondé et circonstancié sur les difficultés rencontrées. Nous sommes comptables des avancées, mais aussi des diligences à réaliser auprès de l'Union européenne si nous constatons des réticences ou des difficultés à agir. La sécurité reste une prérogative de nos parlements alors même que cette compétence est désormais effectivement partagée avec l'Union européenne.

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Il n'est aujourd'hui plus possible de distinguer sécurité intérieure et extérieure au niveau européen. Voilà pourquoi, à côté des mesures que vient de présenter Mme Marietta Karamanli, le pacte de sécurité européen contient également « des propositions concrètes devant permettre de progresser vers une défense de l'Union européenne globale, réaliste et crédible ». Ces propositions s'articulent autour de trois axes.

Le premier axe est une coopération accrue en matière de défense.

Alors que la sécurité figure désormais parmi les priorités de l'agenda européen, il est pour le moins aberrant qu'il n'existe toujours pas de Conseil des ministres de la Défense. Ceux-ci se réunissent, certes, mais sous couvert du Conseil des affaires étrangères. L'une des mesures du pacte de sécurité européen vise donc à renforcer la prise de décision en institutionnalisant un Conseil des ministres de la Défense.

Le pacte de sécurité européen propose également de mettre enfin en oeuvre la coopération structurée permanente prévue par les articles 42, paragraphe 6, et 46 du Traité sur l'Union européenne entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». C'est un moyen d'aller de l'avant en matière de défense en contournant l'obstacle de l'unanimité. La coopération structurée permanente a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs rapports au sein de la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale.

Enfin, au-delà de la coopération structurée permanente, la France et l'Allemagne estiment nécessaire de renforcer la coopération entre les États membres par la coordination et la transparence de leurs développements capacitaires et de leurs budgets de défense. Cette coopération pourrait être appuyée par l'Agence européenne de défense (AED) dans le cadre d'un « semestre européen de défense », sur le modèle du « semestre européen » consacré à la coordination des politiques économiques et budgétaires.

Le deuxième axe est le développement de nouvelles capacités de défense.

La sécurité de l'Union européenne implique une autonomie stratégique qui ne peut être atteinte sans capacités militaires suffisantes en hommes, en matériels et en technologie. Il en découle les propositions suivantes.

Premièrement, se fixer l'objectif de consacrer 20 % des budgets nationaux de défense à l'investissement, afin de financer adéquatement l'avenir dans le cadre coordonné qui vient d'être décrit. De tels investissements sont nécessaires au maintien d'une capacité industrielle européenne.

Deuxièmement, lancer un programme de recherche sur la défense en vue du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, corollaire de l'investissement précité. Il doit porter sur du matériel européen de dernière génération, lequel exige un effort de recherche considérable qui n'est possible qu'au niveau européen.

Troisièmement, étendre le mécanisme Athena de financement des opérations militaires. Celui-ci ne finance actuellement que les coûts communs des missions militaires, si bien que l'essentiel des dépenses repose sur les États membres contributeurs, d'où la réticence de certains à s'engager. Nous avons proposé d'améliorer ce dispositif dans le cadre de la commission des Affaires européennes.

Quatrièmement, renforcer l'Eurocorps, qui pourrait soutenir l'Union européenne pour des missions de formation, de conseil stratégique et d'assistance, et continuerait à appuyer l'OTAN si nécessaire.

Cinquièmement enfin, développer de nouvelles capacités en matière de transport stratégique terre, air et mer.

Le développement de nouvelles capacités doit aussi s'entendre au sens juridique du terme. En effet, l'article 41 du Traité sur l'Union européenne, strictement interprété par la Commission européenne, interdit à l'Union de financer des dépenses afférentes à des opérations comportant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Par conséquent, alors que plusieurs missions de formation d'armées africaines sont en cours au Sahel, en particulier au Mali – l'EUTM Mali, l'European Union Training Mission in Mali –, l'Union européenne n'a pu fournir aux recrues les équipements, même non létaux, nécessaires à l'entraînement, pas plus qu'elle ne pourra équiper par la suite les bataillons formés. Voilà pourquoi la France et l'Allemagne soutiennent la proposition de la Commission européenne, rendue publique le 5 juillet dernier, d'autoriser un financement des acteurs du secteur de la sécurité dans les pays partenaires, y compris les acteurs militaires, sans toutefois aller jusqu'à la fourniture de matériel létal.

