Intervention de Claudy Lebreton

Réunion du 14 décembre 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Claudy Lebreton, président d'honneur de l'Assemblée des départements de France :

Les résistances sont là.

Mme Sophie Rohfritsch a parlé du biopôle de Colmar. Dès lors que l'on donne des libertés et des responsabilités au niveau régional, il faut procéder à une application régionalisée des textes, c'est pourquoi je remets en perspective la notion de contrat, qui me paraît déterminante. Le monde économique français est composé à 97 % de PME, qui représentent 85 % des salariés et 40 % de la valeur ajoutée. J'avance donc l'idée de la contractualisation entre les collectivités et les entreprises dans les territoires, basée sur le constat que nous avons des droits et des devoirs envers nos entreprises : si les entreprises ont des besoins, par exemple en termes d'infrastructures ou d'accès au numérique, elles ne peuvent se dédouaner de leur propre fonction sociale au sein du territoire.

Je précise qu'il appartient à chaque collectivité de se saisir des facultés qui lui sont offertes. Je me souviens qu'une dame m'a un jour félicité pour l'action des Côtes-d'Armor en matière de maisons de retraite, qu'elle estimait plus efficace que celle d'un département voisin : j'ai dû lui répondre que le fait qu'il puisse y avoir des différences d'un département à l'autre n'est rien d'autre que l'effet de la décentralisation – de même, en matière de restauration scolaire, les collectivités locales peuvent opter pour le système de la délégation de service public, pour le service privé ou la régie – et il appartient à chaque citoyen de se mobiliser pour faire changer les choses si elles ne lui conviennent pas.

Je propose également quelques avancées relatives au fonctionnement du Sénat. Le nombre incalculable d'associations d'élus nuit à l'efficacité de la défense de leurs intérêts, et la restriction du cumul des mandats a pour effet de mettre en exergue ce que j'appelle le pouvoir territorial. Ne siégeant plus au Sénat, les élus des collectivités vont perdre le pouvoir législatif et réglementaire. S'ils étaient dotés d'un Conseil des collectivités de France, créé sur le modèle du Comité des régions de l'Union européenne, ils s'organiseraient comme ils l'entendent en fixant leur nombre, leur mode de désignation et les règles de fonctionnement démocratique de leur instance dirigée par une présidente ou un président pour un mandat de trois ans. Un dialogue permanent pourrait s'engager entre le Conseil des collectivités de France et un vice-Premier ministre en charge des territoires qui, du fait de ses attributions, aurait vocation à jouer le rôle d'interface entre ce conseil d'une part, le Gouvernement et les administrations centrales d'autre part. Une telle organisation serait le gage de relations apaisées, faisant fi des alternances politiques et permettant de travailler plus efficacement au service de l'intérêt général – on pourra me reprocher d'être un rêveur, mais en politique il faut bien avoir un idéal.

Par ailleurs, au niveau national, il n'existe pas de véritable lieu de dialogue autonome entre le monde des collectivités et le monde économique. Certes, certains élus siègent au Conseil économique, social et environnemental (CESE) mais ils le font le plus souvent en tant que personnalités qualifiées. Je recommande donc que le collège des quarante personnalités qualifiées soit supprimé et remplacé par un nouveau collège des élus locaux, désignés par le Conseil des collectivités de France en lien avec les associations d'élus. Outre qu'elle mettrait fin à un système s'apparentant à celui d'une monarchie constitutionnelle, cette solution permettrait également au monde des collectivités de dialoguer avec le monde économique et social au sein d'une assemblée.

J'ai rencontré des membres de la Coordination nationale des conseils de développement (CNCD), ainsi que du CESE, qui sont bien conscients du fait que, s'ils rédigent de beaux rapports, ils ne participent pas pour autant à l'élaboration de la loi. Cela me conduit à suggérer que le Sénat puisse être remplacé par une assemblée qui ne représenterait plus les territoires de France, mais la société civile – dont les membres seraient désignés selon des modalités restant à définir. S'il m'arrive de lire que pour faire des économies, il faudrait réduire le nombre de députés à 400 et le nombre de sénateurs à 150, je n'ai jamais entendu personne se demander à quoi sert le Parlement. Or, à mon sens, toute réforme éventuelle de nos institutions doit partir d'une réflexion portant sur le rôle et l'action des assemblées, surtout si nous voulons éviter de faire la part belle aux populistes.

Les villes moyennes sont en souffrance, avec un centre-ville manquant de vitalité – on ne compte plus les fermetures de commerces –, tandis que les zones périurbaines sont plus dynamiques, en dépit de la présence d'aires marquées par une certaine ségrégation sociale. La situation actuelle ne trouve pas ses causes que dans l'urbanisme, mais aussi dans les nouvelles habitudes de consommation, en particulier l'achat en ligne : la plupart des jeunes commandent tout sur internet. Nous-mêmes, qui sommes particulièrement conscients du problème, ne sommes pas exempts de tout reproche : j'avoue que je réserve souvent mes billets de train en ligne, même si je fais aussi parfois l'effort de me rendre au guichet pour soutenir le service public.

Avant même de parler de la révolution numérique, il y a déjà beaucoup à faire pour réformer nos administrations, qui sont toutes conçues sur un modèle strictement vertical, mal adapté à la complexité du monde actuel. Je suis un adepte du télétravail et du travail à distance, consistant à créer des espaces de travail où des fonctionnaires peuvent venir passer une journée plutôt que de se rendre au siège de la collectivité qui les emploie. M. Paul Molac demandait tout à l'heure où se situent les résistances : pour moi, elles se trouvent avant tout au sein des administrations elles-mêmes. La mise en place du télétravail dans mon département a donné lieu à de telles réticences qu'il nous a fallu quatre ans et demi y parvenir, en passant par une étape d'expérimentation – un procédé qui facilite souvent l'acceptation. Sur les trente-huit personnes ayant répondu au premier appel à candidatures, cinq ont renoncé au bout d'une semaine, réalisant que travailler à domicile nécessite de s'imposer une discipline personnelle et une organisation très rigoureuses ; 138 volontaires ont cependant répondu au deuxième appel à candidatures, et 250 au troisième, ce qui montre bien que les mentalités évoluent tout de même assez rapidement.

