Intervention de Marcel Grignard

Réunion du 15 décembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Marcel Grignard, président de Confrontations Europe :

Les quatre organisations réunies ce matin ont beaucoup de points communs, mais aussi quelques différences : c'est ce qui fera la richesse de notre débat.

Je partirai d'un paradoxe : la plupart des défis auxquels nos pays sont confrontés devraient nous conduire à renforcer l'intégration européenne, mais partout en Europe, le repli national est à l'ordre du jour.

Le Brexit n'illustre pas une crise britannique, mais européenne, et au-delà une crise des pays occidentaux. Nous faisons face à une menace d'explosion ou de délitement de l'Union européenne : il faut y prendre garde.

Cette crise est d'abord économique et sociale – je ne reviens pas sur la faible croissance que connaît notre continent ni sur la croissance des inégalités. Elle résulte aussi d'une inquiétude de nos concitoyens face à des défis nouveaux en matière de sécurité, de changement climatique, de numérique ; ces inquiétudes poussent nos concitoyens au repli. La crise est enfin une crise démocratique : la méfiance croît vis-à-vis des institutions. Les Européens ont, plus largement, le sentiment d'être dépossédés de leur avenir.

C'est la nature de cette crise qui nous pousse à dire que l'Union européenne doit dire où elle veut aller dans les années qui viennent : c'est un passage obligé pour animer la négociation avec les Britanniques. Nous parlons, nous, de « se réinventer », de « se refonder » : les défis auxquels l'Union est confrontée ne sont pas sur la trajectoire tracée par les cinquante années de construction européenne. La profondeur du désarroi des Européens oblige à consentir un effort important.

On parle beaucoup de la distance qui sépare l'idée européenne, ou l'Union européenne, des peuples. Notre organisation travaille avec les acteurs économiques et sociaux des différents pays européens : eux aussi ressentent cette distance. Je ne prendrai qu'un seul exemple : celui du climat. La réussite de la COP21 nous amène à attendre de l'Union européenne une politique très forte en la matière. Or nous sommes absolument en panne, sur la question du prix du carbone comme sur l'établissement d'une stratégie – les États communiquent leurs stratégies, mais celles-ci entrent en contradiction les unes avec les autres. Nous sommes tout autant en panne sur le plan industriel : champions de l'installation d'équipements utilisant les énergies renouvelables, nous sommes pourtant incapables de construire des filières de production industrielle dans ce domaine. Cela montre la profondeur de la rénovation nécessaire.

Le Brexit sera hard : cela apparaît comme une évidence. Les Vingt-Sept doivent donc tenir bon sur les fondamentaux tels qu'ils existent aujourd'hui ; toute autre démarche serait suicidaire. Mais ce sera très difficile dans des délais très brefs. Il est un point sur lequel nous sommes particulièrement vigilants : un accord intérimaire qui déterminerait un calendrier en vue d'une série de négociations échelonnées dans le temps risquerait d'aboutir à une addition de concessions dans lesquelles les Vingt-Sept perdraient leurs objectifs stratégiques et d'intérêt commun au profit d'intérêts nationaux divers et fluctuants. Voilà pourquoi ils vont devoir dire très clairement ce qu'ils veulent faire ensemble demain.

Comment la chose est-elle perçue, nous demandez-vous, dans d'autres pays de l'Union européenne, particulièrement en Europe centrale ? Cette question est vitale, car l'une des faiblesses de la construction européenne est une grande difficulté à entendre et à comprendre les différences politiques, socio-économiques et culturelles entre nos pays, d'où une certaine tendance, au niveau des institutions européennes, à confondre union et uniformité. Pour notre part, nous sommes convaincus que le respect des différences n'est pas contraire à la solidarité ni à la communauté de destin, mais qu'ils doivent être intimement liés. Les dirigeants polonais et hongrois, notamment, trouvent dans le Brexit une confirmation de leur diagnostic sur le besoin d'une réforme profonde de l'Union européenne. Schématiquement, ils se posent en défenseurs de la souveraineté et de l'identité nationales et s'inquiètent d'une intégration plus poussée, en particulier au sein de l'union économique et monétaire ; ils veulent davantage d'intergouvernemental. Toutefois, les citoyens de ces pays, et probablement une partie de leurs dirigeants, restent attachés à l'idée et à l'Union européennes. Il n'y aura donc sans doute pas de tentative réelle de sortie de l'Union.

En revanche, il existe des inquiétudes, notamment concernant les fonds structurels. La sortie des Britanniques va obliger l'Union européenne à retrouver 10 milliards d'euros pour compenser les recettes manquantes et, si les mesures d'accompagnement, particulièrement les fonds structurels, venaient à diminuer, cela poserait dans ces pays des problèmes de croissance, mais également de gros problèmes d'adaptation au moment où des efforts considérables doivent être consentis.

Nous ne croyons absolument pas que la future dynamique européenne reposera sur un renforcement de l'intergouvernemental, contrairement à ce que disent par exemple les Polonais. En revanche, le besoin de réinventer et de réarticuler les relations entre l'union économique et monétaire et les États membres est évident. C'est, de notre point de vue, l'un des aspects d'une réinvention de l'Europe susceptible de réconcilier les citoyens avec le projet européen. À cet égard, nous ne croyons guère que quelque sommet de chefs d'État que ce soit permette de refonder l'Europe, une Europe qui prendrait en compte les attentes de ses citoyens. Cela ne veut pas dire que nous n'en attendons pas beaucoup des gouvernements ; au contraire. Mais, dans ce domaine, nous sommes assez sceptiques.

Nous ne croyons guère plus au référendum. Les trois consultations référendaires qui se sont déroulées en Europe cette année – au Royaume-Uni, en Hongrie, en Italie – mêlaient chacune, à des degrés divers, de vraies questions et des enjeux de politique partisane. Il est absolument nécessaire, et même vital en démocratie, de consulter les citoyens, mais il faut se méfier de l'instrumentalisation de cet outil et, surtout, ne pas oublier qu'il ne saurait combler le manque d'espaces de délibération, qui seuls permettent de dépasser l'opposition des intérêts dans chacun de nos pays et entre les pays européens. C'est d'autant plus vrai dans un monde dont la complexité est croissante et où les compromis sont de plus en plus difficiles à trouver.

Tout cela conduira certainement, si l'on avance dans le processus de refondation, à modifier les institutions, mais ce changement ne pourra intervenir qu'en conclusion de ce processus : il ne saurait être une clé d'entrée, compte tenu de la nature de la crise que nous connaissons.

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