Le troisième axe du pacte comporte des propositions visant à rendre les forces plus opérationnelles.

Il propose ainsi de renforcer la capacité de planification stratégique et de conduite militaire de l'Union européenne par la création d'un quartier général permanent, de créer un commandement médical européen, d'améliorer la capacité de déploiement des groupements tactiques – étant précisé que ces battlegroups n'ont encore jamais été déployés, enfin de raffermir le processus de génération de forces pour les missions et opérations de l'Union européenne grâce à une meilleure prise en charge de leur coût par le mécanisme Athena.

L'ensemble de ces propositions vise à garantir l'autonomie stratégique et opérationnelle de l'Union européenne, pour lui permettre d'intervenir pour « assurer la paix, la sécurité et le développement dans des zones-clés, en particulier la Méditerranée, l'Afrique de l'Ouest et le Sahel, la République centrafricaine et la corne de l'Afrique, zones dans lesquelles notre sécurité commune est en jeu ». Ces zones sont des espaces où l'OTAN n'intervient pas. Toutefois, le lien entre la défense européenne et l'OTAN n'est pas oublié. Bien au contraire, la coopération entre l'Union et l'OTAN doit être « intensifiée, notamment dans le domaine cyber, la lutte contre les menaces hybrides, le renseignement […] ».

Une première étape a été franchie lors du Conseil du 14 novembre dernier, dont les conclusions reprennent certaines des propositions exposées à l'instant. Cependant, le Conseil n'a défini qu'une feuille de route dont la mise en oeuvre est subordonnée à l'émergence d'un consensus entre les États membres.

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En matière de sécurité, l'Union européenne doit surmonter un paradoxe : elle est tentée de construire un château fort, sachant qu'aucun château fort n'est imprenable, pour répondre au besoin légitime de protection des citoyens, mais sans remettre en cause les piliers de la construction européenne et les droits fondamentaux. Au-delà de la mobilisation de tous les États membres pour mettre rapidement en oeuvre les décisions déjà prises en vue de renforcer la sécurité intérieure de l'Union, nous devons adresser un signal politique en affirmant tous notre engagement à faire progresser la démarche de défense et de sécurité commune.

Ce signal, nous aurions pu le donner il y a quelques jours, à l'occasion de l'audition du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve que nous devions faire avant le Conseil « Justice et affaires intérieures » des 9 et 10 décembre. Mais cette audition a dû être annulée du fait de la nomination de l'intéressé à de plus hautes fonctions.

La France et l'Allemagne donnent des impulsions, mais elles ne peuvent agir seules. D'ores et déjà, mercredi dernier, le secrétaire général des affaires européennes, M. Philippe Léglise-Costa, nous a indiqué que Paris et Berlin travaillent sur une plateforme commune de renseignement qui constituerait l'embryon de l'Agence européenne du renseignement. Mais il faut que d'autres États membres acceptent de suivre le même chemin, comme l'Espagne et l'Italie viennent de le faire sur le volet relatif à la défense.

Vous l'avez compris, l'essentiel va donc se jouer au Conseil européen de Bratislava, demain et après-demain. Cette réunion sera décisive par l'impulsion politique qu'elle donnera, ou non, à la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de sécurité à la hauteur des menaces auxquelles l'Union européenne est confrontée. Dans cette perspective, il nous semble important que l'Assemblée nationale soutienne les propositions du pacte de sécurité européen et appelle le Conseil européen à les reprendre à son compte. Voilà pourquoi nous avons détaillé dans notre communication tous ses aspects, dont on ne parle pas toujours.

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Il est important, en effet, que les membres de la commission des Lois aient connaissance du contenu du pacte de sécurité européen.

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Au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je salue l'excellent travail, très minutieux, de nos deux rapporteurs, et leur présentation détaillée des enjeux.

