Intervention de Claudy Lebreton

Réunion du 14 décembre 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à venir vous présenter mon rapport, paru en juin dernier – votre Commission est la première à l'avoir fait. J'adresse des remerciements particuliers au président Jean-Paul Chanteguet, qui a fait partie des personnes que j'ai auditionnées dans le cadre de la mission qui m'a été confiée. Notre petite équipe, composée de Mme Marjorie Jouen, Mme Clara Boudehen et moi-même, a procédé à l'audition de 180 personnes : universitaires, chercheurs, représentants de la société civile, parlementaires et élus locaux provenant de toutes les collectivités territoriales, responsables des administrations d'État, territoriales et hospitalières. Nous avons organisé dix ateliers, dont les participants avaient été sélectionnés en raison de leurs différences d'approche sur tel ou tel thème, afin de susciter la controverse et le dialogue. Enfin, nous avons également innové en mettant le rapport à disposition durant un mois sur la plate-forme numérique Parlement & Citoyens, ce qui a suscité des interventions de la part de 400 internautes, qui ont voté 2 250 fois et fait plus de 350 propositions, dont certaines ont été reprises dans le rapport définitif, et que nous avons toutes rendues publiques en les annexant au rapport.

Lors de chaque audition, nous commencions par deux questions. La première, consistant à demander si en 2015, on devait encore se préoccuper de l'aménagement du territoire national, a recueilli une réponse unanimement positive. La seconde, par laquelle nous demandions si l'aménagement du territoire devait être le fruit d'une politique nationale conduite par l'État, a suscité des réponses beaucoup plus évasives, voire négatives. Je précise d'emblée que mon rapport n'est pas un rapport de synthèse des réponses obtenues, mais un rapport de parti pris : après avoir beaucoup entendu, j'ai fait des propositions que j'assume. Je répondais en cela à la mission qui m'avait été confiée de dire ce que, fort de mon expérience, je pensais d'une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe.

Quatre raisons principales nous semblent pouvoir expliquer les réponses mitigées que nous avons obtenues.

La première, ce sont les inquiétudes face aux conséquences territoriales et sociales des crises, évolutions, transitions et révolutions que nous connaissons actuellement, d'une ampleur inédite. En cela, notre analyse a été confortée par les mots de M. Edgar Morin qui, lors d'une interview de février 2016, déclarait que « le temps est venu de changer de civilisation », considérant par ailleurs que les maux dont souffre notre société trouvent leur issue dans l'acceptation du principe, aujourd'hui rejeté, de « complexité » – une complexité dans laquelle nous sommes, au demeurant, plongés depuis de nombreuses années.

Face à la révolution numérique et à la transition écologique, nous avons considéré qu'il y avait le besoin d'une interprétation partagée et d'un discours politique d'orientation sans nostalgie du passé – en un mot, d'un « récit républicain » sur l'aménagement et le développement durables, propre à donner aux Françaises et aux Français la vision d'un futur de notre pays et de ses territoires en Europe, et à assurer et rassurer nos compatriotes, quel que soit leur lieu de vie.

La deuxième raison peut résider dans les tensions que l'on perçoit, depuis plusieurs années, entre l'État – le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement, les grandes directions de l'administration centrale, les préfectures – et les collectivités territoriales. Les réformes territoriales récentes – la nouvelle carte des régions, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et la loi NOTRe – ont créé un contexte complexe. Au 1er janvier 2017, après l'entrée en vigueur de la loi NOTRe, notre pays ne comptera plus que 1 263 intercommunalités à fiscalité propre (EPCI). Enfin, la baisse des dotations publiques aux collectivités territoriales contribue à chahuter tous les niveaux de collectivités.

Ces évolutions ont fait ressentir le besoin de mettre en place de nouveaux lieux de dialogue partenarial, un besoin que le Premier ministre avait sans doute à l'esprit quand il m'a demandé d'esquisser ce que pourraient être les conséquences de la fin du cumul des mandats, qui aboutira à ce que les exécutifs locaux ne siègent plus au Parlement. La réponse que je fais à cette question réside dans ma proposition de créer un Conseil des collectivités de France inspiré, au niveau européen, par le Comité des régions d'Europe, qui fonctionne plutôt bien au niveau européen.

