Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 9 novembre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani, rapporteur :

L'accord que nous examinons ce jour n'est pas sans lien avec l'audition qui a précédée. Il concerne la construction d'une tour de contrôle dans ce pays voisin de l'Afghanistan qu'est le Tadjikistan, en remerciement de l'accueil d'un détachement aérien français par ce pays pendant la durée de notre intervention en Afghanistan.

Le Tadjikistan est un petit pays enclavé, seul pays persanophone d'Asie centrale, caractéristique qu'il partage avec une partie de l'Afghanistan. C'est le pays le plus pauvre de la Communauté des Etats indépendants. A la chute de l'URSS, le pays est entré en guerre civile. Opposant les communistes, soutenus par la CEI, à un ensemble hétéroclite qualifié d'« islamo-démocrate » comprenant des démocrates, des nationalistes, des islamistes et des séparatistes, sur fond de divisions ethniques, cette guerre a duré de mai 1992 à juin 1997 et provoqué la mort de 50 à 100 000 personnes et le déplacement de 1,2 million de réfugiés. L'une de nos ressortissantes du Vaucluse a perdu la vie dans une prise d'otage. Un centre pour réfugiés à Douchanbé porte son nom, le centre Kareen Mane.

A cette situation intérieure s'ajoute la menace sécuritaire sur ses frontières orientales. Encore aujourd'hui, le Tadjikistan est très préoccupé par le risque d'une montée de l'islamisme radical, même si le souvenir de la guerre civile prive les islamistes d'un vrai soutien populaire. Des combats ont néanmoins encore eu lieu entre 2010 et 2012, avec des éléments proches des islamistes ouzbèkes. Le gouvernement, qui a pris des mesures, à la fois préventives et répressives, pour lutter contre l'extrémisme et contrôler la pratique de l'islam : rapatriement des étudiants tadjiks du Pakistan, du Golfe et du Maghreb, contrôles des imams et des prêches, fermeture de mosquées non accréditées.

Les autorités ont toutefois peu de moyens pour contrer l'influence des fondamentalistes sur les nombreux Tadjiks émigrés en Russie. Elles estiment à près de 900 le nombre des ressortissants tadjiks partis combattre en Syrie et en Irak et plusieurs dizaines de volontaires présumés ont été arrêtés au Tadjikistan. Un colonel des forces spéciales a rejoint fin mai 2015 les rangs de Daech en Syrie, où il a été grièvement blessé.

Comme l'audition précédente a permis de le rappeler, au-delà du théâtre moyen-oriental, la force de l'islamisme et du terrorisme réside aussi en Asie du Sud et ne serait-ce que pour un impératif stratégique, l'Asie centrale ne doit pas être négligée. Concernant le Tadjikistan, cela commence par nous souvenir de l'appui précieux qu'a été celui du Tadjikistan pendant notre intervention en Afghanistan.

En vertu d'un accord signé le 7 décembre 2001 avec le gouvernement tadjik, de fin 2001 à fin 2013, un détachement aérien (DETAIR) a été accueilli à Douchanbé (un Groupement de Transport Opérationnel, un plot de chasse composé de trois Mirage 2000, trois Mirage F1 CR et trois Rafale) qui aura également assuré le transit de 89 000 militaires et 11 000 missions d'aérotransport et d'appui. La visite à Paris du Président Rahmon en décembre 2002 sera aussi l'occasion de signer un accord de coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, premier accord de ce genre signé par la France avec un pays de la région.

Nombreux sont les députés à s'être rendus au Tadjikistan pendant ces longues années pour apporter leur soutien aux forces françaises, qui ont joué un rôle majeur dans le dispositif de la coalition internationale. Je rappelle que plus de 70 000 soldats français ont été engagés dans l'opération Pamir. Au plus fort des opérations, 4 000 militaires y participaient. Cet engagement a coûté la vie à 89 soldats français et fait plus de 700 blessés.

L'accord qui nous est soumis aujourd'hui consiste à répondre à un engagement politique pris en contrepartie de cet accueil pour moderniser l'aéroport de Douchanbé. Cette modernisation est d'autant plus importante pour le Tadjikistan que ce pays est très enclavé. Ne disposant d'aucun accès maritime, les liaisons internationales ne peuvent s'effectuer que par voies aériennes. Dans ces conditions, l'aéroport de Douchanbé est une infrastructure primordiale pour le développement économique du pays et plus généralement pour son ouverture sur le monde.

La construction de la tour de contrôle est la dernière composante de cet engagement. Notre pays a déjà procédé à la réfection et à la modernisation complète de la piste et des voies de stationnement et de circulation pour avions de l'aéroport, pour un montant total de 33 millions d'euros. Cette mission a été conduite par les équipes du génie de l'air (25ème RGA) de 2004 à 2014 grâce à dix campagnes annuelles de travaux. La dernière campagne, débutée le 20 avril 2014 a vu notamment la réalisation de quatre plots de stationnement pour avions moyens porteurs type B757-200 et Airbus A310, la réparation du taxiway et la pose de trois pylônes d'éclairage.

