Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 14 décembre 2016 à 9h45

Résumé de la réunion

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  • ruralité

La réunion

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Claudy Lebreton, Président d'honneur de l'Assemblée des départements de France, sur son rapport remis au Premier ministre : « Une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe ».

L'audition commence à neuf heures quarante.

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Mes chers collègues, au nom de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, j'ai le plaisir d'accueillir, pour la première fois, M. Claudy Lebreton, ancien président du Conseil général des Côtes-d'Armor, de 1997 jusqu'en 2015, et ancien président de l'Assemblée des départements de France, de 2004 à 2015.

En juin 2015, le Premier ministre Manuel Valls vous a demandé de réfléchir sur le thème : « L'aménagement du territoire en France : refonder les relations entre l'État et les collectivités territoriales ». Après plus de 180 auditions, vous avez rendu, le 2 juin 2016, un rapport intitulé : « Une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe ».

Vous y dressez le constat de territoires en souffrance et vous formulez neuf propositions majeures pour rendre la politique d'aménagement du territoire plus participative et plus efficiente : co-construire une ambition territoriale pour la France en Europe ; créer le Conseil des collectivités de France ; nommer un vice-Premier ministre en charge des territoires et de la démocratie ; renouveler l'offre publique par le numérique ; mettre en capacité d'agir les 500 000 élus territoriaux ; dynamiser les instances de démocratie locale existantes ; redéfinir le « contrat territorial » entre les entreprises privées et les acteurs publics ; faire de la réforme territoriale un exercice d'apprentissage collectif ; ouvrir des espaces de créativité et d'essai en desserrant la contrainte administrative.

Je souhaiterais donc que vous présentiez tout d'abord les raisons qui vous conduisent à dresser un constat aussi pessimiste, avant de développer les propositions que vous avez formulées.

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Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à venir vous présenter mon rapport, paru en juin dernier – votre Commission est la première à l'avoir fait. J'adresse des remerciements particuliers au président Jean-Paul Chanteguet, qui a fait partie des personnes que j'ai auditionnées dans le cadre de la mission qui m'a été confiée. Notre petite équipe, composée de Mme Marjorie Jouen, Mme Clara Boudehen et moi-même, a procédé à l'audition de 180 personnes : universitaires, chercheurs, représentants de la société civile, parlementaires et élus locaux provenant de toutes les collectivités territoriales, responsables des administrations d'État, territoriales et hospitalières. Nous avons organisé dix ateliers, dont les participants avaient été sélectionnés en raison de leurs différences d'approche sur tel ou tel thème, afin de susciter la controverse et le dialogue. Enfin, nous avons également innové en mettant le rapport à disposition durant un mois sur la plate-forme numérique Parlement & Citoyens, ce qui a suscité des interventions de la part de 400 internautes, qui ont voté 2 250 fois et fait plus de 350 propositions, dont certaines ont été reprises dans le rapport définitif, et que nous avons toutes rendues publiques en les annexant au rapport.

Lors de chaque audition, nous commencions par deux questions. La première, consistant à demander si en 2015, on devait encore se préoccuper de l'aménagement du territoire national, a recueilli une réponse unanimement positive. La seconde, par laquelle nous demandions si l'aménagement du territoire devait être le fruit d'une politique nationale conduite par l'État, a suscité des réponses beaucoup plus évasives, voire négatives. Je précise d'emblée que mon rapport n'est pas un rapport de synthèse des réponses obtenues, mais un rapport de parti pris : après avoir beaucoup entendu, j'ai fait des propositions que j'assume. Je répondais en cela à la mission qui m'avait été confiée de dire ce que, fort de mon expérience, je pensais d'une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe.

Quatre raisons principales nous semblent pouvoir expliquer les réponses mitigées que nous avons obtenues.

La première, ce sont les inquiétudes face aux conséquences territoriales et sociales des crises, évolutions, transitions et révolutions que nous connaissons actuellement, d'une ampleur inédite. En cela, notre analyse a été confortée par les mots de M. Edgar Morin qui, lors d'une interview de février 2016, déclarait que « le temps est venu de changer de civilisation », considérant par ailleurs que les maux dont souffre notre société trouvent leur issue dans l'acceptation du principe, aujourd'hui rejeté, de « complexité » – une complexité dans laquelle nous sommes, au demeurant, plongés depuis de nombreuses années.

Face à la révolution numérique et à la transition écologique, nous avons considéré qu'il y avait le besoin d'une interprétation partagée et d'un discours politique d'orientation sans nostalgie du passé – en un mot, d'un « récit républicain » sur l'aménagement et le développement durables, propre à donner aux Françaises et aux Français la vision d'un futur de notre pays et de ses territoires en Europe, et à assurer et rassurer nos compatriotes, quel que soit leur lieu de vie.

La deuxième raison peut résider dans les tensions que l'on perçoit, depuis plusieurs années, entre l'État – le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement, les grandes directions de l'administration centrale, les préfectures – et les collectivités territoriales. Les réformes territoriales récentes – la nouvelle carte des régions, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et la loi NOTRe – ont créé un contexte complexe. Au 1er janvier 2017, après l'entrée en vigueur de la loi NOTRe, notre pays ne comptera plus que 1 263 intercommunalités à fiscalité propre (EPCI). Enfin, la baisse des dotations publiques aux collectivités territoriales contribue à chahuter tous les niveaux de collectivités.

Ces évolutions ont fait ressentir le besoin de mettre en place de nouveaux lieux de dialogue partenarial, un besoin que le Premier ministre avait sans doute à l'esprit quand il m'a demandé d'esquisser ce que pourraient être les conséquences de la fin du cumul des mandats, qui aboutira à ce que les exécutifs locaux ne siègent plus au Parlement. La réponse que je fais à cette question réside dans ma proposition de créer un Conseil des collectivités de France inspiré, au niveau européen, par le Comité des régions d'Europe, qui fonctionne plutôt bien au niveau européen.

La troisième raison est un désabusement face à la sclérose et à l'affaiblissement de l'action publique. L'égalité des territoires est une priorité nécessaire mais pas suffisante pour répondre à l'ensemble des défis, et un réglage fin des instruments – contrats, appels à projets, conventionnement etc. – ne suffira pas non plus. Il est donc nécessaire de mettre en oeuvre une gestion partenariale sur la base d'une réforme des méthodes et des instruments de l'État central et de ses agents, en association avec le monde économique et social et les collectivités territoriales.

La quatrième raison est la perte de sens collectif et civique, illustrée par la défiance et l'incompréhension réciproques qui se sont installées progressivement, mais durablement, entre les citoyens et leurs représentants – élus nationaux et locaux –, ce qui conduit à une spirale négative. Je ne suis cependant pas aussi pessimiste que vous le dites, monsieur le président, et j'en veux pour preuve que, peu de temps après sa parution, un journaliste de La Gazette des communes a qualifié mon rapport d'« ambitieux, sévère et iconoclaste ».

Face au constat de territoires en souffrance, mes recommandations tiennent en deux objectifs : d'une part, co-construire une ambition territoriale pour la France – je devrais dire « pour les territoires de France » – en Europe ; d'autre part, rendre la politique d'aménagement du territoire plus participative et plus efficiente. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, je formule neuf propositions qui constituent autant d'orientations pour agir demain et qui s'adressent à l'État, au Gouvernement, aux collectivités, aux administrations, mais aussi au monde économique et social.