La troisième raison est un désabusement face à la sclérose et à l'affaiblissement de l'action publique. L'égalité des territoires est une priorité nécessaire mais pas suffisante pour répondre à l'ensemble des défis, et un réglage fin des instruments – contrats, appels à projets, conventionnement etc. – ne suffira pas non plus. Il est donc nécessaire de mettre en oeuvre une gestion partenariale sur la base d'une réforme des méthodes et des instruments de l'État central et de ses agents, en association avec le monde économique et social et les collectivités territoriales.

La quatrième raison est la perte de sens collectif et civique, illustrée par la défiance et l'incompréhension réciproques qui se sont installées progressivement, mais durablement, entre les citoyens et leurs représentants – élus nationaux et locaux –, ce qui conduit à une spirale négative. Je ne suis cependant pas aussi pessimiste que vous le dites, monsieur le président, et j'en veux pour preuve que, peu de temps après sa parution, un journaliste de La Gazette des communes a qualifié mon rapport d'« ambitieux, sévère et iconoclaste ».

Face au constat de territoires en souffrance, mes recommandations tiennent en deux objectifs : d'une part, co-construire une ambition territoriale pour la France – je devrais dire « pour les territoires de France » – en Europe ; d'autre part, rendre la politique d'aménagement du territoire plus participative et plus efficiente. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, je formule neuf propositions qui constituent autant d'orientations pour agir demain et qui s'adressent à l'État, au Gouvernement, aux collectivités, aux administrations, mais aussi au monde économique et social.

Nous nous sommes heurtés à un redoutable écueil lorsque nous nous sommes aperçus que co-concevoir, co-construire, coopérer, être co-acteurs d'une politique d'aménagement et de développement des territoires de France en Europe impliquait un gros travail de sensibilisation, d'acculturation, d'éducation et de formation : entrer dans « l'ère du co- » implique un bouleversement des mentalités et des habitudes, qui constitue une véritable révolution culturelle. De ce point de vue, ce qui vaut pour les politiques publiques d'aménagement et de développement des territoires vaut pour de nombreuses autres politiques publiques en matière d'éducation, de santé ou encore de culture.

Je suis actuellement invité à faire des conférences un peu partout en France afin de présenter mon rapport, et je dois dire que la question de la co-construction intéresse beaucoup mes interlocuteurs, notamment ceux du monde économique et social, qui se posent cependant des questions sur sa mise en oeuvre.

Certaines de mes recommandations sont assez faciles à appliquer, et dépendent avant tout de la volonté politique pour le faire – je pense notamment à la création d'un Conseil des collectivités de France. Pour ce qui est de la représentation des citoyens par les élus, nous nous sommes interrogés sur le bicamérisme et sur l'évolution du Sénat, ce qui nous a conduits à étudier les sénats des États de l'Union européenne, à faire des propositions relatives au Conseil économique, social et environnemental, et à évoquer la possibilité d'engager un vrai débat national sur ce que pourraient être les institutions de la République à l'horizon de dix ans, sans doute après une révision constitutionnelle et le passage à la VIème République – un vaste chantier dont, selon moi, la France peut difficilement faire l'économie.

La question des changements et évolutions se retrouve dans six ou sept de mes recommandations. Ainsi, lorsque je suggère, avec la neuvième proposition, d'« ouvrir des espaces de créativité et d'essai en desserrant la contrainte administrative », cela concerne nos concitoyens. Dès lors que, sur tous les territoires, nous sommes capables d'avoir moins de réglementation, de simplifier les démarches et de permettre à ceux qui veulent entreprendre – pas seulement dans le domaine économique – de disposer de beaucoup plus de libertés, cela s'adresse aux individus, qui bénéficient directement d'une innovation sociale et humaine.

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