Alors que l'Europe est plus que jamais notre horizon et notre avenir, elle traverse aujourd'hui une crise sans précédent. Il importe donc que nous nous mobilisions pour l'idéal européen, qui apporte assurément une réponse à bien des maux dont souffre notre société. Face à cette situation complexe, deux fondamentaux doivent être respectés : refuser d'accuser l'Europe d'être à l'origine de nos difficultés et refaire de l'axe franco-allemand la source des initiatives et du rebond européens.

À cette dernière exigence, la proposition de résolution répond pleinement. Plus généralement, elle est à la hauteur des enjeux. Elle présente un ensemble très complet de mesures susceptibles de relever les défis sécuritaires en rétablissant un climat de confiance nécessaire entre les États, européens ou non, mais aussi entre les citoyens et les institutions. Toutes concourent à renforcer l'autonomie stratégique et opérationnelle de l'Union, notamment pour lui permettre d'intervenir afin d'assurer la paix, la sécurité et le développement dans des zones-clés, en particulier la Méditerranée, l'Afrique de l'Ouest, le Sahel ou encore la corne de l'Afrique, dans lesquelles notre sécurité commune est en jeu.

Comme l'ont rappelé nos rapporteurs, l'essentiel va se jouer lors du prochain Conseil européen de Bratislava, qui sera décisif par l'impulsion politique qu'il donnera à la mise en oeuvre d'une politique européenne de sécurité à la hauteur des menaces auxquelles l'Union européenne est et sera confrontée. Dans cette perspective, il nous semble important que l'Assemblée nationale, par la voix de notre Commission, soutienne les propositions du pacte de sécurité européen et appelle le Conseil européen à les reprendre à son compte.

Je salue la manière dont la commission des Lois, sous l'impulsion de son ancien président comme de son président actuel, a assuré une veille européenne par l'intermédiaire de notre collègue Mme Marietta Karamanli. Il nous faut toujours plus d'Europe, une Europe qui s'appuie sur l'axe franco-allemand : tel est le sens de cette proposition de résolution européenne, que j'invite tous nos collègues à voter.

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Je souhaite, moi aussi, apporter mon soutien à la proposition de résolution et saluer l'excellent travail des deux rapporteurs. Une nouvelle fois, ils font la preuve de leur engagement pour l'Europe, de leur fibre européenne, avec cette constance qu'il nous faut relayer dans notre Assemblée. À ce sujet, l'audition du commissaire européen M. Julian King, il y a deux semaines, a été très satisfaisante.

La grande valeur ajoutée de cette proposition de résolution est son caractère opérationnel, concret : c'est l'Europe tangible. Ce constat vaut d'abord pour les propositions directement relatives à la sécurité. Ainsi, le texte souligne combien il est indispensable que le fichier PNR (Passenger Name Record) soit mis en oeuvre sans délai, conformément à une demande permanente de la France très justement rappelée ce matin. Vous avez aussi rappelé combien nous avions besoin d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes autour de l'Union européenne. Le texte insiste enfin sur la nécessaire interopérabilité des fichiers. Voilà des propositions qui font avancer le débat sur la sécurité.

Il en va de même s'agissant des questions de défense. L'idée, hautement symbolique, d'un Conseil de défense s'impose en effet ; vous avez détaillé ce que pourrait être la responsabilité de l'Europe concernant des propositions opérationnelles en la matière.

Au-delà de la volonté que l'Assemblée nationale s'apprête, je l'espère, à afficher très largement, il va maintenant falloir prendre au niveau européen, à Bratislava, des décisions fortes qui redonnent confiance dans l'Union européenne, dans ses politiques, et qui rendent l'Europe à nouveau crédible. Il s'agit de montrer, comme le disait Marietta Karamanli, que l'Europe peut et doit protéger ses ressortissants.

Cette proposition, utile au Parlement français, est un appel lancé à tous les Européens ; c'est notre plus belle promesse d'avenir et de paix.

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À mon tour, je félicite nos deux rapporteurs pour cette proposition de résolution européenne très ambitieuse, ce dont je ne peux que me réjouir. Le texte correspond mot pour mot aux voeux que nous avions émis dans le cadre de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Nous avions constaté des insuffisances graves au niveau européen, qui touchaient tant à la coopération qu'au renseignement et au contrôle des frontières. De ces points de vue, la proposition de résolution répond à une nécessité absolue.