Nous nous sommes heurtés à un redoutable écueil lorsque nous nous sommes aperçus que co-concevoir, co-construire, coopérer, être co-acteurs d'une politique d'aménagement et de développement des territoires de France en Europe impliquait un gros travail de sensibilisation, d'acculturation, d'éducation et de formation : entrer dans « l'ère du co- » implique un bouleversement des mentalités et des habitudes, qui constitue une véritable révolution culturelle. De ce point de vue, ce qui vaut pour les politiques publiques d'aménagement et de développement des territoires vaut pour de nombreuses autres politiques publiques en matière d'éducation, de santé ou encore de culture.

Je suis actuellement invité à faire des conférences un peu partout en France afin de présenter mon rapport, et je dois dire que la question de la co-construction intéresse beaucoup mes interlocuteurs, notamment ceux du monde économique et social, qui se posent cependant des questions sur sa mise en oeuvre.

Certaines de mes recommandations sont assez faciles à appliquer, et dépendent avant tout de la volonté politique pour le faire – je pense notamment à la création d'un Conseil des collectivités de France. Pour ce qui est de la représentation des citoyens par les élus, nous nous sommes interrogés sur le bicamérisme et sur l'évolution du Sénat, ce qui nous a conduits à étudier les sénats des États de l'Union européenne, à faire des propositions relatives au Conseil économique, social et environnemental, et à évoquer la possibilité d'engager un vrai débat national sur ce que pourraient être les institutions de la République à l'horizon de dix ans, sans doute après une révision constitutionnelle et le passage à la VIème République – un vaste chantier dont, selon moi, la France peut difficilement faire l'économie.

La question des changements et évolutions se retrouve dans six ou sept de mes recommandations. Ainsi, lorsque je suggère, avec la neuvième proposition, d'« ouvrir des espaces de créativité et d'essai en desserrant la contrainte administrative », cela concerne nos concitoyens. Dès lors que, sur tous les territoires, nous sommes capables d'avoir moins de réglementation, de simplifier les démarches et de permettre à ceux qui veulent entreprendre – pas seulement dans le domaine économique – de disposer de beaucoup plus de libertés, cela s'adresse aux individus, qui bénéficient directement d'une innovation sociale et humaine.

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Cher M. Claudy Lebreton, c'est un plaisir que de vous recevoir aujourd'hui dans le cadre des travaux de notre Commission, qui n'est pas seulement celle du développement durable, mais aussi celle de l'aménagement du territoire. Le rapport que vous avez remis cet été au Premier ministre contient des propositions visant à renforcer les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Les collectivités locales constituent un maillon indispensable à la démocratie et à l'action de solidarité. Depuis des années, la tendance est à la concentration des richesses, de la population et de l'emploi dans les villes et les métropoles. À l'inverse, on assiste à la création de ce que l'on pourrait appeler, même si le terme est controversé, une sorte de France périphérique, qui n'est pas seulement celle des territoires ruraux, mais aussi celle des territoires qui vivent une mutation économique résultant de la mondialisation. Ces territoires, dont ma circonscription fait partie, sont ceux où l'on constate une addition de « moins » : moins de service public, moins d'emploi, moins de dynamisme, moins de jeunes. Face à ce processus, les collectivités jouent le rôle de bouclier social de nos territoires : elles garantissent la démocratie à travers leurs élus de proximité, le maintien de services publics vitaux, tels celui de l'eau, la solidarité locale ou les transports, la vie quotidienne – notamment avec le soutien aux associations, la gestion des routes ou encore les infrastructures scolaires.

Vous qui venez de la Bretagne – voisine de la Normandie, ma région –, vous connaissez ces sujets, et savez à quel point les territoires ruraux ont souvent besoin d'un nouveau souffle. Dans votre rapport, vous avez avancé des propositions audacieuses. Vous proposez ainsi de créer un vice-Premier ministre chargé des territoires et un Conseil des collectivités, d'augmenter la péréquation, de dynamiser la démocratie directe dans les territoires ou encore de renforcer l'équité des opérations de péréquation, toutes mesures avec lesquelles on ne peut qu'être d'accord. La baisse des dotations aux collectivités locales nous amène à penser de nouvelles règles de solidarité des métropoles vers les territoires périurbains ou ruraux. Au-delà, la relation entre l'État, ses collectivités et ses territoires pose la question de leur reconnaissance. L'évolution du Sénat en véritable chambre des collectivités territoriales est une piste que vous avancez. À mon sens, il faudrait également renforcer le rôle des intercommunalités, reconnaître leur statut de collectivités locales et leur donner les moyens d'assurer leur mission de service public, en somme – ne pas créer d'inégalités entre les grandes métropoles, comme Lyon aujourd'hui et Paris demain, et nos territoires. Bénéficier de ce statut, c'est être assuré de disposer des moyens financiers et politiques pour mener à bien ces missions.

Ce débat sur l'avenir de nos collectivités territoriales est important en ce qu'il éclaire le législateur sur le chemin qui mène vers plus d'égalité. Pouvez-vous cependant nous préciser quels sont les freins que vous avez rencontrés depuis la présentation de ce rapport ? En d'autres termes, comment faire sortir du placard un rapport aussi pertinent et audacieux ?

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Monsieur le président d'honneur de l'Assemblée des départements de France, je vous félicite pour la qualité de votre rapport. Depuis un certain nombre d'années, la ruralité est un territoire sacrifié, oublié par les différentes politiques structurelles et peuplé d'agriculteurs qui vivent une crise sans précédent et sont révoltés, ce qui a contribué à l'expression d'un vote extrême lors des derniers scrutins.

L'instabilité territoriale est un phénomène marquant, pour ne pas dire douloureux, et le « toujours plus grand » – le XXL, comme on l'appelle désormais – est une chimère : s'imaginer, quand on n'a pas de moyens, que s'allier avec le voisin guère mieux loti nous apportera quelque chose, est une erreur. Les communautés de communes issues de la loi de 1992, qui avaient commencé à prendre leur essor au début des années 2000, ont été mises en difficulté par des lois successives qui les ont obligées à revoir leur périmètre pour pouvoir croître et atteindre un nombre d'habitants suffisant. Il me paraît difficilement compatible de vouloir développer l'intercommunalité – en donnant de plus en plus de compétences aux communautés de communes et en agrandissant sans cesse leur périmètre – tout en prétendant respecter les compétences et la spécificité des communes : afin de rassurer nos concitoyens, il ne faut donc pas hésiter à affirmer que les communes seront préservées.

De même, alors que le département était autrefois le territoire le plus proche de la ruralité tout en constituant un outil mobilisateur de crédits, il a perdu beaucoup de sa superbe en quelques années.

Plusieurs lois récentes, notamment la loi NOTRe, ont eu des conséquences très négatives. Contrairement à ce qui leur est parfois reproché, les élus des syndicats des eaux n'occupent pas les postes qui leur sont confiés juste pour percevoir une indemnité : ils rendent quotidiennement un grand service aux usagers et leur travail contribue à maintenir un prix de l'eau raisonnable. Il est donc incompréhensible que la loi NOTRe vise à réduire le nombre de syndicats des eaux, des structures utiles et qui fonctionnent bien.

Sous le dernier quinquennat, de nombreuses dotations ont diminué : celles relatives aux politiques d'État, mais aussi celles des politiques mises en oeuvres par les départements. Pour ce qui est des régions, force est de constater qu'elles n'ont pas pris le relais en matière d'aménagement du territoire, alors qu'elles devraient au moins jouer un rôle de coordination.

Enfin, les métropoles qu'il était nécessaire de mettre en place n'ont pas organisé autour d'elles des éléments suffisants pour faire en sorte que des liens forts se créent entre elles et les territoires ruraux qui les entourent.

