Intervention de Françoise Dumas

Séance en hémicycle du 21 décembre 2016 à 15h00
Exercice par la croix-rouge française de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, chacun dans cet hémicycle connaît la Croix-Rouge française, son professionnalisme et le crédit considérable dont elle jouit. Elle est depuis cent cinquante ans la première des associations françaises, tant par la diversité de ses interventions dans le domaine de l’action sociale, médico-sociale, sanitaire et humanitaire, en France comme à l’étranger, que par la densité de son maillage territorial, qui compte 910 délégations locales, et de son réseau mondial constitué de189 sociétés nationales.

Parmi ses missions, celle du rétablissement des liens familiaux – RLF –, consacrée par les conventions de Genève de 1949 et par les protocoles additionnels de 1977, est peut-être moins connue du grand public. Elle est pourtant essentielle puisqu’il s’agit de réunir les membres d’une famille séparés par un conflit, une catastrophe naturelle ou une crise humanitaire, et ce depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Cette mission se décline sous la forme de quatre activités : la recherche des membres d’une famille ; l’appui à la démarche de réunification familiale lorsque les proches sont retrouvés ; la transmission de nouvelles familiales lorsque tous les autres moyens de communication sont bloqués ou inaccessibles ; la délivrance de certains documents par le Comité international de la Croix-Rouge, pour faire valoir un droit, ou par les États – documents d’état civil, certificats, attestations.

Cette mission a été saluée par le Président de la République le 21 juin 2014, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la Croix-Rouge française. En réaffirmant son rôle d’auxiliaire des pouvoirs publics, il s’est engagé à faciliter son action, notamment dans le cadre de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.

Chacun ici connaît les chocs qui frappent notre monde, les guerres, les attentats, les crises que traverse la zone euro-méditerranéenne et les drames qui en résultent. Nous-mêmes, en France, accueillons sur notre sol des femmes, des hommes, des enfants, qui cherchent à se protéger du danger et à survivre.

Les chiffres sont terribles. Vous l’avez rappelé au Sénat, madame la secrétaire d’État : l’année dernière, plus d’un million de personnes sont ainsi arrivées sur le territoire de l’Union européenne et, au cours de la même période, environ 3 700 migrants ont trouvé la mort en traversant la Méditerranée. Face à ces drames, notre responsabilité est grande.

De fait, depuis deux ans, un nombre croissant de personnes ont dû quitter leur pays pour des raisons humanitaires et ont été violemment séparées de leur famille après avoir tout perdu, et parmi elles beaucoup de mineurs. La Croix-Rouge française peut aider ces familles, installées en France ou à l’étranger, à retrouver – par l’intermédiaire du Mouvement international de la Croix-Rouge – des proches desquels elles ont été séparées dans des situations de violence.

Si la demande de recherche d’un membre de la famille émane d’une personne installée à l’étranger, celle-ci doit s’adresser à la société nationale de la Croix-Rouge, qui formule ensuite une « demande entrante » auprès de la Croix-Rouge française si elle dispose d’indices laissant penser que cette personne est en France. Si la demande émane d’une personne installée en France et qu’elle est adressée à la Croix-Rouge française pour retrouver un proche disparu dans un autre pays, on parle de « demande sortante » : l’objectif est alors de mobiliser le réseau du Mouvement international de la Croix-Rouge pour retrouver la personne recherchée où qu’elle se trouve dans le monde.

Depuis 2014, le service de rétablissement des liens familiaux est confronté à une hausse significative des demandes entrantes et sortantes, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État. À titre d’illustration, 299 nouvelles demandes ont été reçues entre janvier et mai 2016 contre 200 l’année dernière.

Sont en revanche exclues les recherches de personnes disparues dans des conditions suspectes, les recherches généalogiques ou résultant d’une procédure d’adoption par exemple, pour lesquelles les services de la Croix-Rouge ne sont pas compétents. Il faut par ailleurs respecter le droit à l’oubli.

Dans une délibération du 24 mai 2012, la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – a autorisé la Croix-Rouge française à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité le rétablissement des liens familiaux. La CNIL a en effet considéré la finalité poursuivie comme déterminée, explicite et légitime.

Dans cette délibération, elle a précisé que les données peuvent être collectées au moyen d’un formulaire de demande de recherche, établi par le Comité international de la Croix-Rouge et utilisé par l’ensemble du réseau du Mouvement international de la Croix-Rouge.

