C'est la question de l'avenir de l'Union qui nous est posée, et du risque de son délitement. Le problème de fond est le suivant : malgré la défiance qui s'est installée, qu'acceptons-nous de partager entre Européens, entre peuples européens, au sein de la zone euro et de l'Union européenne, et dans quel dessein ? C'est ce qu'il importe de se demander au lieu de commencer par des institutions et des traités, ne serait-ce que parce qu'ils ne peuvent pas nous être imposés d'en haut, mais supposent que l'on rapproche au préalable les peuples et les nations.
J'aborderai d'abord la consolidation de l'union économique et monétaire – le premier cercle – et ce que le Brexit y change. Mais cette consolidation n'est pas possible sans celle de l'Union européenne. Les Britanniques pourraient être inclus dans un troisième cercle. Enfin, j'évoquerai le besoin d'union politique.
Sur le premier point, le principal défi auquel nous sommes aujourd'hui confrontés résulte des déséquilibres des balances des paiements courants et des divergences de trajectoire de compétitivité industrielle, qui menacent l'intégrité de l'Union et plus encore celle de l'union monétaire. Le départ des Britanniques change la donne, puisqu'ils n'auront plus leur mot à dire sur cette consolidation. Mais, à l'heure actuelle, il n'existe pas de consensus, notamment franco-allemand, sur les grandes réformes qui ont été esquissées et dont nous avons besoin, en particulier s'agissant de la conciliation entre la solidarité et la mutualisation des investissements, d'une part, et d'autre part les indispensables réformes de structure nationales qui ne sont pas nécessairement mises en oeuvre. La Commission prépare un livre blanc sur le sujet pour le printemps ; l'enjeu est précisément de parvenir à un accord entre États membres – ce qui impose à chacun un travail sur soi.
Cette consolidation, je l'ai dit, n'est pas envisageable sans une consolidation de l'Union européenne. À ce propos, il convient de noter un certain tropisme français qui nous incite à nous concentrer sur la zone euro alors que des questions absolument essentielles – la stratégie de compétitivité industrielle, l'union pour l'investissement ou union des marchés de capitaux, la sécurité intérieure et extérieure, les migrations, le climat, la politique extérieure – se décideront plutôt au niveau de l'Union européenne. Celle-ci ne doit pas être réduite à un grand marché, contrairement à ce que les Français ont tendance à faire, mais intégrer aussi des dimensions de politique publique européenne. Par ailleurs, en nous repliant sur la zone euro, nous échouerions à atteindre la masse critique requise et nous renoncerions à l'idéal fondateur d'union de tous les Européens.
Cette union doit donc tenter de devenir une union pour l'investissement. Nous souffrons en Europe d'une carence majeure d'investissements – en capital humain, dans l'innovation industrielle, transfrontières. Or ces investissements se traduisent en production et en emplois sur tout le territoire européen, et non dans la seule zone euro, et permettent de gagner en compétitivité, donc de parer au risque de divergences qui pourraient faire exploser l'Union.
Enfin, nous avons besoin d'union politique, à un moment où les peuples doutent de l'Union – non qu'ils la remettent entièrement en cause, mais parce qu'ils s'interrogent sur la direction qu'elle prend et la manière dont elle se construit depuis le début. Ils ont le sentiment que les politiques européennes sont imposées d'en haut, ce qui n'est plus admissible pour la plupart d'entre eux, notamment pour le peuple français.
Nous aurions besoin d'un traité de refondation de l'Union, mais toutes les conditions n'en sont pas pour l'heure réunies : il faudrait s'accorder sur beaucoup alors que nous ne sommes prêts à nous accorder que sur très peu, comme le disait M. Philippe Herzog, président fondateur de Confrontations Europe. L'enjeu est donc de parvenir à s'accorder sur des domaines d'intérêt stratégique commun dans lesquels il serait possible de développer des coopérations renforcées : par exemple, la sécurité collective, l'investissement dans le capital humain et l'innovation – un domaine où l'Union est aujourd'hui beaucoup trop faible –, le climat et le développement durable ou encore la réindustrialisation.
Dans ce cadre, quelle est actuellement la place du Royaume-Uni en Europe ? Les Britanniques ont décidé de sortir de l'Union, donc du deuxième cercle ; il convient d'en prendre acte. Ils restent cependant un partenaire essentiel, dont il faut par conséquent prévoir la place au sein d'un troisième cercle. Confrontations Europe propose un statut d'État associé qui pourrait être étendu à d'autres, mais qui serait ad hoc – à rebours du one size fits all – et prendrait la forme d'une sorte de contrat négocié avec le Royaume-Uni.
L'union politique a besoin de réformes de fond, pour une véritable autorité politique qui assume entièrement ses responsabilités, dans le dessein non pas d'imposer quoi que ce soit d'en haut, mais de rapprocher les perspectives dans les domaines d'intérêt stratégique, par l'intermédiaire de quelques ministres. Peut-être faudrait-il également aller vers la synchronisation des élections nationales et des élections européennes, et resserrer de plusieurs crans la coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux – à cet égard, la balle est dans votre camp.