Toutes ces évolutions se produisent dans le contexte d'une crise agricole d'une ampleur inédite, et d'une évolution technologique dont un certain nombre de territoires ne peuvent malheureusement être que spectateurs – je pense notamment au très haut débit et aux nouvelles techniques d'information. Le déploiement de la fibre, en particulier, dont les gouvernements successifs disent tous vouloir faire une priorité, ne peut plus attendre : il faut que cet objectif devienne une priorité nationale, car sa réalisation permettra de procurer un certain nombre de services publics à moindre coût et de favoriser le travail à domicile.

Je conclurai en disant que l'insuffisance de l'offre médicale – il n'est pas exagéré de parler de déserts médicaux pour certains territoires – fait également partie des grandes difficultés auxquelles est actuellement confrontée la ruralité.

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Je remercie M. Claudy Lebreton pour ce rapport fait à son image, c'est-à-dire objectif et fidèle à la vérité. Si nous partageons son constat, il reste à déterminer ce que nous devons faire pour apporter des solutions efficaces en matière d'aménagement du territoire – un beau concept qu'il semble bien difficile de transposer dans la réalité si l'on considère qu'il a été fait bien peu dans ce domaine au cours des trente dernières années.

Au-delà du constat sévère, portant notamment sur l'action du Gouvernement, je pense que la colère du milieu rural, qui s'est manifestée à l'occasion des dernières échéances électorales, n'a certainement pas fini de s'exprimer. Vous avez raison d'affirmer que nous devons nous saisir de cette problématique et redéfinir rapidement qui doit conduire le nouvel aménagement territorial, et sur quelles bases.

À défaut de savoir ce qu'il faut faire, nous devons au moins savoir ce qu'il ne faut pas faire. De ce point de vue, la réforme des régions comme celle des scrutins nous fournissent deux exemples de la façon dont il ne faut plus se comporter vis-à-vis des territoires. Pour leurs habitants, la perte de repères, qui vient s'ajouter au manque de considération à leur égard, est la pire des choses. Il convient donc de rétablir le contact avec les élus locaux, qui auraient dû être partie prenante à la nouvelle carte des régions, dont l'élaboration représente une véritable catastrophe d'un point de vue démocratique – sans compter qu'en éloignant les citoyens des lieux de décision, on tourne le dos à la décentralisation.

Je suis moi-même un partisan de la décentralisation et j'estime qu'il faut aller plus loin en la matière. Selon vous, quelles propositions faudrait-il mettre en oeuvre pour aboutir à une évolution culturelle replaçant le citoyen au coeur des processus de décision ?

La ruralité est déconsidérée depuis trop longtemps et, de ce point de vue, le problème ne se limite pas au secteur agricole. On assiste actuellement à une amélioration de la démographie des territoires ruraux, notamment grâce à l'arrivée des rurbains. Cette évolution justifierait à elle seule que l'on mette en oeuvre une véritable politique en faveur de la ruralité.

On a récemment mis en place les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, regroupant plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, qui constituent de beaux exemples de démocratie locale grâce à la présence des conseils de développement qui y ont été adossés. Ces instances, auxquelles sont associés les agriculteurs et tous les acteurs de la vie économique, sociale et politique, sont très utiles, mais je ne comprends pas que l'on n'ait pas cherché à structurer cette offre comme on l'a fait pour les métropoles.

On vient de mettre en place les contrats de ruralité, ce qui est une bonne chose en soi. Cependant, ces contrats ne bénéficient que de 216 millions d'euros de fonds de soutien pour 2017, quand les contrats de ville reçoivent, eux, 450 millions d'euros. Ne pensez-vous pas qu'il conviendrait de renforcer et de structurer les contrats de ruralité, afin de montrer que l'on traite équitablement la ville et la ruralité ? Il est dommage que votre rapport, qui fait des constats utiles sur ce point comme sur d'autres, arrive si tard.

Pour conclure, je veux dire que l'avenir de la ruralité passe par le très haut débit, et qu'il faut donc appuyer les légitimes revendications dans ce domaine : il est tout à fait anormal que les territoires ruraux soient obligés de payer pour bénéficier de cet équipement qui est gratuit partout ailleurs.

Comme le disait Jean de La Fontaine dans sa fable Le Chat et le renard,

« On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.

« N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon. »

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Ma crainte au sujet des contrats de ruralité est qu'ils ne soient que des fusils à un coup.

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La loi NOTRe a mis en avant la région d'une part, l'intercommunalité d'autre part, tandis que la loi MAPTAM favorisait la métropolisation. Le département se trouve donc dépecé en amont par la région, en aval par les intercommunalités – les communes perdant, elles, une partie de leurs compétences au profit des intercommunalités. Si ce schéma me semble correspondre à une organisation plus efficace, il est certainement profitable avant tout aux territoires, notamment ruraux, qui se portent bien.

Cela dit, il existe une autre ruralité, minoritaire, qui cumule tous les handicaps – l'enclavement, le vieillissement de la population, la déprise démographique et l'éloignement des métropoles. Les territoires se trouvant dans cette situation ont, souvent à juste titre, l'impression que le train du développement est passé devant eux sans s'arrêter. Ne pensez-vous pas que les départements qui continuent à se dépeupler – ils sont actuellement une dizaine – devraient faire l'objet d'une prise en charge spécifique, afin de réduire au plus vite la fracture territoriale dont ils souffrent ?

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Vous évoquez dans votre rapport les conséquences de la fin du cumul des mandats, instaurée par la loi du 14 février 2014 et devant entrer en vigueur dès l'année prochaine. À ce sujet, vous parlez d'une « transformation à bas bruit de la classe politique ».

Si nous pouvons nous féliciter, sur le principe, d'une évolution de la fonction et du profil des parlementaires, une de vos remarques attire particulièrement mon attention, car je la trouve très juste. Vous dites que « le rajeunissement de la composition des assemblées est probable car les élus en âge d'activité préféreront sûrement ce mandat, en raison du niveau des indemnités parlementaires qui s'apparentent davantage aux rémunérations d'un cadre supérieur que celles d'un vice-président de conseil régional ou de conseil départemental, voire d'un maire de commune de taille moyenne. »

En tant que maire d'une ville de plus de 80 000 habitants, en l'occurrence Courbevoie, je partage cette analyse et m'en inquiète. En effet, cette fonction de maire de ville moyenne, avec les responsabilités – y compris pénales – quelle comporte, risque de ne plus être occupée désormais que par des personnes à la retraite ou possédant par ailleurs des moyens de subsistance substantiels. Nous ne ferons pas l'économie de repenser le statut du maire et de sa rémunération, qui ne sera plus adaptée à la fin du cumul.

Pour ma part, je propose qu'un maire puisse percevoir la même indemnité que le fonctionnaire le plus élevé. Quelle est votre position sur ce point ?

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Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre Commission le temps de cette audition, monsieur le président.

Je partage l'avis de M. le président Claudy Lebreton sur les zones de faible densité et la perte des services publics. J'ajouterai que l'on demande aux zones de faible densité de préserver les espaces naturels et les espaces agricoles en les empêchant quelquefois de construire dans les hameaux, ce qui leur pose un vrai problème en matière d'urbanisme.

J'ai été étonné de constater que les régions françaises continuaient à décliner, comme au Royaume-Uni. Si ce phénomène peut s'expliquer en Italie et en Espagne du fait de la gravité de la crise ayant touché ces deux pays, rien ne justifie qu'il touche également la France.

