Intervention de Denis Peschanski

Réunion du 14 décembre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Denis Peschanski, historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, coresponsable scientifique du programme « 13 novembre » :

Nous avons lancé quatre protocoles de recherche pour 2016 et 2017 : l' « étude 1 000 », l'étude « Remember » – que Francis Eustache va vous présenter –, l'enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre (ESPA 13 novembre) – sur laquelle je reviendrai ultérieurement – et une enquête sur échantillon représentatif en lien avec la Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC).

L'« étude 1 000 » consiste, comme son nom l'indique, à recueillir et analyser le témoignage de 1 000 personnes qui ont été touchées de près ou de loin par les attentats. Notre objectif est de comprendre comment la mémoire de cet événement traumatique se construit chez les Français. Ces 1 000 personnes se répartissent en quatre cercles. Le cercle 1 comprend des personnes directement exposées aux attentats, qu'il s'agisse des survivants, des familles endeuillées, des témoins ou des intervenants extérieurs, notamment des agents des services de santé, des policiers, des hommes politiques et des magistrats. Il était essentiel de se concentrer sur ce premier groupe, mais nous ne pouvions pas nous y limiter. Le cercle 2 rassemble des habitants des quartiers où se sont déroulés les attentats ; ils n'y ont pas été directement exposés, mais sont confrontés constamment à cette histoire et à sa mémorialisation. Le cercle 3 regroupe des habitants du reste de la métropole parisienne, et le cercle 4 des habitants de trois villes de province, Caen, Metz et Montpellier.

L'idée – c'est un défi supplémentaire – est d'organiser quatre campagnes d'entretiens avec les mêmes 1 000 personnes, cette année, dans deux ans, dans cinq ans et dans dix ans, afin d'étudier la manière dont la mémoire se consolide et se reconsolide au fur et à mesure, ou se construit et se reconstruit, pour reprendre le vocabulaire propre à chacune de nos disciplines.

Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, notre approche est résolument transdisciplinaire : elle associe la sociologie, l'histoire – je suis historien du temps présent, mais il s'agit d'un temps présent en train de se construire, ce qui constitue un défi épistémologique assez original –, la textométrie – à savoir l'analyse statistique du vocabulaire –, l'informatique et les mathématiques – les équipes de l'INA, notamment, ont lancé un travail très innovant pour analyser les tweets et les échanges sur les réseaux sociaux –, le droit – une thèse sur l'indemnisation des victimes est en cours –, les neurosciences – Francis Eustache y reviendra –, l'éthique – à laquelle nous sommes particulièrement attachés – et les questions de santé publique – il était indispensable de mener une étude épidémiologique sur le syndrome post-traumatique.

Les entretiens individuels sont, pour l'essentiel, des entretiens filmés, réalisés par l'INA et l'ECPAD avec un très grand professionnalisme. Ils durent en moyenne trois heures pour les personnes du cercle 1, deux heures pour les autres, et fournissent une matière d'une richesse absolument exceptionnelle – j'ai moi-même recueilli une trentaine de témoignages, certains collègues en ont recueilli cinquante ou soixante. Le dispositif est complété par des entretiens hors caméra. Les fichiers audiovisuels sont archivés par l'INA et mis à la disposition des chercheurs dans des conditions très sécurisées.

Le bilan chiffré que nous avons établi montre que le défi a été relevé : à ce jour, nous avons recueilli 924 témoignages sur les 1 000 prévus ; il nous en reste donc un certain nombre à recevoir, notamment ceux de députés – la balle est dans votre camp. Ces 924 entretiens ont été réalisés entre le 9 mai et le 8 décembre 2016 à Paris et en Île-de-France, à Caen, à Metz et à Montpellier. Dans la mesure où nous ne partions d'aucune liste, le travail de repérage a été considérable. Tous les participants sont volontaires. Une véritable confiance s'est installée avec eux.

Deuxième bonne surprise : nous nous demandions si nous serions capables de convaincre les personnes du cercle 1, notamment celles qui souffrent d'un syndrome post-traumatique ou de pathologies de la mémoire, de nous apporter leur témoignage ; or elles ont été plus nombreuses à franchir le pas que nous ne pouvions l'imaginer. Ainsi, nous avons mené des entretiens filmés avec 365 personnes du cercle 1, dont plus d'une centaine de survivants des attentats du Bataclan, des survivants des attentats commis sur les terrasses et à Saint-Denis, des policiers – nous avons bénéficié du soutien de la préfecture de police de Paris et 80 d'entre eux ont accepté de nous donner leur témoignage –, des pompiers et des agents des services de santé. Il s'agit d'un résultat très important pour nous, notamment pour Francis Eustache et ses collègues qui travaillent sur le syndrome post-traumatique et la résilience.

De manière classique, les participants sont davantage des femmes que des hommes. Néanmoins, la proportion d'hommes est supérieure à celle que nous constatons habituellement dans les travaux de recherche de cette nature.

À côté de cette étude consistant à recueillir et analyser le témoignage de 1 000 personnes volontaires, nous avons voulu avoir une idée de l'évolution de l'opinion publique et des comportements. D'où l'enquête sur échantillon représentatif menée avec le CREDOC : nous avons obtenu l'insertion de onze questions spécifiques sur la mémorisation et la perception des attentats du 13 novembre dans l'édition de juin et juillet 2016 du questionnaire semestriel du CREDOC. Ce travail a donné lieu à un document passionnant de 120 pages qui sera publié prochainement.

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