C'est une véritable révolution qu'elle propose, notamment dans la coordination et le partage de l'information. Mme Marietta Karamanli a souligné à juste titre l'importance du centre européen de lutte contre le terrorisme, dont elle a dit qu'il pourrait être l'embryon d'une agence européenne du renseignement. Peut-être cela signifie-t-il que les esprits sont mûrs pour partager un élément essentiel de souveraineté nationale. Lors de notre déplacement à Washington, M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission d'enquête précitée, et moi-même n'avons pas rencontré un seul Américain qui ne nous ait pas demandé de travailler en ce sens, pour créer un renseignement européen. Il y a quelque temps encore, quand nous parlions d'une sorte de « FBI à l'européenne », on nous prenait pour des rêveurs. Il semble désormais que ces rêves soient traduits dans des résolutions ; deviendront-ils réalité ? On ne peut que l'espérer.

Je veux insister sur l'importance de cette proposition de résolution au regard des défaillances qui ont permis la perpétration des attentats du 13 novembre 2015, dont je citerai trois exemples.

Le premier est la manière dont Abdelhamid Abaaoud s'est déplacé très facilement au sein de l'espace Schengen, sans aucun contrôle. Lors notre rencontre avec les services de renseignement grecs, nous avons découvert qu'il avait été localisé à Athènes grâce au bornage téléphonique. Or, le 15 janvier 2015, lorsque les autorités belges ont démantelé la filière de Verviers – la sienne –, elles n'ont pas informé la Grèce en temps utile de cette opération, alors qu'elles-mêmes avaient été prévenues par les Grecs de la localisation d'Abaaoud. Ceux-ci n'ont été alertés qu'une demi-heure avant le début du démantèlement, trop tard pour mettre en place un dispositif permettant d'interpeller Abaaoud, qui a pris la fuite. Quelques mois plus tard, il commettait les attentats du 13 novembre. On peut dire aujourd'hui qu'une meilleure coopération entre la Belgique et la Grèce aurait pu permettre de l'interpeller.

Le deuxième exemple est celui de la fuite de Salah Abdeslam quelques heures seulement après les attentats. À neuf heures du matin, il est contrôlé par nos gendarmes à Cambrai, qui interrogent le fichier SIRENE (Supplementary Information REquest at the National Entry) alimenté par les Belges. Ces derniers, alors même qu'ils étaient au courant de sa dérive, n'ont pas complété la partie consacrée à la radicalisation, seulement celle relative au droit commun. Nos gendarmes ont cependant retenu le véhicule pendant plus d'une demi-heure, au-delà du délai légal, avant de le laisser repartir, contraints et forcés, avec Salah Abdeslam et deux complices à son bord. On peut penser qu'une meilleure alimentation du fichier par les Belges et une meilleure coordination au niveau européen auraient pu permettre d'interpeller Salah Abdeslam quelques heures après les attentats du 13 novembre.

Dernier exemple, celui des deux kamikazes du stade de France, qui se sont infiltrés – nous le savons avec certitude – en empruntant les flux migratoires et ont été contrôlés à Léros par les Grecs en compagnie de deux autres personnes qui formaient avec eux le commando destiné à commettre l'attentat. Les Grecs n'ont reçu la photographie des quatre individus, par un autre service européen, qu'après les attentats. Si elle leur avait été transmise auparavant, ils auraient interpellé les deux futurs kamikazes.

On pourrait citer d'autres exemples très concrets du manque de coordination européenne. Il est vrai que le choc du 13 novembre a permis la création de la task force « Fraternité », donc l'accélération de l'enquête grâce à l'appui apporté aux enquêteurs nationaux par Europol.

Ces exemples justifient toutes les mesures incluses dans la proposition de résolution. J'ai d'ailleurs bien senti, lors de l'audition du commissaire européen M. Julian King, la volonté d'aller dans le même sens. Songeons qu'aujourd'hui encore, Europol n'a pas accès de manière permanente au fichier Schengen – Frontex non plus –, ni même au fichier des visas ! Pour quelle raison ? Vous nous annoncez l'interopérabilité : c'est la moindre des choses ; il faut y arriver très rapidement, comme la volonté en est affichée.

