Intervention de Georges Fenech

Réunion du 14 décembre 2016 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech, rapporteur :

À mon tour, je félicite nos deux rapporteurs pour cette proposition de résolution européenne très ambitieuse, ce dont je ne peux que me réjouir. Le texte correspond mot pour mot aux voeux que nous avions émis dans le cadre de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Nous avions constaté des insuffisances graves au niveau européen, qui touchaient tant à la coopération qu'au renseignement et au contrôle des frontières. De ces points de vue, la proposition de résolution répond à une nécessité absolue.

C'est une véritable révolution qu'elle propose, notamment dans la coordination et le partage de l'information. Mme Marietta Karamanli a souligné à juste titre l'importance du centre européen de lutte contre le terrorisme, dont elle a dit qu'il pourrait être l'embryon d'une agence européenne du renseignement. Peut-être cela signifie-t-il que les esprits sont mûrs pour partager un élément essentiel de souveraineté nationale. Lors de notre déplacement à Washington, M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission d'enquête précitée, et moi-même n'avons pas rencontré un seul Américain qui ne nous ait pas demandé de travailler en ce sens, pour créer un renseignement européen. Il y a quelque temps encore, quand nous parlions d'une sorte de « FBI à l'européenne », on nous prenait pour des rêveurs. Il semble désormais que ces rêves soient traduits dans des résolutions ; deviendront-ils réalité ? On ne peut que l'espérer.

Je veux insister sur l'importance de cette proposition de résolution au regard des défaillances qui ont permis la perpétration des attentats du 13 novembre 2015, dont je citerai trois exemples.

Le premier est la manière dont Abdelhamid Abaaoud s'est déplacé très facilement au sein de l'espace Schengen, sans aucun contrôle. Lors notre rencontre avec les services de renseignement grecs, nous avons découvert qu'il avait été localisé à Athènes grâce au bornage téléphonique. Or, le 15 janvier 2015, lorsque les autorités belges ont démantelé la filière de Verviers – la sienne –, elles n'ont pas informé la Grèce en temps utile de cette opération, alors qu'elles-mêmes avaient été prévenues par les Grecs de la localisation d'Abaaoud. Ceux-ci n'ont été alertés qu'une demi-heure avant le début du démantèlement, trop tard pour mettre en place un dispositif permettant d'interpeller Abaaoud, qui a pris la fuite. Quelques mois plus tard, il commettait les attentats du 13 novembre. On peut dire aujourd'hui qu'une meilleure coopération entre la Belgique et la Grèce aurait pu permettre de l'interpeller.

Le deuxième exemple est celui de la fuite de Salah Abdeslam quelques heures seulement après les attentats. À neuf heures du matin, il est contrôlé par nos gendarmes à Cambrai, qui interrogent le fichier SIRENE (Supplementary Information REquest at the National Entry) alimenté par les Belges. Ces derniers, alors même qu'ils étaient au courant de sa dérive, n'ont pas complété la partie consacrée à la radicalisation, seulement celle relative au droit commun. Nos gendarmes ont cependant retenu le véhicule pendant plus d'une demi-heure, au-delà du délai légal, avant de le laisser repartir, contraints et forcés, avec Salah Abdeslam et deux complices à son bord. On peut penser qu'une meilleure alimentation du fichier par les Belges et une meilleure coordination au niveau européen auraient pu permettre d'interpeller Salah Abdeslam quelques heures après les attentats du 13 novembre.

Dernier exemple, celui des deux kamikazes du stade de France, qui se sont infiltrés – nous le savons avec certitude – en empruntant les flux migratoires et ont été contrôlés à Léros par les Grecs en compagnie de deux autres personnes qui formaient avec eux le commando destiné à commettre l'attentat. Les Grecs n'ont reçu la photographie des quatre individus, par un autre service européen, qu'après les attentats. Si elle leur avait été transmise auparavant, ils auraient interpellé les deux futurs kamikazes.

On pourrait citer d'autres exemples très concrets du manque de coordination européenne. Il est vrai que le choc du 13 novembre a permis la création de la task force « Fraternité », donc l'accélération de l'enquête grâce à l'appui apporté aux enquêteurs nationaux par Europol.

Ces exemples justifient toutes les mesures incluses dans la proposition de résolution. J'ai d'ailleurs bien senti, lors de l'audition du commissaire européen M. Julian King, la volonté d'aller dans le même sens. Songeons qu'aujourd'hui encore, Europol n'a pas accès de manière permanente au fichier Schengen – Frontex non plus –, ni même au fichier des visas ! Pour quelle raison ? Vous nous annoncez l'interopérabilité : c'est la moindre des choses ; il faut y arriver très rapidement, comme la volonté en est affichée.

Enfin, notre garde des Sceaux a pris son bâton de pèlerin pour convaincre nos partenaires de la nécessité de créer un parquet européen au sein d'Eurojust – encore un rêve audacieux. Tout cela est très ambitieux ; nous ne pouvons qu'espérer que l'Europe décide enfin de passer à la vitesse supérieure.

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