Le sujet fondamental est celui qu'a évoqué Mme Guigou en invitant à prendre en considération les composantes extérieures de toute politique européenne. Toute réflexion sur l'Union européenne doit s'inscrire dans son temps. Le monde dans lequel la question de l'utilité de l'Union européenne se posait était celui des années 2000, celui de la globalisation multilatérale régulée par l'ordre américain ; à l'époque, Gordon Brown l'avait théorisé en déclarant explicitement que l'échelle régionale n'avait plus de sens et qu'il fallait raisonner à l'échelle globale.
Mais le monde actuel n'est plus du tout celui-là : c'est un monde d'affirmation et de puissances, dans lequel l'échelon régional est essentiel. Au nombre de ce que peut offrir l'Union européenne et de ce que peuvent être ses atouts, il y a bien sûr son marché et sa régulation, mais aussi la capacité d'émettre une monnaie internationale, ce qu'aucun de nos pays n'est en mesure de faire individuellement. Renoncer à cela, simplement du point de vue externe, serait un choix très lourd puisque c'est un des éléments qui nous permettent d'exister dans un monde dans lequel, économiquement, nous pèserons de moins en moins. La capacité d'émettre une monnaie internationale n'est pas à la portée de tous les pays, les Chinois le savent d'expérience.
Faut-il faire le gros dos en se disant que l'appétit manque pour une intégration supplémentaire, ou faut-il être ambitieux ? Faire le gros dos n'est pas une stratégie, car la situation est insatisfaisante : l'Union ne crée pas assez de prospérité, n'a pas de capacité suffisante de création d'emplois et de sécurité pour que l'on puisse se contenter de la défendre telle qu'elle est. Il faut reconnaître ses faiblesses et être ambitieux. Cela signifie se projeter dans le futur sans se focaliser exclusivement sur ce qui nous oppose les uns aux autres.
Je prendrai pour exemple la discussion avec l'Allemagne sur l'avenir de l'euro. La France et l'Allemagne ont des sujets de contentieux hérités de la crise récente – la compétitivité relative ou la relation créanciers-débiteurs, par exemple. Mais une question bien plus large se pose : vers quoi voulons-nous tendre pour les dix ou vingt ans à venir, et selon quels principes ? Si nous restons bloqués sur les sujets immédiats, c'est l'impasse. Cela exige que nous, Français, disions beaucoup plus clairement ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Nous avons une certaine difficulté à le faire, car il est assez facile de passer des compromis internes qui ne sont ni toujours très clairs ni toujours très sensés. Pour des raisons de politique interne compréhensibles, on peut assez facilement se mettre d'accord sur des positions qui, ensuite, ne nous portent pas très loin dans le dialogue avec nos partenaires européens. Nous devons dire beaucoup plus clairement ce que nous voulons nous-mêmes.
La proposition de partenariat continental est-elle une mauvaise idée ou vient-elle trop tôt ? Choisir d'attendre et de laisser l'initiative au Royaume-Uni a pour inconvénient que, pendant que les Britanniques se préparent, on s'abstient de réfléchir. Sans doute sont-ils en proie à un certain désarroi sur la manière d'aborder la négociation, mais le moment viendra où elle commencera. Mieux vaut, pour les Vingt-Sept, s'être mis d'accord sur le futur vers lequel ils veulent aller que d'être uniquement guidés par une considération tactique – ne pas bouger, alors que les Britanniques seront mobiles. Le danger est que le Royaume-Uni, adoptant la stratégie des Horaces et des Curiaces, ne détricote certains compromis en privilégiant des négociations sectorielles. Pour éviter cela, mieux vaut que les Vingt-Sept, plutôt que de se fixer simplement un compromis défensif, aient une idée de l'aboutissement qu'ils souhaitent.