Pour M. Jacques Delors, l'Union européenne est une fédération d'États-nations. Cette union dans la diversité ne peut être forte qu'autant que ses États membres le sont. Or, beaucoup sont affaiblis, dont la France, car les Français, peu convaincus par la manière dont leur pays est gouverné depuis une dizaine d'années, sont devenus « franco-sceptiques ». Aussi longtemps que cet état d'esprit prévaudra, la France et l'Union européenne auront un problème.
Je suis en désaccord avec vous, M. Savary, et je maintiens que le Royaume-Uni est une exception, car si dans d'autres pays existent différentes formes d'euroscepticisme, l'europhobie n'y est pas le sentiment majoritaire. L'exception britannique tient au rapport au monde qu'entretient ce pays : c'est bien à la City de Londres – et aux États-Unis – qu'a été organisée la dérégulation financière folle, non en Pologne ; ce ne sont pas les Portugais qui ont inventé les prêts hypothécaires à risque – les subprimes. De même, l'ouverture à la mondialisation sans protection sociale élaborée n'est ni l'oeuvre de la Suède ni celle du Danemark. M. Jean Pisani-Ferry a raison de souligner que l'Union ouvre ses frontières puis laisse les États membres assumer la protection sociale. Il se trouve que les Britanniques l'assument mal, et le fait est que cela entraîne plus de dégâts au Royaume-Uni et aux États-Unis qu'en Suède ou au Danemark.
Les peuples de la zone euro sont attachés à leur monnaie. Le peuple français a adopté l'union monétaire et il y est attaché, tous les sondages le montrent. Face à la menace de la finance folle, il existe une protection : l'union monétaire. Imaginons quel serait le poids du franc dans la mondialisation financière… Mais on n'entend guère le discours décrivant l'union bancaire pour ce qu'elle est : une manière de répondre à la finance folle qui a contraint des générations d'Irlandais et d'Espagnols à rembourser les folies commises par leurs banques qui, à l'époque, étaient contrôlées au seul niveau national et qui seront beaucoup mieux contrôlées au niveau européen. La mesure s'impose donc dans la manière de caractériser la crise, et il faut dire haut et fort ce que peut faire l'Union quand on lui en donne les moyens.
Oui, Mme Guigou, comme Washington l'est pour les Américains, les institutions bruxelloises seront toujours loin des peuples européens, en particulier parce que, en raison du principe de subsidiarité, elles n'ont pas tous les pouvoirs. Agriculteurs et pêcheurs savent que se définissent là les politiques qui les concernent, mais, pour les autres, Bruxelles est loin parce que les institutions européennes n'ont pas autant de compétences et de pouvoirs qu'on le dit. En revanche, la prolifération des normes en comitologie est bien trop ressentie. M. Jean-Claude Juncker essaye de contrôler ce flux normatif, puisque plus de directives et de règlements sont adoptés chaque année par la Commission que par le Parlement ou le Conseil. Le problème n'est pas seulement celui du déficit démocratique, il est politique : il n'y a aucun marketing politique, aucun service après-vente politique, et lorsqu'une controverse se déclenche, on se déballonne ! Voyez ce qu'il en a été avec Mme Ségolène Royal… Finissons-en avec l'excès de normes comitologiques : il en faut, mais a minima. On donnera ainsi moins l'occasion à M. Boris Johnson et à tant d'autres de railler une normalisation utile sur les plans technique, économique et sanitaire, mais politiquement désastreuse.
Enfin, je rappelle que l'Union européenne est née au son de l'hymne à la peur : nous avions peur de nous entre-tuer à nouveau, mais aussi peur de Staline. Certes, M. Myard, l'époque n'est plus celle de Staline et de Truman, mais c'est celle de M. Poutine et de M. Trump. Cette conjoncture crée les conditions pour que les Européens se prennent davantage en main. Elle incite à l'inquiétude, mais aussi à la résolution.