Il est donc essentiel d’apporter des réponses aux difficultés auxquelles la Croix-Rouge se heurte pour accéder à certaines informations détenues par l’administration sur des personnes recherchées par leurs proches. Nous avons travaillé près de deux ans avec les services du ministère de l’intérieur, que je tiens à saluer, afin qu’un consensus soit dégagé sur cette problématique.

Cette proposition de loi a été adoptée en première lecture à l’unanimité tant par l’Assemblée nationale,le 15 juin, que par le Sénat,le 29 septembre – je tiens à remercier ma collègue Marie Mercier, avec qui j’ai travaillé de façon très positive.

Concrètement, la présente proposition de loi vient pallier les difficultés rencontrées par la Croix-Rouge pour accéder à certaines données utiles à leurs recherches, plus précisément pour obtenir des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de Sécurité sociale et des organismes assurant la gestion des prestations sociales communication de certains documents ou données à caractère personnel, qui ne sont en principe communicables qu’à l’intéressé ; demander directement aux officiers d’état-civil dépositaires des actes les copies intégrales et d’extraits d’actes d’état civil des personnes recherchées ; saisir le représentant de l’État afin de vérifier si une personne est inscrite sur les listes électorales et, le cas échéant, prendre connaissance des données relatives à cette personne.

Cette proposition de loi précise également les conditions dans lesquelles un tiers peut être informé du sort de la personne recherchée : si elle est vivante, les informations relatives à cette personne ne peuvent être communiquées qu’avec son consentement écrit ; si elle est décédée, la Croix-Rouge française informe du décès et, le cas échéant, du lieu de sépulture les tiers qui le lui demandent.

À mon initiative, l’Assemblée nationale a donné compétence à la Commission d’accès aux documents administratifs – CADA – pour se prononcer sur une contestation par la Croix-Rouge française d’un refus implicite ou explicite de l’administration de lui communiquer les documents ou données qu’elle aura demandés.

Nos collègues sénateurs ont apporté au texte des précisions bienvenues. Par un amendement à l’article 3, ils ont étendu aux listes électorales consulaires le droit de la Croix-Rouge française de prendre connaissance des listes électorales communales, en lui permettant de saisir le ministre des affaires étrangères qui dispose d’un double de l’ensemble des listes tenues par les ambassades et les consulats pour les Français établis hors de France.

Le Sénat a également procédé à l’extension et aux adaptations nécessaires pour l’application de la proposition de loi dans les collectivités ultramarines régies par le principe de spécialité législative.

Il a rassemblé au sein d’un nouvel article 6 l’article 3 bis adopté par l’Assemblée nationale autorisant la Croix-Rouge française à saisir la CADA en cas de refus de communication de la part de l’administration et d’autres dispositions de coordination rendues nécessaires par l’adoption par le Parlement de nouvelles dispositions législatives, notamment la loi Pochon-Warsmann ou la loi pour une République numérique.

Par la même occasion, la commission des lois du Sénat a exclu, à juste titre, la compétence de la CADA s’agissant des contentieux relatifs à la copie et aux extraits des registres de l’état civil puisque ces services sont placés sous le contrôle de l’autorité judiciaire et que le contentieux relève de la juridiction judiciaire. Personnellement, je souscris à ces précisions.

Le 19 octobre, la commission des lois a donc adopté, à l’unanimité, en deuxième lecture, l’ensemble de la proposition de loi sans modification. Je vous invite, ce soir, à faire de même. Le texte pourra ainsi être promulgué avant la fin de l’année. En ces temps de troubles et de violences, qui rendent plus que jamais nécessaires les principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – universalité, respect de la vie humaine, coopération entre les peuples, nous aurons fait oeuvre utile.

Qu’il me soit permis, avant de conclure, de saluer à cette tribune les 50 000 bénévoles et 18 000 salariés de la Croix-Rouge française qui, sur le terrain, agissent de façon exemplaire, dans des conditions souvent très difficiles, pour le bien de tous, sans discrimination et avec dévouement. Ils honorent tous la notion même d’engagement associatif, plus que jamais indispensable à notre cohésion sociale, à la solidarité des peuples et à la paix dans le monde.

Je souhaite plus particulièrement avoir une pensée pour celles et ceux qui sont actuellement déracinés par les conflits et les guerres, notamment au Proche-Orient. En cette trêve de fin d’année, quelles que soient nos valeurs et nos croyances, nous avons l’opportunité d’adresser à toutes et à tous un message de paix et de fraternité. Je vous remercie de votre confiance.

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