Votre rapport ne constitue-t-il pas, finalement, une critique du modèle napoléonien, conçu sur une logique descendante ? De nombreux exemples montrent que l'État est incapable de s'adapter aux territoires. Ainsi, en ce qui concerne le programme FEDER, la région – je parle de la Bretagne, que je connais – étudie les dossiers, mais est également organisme de paiement, et les choses se déroulent de manière satisfaisante. En revanche, en ce qui concerne le programme LEADER, c'est l'Agence de services et de paiement (ASP) qui est chargée des paiements, ce qui pose des problèmes : en trois ans, elle n'a pas été capable de se doter d'un logiciel capable de s'adapter à tous les groupes d'action locale (GAL) de France. Puisque, dans les logiques ascendantes, l'État semble incapable de s'adapter aux territoires, ne faudrait-il pas envisager de passer à la subsidiarité ? Dans ce cas, quid du pouvoir réglementaire ? Je suis de ceux qui se sont battus, au sein de la commission des lois, pour que le pouvoir réglementaire soit élargi. En l'état actuel, les régions doivent se contenter de demander humblement à l'État de bien vouloir prendre en compte les problèmes qui se posent et éventuellement de changer la loi. La Corse, qui a formulé une cinquantaine de demandes à ce titre, n'a obtenu que deux réponses, toutes deux négatives.

Vous proposez un certain nombre d'aménagements qui me paraissent opportuns, notamment celui consistant à ce que le Sénat ne soit plus la chambre des communes, mais celle des collectivités territoriales, et celui visant à l'instauration d'un vice-Premier ministre chargé des territoires et de la démocratie. Cependant, je reste inquiet car, si certains députés sont parfaitement conscients de l'exaspération de nos concitoyens face aux tracasseries administratives, la technostructure s'efforce, elle, de conserver tout son pouvoir. De ce fait, je ne sais pas si nous parviendrons à changer les choses sans passer par un épisode du type de celui que la France a connu en 1789 – je rappelle que les départements, que l'administration royale promettait de mettre en place depuis longtemps, n'ont finalement été créés que par la République nouvellement instaurée.

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Si le rapport de M. Claudy Lebreton est effectivement assez innovant, il présente cependant quelques contradictions avec les préconisations de France Stratégie et le rapport de Jean Pisani-Ferry, qui considère qu'il faut continuer à investir dans les métropoles – tout en reconnaissant que, si les métropoles permettent d'augmenter la compétitivité, elles sont également facteur d'inégalités de revenus et concentrent actuellement le plus grand nombre de personnes pauvres en France.

Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle il faut faire confiance aux territoires mais je considère, pour ma part, que l'on devrait y intégrer les pôles de compétitivité et les pôles de compétences, qui ont commencé à structurer certains territoires, notamment des territoires ruraux. Il est en effet des territoires ruraux qui accueillent des IUT de haut niveau et des universités moyennes possédant de réelles compétences : ainsi le biopôle de Colmar fédère-t-il en son sein plusieurs entreprises, mais aussi un Centre régional d'innovation et de transfert de technologie (CRITT) Matériaux, et de nombreux étudiants. Une telle démarche est facteur de dynamisme pour un territoire et peut également être l'occasion de faire le tri entre certains pôles de compétitivité qui ne seraient pas à leur place et d'autres qu'il serait judicieux de conserver. Je pense que, puisque ces entités existent et consomment de l'argent public, il faut les intégrer complètement à l'aménagement du territoire plutôt que de les laisser à part, dans une filière purement économique. Qu'en pensez-vous ?

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L'aménagement du territoire constitue un enjeu important, car le rôle des territoires est fondamental dans le développement, l'équilibre et le « bien vivre ensemble ». Vous avez fait référence en introduction aux notions de co-construction et de complexité : comment, selon vous, pouvons-nous agir en « décodant » la complexité ?

Plus précisément, les politiques publiques sont actuellement marquées par une verticalité descendante de l'Europe, qui envoie des normes vers les territoires en passant par l'État central. Comment articuler tous les aspects de cette démarche top down, ainsi que la démarche inverse, à savoir la verticalité ascendante – le bottom up –, favorisée par l'accroissement des compétences des élus locaux ?

Par ailleurs, l'aménagement du territoire, c'est aussi l'horizontalité des politiques publiques, c'est-à-dire des démarches relatives au développement de l'économie, du tourisme, de la transition énergétique et des mobilités.

Quels outils de régulation faut-il mettre en place pour favoriser l'aménagement du territoire selon les deux modalités que je viens d'évoquer ? Comment aller plus loin que ce qui se fait actuellement – par exemple avec les conseils de développement ?

Le numérique peut-il aider à reconquérir les territoires et à développer l'action publique, et que pensez-vous du télétravail ?

Enfin, comment la puissance publique peut-elle intégrer au niveau national et local le poids de la technostructure et des lobbies ?

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Monsieur le président de l'ADF, vous faites neuf propositions pour rendre la politique d'aménagement du territoire plus participative et plus efficiente. Parmi celles-ci, vous suggérez de nommer un vice-Premier ministre en charge des territoires et de la démocratie, ce qui me semble une bonne chose. Les territoires ruraux souffrent énormément et ont du mal à se développer. Je rappelle que ces territoires représentent 20 % de la population sur 80 % du territoire français. Bien qu'ils participent à l'équilibre territorial, mais aussi à l'équilibre national, en ce qu'ils sont complémentaires des territoires urbains, ils ne sont pas entendus.

Pour tenir compte de la spécificité de ces territoires et de leurs problématiques, et pour répondre à leurs besoins, ne faudrait-il pas créer un ministère de la ruralité à part entière, dépendant directement du Premier ministre, et faire de la défense de la ruralité une priorité, voire une grande cause nationale ?

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Pour ma part, je voudrais saluer une proposition de votre rapport à laquelle j'adhère pleinement, à savoir l'idée qui consisterait à instaurer une loi de finances des collectivités territoriales. Si une seule des mesures que vous proposez devait être appliquée, ce serait assurément celle-là, car nous manquons de débats et de transparence au niveau des territoires, et l'on a l'impression que la répartition des moyens se fait selon des modalités qui demeurent mystérieuses – presque en catimini, serait-on tenté de dire.

La course à la métropolisation que nous connaissons actuellement – la loi sur le statut de Paris va constituer une nouvelle occasion d'accorder le statut de métropole à des villes qui ne l'avaient pas encore – angoisse beaucoup les territoires ruraux, qui craignent d'en sortir encore plus isolés. Selon moi, les villes moyennes seraient également fondées à en concevoir de l'inquiétude. Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) a constitué un panel d'une dizaine de villes, bien réparties sur l'ensemble du territoire, pour lesquelles il fait à chaque fois le même constat : toutes ces villes font l'objet d'un phénomène de périurbanisation, presque toutes se dépeuplent, et l'on assiste à un appauvrissement général touchant essentiellement les villes elles-mêmes – les zones périurbaines attirant plutôt des ménages relativement aisés. M. Jean Pisani-Ferry, que nous avons auditionné, nous a indiqué être assez inquiet au sujet de ces villes moyennes, qui jouent un rôle important dans la structuration des territoires ruraux. Quelle est votre position à ce sujet ?

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Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'organisation de la France est, aujourd'hui encore, celle d'un État très centralisé : en effet, nous sommes restés au milieu du gué, faute d'avoir fait des choix véritablement structurants en termes d'organisation territoriale. Dans ces conditions, nous pouvons nous demander à qui il revient de mettre en oeuvre une politique d'aménagement du territoire. Pour ma part, je considère que cette responsabilité incombe aux régions plutôt qu'à l'État.

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Si elles ne le font pas, c'est parce que nous n'avons pas fait certains choix. Nous devons accorder aux régions des compétences nouvelles, des moyens supplémentaires et un pouvoir réglementaire et, tant que nous ne l'aurons pas fait, nous serons confrontés à de réelles difficultés.

Ce qu'a dit M. Michel Lesage au sujet du top down et du bottom up est tout à fait juste. J'ajouterai que, selon moi, les choix qui ont été faits ont abouti à une telle complexité que nous perdons en efficacité.

Pouvez-vous nous faire connaître votre position sur ce point, monsieur Claudy Lebreton, et nous dire qui, selon vous, doit mettre en oeuvre une politique d'aménagement du territoire : l'État ou les régions ?

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Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France

Aux élus, nationaux et souvent locaux, que vous êtes, je veux adresser ce message rassurant : il y a une vie après la politique, j'en suis la preuve vivante. Depuis le 1er avril 2015, date à laquelle j'ai volontairement cessé d'assurer la présidence du conseil général des Côtes-d'Armor, j'ai été sollicité par de nombreuses équipes universitaires. Je travaille avec l'Institut géographique de Grenoble et je suis actuellement en train de monter, avec des géographes, une chaire territoriale consacrée à la question des territoires. Par ailleurs, j'ai été recruté comme expert par le Collège international des sciences du territoire (CIST), compte tenu de l'expérience qui est la mienne. Enfin, je travaille avec l'université Jean-Jaurès de Toulouse sur le thème de la construction des villes intelligentes du futur à travers les enjeux numériques, et avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) sur le big data et les données numériques, dans le prolongement de mon rapport de 2013 sur la France des territoires numériques de demain.

Je n'ai jamais été départementaliste – c'est l'opportunité de la vie politique qui m'a conduit à devenir président du conseil général des Côtes-d'Armor –, et j'ai de profondes convictions décentralisatrices. Cela ne me conduit pas à nier le rôle de l'État, mais à tenter de reconcevoir les choses après plus de trente ans de décentralisation.

Du temps où j'avais des responsabilités politiques, j'ai toujours répugné à employer l'expression : « Nous vivons un moment historique », étant conscient qu'à l'échelle de l'humanité, les moments historiques sont plutôt rares. Cela dit, force est de constater que nous traversons actuellement une période marquée par une conjonction extraordinaire de crises. Les élus locaux sont-ils préparés au monde qui vient ? Il est permis d'en douter eu égard à toutes les questions et problématiques que suscite, par exemple, la révolution numérique et à ses répercussions en matière d'e-administration ou de relations entre les individus. Les outils numériques ne sont pas que cela : ils constituent également une opportunité – que, cette fois, je qualifie d'historique –, sans doute pas de régler tous les maux de notre société, tel le retard scolaire, mais de disposer de capacités augmentées – les territoires augmentés, la discussion augmentée – qui nous permettent de mieux comprendre le monde et d'agir avec une plus grande efficacité.

M. Christophe Bouillon a insisté sur la différence entre les territoires urbains et les territoires ruraux. Pour ma part, je pense qu'il y a une saine complémentarité, voire des harmonies, à trouver entre les deux types de territoires. De ce point de vue, le thème des territoires à énergie positive est très intéressant : il est l'occasion de constater que le monde rural peut contribuer, dans le cadre d'une contractualisation intelligente, à résoudre un certain nombre de problèmes de la ville. Bien sûr, il faut que l'inverse soit possible également.

Nombre de villes d'une part, de territoires ruraux d'autre part, sont confrontés à des problèmes de même nature. Penser qu'il y aurait, d'un côté, l'extrême pauvreté de la ruralité, de l'autre, la richesse de la ville, est un leurre, et nous devons veiller à rester très mesurés en la matière. Je ne renie rien de ce à quoi j'ai participé durant des années, mais il faut bien reconnaître que la politique de la ville, qu'elle soit pratiquée par des gouvernements de gauche ou de droite, n'a souvent eu pour vocation que de réparer les dégâts : il s'agissait d'agir sur les conséquences, mais jamais sur les causes des maux.

Il en a souvent été de même dans l'exercice de ma profession de kinésithérapeute-ostéopathe : lorsque je recevais des ouvriers de l'industrie agroalimentaire qui souffraient de troubles musculo-squelettiques, je les réparais – et je peux vous dire que c'était un bon fonds de commerce, car je les retrouvais immanquablement quelques mois plus tard, la cause de leurs pathologies résidant dans leurs conditions de travail.

C'est une véritable révolution culturelle que nous devrions engager. En matière de formation des élus, tout reste à faire : aujourd'hui, on a encore trop tendance à s'imaginer que des hommes et des femmes deviennent, au lendemain de leur élection, des experts de toutes les questions dont ils vont avoir à connaître – je ne pense pas qu'aux élus locaux, mais à l'ensemble des élus –, ce qui n'est évidemment pas le cas. Cela doit nous conduire à nous interroger sur la manière de bâtir une société de l'engagement, où chacun passerait plus facilement qu'aujourd'hui d'un engagement à l'autre – association, syndicat, instance de la démocratie économique, voire de la démocratie locale ou parlementaire –, de ces engagements à la vie professionnelle, et vice versa. J'ai eu la chance de vivre plus de trente ans de vie publique, mais un tel parcours, entamé au siècle dernier, ne serait sans doute plus possible aujourd'hui : c'est un autre monde. Au demeurant, le fait d'évoluer constamment d'un univers à un autre a un effet très positif, celui de permettre aux personnes concernées de se doter d'un solide bagage intellectuel.

Je rêve d'un ministère de la ville qui dirait aux élus : « Nous allons construire les villes du XXIème siècle » – je dis bien les villes, car elles sont toutes différentes, et chacune a sa propre histoire, sa propre culture : on ne fait pas la même chose en Alsace, en Bretagne et dans les Vosges !

Les villes moyennes évoquées par M. Michel Heinrich sont le fruit de constructions humaines. Je ne jette pas la pierre à ceux qui ont choisi, il y a quelques années, de créer des zones pour les grandes et moyennes surfaces (GMS) et des rocades : en l'état des connaissances au jour où ils ont pris leur décision, ils ne pouvaient pas prévoir ce que serait la réalité quelques années plus tard. C'est pourquoi j'ai évoqué, lors de mon intervention liminaire, la nécessité pour les élus de passer par des phases d'acculturation et de travailler régulièrement avec des universitaires et des chercheurs afin de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Pour ce qui est des résistances auxquelles nous nous heurtons, elles sont partout, et ce sont souvent nos concitoyens eux-mêmes qui les manifestent – d'où l'intérêt d'un travail de co-construction qui permet de faire preuve d'imagination dans la recherche de solutions. Nous les rencontrons également au sein des grandes administrations centrales – je pense à l'une d'elles, en particulier, sur laquelle je ne m'étendrai pas. J'ai dit un jour à M. Alain Lambert, président du conseil général de l'Orne, que nous devrions dispenser à ces grandes administrations une formation sur le fonctionnement d'une collectivité territoriale, ce qui leur éviterait peut-être d'avoir des idées toutes faites sur la question. Aujourd'hui, de la fonction publique d'État, on passe à un cabinet ministériel, avant de revenir dans l'administration ou de rejoindre une entreprise privée… J'ai rencontré dernièrement un haut fonctionnaire qui m'a confié que, sur sa promotion de l'ENA, seuls cinq anciens élèves oeuvraient pour le service public : tous les autres ont intégré de grandes entreprises du secteur privé. Si la création d'une École nationale d'administration se justifiait au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on peut se demander si aujourd'hui, on ne pourrait pas se passer de l'ENA et repenser tout le parcours de formation des personnes appelées à contribuer au service public. Cette question, que je pose dans mon rapport, n'est sans doute pas sans réponse, car là où il y a une volonté, il y a un chemin.

