Intervention de Frédéric Baab

Réunion du 15 décembre 2016 à 10h00
Mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations

Frédéric Baab, membre national d'Eurojust pour la France :

Il a en effet fallu dix ans – 1995-2005 – pour obtenir l'extradition de quelqu'un qui était clairement et directement impliqué dans les attentats de 1995 à Paris et en particulier dans l'attentat perpétré dans le RER Saint-Michel, qui avait causé la mort de huit personnes.

Troisième point, l'interconnexion des casiers judiciaires, grande avancée, est issue d'un projet franco-allemand. À l'époque, j'étais magistrat de liaison à Berlin et j'avais reçu mandat – avec obligation non de moyens, mais de résultats – de signer dans les délais les plus brefs un accord avec l'Allemagne permettant un échange électronique rapide et simplifié d'informations entre les casiers judiciaires français et allemands. Nous avions même pensé, initialement, à réaliser un casier judiciaire unique, idée quelque peu déraisonnable qui n'a pas passé le cap de la première réunion de travail entre les experts français et allemands.

Nous disposons d'un système informatisé baptisé ECRIS (European Criminal Records Information System – Système européen d'information sur les casiers judiciaires) qui permet l'interconnexion électronique des casiers judiciaires au niveau européen. Il a été adopté en 2009 et est entré en vigueur en 2011. Grâce à ce système, il est possible d'envoyer un avis de condamnation au casier judiciaire de l'État dont la personne concernée est ressortissante. La convention européenne d'entraide judiciaire de 1959 le permettait déjà : en théorie, à l'époque, les États membres devaient envoyer au pays signataire de la convention tous les avis de condamnation concernant ses ressortissants. Par exemple, si un Allemand est condamné en France, le casier français doit envoyer l'avis de condamnation au casier judiciaire allemand qui va l'enregistrer. La France a tiré toutes les conséquences juridiques possibles de ces échanges d'informations puisque, aujourd'hui, une condamnation prononcée à l'étranger contre un ressortissant français peut servir de premier terme de récidive.

Prenons l'exemple d'un ressortissant espagnol interpellé en France : l'interconnexion électronique permet de connaître ses antécédents judiciaires dans un délai de dix à vingt jours, ce qui est très bref comparé aux délais antérieurs – et même, en réalité, il n'y avait aucun échange entre les casiers judiciaires des différents pays. Le système, j'y insiste, s'appuie sur un principe de nationalité : toutes les condamnations prononcées en Europe contre des ressortissants européens sont centralisées auprès du casier judiciaire du pays de la personne concernée, seul casier qui puisse être interrogé, ce qui évite d'avoir à consulter vingt-sept autres casiers judiciaires. Là encore, on peut imaginer que le Royaume-Uni devra sortir de ce dispositif propre à l'Union européenne. Or le volume d'informations judiciaires échangées entre la France et le Royaume-Uni est très important.

J'en viens au quatrième et dernier point, le parquet européen. Il s'agit là, sans doute, de la question la plus facile à résoudre, puisque vingt-cinq pays ont participé au projet initial, soit les Vingt-Huit à l'exception, précisément, du Royaume-Uni, mais aussi du Danemark et de l'Irlande. Cela étant, d'autres pays resteront peut-être en dehors du projet de parquet intégré. Celui-ci détiendra à ce titre toutes les prérogatives de l'action publique, ce qui implique un transfert de souveraineté des États membres vers l'échelon européen : c'est le parquet européen qui devrait donc conduire les enquêtes et exercer les poursuites en s'appuyant sur des points de contact dans les États membres – des procureurs européens délégués – qui travailleront pour le compte et au nom du parquet européen, mais qui resteront intégrés dans la hiérarchie judiciaire des États membres. J'ignore de quelle manière le dispositif sera transposé dans le droit français, mais on peut imaginer qu'il y aura un point de contact par juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) ou bien un point de contact centralisé auprès du parquet national financier, puisque la compétence du parquet européen est limitée à la protection des intérêts financiers de l'Union européenne – limitation du reste importante : j'ai cru comprendre que, pour la seule fraude à la TVA, le seuil de compétence se situait à 10 millions d'euros de préjudice…

Il faudra en tout cas créer un système assurant la connexion opérationnelle entre l'échelon européen et l'échelon national, sachant qu'il n'y a pas de juridiction européenne correspondant à ce parquet européen et que les dossiers seront jugés devant les juridictions nationales avec un représentant du ministère public représentant le parquet européen.

Le 8 décembre dernier, les négociations ont échoué. Plusieurs pays se sont montrés réticents vis-à-vis de ce projet. La Suède a clairement affirmé ne pas vouloir y participer, un peu à l'instar d'autres États, même s'ils ont formulé leur avis de façon plus diplomatique : la Pologne, la Hongrie et, plus inquiétant, les Pays-Bas ; quant à l'Italie, son refus tient à des raisons inverses, le ministre italien considérant que le parquet européen n'allait pas assez loin dans l'intégration. En l'absence d'unanimité, ce projet sera adopté dans le cadre de ce qu'on appelle une coopération renforcée, qui nécessite la participation d'au moins neuf États membres, parmi lesquels la France et l'Allemagne.

Reste, je le répète, que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne n'aura aucune conséquence sur ce processus puisque, dès l'origine, ce pays n'a pas souhaité en faire partie.

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