Enfin, notre garde des Sceaux a pris son bâton de pèlerin pour convaincre nos partenaires de la nécessité de créer un parquet européen au sein d'Eurojust – encore un rêve audacieux. Tout cela est très ambitieux ; nous ne pouvons qu'espérer que l'Europe décide enfin de passer à la vitesse supérieure.

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Il n'y a pas de débat sur le contenu du pacte de sécurité européen de 2016. Nous sommes tous convaincus que ces mesures vont dans le bon sens, en particulier la modification des accords de Schengen en vue de renforcer les contrôles aux frontières extérieures, les échanges de données ou le recours systématique à la biométrie pour le contrôle des frontières extérieures. Il n'est que temps ! La modification des accords de Schengen, par exemple, a été mise sur la table par le précédent Président de la République, il y a maintenant cinq ans.

Cela étant, si l'on peut souscrire à l'idée générale selon laquelle l'Europe est très utile pour traiter ces sujets, certaines décisions prises par des instances européennes sont en parfaite contradiction avec ce que les chefs d'État et de gouvernement essaient de faire pour améliorer la sécurité des Européens. Je pense en particulier à la décision C-13204, Commission européenne c Espagne, rendue en 2006 par la Cour de justice de l'Union européenne à propos de la Guardia Civil espagnole. Plusieurs décisions visent à appliquer la directive sur le repos compensateur aux forces armées et aux forces de sécurité, lesquelles étaient pourtant expressément exclues de son champ. La France est actuellement dans une situation de précontentieux s'agissant de la gendarmerie nationale qui, régie par un statut militaire, obéit au principe de disponibilité. Aujourd'hui, on ne peut mettre complètement en oeuvre cette directive car elle pose d'énormes difficultés d'organisation. Une instruction sur le temps de travail, mise en application le 1er septembre, prévoit un repos compensateur de onze heures. Si, par exemple, un gendarme est rappelé au bout de sa huitième heure de repos, on doit lui recréditer ses onze heures de repos. Ainsi, on devrait offrir quinze jours de repos à un gendarme qui, dans le cadre d'une garde à vue de quatre-vingt-seize heures, resterait en activité régulière, sans repos compensateur. Cette situation aberrante, qui résulte d'une décision de la Cour de justice, devrait constituer un sujet à réexaminer dans le cadre du pacte de sécurité.

M. Joaquim Pueyo a évoqué la nécessité de défendre notre socle d'industries européennes en matière de sécurité. Là aussi, malheureusement, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne fait obstacle, considérant que les États n'ont pas à se mêler d'avoir une stratégie ni à abuser du recours aux actions dorées (golden shares) dans des industries pourtant vitales pour nos intérêts stratégiques. Si nous ne voulons pas voir démanteler nos industries, nous devons réfléchir sur ce sujet d'actualité : je rappelle la vente de Morpho, par exemple, et celle d'Alcatel-Lucent.

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Nous examinons aujourd'hui une proposition franco-allemande, mais j'ai noté que d'autres propositions avaient été faites par l'Espagne et l'Italie. Plutôt que de s'en tenir à une déclaration franco-allemande, ne serait-il pas utile d'y associer d'autres pays ? Pourquoi ne pas avoir sollicité le triangle de Weimar, qui réunit la France, l'Allemagne et la Pologne ? En restant à seulement deux pays, je crains qu'on n'élimine d'autres possibilités et qu'on ne choque nos autres partenaires européens.

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Je souscris pleinement à cette proposition de résolution. Nous avons besoin de force, dans une Europe qui a peut-être été angélique en considérant que la démocratie et le développement économique étaient le chemin vers le bonheur et la sécurité. Or, on observe aujourd'hui de la discordance, non seulement aux portes de l'Europe, en Méditerranée, en Afrique, mais au sein même de nos sociétés européennes. Il faut reconquérir notre force de proposition en matière de solidarité.