Le fait de numériser les administrations va se traduire par des suppressions d'emplois. Toute la question est de savoir comment nous allons utiliser le temps ainsi libéré. Pour ma part, j'estime qu'il serait intéressant d'envisager une approche plus humaine du service public, en permettant aux agents en contact avec les usagers de passer un peu plus de temps à les écouter exprimer leurs préoccupations, leurs difficultés, parfois leurs souffrances.

À l'inverse, la fermeture d'une perception rurale, qui n'a presque plus d'usagers, ne me paraît pas anormale, surtout quand les nouvelles technologies, telle la visioconférence, permettent d'assurer une présence plus consistante, et surtout d'un accès plus facile, que les services actuellement assurés au moyen du téléphone : la dernière fois que j'ai voulu joindre une administration de cette manière, il m'a d'abord fallu franchir le barrage des choix à exprimer en tapant sur diverses touches, puis attendre quarante-sept minutes avant d'être mis en relation avec un téléconseiller – ce qui a fait dire à ma femme que je venais de découvrir la vraie vie ! Avec la visioconférence, les choses seraient bien plus faciles : après avoir pris rendez-vous par courriel, tout usager pourrait dialoguer avec un fonctionnaire sans attente inutile, et comme s'il se trouvait en face de lui.

Cela dit, le numérique gomme toutes les frontières administratives de la commune, du département et de la région, ce qui n'est pas sans poser quelques questions en termes d'organisation. Nous avons intérêt à régler ces questions sans tarder car, à défaut, d'autres risquent de le faire pour nous, et ce ne sera sans doute pas dans l'intérêt des usagers : presque toutes les applications de nos smartphones viennent du secteur privé, ce qui n'est pas un mal en soi, mais doit cependant nous alerter. Lors de l'élaboration du contrat de plan État-régions, j'ai été consterné de voir que la question des déplacements était abordée comme elle l'était au siècle dernier – j'ai d'ailleurs provoqué un certain affolement quand j'ai évoqué les possibilités offertes par BlaBlaCar, que le préfet lui-même ne semblait pas connaître.

Pour en revenir à la question du président Jean-Paul Chanteguet, je me bornerai à dire que l'État doit rester humble et modeste en sa représentation, et être au rendez-vous de ses responsabilités, qui consistent avant tout à garantir l'égalité citoyenne, républicaine et territoriale – il y a encore beaucoup à faire en la matière, notamment en ce qui concerne les transports et déplacements. Pour ce qui est du développement économique et de l'aménagement du territoire, nous devons apprendre à faire confiance aux régions, aux départements et aux intercommunalités, voire aux communes.

Je souligne au passage qu'avec les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), dont j'ai encouragé, auprès de Mme Marylise Lebranchu, la création dans les régions, on a institué une forme de bicamérisme.

Pour répondre au maire de Courbevoie, M. Jacques Kossowski, je dirai que je pars du principe que nous devons construire une société de l'engagement : dans les dix années à venir, nous devons faire en sorte que chaque citoyen se sente beaucoup plus incité à s'engager dans sa vie personnelle ou au sein de son entreprise. Dans la perspective d'une future loi, nous devons engager le plus rapidement possible une réflexion sur les conditions d'exercice des mandats locaux. L'objectif est de permettre aux élus de mettre leur activité professionnelle entre parenthèses pour exercer leur mandat à plein-temps.

Lorsque M. Jean-Paul Delevoye était ministre de la fonction publique et de l'aménagement du territoire, j'avais appelé son attention sur les écarts d'indemnité entre les élus des grandes villes et ceux des départements et régions, qui pouvaient atteindre 25 % – au moins avait-il aligné ces indemnités sur celles des élus des villes de plus de 100 000 habitants. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, il n'est pas facile d'aborder cette question. Nous devons insister sur le fait que les élus ne constituent pas une caste à part : ils sont avant tout des citoyens qui se sont vu confier des responsabilités et qui, dès lors, doivent disposer des moyens de les assumer.

De même, les présidents des grandes fédérations nationales ne perçoivent actuellement aucune indemnité, à l'exception des présidents d'associations sportives, qui peuvent toucher le SMIC. Ne croyez-vous pas que le président de la Fédération française de volley-ball se trouve dans une situation un peu compliquée, s'il est obligé d'exercer une activité rémunérée en plus de son mandat ?

Aujourd'hui, l'élu qui se trouve à la tête d'une administration de 2 000 ou 3 000 fonctionnaires perçoit une indemnité insignifiante par rapport au dirigeant d'une entreprise employant le même nombre de personnes. Les élus doivent être considérés comme des cadres supérieurs et être rémunérés en conséquence – dans les limites du raisonnable, bien sûr. En Suisse, les élus continuent à percevoir leur salaire, l'État se chargeant de rembourser leur employeur ou leur administration. Le seul défaut de ce système, c'est qu'un maire, par exemple, n'est pas indemnisé de la même manière selon qu'il est ouvrier ou cadre supérieur. Il me semble que nous pourrions tout de même nous inspirer d'un tel dispositif, en mettant en place un mécanisme de pondération pour remédier au défaut que je viens d'évoquer.

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