Pour ce qui est de la ruralité, j'ai été sollicité, en tant qu'expert et ami, par l'Association Nationale Nouvelles Ruralités (ANNR), mais aussi par l'Union nationale des acteurs et des structures du développement local (UNADEL), et bien d'autres, pour travailler sur ce thème. À l'issue de la réflexion que j'ai menée, j'en suis venu à considérer que l'un des problèmes du monde rural réside dans une économie très spécifique, celle de l'agriculture, bâtie sur un modèle datant d'un demi-siècle. Il est permis de se demander si, aujourd'hui, d'autres choix ne sont pas possibles.

Je travaille actuellement, en collaboration avec les chercheurs de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) de Lyon, sur la question du modèle économique et agricole de demain. Les différentes modélisations que nous avons mises au point aboutissent à des prévisions de créations d'emplois comprises entre 500 000 et 800 000. Quand, en 1977, j'ai été élu maire d'un petit village de 2 500 habitants sur 8 000 hectares, dont 6 000 hectares de terres cultivables, on comptait 510 exploitations agricoles dans ce village : quarante ans plus tard, il n'y en a plus que 55 ! Certes, le secteur agroalimentaire affirme avoir créé des emplois, mais on ne peut s'empêcher de se poser des questions.

Je veux dire à M. Jacques Krabal, qui m'a reproché de rendre mon rapport tardivement, que je pouvais difficilement prendre ma retraite plus tôt. J'en profite pour vous indiquer que j'ai suggéré que tout rapport fasse l'objet d'une réponse adressée au rapporteur par celui qui a commandé le rapport, indiquant ce qu'il en a pensé et quel usage il entend en faire, notamment sur le plan législatif et réglementaire : nul doute que cela se traduirait rapidement par une diminution du nombre de rapports.

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J'ai moi-même posé une question écrite sur le même thème, dont j'attends la réponse.

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Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France

Pour ce qui est de la décentralisation, je me rappelle avoir participé à une expérience consistant à soumettre à un panel de citoyens les mots « décentralisation » et « démocratie ». Avec le premier mot, nous avions obtenu des résultats effrayants, les gens confondant d'ailleurs les notions de décentralisation et de délocalisation ; et ce n'était guère mieux avec le second mot. C'est ce qui me conduit à considérer qu'il faut arrêter de parler de décentralisation : de toute façon, le véritable enjeu auquel nous ayons à faire face est celui de la démocratie locale et territoriale. Ce n'est pas la même chose que de confier des responsabilités à une assemblée d'élus d'une part, à des fonctionnaires d'État d'autre part – si bons soient-ils. Selon un récent sondage, 54 % des Français considèrent que les collectivités devraient être gérées par des experts. Cela rejoint l'idée, avancée par plusieurs grandes entreprises mondiales, selon laquelle on pourrait se passer des États – et pour en revenir au numérique, je suis persuadé que le Parlement va consacrer beaucoup de temps, dans les années à venir, à se demander comment faire en sorte que les évolutions numériques ne portent pas atteinte aux libertés individuelles et collectives.

Bien que la loi NOTRe soit issue des rangs de la formation politique à laquelle j'appartiens, je porte un jugement assez sévère à son égard : comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il s'agit pour moi d'une loi du passé, d'une loi dépassée qui ne constitue pas une réponse à la question « démocratie et décentralisation ». Certes, elle a clarifié certaines compétences, mais ce n'est pas véritablement la loi de progrès que nous attendions en matière de décentralisation et de démocratie locale.

C'est pourquoi je propose, dans mon rapport, un nouveau train de décentralisations s'inscrivant dans la philosophie de la loi du 2 mars 1982. Il convient en effet de s'interroger au sujet des compétences de l'État, dont on peut légitimement considérer qu'elles seraient plus efficientes si elles passaient sous l'autorité de collectivités territoriales. En allant au bout de ce questionnement, on pourrait aller jusqu'à se demander si, à l'instar des collèges et des lycées, l'enseignement supérieur et les grandes écoles ne pourraient faire partie des compétences de l'État ayant vocation à être transférées aux collectivités territoriales ; il en est de même en matière de santé et de service public de l'emploi – ce dernier pouvant se trouver sous la double autorité de l'État d'une part, de l'exécutif régional d'autre part ; enfin, je vais jusqu'à poser la question pour la sécurité civile des grandes collectivités – pas la gendarmerie, mais la police.

Vous vous demandez sans doute si, en formulant de telles propositions, je ne crains pas de passer pour un aimable excentrique. La réponse est non, car je ne fais que répondre à la question qui m'a été posée et donne son titre à mon rapport : « Une nouvelle ambition territoriale pour la France en Europe ». Je me suis rendu un peu partout en Europe pour rédiger ce rapport, et je suis au regret de vous annoncer que notre pays figure à la dix-huitième place sur vingt-huit au classement des pays les plus décentralisés – un classement établi en fonction du poids financier mobilisé par les collectivités territoriales dans l'Union européenne par rapport aux prélèvements publics pratiqués par chaque État. En France, les dotations de l'État ne représentent que 22 % du budget des collectivités, c'est-à-dire 56 milliards sur les 250 milliards de leur budget total. L'État occupant la première place du classement est le Danemark, à 67 % : certes, il s'agit d'un assez petit pays, mais les six pays les plus peuplés d'Europe autres que la France, notamment le Royaume-Uni et l'Allemagne, sont tous mieux classés que nous ! En y regardant de plus près, on s'aperçoit que ces pays, pour lesquels les dotations de l'État s'établissent aux alentours de 40 % du budget de leurs collectivités territoriales, vont beaucoup plus loin que nous en matière de décentralisation : ainsi certains ont-ils confié la gestion des enseignants, ou la santé, aux collectivités territoriales. Nombre de grandes villes européennes sont même compétentes en matière de police : sur ce point, pourquoi notre héritage républicain devrait-il nous empêcher d'entrer dans le XXIème siècle et de faire ce que d'autres pays ont fait avant nous ?

M. Alain Calmette m'a interrogé au sujet de l'enclavement. On m'a récemment invité, en tant que grand témoin, aux 4èmes Assises de la Médiation numérique, à Mende. J'ai mis sept heures à rejoindre la préfecture de Lozère : trois heures après avoir pris le train à Bercy, je suis arrivé à Clermont-Ferrand, où j'ai pris le bus pour un trajet de trois heures et demie – parti à dix-huit heures, je suis arrivé à une heure du matin ! Je précise qu'aucune autoroute ne dessert Mende puisque, comme vous le savez, il a été décidé dans les années 1970 que l'A75 devait passer par le Massif Central et par La Canourgue plutôt que par Mende… Moi qui ai sillonné la France en tous sens, je connais peu de territoires – à l'exception du Cantal, peut-être – qui soient aussi enclavés que la Lozère.

Le président Jean-Paul Chanteguet se demande s'il faut encore que l'État intervienne en matière d'aménagement du territoire. La loi nouvelle dit que cette mission est placée sous l'autorité des régions, avec les schémas régionaux. Nous aurions pu considérer que l'État ne conservait comme attribution dans ce domaine que la réalisation des grandes infrastructures telles que le TGV ou les réseaux d'énergie, et nous arrêter là. Cela dit, donner toutes les responsabilités aux conseils régionaux ne résout sans doute pas tous les problèmes, car la région est un territoire géographique que nous avons en partage avec d'autres acteurs publics.