Aux termes d'un accord signé en 2013, la France a aussi participé à hauteur de vingt millions d'euros à la construction du nouveau terminal de l'aéroport international de Douchanbé, pour un coût total de 49 millions. Un prêt concessionnel de 20 millions d'euros a été octroyé au Tadjikistan pour la construction d'une nouvelle aérogare à l'aéroport international de Douchanbé. Ce prêt comporte 80 % d'éléments don et s'étale sur 35 ans avec 20 ans de franchise et un taux d'intérêt de 0,15 %.

L'accord signé à Douchanbé le 13 juillet 2015 concerne la construction de la tour de contrôle. Il est composé de quatorze articles et d'une annexe. Je n'en présenterai que quelques-uns.

L'article 3 insiste sur le fait que la partie française assumera seule les coûts relatifs à la réalisation de l'opération et spécifie l'identité des acteurs de cette opération. Le montant total des dépenses engagées pour la phase de conception s'élève à 259 000 euros. Le montant total prévisionnel des travaux et prestations s'élève quant à lui à 5,7 millions d'euros. Ces travaux sont prévus par l'article 5 de l'annexe pour durer 41 mois. S'ajoutent à ces coûts un montant prévisionnel de 42.400 euros pour la phase garantie de parfait achèvement. Cette dernière est prévue par l'article 4 et durera un an à compter de la date de réception de l'ouvrage.

L'article 5 énumère les obligations de la partie tadjike telles que la réalisation des travaux de voiries ou encore la préparation et la protection du site. Plus précisément, en vertu de l'article 2 de l'annexe de l'accord, la préparation du chantier, les travaux de bâtiment, de voirieréseaux et la fourniture, l'installation et la mise en service des équipements sont en revanche à la charge de la partie française. Selon l'article 3 de l'annexe, la sécurité du site, son dévoiement et sa dépollution éventuelle, les travaux de voirie hors limite de parcelle, la fourniture et l'installation de certains services (alimentation électrique, postes téléphoniques…) sont à la charge de la partie tadjike.

L'article 4 de l'annexe liste les exigences fonctionnelles, techniques et environnementales de l'opération. L'article 4.3.5 précise notamment que l'ouvrage se situe dans une zone classée à hauts risques sismiques et qu'en conséquence, la partie tadjike devra fournir des informations sur la sismicité du site.

L'article 7 dispose que le personnel civil français bénéficiera des privilèges octroyés par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, comme c'était le cas pour nos forces armées. L'article 9 impose la gratuité des visas pour le personnel français et exonère le matériel nécessaire à la construction de la tour de toutes impositions et droits de douanes de la partie tadjike.

Pour conclure, je voudrais souligner que la construction de la tour de contrôle est urgente. Le mécontentement ne cesse de croître quant à la lenteur de notre procédure, alors que la ratification de l'Accord par la partie tadjike est intervenue trois mois après sa signature. Il convient par cette ratification de donner un signal clair que la France respectera son engagement. Il convient de souligner qu'à ce jour aucun français ne travaille actuellement sur le site ou le projet, puisque l'Accord n'est toujours pas en vigueur, et que le dossier est suivi par l'Ambassade de France à Douchanbé, qui est un poste à présence diplomatique aux moyens limités, et l'attaché de défense résidant au Kazakhstan, la mission de défense au Tadjikistan ayant fermé le 31 juillet 2016.

Pour la France, la construction de cette tour permettrait en outre à des entreprises françaises de décrocher des marchés intéressants. Je vous rappelle que c'est l'entreprise Vinci qui a construit l'aérogare. Les opportunités économiques dans ce pays sont réelles et le tourisme commence à s'y développer, ce que le développement des liaisons aériennes grâce à des aéroports modernes renforcerait. Le prolongement de la liaison Douchanbé-Frankfort jusqu'à Paris est notamment envisagé selon l'ambassadrice française au Tadjikistan et l'ambassadeur tadjike à Paris que nous avons reçu.

La construction de la tour de contrôle permettrait en tout état de cause de faire prospérer l'implantation française au Tadjikistan dans le secteur aéroportuaire car, outre le bâti, qui fera l'objet d'un appel offres français, ce sont des marchés potentiels en termes d'équipements – une opportunité, entre autres pour Thalès – voire à moyen terme de gestion aéroportuaire. Or, d'autres projets sont à l'étude concernant les trois autres aéroports internationaux.

Dans ce domaine, la France a une longueur d'avance par rapport à ces concurrents en raison de sa présence sur l'aéroport de Douchanbé pendant plus de dix ans. Néanmoins, en raison de la longueur de la procédure permettant in fine la construction de la tour, certains concurrents se sont positionnés en montrant leur intérêt pour ce projet auprès des autorités tadjikes. Tel est le cas notamment de l'agence de coopération japonaise, la JICA, qui a formulé une proposition de financement de plusieurs millions de dollars pour l'achat d'équipements et des formations de personnel et qui a obtenu l'ouverture d'un bureau au sein de la compagnie d'aviation tadjike.

La construction rapide d'une tour de contrôle sur l'aéroport de Douchanbé est essentielle pour la crédibilité de la parole de la France, vitale pour le développement économique du Tadjikistan, nécessaire pour la perpétuation de nos relations étroites avec ce pays d'une zone stratégique et enfin utile au regard des opportunités pour nos entreprises. Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter ce projet de loi de ratification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion