J'ai essayé de théoriser l'intégration par l'exemple, car je pense que l'Europe souffre d'abord d'une indifférence des États membres. L'Assemblée nationale devrait se pencher davantage sur cette question, car les sujets qui préoccupent nos concitoyens et qui interpellent l'Europe – migrations, défense, sécurité – mettent en jeu des compétences partagées ou nationales qui n'appartiennent pas aux institutions communes. Or les États membres ne les exercent pas correctement. Rien n'interdit au gouvernement français de proposer une initiative à nos voisins italiens ou allemands pour rapprocher les conditions d'octroi de l'asile, ou, en matière de sécurité, pour organiser une vraie défense de l'Europe, au lieu de se polariser sur la défense européenne.
Nous confondons les objectifs et les moyens. Chaque fois que des avancées ont été faites en Europe, c'est à la suite d'initiatives des États membres – souvent la France et l'Allemagne – qui ont ensuite permis de donner aux institutions communes des règles pour gérer les problèmes en commun.
C'est la vraie question de la bureaucratie. En 1963, Robert Schuman disait : « L'intégration européenne doit, d'une façon générale, éviter les erreurs de nos démocraties nationales, surtout les excès de la bureaucratie et de la technocratie. » Nous y sommes, par défaut des gouvernements nationaux. Je pourrais citer une dizaine d'exemples, notamment en matière environnementale, de cas dans lesquels une réglementation est réclamée à Bruxelles par le ministère français de l'environnement, se gère dans des comités obscurs, et donne ensuite l'impression que l'Europe n'est que la contrainte. Si nous voulons ouvrir cette brèche, il faut que les politiques européennes des États membres soient plus offensives et plus assumées. Qu'elles se déploient sur le mode intergouvernemental ne me choque pas dès lors que par la suite, l'exemple aidant, se développe l'idée de les consolider à vingt-sept. Il n'est pas nécessaire de commencer à vingt-sept : à deux ou à trois, c'est suffisant. Il y a urgence en matière de défense, et l'immigration est la mère de toutes les batailles contre le populisme.
En matière de gouvernance économique, je suis d'accord avec M. Jean Pisani-Ferry. Dire que l'Europe doit s'occuper de l'essentiel, c'est laisser entendre que les États ne doivent s'occuper que de l'accessoire. Il faut que chacun exerce ses compétences, et donc que les États membres exercent les leurs, ce qu'ils ne font pas depuis plus de vingt ans sur les questions européennes. Si, en matière économique, en matière de défense, d'immigration ou de bureaucratie, les États membres avaient des politiques européennes plus actives, nous ne nous en porterions que mieux, et cela tiendrait lieu de pédagogie naturelle à l'intention de nos citoyens.
Je rappelle aussi à M. Myard que la célèbre conférence d'Ernest Renan Qu'est-ce qu'une nation ? se termine ainsi : « Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. » Nous n'y sommes pas encore, même si nous souhaitons un jour y parvenir.