Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, madame la rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, l’avenir de notre pays, sa prospérité, sa capacité à innover, dans un monde où les changements sont nombreux, passent forcément par l’enseignement supérieur et la recherche. C’est un enjeu essentiel pour la France, l’Europe et le monde. D’ailleurs, si l’on regarde la situation des autres pays, que voit-on ? Partout, le niveau de qualification ne cesse de s’élever, et c’est une dynamique dans laquelle sont engagés des pays aussi différents que la Corée du Sud, le Brésil, les États-Unis ou l’Inde.
Nous sommes engagés, en France, avec détermination, dans le même processus. C’est un défi que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant la représentation nationale et que je résume souvent à travers cette expression : la « démocratisation exigeante » de notre enseignement supérieur. Oui, nous avons besoin d’une jeunesse formée, éduquée, instruite, qui poursuive ses études pour acquérir les connaissances et les compétences qui lui seront nécessaires dans le monde d’aujourd’hui et, davantage encore, dans le monde de demain. Cela sera nécessaire aux jeunes à la fois en tant que personnes, en tant que citoyens et en tant que professionnels, car toutes ces dimensions sont en jeu dans les études.
Cela exige, de la part des pouvoirs publics, une adaptation, une exigence et un sens des responsabilités qui sont aujourd’hui au coeur d’une politique éducative ambitieuse, visant, je le rappelle, à atteindre 60 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur et 25 % au niveau master. Nous en avons besoin aussi bien pour assurer la croissance économique de notre pays et répondre aux besoins de nos entreprises, que pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.
C’est dans cette politique ambitieuse que vient s’inscrire la proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, soumise cet après-midi à votre examen, puis à votre vote.
Les dispositions de cette proposition de loi mettent d’abord un terme à une situation intenable, ubuesque, qui avait été pendant trop longtemps tolérée et à laquelle il était urgent de remédier. Cette situation est apparue dans le cadre du processus de Bologne, qui, pour favoriser la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur, a donné lieu, en France, en 2002, à la réforme dite « LMD », licence-master-doctorat.
Avant cette réforme, le système universitaire français avait une singularité : il était fondé sur une rupture entre le niveau maîtrise et le niveau DEA ou DESS – diplôme d’études approfondies ou diplôme d’études supérieures spécialisées ; une année venait conclure, par le diplôme de la maîtrise, un cycle d’études, après quoi l’étudiant entrait dans un nouveau cycle conduisant, au bout d’un an, au DESS ou au DEA – ce dernier constituant une étape préparant au doctorat.
Cette singularité, la réforme LMD, dans les textes, y a mis fin. Cependant, dans les faits, on a trop souvent continué à établir une distinction entre ces deux années, ce qui n’a aucun sens dans le cadre d’un cycle, en l’occurrence celui du master. Aujourd’hui subsiste donc une logique souterraine, héritée de l’ancien système et qui s’est installée dans le nouveau. Cela ne va pas sans poser de nombreux problèmes, à commencer par une hétérogénéité de situations, contraire à la dimension nationale du diplôme du master. Concrètement, dans certains cas, on a une formation complète sur quatre semestres, conforme au cadre posé par le processus de Bologne, tandis que, dans d’autres cas, demeure une procédure sélective à l’entrée du M2 – la deuxième année de master –, héritage de l’accès limité qui existait naguère à l’entrée des DEA et des DESS.
Une telle situation, vous en conviendrez, ne peut nous satisfaire, pour bien des raisons. D’abord, elle est contraire à la règle de l’indivisibilité des quatre semestres du master : seule la validation des deux premiers semestres doit conditionner le passage en seconde année – qui n’a rien d’automatique mais obéit à des règles claires. Ensuite, cette situation étrange, hybride, entraîne le redoublement de la première année de master par des étudiants qui l’ont pourtant validée mais ne sont pas autorisés à poursuivre le cursus et ne peuvent donc obtenir le diplôme de master. C’est non seulement contraire à la logique la plus élémentaire mais c’est aussi profondément injuste – tellement injuste que cela a conduit à des contentieux récurrents devant les tribunaux. Cela a été, pour les requérants comme pour les établissements mis en cause, une source d’instabilité et de problèmes, devant lesquels l’action s’imposait.
À la suite de l’avis rendu par le Conseil d’État en février de cette année, Thierry Mandon et moi-même avons décidé de sécuriser la rentrée universitaire 2016-2017. C’est la raison pour laquelle nous avons fait publier, le 25 mai 2016, un décret relatif au diplôme national de master, qui a permis de sécuriser juridiquement les procédures d’admission à l’entrée du M2 pratiquées par certaines universités. Toutefois, une telle solution, si elle a sécurisé une rentrée universitaire, n’a en rien permis de résoudre le problème originel de 2002, à savoir la survivance de l’ancien système dans le nouveau. C’est pourquoi nous avons souhaité conduire une large concertation, menée de mai à fin septembre, avec l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire, pour trouver enfin ensemble une solution satisfaisante et en finir avec une situation qui traîne depuis quatorze ans.