En tout état de cause, il ne faut pas négliger le risque de jacobinisme. Si, dans les années 1980, nous avons réussi la décentralisation, c'est parce que l'État français n'avait pas réussi la déconcentration administrative : certes, c'est la gauche qui a enclenché ce mouvement historique mais, bien avant, nombre de personnalités de droite comme de gauche avaient théorisé sur la question – je pense notamment à Olivier Guichard et à son rapport « Vivre ensemble » de 1976, qui préfigurait les lois de décentralisation à venir. Aujourd'hui, toutes les régions de France se trouvent confrontées à une tâche gigantesque qui va leur demander des années, et elles doivent se garder de ne pas devenir elles-mêmes jacobines. Quand vous voyez, par exemple, que la région Grand Est, dont le chef-lieu est Strasbourg, s'étend jusqu'à l'ancienne région Champagne-Ardenne, vous prenez conscience du fait que les nouvelles régions sont très vastes et rassemblent des territoires ayant chacun une histoire et une culture différente. Aujourd'hui, les régions sont des nains politiques et financiers et, si nous voulons leur donner les moyens d'agir, l'État centralisé depuis des siècles doit accepter de donner des responsabilités aux conseils régionaux.

Certains de mes amis, qui partagent mes convictions politiques, me reprochent d'exprimer une position qui, selon eux, équivaut à un abandon du pouvoir au profit de nos adversaires. Peut-être, mais en démocratie, il faut accepter l'alternance, et si on n'agissait que de manière à permettre à telle ou telle majorité de garder le pouvoir, on n'avancerait guère ! Nous ne devons être guidés que par la volonté de servir l'intérêt général, de rechercher le bien commun. Au demeurant, lors des auditions auxquelles j'ai procédé, j'ai souvent eu le sentiment que mes interlocuteurs s'exprimaient librement, sans que leur parole soit déformée par leur appartenance à un camp politique : le combat de la ruralité rassemble bien au-delà du clivage droite-gauche.

J'ai eu l'occasion de rencontrer des fonctionnaires de Bruxelles, mais aussi des fonctionnaires français, qui m'ont souvent semblé assez sensibles à la question de la fracture démocratique et de leur éloignement par rapport aux décisions qu'ils prennent au sujet des territoires. Pour ce qui est des fonctionnaires de Bruxelles, ils estiment que les Français ont appliqué le principe de subsidiarité uniquement de haut en bas, et non dans les quatre sens – de haut en bas, de bas en haut et, horizontalement, c'est-à-dire entre les collectivités territoriales elles-mêmes.

Sommes-nous tenus de faire la même chose en région Île-de-France, en Occitanie et Bretagne ? Je considère pour ma part que nous devons accepter la différenciation et donner une large capacité d'auto-administration aux collectivités territoriales, à leurs élus et citoyens, pour aller beaucoup plus loin.

Pour ce qui est de l'évolution de la décentralisation et du pouvoir réglementaire, à partir du moment où l'on va jusqu'au bout de ce que l'on peut transférer, on en vient forcément à la question du pouvoir réglementaire. Or, accorder un pouvoir réglementaire à une collectivité, par exemple à la région, c'est déjà entrer dans un système fédéral – auquel je suis favorable. L'exemple de l'Assemblée de Corse et des assemblées locales dont sont dotées les collectivités d'outre-mer me paraît très intéressant, et sans doute pourrions-nous engager une réflexion sur un système similaire, où une distinction serait faite entre ce qui relève du délibératif et ce qui relève du législatif.

L'idée consistant à doter les collectivités territoriales d'une loi de finances n'est pas nouvelle, c'est un projet que j'ai déjà exposé – avec d'autres, puisque je faisais partie d'une délégation – au Président de la République le 22 octobre 2012. Il s'est alors tourné vers son Premier ministre en disant qu'il s'agissait là d'une idée intéressante, qu'il conviendrait d'étudier. Siégeant, comme membre désigné par l'Assemblée nationale et son président, au Conseil supérieur de la Cour des comptes, je sais que la Cour des comptes affirme régulièrement, dans ses rapports, qu'il faudra un jour une loi de finances des collectivités territoriales, c'est pourquoi je pense que cette idée finira par s'imposer un jour.

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Les hauts fonctionnaires n'en veulent pas : à la Direction générale des collectivités locales, une seule personne connaît tout le dispositif !

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Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France

Les résistances sont là.

Mme Sophie Rohfritsch a parlé du biopôle de Colmar. Dès lors que l'on donne des libertés et des responsabilités au niveau régional, il faut procéder à une application régionalisée des textes, c'est pourquoi je remets en perspective la notion de contrat, qui me paraît déterminante. Le monde économique français est composé à 97 % de PME, qui représentent 85 % des salariés et 40 % de la valeur ajoutée. J'avance donc l'idée de la contractualisation entre les collectivités et les entreprises dans les territoires, basée sur le constat que nous avons des droits et des devoirs envers nos entreprises : si les entreprises ont des besoins, par exemple en termes d'infrastructures ou d'accès au numérique, elles ne peuvent se dédouaner de leur propre fonction sociale au sein du territoire.

Je précise qu'il appartient à chaque collectivité de se saisir des facultés qui lui sont offertes. Je me souviens qu'une dame m'a un jour félicité pour l'action des Côtes-d'Armor en matière de maisons de retraite, qu'elle estimait plus efficace que celle d'un département voisin : j'ai dû lui répondre que le fait qu'il puisse y avoir des différences d'un département à l'autre n'est rien d'autre que l'effet de la décentralisation – de même, en matière de restauration scolaire, les collectivités locales peuvent opter pour le système de la délégation de service public, pour le service privé ou la régie – et il appartient à chaque citoyen de se mobiliser pour faire changer les choses si elles ne lui conviennent pas.

Je propose également quelques avancées relatives au fonctionnement du Sénat. Le nombre incalculable d'associations d'élus nuit à l'efficacité de la défense de leurs intérêts, et la restriction du cumul des mandats a pour effet de mettre en exergue ce que j'appelle le pouvoir territorial. Ne siégeant plus au Sénat, les élus des collectivités vont perdre le pouvoir législatif et réglementaire. S'ils étaient dotés d'un Conseil des collectivités de France, créé sur le modèle du Comité des régions de l'Union européenne, ils s'organiseraient comme ils l'entendent en fixant leur nombre, leur mode de désignation et les règles de fonctionnement démocratique de leur instance dirigée par une présidente ou un président pour un mandat de trois ans. Un dialogue permanent pourrait s'engager entre le Conseil des collectivités de France et un vice-Premier ministre en charge des territoires qui, du fait de ses attributions, aurait vocation à jouer le rôle d'interface entre ce conseil d'une part, le Gouvernement et les administrations centrales d'autre part. Une telle organisation serait le gage de relations apaisées, faisant fi des alternances politiques et permettant de travailler plus efficacement au service de l'intérêt général – on pourra me reprocher d'être un rêveur, mais en politique il faut bien avoir un idéal.

Par ailleurs, au niveau national, il n'existe pas de véritable lieu de dialogue autonome entre le monde des collectivités et le monde économique. Certes, certains élus siègent au Conseil économique, social et environnemental (CESE) mais ils le font le plus souvent en tant que personnalités qualifiées. Je recommande donc que le collège des quarante personnalités qualifiées soit supprimé et remplacé par un nouveau collège des élus locaux, désignés par le Conseil des collectivités de France en lien avec les associations d'élus. Outre qu'elle mettrait fin à un système s'apparentant à celui d'une monarchie constitutionnelle, cette solution permettrait également au monde des collectivités de dialoguer avec le monde économique et social au sein d'une assemblée.

J'ai rencontré des membres de la Coordination nationale des conseils de développement (CNCD), ainsi que du CESE, qui sont bien conscients du fait que, s'ils rédigent de beaux rapports, ils ne participent pas pour autant à l'élaboration de la loi. Cela me conduit à suggérer que le Sénat puisse être remplacé par une assemblée qui ne représenterait plus les territoires de France, mais la société civile – dont les membres seraient désignés selon des modalités restant à définir. S'il m'arrive de lire que pour faire des économies, il faudrait réduire le nombre de députés à 400 et le nombre de sénateurs à 150, je n'ai jamais entendu personne se demander à quoi sert le Parlement. Or, à mon sens, toute réforme éventuelle de nos institutions doit partir d'une réflexion portant sur le rôle et l'action des assemblées, surtout si nous voulons éviter de faire la part belle aux populistes.

Les villes moyennes sont en souffrance, avec un centre-ville manquant de vitalité – on ne compte plus les fermetures de commerces –, tandis que les zones périurbaines sont plus dynamiques, en dépit de la présence d'aires marquées par une certaine ségrégation sociale. La situation actuelle ne trouve pas ses causes que dans l'urbanisme, mais aussi dans les nouvelles habitudes de consommation, en particulier l'achat en ligne : la plupart des jeunes commandent tout sur internet. Nous-mêmes, qui sommes particulièrement conscients du problème, ne sommes pas exempts de tout reproche : j'avoue que je réserve souvent mes billets de train en ligne, même si je fais aussi parfois l'effort de me rendre au guichet pour soutenir le service public.

Avant même de parler de la révolution numérique, il y a déjà beaucoup à faire pour réformer nos administrations, qui sont toutes conçues sur un modèle strictement vertical, mal adapté à la complexité du monde actuel. Je suis un adepte du télétravail et du travail à distance, consistant à créer des espaces de travail où des fonctionnaires peuvent venir passer une journée plutôt que de se rendre au siège de la collectivité qui les emploie. M. Paul Molac demandait tout à l'heure où se situent les résistances : pour moi, elles se trouvent avant tout au sein des administrations elles-mêmes. La mise en place du télétravail dans mon département a donné lieu à de telles réticences qu'il nous a fallu quatre ans et demi y parvenir, en passant par une étape d'expérimentation – un procédé qui facilite souvent l'acceptation. Sur les trente-huit personnes ayant répondu au premier appel à candidatures, cinq ont renoncé au bout d'une semaine, réalisant que travailler à domicile nécessite de s'imposer une discipline personnelle et une organisation très rigoureuses ; 138 volontaires ont cependant répondu au deuxième appel à candidatures, et 250 au troisième, ce qui montre bien que les mentalités évoluent tout de même assez rapidement.

Le fait de numériser les administrations va se traduire par des suppressions d'emplois. Toute la question est de savoir comment nous allons utiliser le temps ainsi libéré. Pour ma part, j'estime qu'il serait intéressant d'envisager une approche plus humaine du service public, en permettant aux agents en contact avec les usagers de passer un peu plus de temps à les écouter exprimer leurs préoccupations, leurs difficultés, parfois leurs souffrances.

À l'inverse, la fermeture d'une perception rurale, qui n'a presque plus d'usagers, ne me paraît pas anormale, surtout quand les nouvelles technologies, telle la visioconférence, permettent d'assurer une présence plus consistante, et surtout d'un accès plus facile, que les services actuellement assurés au moyen du téléphone : la dernière fois que j'ai voulu joindre une administration de cette manière, il m'a d'abord fallu franchir le barrage des choix à exprimer en tapant sur diverses touches, puis attendre quarante-sept minutes avant d'être mis en relation avec un téléconseiller – ce qui a fait dire à ma femme que je venais de découvrir la vraie vie ! Avec la visioconférence, les choses seraient bien plus faciles : après avoir pris rendez-vous par courriel, tout usager pourrait dialoguer avec un fonctionnaire sans attente inutile, et comme s'il se trouvait en face de lui.

Cela dit, le numérique gomme toutes les frontières administratives de la commune, du département et de la région, ce qui n'est pas sans poser quelques questions en termes d'organisation. Nous avons intérêt à régler ces questions sans tarder car, à défaut, d'autres risquent de le faire pour nous, et ce ne sera sans doute pas dans l'intérêt des usagers : presque toutes les applications de nos smartphones viennent du secteur privé, ce qui n'est pas un mal en soi, mais doit cependant nous alerter. Lors de l'élaboration du contrat de plan État-régions, j'ai été consterné de voir que la question des déplacements était abordée comme elle l'était au siècle dernier – j'ai d'ailleurs provoqué un certain affolement quand j'ai évoqué les possibilités offertes par BlaBlaCar, que le préfet lui-même ne semblait pas connaître.

Pour en revenir à la question du président Jean-Paul Chanteguet, je me bornerai à dire que l'État doit rester humble et modeste en sa représentation, et être au rendez-vous de ses responsabilités, qui consistent avant tout à garantir l'égalité citoyenne, républicaine et territoriale – il y a encore beaucoup à faire en la matière, notamment en ce qui concerne les transports et déplacements. Pour ce qui est du développement économique et de l'aménagement du territoire, nous devons apprendre à faire confiance aux régions, aux départements et aux intercommunalités, voire aux communes.

Je souligne au passage qu'avec les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), dont j'ai encouragé, auprès de Mme Marylise Lebranchu, la création dans les régions, on a institué une forme de bicamérisme.

Pour répondre au maire de Courbevoie, M. Jacques Kossowski, je dirai que je pars du principe que nous devons construire une société de l'engagement : dans les dix années à venir, nous devons faire en sorte que chaque citoyen se sente beaucoup plus incité à s'engager dans sa vie personnelle ou au sein de son entreprise. Dans la perspective d'une future loi, nous devons engager le plus rapidement possible une réflexion sur les conditions d'exercice des mandats locaux. L'objectif est de permettre aux élus de mettre leur activité professionnelle entre parenthèses pour exercer leur mandat à plein-temps.

Lorsque M. Jean-Paul Delevoye était ministre de la fonction publique et de l'aménagement du territoire, j'avais appelé son attention sur les écarts d'indemnité entre les élus des grandes villes et ceux des départements et régions, qui pouvaient atteindre 25 % – au moins avait-il aligné ces indemnités sur celles des élus des villes de plus de 100 000 habitants. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, il n'est pas facile d'aborder cette question. Nous devons insister sur le fait que les élus ne constituent pas une caste à part : ils sont avant tout des citoyens qui se sont vu confier des responsabilités et qui, dès lors, doivent disposer des moyens de les assumer.

De même, les présidents des grandes fédérations nationales ne perçoivent actuellement aucune indemnité, à l'exception des présidents d'associations sportives, qui peuvent toucher le SMIC. Ne croyez-vous pas que le président de la Fédération française de volley-ball se trouve dans une situation un peu compliquée, s'il est obligé d'exercer une activité rémunérée en plus de son mandat ?

Aujourd'hui, l'élu qui se trouve à la tête d'une administration de 2 000 ou 3 000 fonctionnaires perçoit une indemnité insignifiante par rapport au dirigeant d'une entreprise employant le même nombre de personnes. Les élus doivent être considérés comme des cadres supérieurs et être rémunérés en conséquence – dans les limites du raisonnable, bien sûr. En Suisse, les élus continuent à percevoir leur salaire, l'État se chargeant de rembourser leur employeur ou leur administration. Le seul défaut de ce système, c'est qu'un maire, par exemple, n'est pas indemnisé de la même manière selon qu'il est ouvrier ou cadre supérieur. Il me semble que nous pourrions tout de même nous inspirer d'un tel dispositif, en mettant en place un mécanisme de pondération pour remédier au défaut que je viens d'évoquer.

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Au nom de notre Commission, je vous remercie d'être venu nous présenter votre rapport d'une très grande qualité.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 14 décembre 2016 à 9 h 45

Présents. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Jean-Pierre Blazy, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Pascal Thévenot, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Weiten

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, Mme Chantal Berthelot, Mme Marine Brenier, Mme Florence Delaunay, M. Julien Dive, M. David Douillet, M. Yannick Favennec, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Patrick Lebreton, Mme Marie Le Vern, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Paul Molac