Intervention de Gilles Savary

Réunion du 15 décembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Merci à tous les intervenants pour leurs exposés, tous très intéressants par-delà les différences d'analyse.

Je ne partage pas la thèse selon laquelle le Brexit serait une exception accidentelle. Certes, il existe historiquement une spécificité britannique qui distingue le grand large du continent, mais j'observe que la construction européenne a une image très dégradée, ou du moins qu'elle suscite une très forte interrogation, dans pratiquement tous les milieux. Cette interrogation est motivée par la crise identitaire, qui renvoie à l'impuissance européenne présumée à contenir les flux migratoires et à défendre notre territoire, et par la crise sociale, qui renvoie à une autre forme d'impuissance face à la mondialisation, l'Europe étant même considérée comme le porte-avions de la mondialisation et du déclassement. Ces deux éléments, très dangereux, conduisent l'Europe à marcher sur un fil.

Je suis tout à fait d'accord pour dire que de nouvelles urgences se sont fait jour, auxquelles nous devrions pouvoir répondre : la sécurité, les frontières, l'asile, etc. Dans ces domaines, l'Europe agit, et assez vite. Nous devons reprendre cette démarche pragmatique s'agissant de nouvelles politiques.

Mais il nous faut être clairs quant à l'articulation entre la nation et l'Union. Nous – nous-mêmes, Français – ne cessons d'entretenir l'équivoque. Quand un problème nous gêne, c'est la faute de l'Europe. On suggère ainsi que l'Europe est une nation. Mais on ne peut pas dire « l'Europe a décidé » : l'Europe, c'est nous ! Tout le monde dans ce pays est capable de comprendre, si on le lui explique, que l'Europe est plutôt une communauté de communes ou un syndicat de communes qu'une nation qui décide et qui nous impose ses décisions.

Il est urgent de reprendre le contact avec l'opinion. Nous avons fait une construction politique par la voie juridique, et non par la voie démocratique. Or on ne peut plus contourner la voie démocratique quand on est débordé par les réseaux sociaux où circulent toutes sortes de rumeurs.

D'où ma question, quelque peu paradoxale : sachant que nous sommes paralysés lorsqu'il s'agit de réformer les traités, à moins de satisfaire la revendication référendaire qui ferait tout disjoncter, ici comme au Royaume-Uni, la reconquête de l'Union ne passe-t-elle pas par celle des opinions publiques nationales ? N'est-ce pas dans l'espace public national qu'il faut résoudre le problème ?

Je pourrais poser la même question aux politiques, et je crains le pire dans les semaines à venir. Nous vivons une panne terrible : le seul espace public acceptable pour la population est l'espace public national. Or, dans cet espace, on ne l'informe pas de ce que fait l'Europe, dont on a au contraire tendance à parler de manière uniquement péjorative.

Les évolutions actuelles en matière de protection des frontières sont rapides ; il ne s'agit pas seulement de Frontex, mais aussi du fameux document d'autorisation d'entrée en Europe, sur le modèle de l'autorisation américaine – bref, d'éléments très concrets. Qui le sait en France ? Qui, dans notre pays, a conscience du fait que, grâce à l'Europe, nous avons évité le pire dans la crise des dettes souveraines, même si cela a été très pénible ?

Dans cette matière, ce n'est pas seulement Bruxelles qui est interpellée, mais nous-mêmes, directement. C'est un problème de transparence et de pédagogie : il faut expliquer ce qu'est l'Europe, ses forces comme ses faiblesses. La fuite en avant dans de nouveaux projets européens et de nouveaux traités est impossible. Soyons donc au moins clairs avec nos opinions publiques. Qu'en pensez-vous ?

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