Le 4 octobre 2016, nous avons abouti à une position commune, entre le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et les principales organisations représentant les étudiants – l’UNEF, Union nationale des étudiants de France, la FAGE, Fédération des associations générales étudiantes, et PDE, Promotion et défense des étudiants –, les enseignants et personnels – le SNESUP-FSU, Syndicat national de l’enseignement supérieur, le SGEN-CFDT, Syndicat général de l’éducation nationale, Sup’Recherche-UNSA et le SNPTES, Syndicat national du personnel technique de l’enseignement supérieur et de la recherche – et les établissements d’enseignement supérieur – la CPU, Conférence des présidents d’université, et la CDEFI, Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. Un tel consensus est, à bien des égards, historique, et je veux saluer le sens des responsabilités de ces organisations, qui ont pleinement mesuré l’importance de trouver ce compromis. Cette position commune a ensuite été approuvée à une très large majorité par le CNESER – le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche – le 17 octobre 2016. C’est cet accord que vient traduire la présente proposition de loi, telle qu’issue des travaux des sénateurs de gauche et de droite.
Cette proposition de loi résulte donc d’un exercice assez original : elle est le fruit d’une co-construction de l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire. Les objectifs du texte sont clairs ; ils répondent aux attentes de l’ensemble de la communauté universitaire. Grâce à lui, nous aurons enfin une offre de formation en master qui se déroulera pleinement sur deux années, avec la suppression de la barrière sélective qui existait parfois entre le M1 et le M2. Nous remédierons ainsi aux inconvénients provoqués par la situation que j’ai rappelée, tant pour les universités que pour les étudiants. Nous donnerons enfin aux étudiants un horizon clair. Car comment se projeter dans un cursus exigeant sur deux ans si, en définitive, on ne sait pas réellement ce qui va se passer au terme de la première année ? Par cette proposition de loi, nous voulons assurer un cursus sécurisé, comportant un recrutement au début de la première année de master, sur des critères objectifs, connus de tous, mettant donc fin aux inégalités qui prospéraient sur les non-dits et la confusion.
En théorie, en effet, la sélection n’était jusqu’à présent pas pratiquée à l’entrée du master. Toutefois, dans les faits, de nombreuses universités étaient conduites à contourner ces règles, créant un système pénalisant les plus faibles, ceux qui ne maîtrisaient pas les codes implicites et qui, de ce fait, se retrouvaient dans des situations difficiles sans même en connaître les raisons.
Avec cette proposition de loi, enfin, les universités pourront désormais fixer des capacités d’accueil, après un dialogue avec le recteur, et subordonner l’admission en première année de master au succès à un concours ou à un examen du dossier du candidat. Cela donnera lieu à un recrutement fondé sur des critères transparents, objectifs, afin de vérifier le niveau pédagogique ou le projet professionnel de l’étudiant. Les réponses aux candidatures devront être motivées et communiquées aux candidats.
Oui, nous voulons que nos universités puissent recruter à l’entrée du master. Cela ne doit pas pour autant se faire dans une logique d’exclusion, mais en offrant parallèlement à tous les étudiants qui le souhaitent un droit à la poursuite d’études. Tout étudiant titulaire du diplôme national de licence qui n’aura pas reçu de réponse positive à sa demande d’admission en première année de master se verra assurer une inscription dans un autre cursus. Dans le cas où cette poursuite d’études s’accompagnerait d’une mobilité géographique, un dispositif d’aide à la mobilité mis en place par l’État viendra compenser ce qui est trop souvent vécu comme une sélection sociale et assurera une prise en charge de chaque étudiant, quel que soit son parcours de vie et d’études.
La proposition de loi relative au master permettra donc aux universités de mettre en place un recrutement à l’entrée de la première année du master, tout en garantissant au titulaire d’un diplôme national de licence un droit à la poursuite d’études dans un cursus conduisant au diplôme national de master. Ce texte sécurise les établissements et élargit les possibilités d’orientation des jeunes – une plateforme est sur le point d’être créée afin d’aider ces derniers à obtenir toutes les informations utiles pour bien s’orienter. Il vise à orienter sans empêcher : aucun étudiant titulaire de la licence qui souhaite poursuivre ses études plus loin ne sera sans solution, sans choix, sans droit.
L’idée, derrière tout cela, vous l’avez compris, est de ne pas tomber dans le cercle vicieux conduisant à choisir quelques étudiants qui pourront parvenir au terme de leurs études sans s’intéresser à tous ceux qui seront laissés-pour-compte car on ne leur propose rien. Si je parle à ce sujet de cercle vicieux, c’est que je crois sincèrement que nous ne pourrons pas répondre aux défis qui sont les nôtres si nous fondons la réussite de quelques-uns sur l’échec de tous les autres. Ces échecs, à terme, finiraient par créer une situation insoutenable et, pour tout dire, indigne d’un pays comme le nôtre, qui, au fil de son histoire, a toujours été porté par une vision généreuse et ambitieuse du savoir et de la formation.
Nous avons tout intérêt à conserver cette vision ambitieuse et généreuse, car on ne relève les défis et on ne surmonte les crises que par le haut, par l’élévation du niveau général de qualification de la population, et non par l’exclusion ou l’injustice. En cela, je crois que ce texte répond aux attentes de l’ensemble de la communauté universitaire : clarification, cohérence, ambition, exigence. J’espère, mesdames et messieurs les députés, qu’au terme de son examen, vous l’adopterez.