Peut-être faut-il, pour cela, repartir de la grande leçon qu'ont été pour l'Europe les grandes guerres qui l'ont traversée au cours du XXe siècle. Une initiative franco-allemande proposée à l'Europe n'est que le début du chemin. Il faudra ensuite cheminer pas à pas avec tous les autres pays, de manière construite et déterminée. Attendre que tout le monde soit d'accord pour lancer le processus, c'est maintenir en l'état une Europe qui n'a plus de bord et qui risque de sombrer.

Mais l'Europe, ce sont des êtres humains sur un territoire, qu'il faut accompagner. Nous devons porter la flamme de la démocratie, moteur de l'Europe et de notre civilisation généreuse et ouverte. Ne stigmatisons personne et rassemblons-nous pour dire nos valeurs, ce que fait fort bien ce texte, qui tient compte de la réalité du monde d'aujourd'hui et de la virtualité de l'espace numérique dont on sait qu'il peut être un vecteur de propagande et de malveillance.

Ce texte nous engage. Que la France et l'Allemagne en soient à l'initiative est important pour, ensuite, pouvoir avancer !

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Puisque nous n'avons pas pu interroger le ministre de l'Intérieur sur le Conseil « Justice et affaires intérieures » de la semaine dernière pour cause de remaniement, je profite de cette proposition de résolution pour dire qu'il faut être extrêmement prudent en ce qui concerne le chiffrement. Il faut saluer la volonté franco-allemande de porter au niveau européen un sujet qui ne peut être traité qu'à cette échelle.

Si j'ai bien compris, la proposition du 23 août vise à améliorer la coopération avec les acteurs, notamment hors Union européenne, et donc à avoir un interlocuteur identifié pour chaque service.

En revanche, concernant la mise en place d'un cadre légal, les choses sont moins établies, avec en suspens la question du stockage des données, mais aussi celle des portes dérobées, les backdoors, qui est très délicate. Certes, il n'y a pas de solution miracle, mais lorsqu'on crée une vulnérabilité dans un système, rien ne garantit qu'elle ne sera pas utilisée à de mauvaises fins, d'où une nécessaire prudence.

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Monsieur Tourret, le pacte de sécurité européen présenté par la France et l'Allemagne en août 2016 concernait uniquement la sécurité intérieure. Les problèmes de défense ont été abordés lors du sommet des pays de l'Union européenne de l'espace méditerranéen du 11 septembre 2016. Ce sont deux volets différents.

Les questions de défense et de sécurité sont très importantes. Elles donnent du sens à l'Union européenne et correspondent également à des inquiétudes chez nos concitoyens.

J'ai participé à de nombreuses reprises aux conférences interparlementaires, qui ont lieu tous les six mois, et j'ai pu constater l'évolution des parlements nationaux sur ces questions. En 2012 et 2013, personne ne réagissait quand on parlait d'Europe de la défense. À partir de 2015, une prise de conscience s'est opérée, que j'ai moi-même constatée en abordant le financement des opérations extérieures à travers le dispositif Athena. Beaucoup d'États, inquiets de l'évolution de la situation, se sont intéressés à ces questions.

Ce pacte de sécurité est nécessaire. Comme l'a dit M. Georges Fenech, c'est une révolution. Il faut la mener, faute de quoi l'Union européenne n'aura plus de sens.

La Commission en vient à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

Article unique

La Commission adopte successivement les amendements de précision CL9 et CL7 des rapporteurs.

Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel CL8 des rapporteurs.

Puis elle adopte l'article unique modifié.

En conséquence, la proposition de résolution modifiée est adoptée.

La réunion s'achève à 12 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Christian Assaf, M. Luc Belot, M. Erwann Binet, M. Dominique Bussereau, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, M. Sébastien Denaja, M. Patrick Devedjian, Mme Laurence Dumont, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guillaume Garot, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Olivier Marleix, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Joaquim Pueyo, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, Mme Paola Zanetti, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Marie-Françoise Bechtel, Mme Huguette Bello, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Pierre Decool, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Sophie Dion, M. Marc Dolez, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Houillon, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Dominique Raimbourg, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jacques Valax, M. Jean-Luc Warsmann

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy