Intervention de Agnès Romatet-Espagne

Réunion du 30 novembre 2016 à 17h30
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Alstom a effectivement vendu une cinquantaine de locomotives, pour environ 300 millions d'euros, en 2014. Ce qui est intéressant, c'est que ce qu'ils ont vendu est fabriqué en France – à Belfort et Tarbes, au Creusot, à Villeurbanne et Ornans, au Petit-Quevilly.. Des négociations sont aussi en cours à propos de la signalisation embarquée, et Alstom avait également livré des rames de métro pour les Jeux européens de 2015. L'entreprise est donc connue, et implantée. Jusqu'à présent, à ma connaissance, les Azerbaïdjanais n'ont pas exigé l'implantation locale d'une usine de montage en contrepartie de l'ouverture de leur marché – c'est souvent ainsi que les discussions s'ouvrent.

Toute notre filière ferroviaire et de transport est connue en Azerbaïdjan : Iveco a fourni des bus, Systra pilote le consortium international pour les études de rénovation et d'extension du métro de Bakou, Thalès aussi a travaillé sur les stations de métro et sur le contrôle automatique du trafic – Communication Based Train Control (CBTC). Ce marché présente un potentiel, même s'il est un peu « gelé » pour l'instant.

Un mot sur le pétrole : il semble que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), réunie à Vienne, soit parvenue à trouver un accord qui consisterait à diminuer la production d'environ 1,3 million de barils par jour, ce qui provoquerait sans doute un frémissement du prix du baril, mais confirmerait la tendance suivante : l'ère du baril à plus de 100 dollars est révolue, le prix étant durablement établi autour de 50 dollars. Certes, les investissements dans le secteur vont mécaniquement reprendre pour entretenir les champs vieillissants ; il n'est pas certain, toutefois, que l'économie mondiale puisse absorber la production des pays de l'OPEP au cours des prochaines années, surtout en cas de relance de la production des gaz de schiste aux États-Unis. Toutes les économies reposant sur l'exploitation des matières premières en sont affectées. Certaines, qui disposent de fonds souverains, sont plus solides ; d'autres jouissent d'une assez bonne réputation sur les marchés pour pouvoir emprunter, comme l'Arabie saoudite qui vient pour la première fois d'émettre des emprunts obligataires ; d'autres en revanche rencontreront de graves difficultés. L'Azerbaïdjan, qui possède un fonds souverain et qui ne s'est pas endetté à l'excès, pourra sans doute faire le gros dos pendant quelques temps, quitte à reculer sur certains grands projets comme le font toutes les autres économies.

L'industrie spatiale est l'un de ces grands chantiers industriels. En décembre 2014, nous avons vendu un satellite d'observation à Azercosmos et Arianespace doit prochainement lancer un deuxième satellite après un premier lancement en 2013 mais, dans les deux cas, ce sont des satellites américains. L'aéronautique, en revanche, demeure l'un de nos points forts dans la balance des échanges de biens : Airbus équipe la compagnie nationale azerbaïdjanaise. Avec onze appareils vendus, le volume de vente n'est pas encore considérable, mais Airbus a réussi à s'implanter dans le secteur du moyen-courrier et du long-courrier, jusque là occupé par Boeing, et est bien parti pour renouveler une partie de la flotte azerbaïdjanaise, vieillissante. Enfin, la Société générale est la seule banque d'affaires française présente en Azerbaïdjan.

En clair, l'Azerbaïdjan n'est pas pour nous un pays de premier rang, mais notre flux d'affaires avec ce pays est déjà important, et structuré par le MEDEF, qui a déjà envoyé des délégations de chefs d'entreprises à Bakou.

L'un des secteurs les plus prometteurs est celui du tourisme. L'Azerbaïdjan, en effet, a l'ambition de s'ériger en destination touristique de haut de gamme, comme substitut de la Turquie. Ces dernières années, la fréquentation aurait augmenté de 7 % à 8 % par an, en partie grâce à un effet de déport, au détriment de la Turquie, de touristes venus d'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Russie et d'Iran. C'est le résultat d'une politique de visas très favorable, puisque les ressortissants des pays d'Asie et du Golfe en sont exemptés. En outre, l'Azerbaïdjan projette de construire des infrastructures très ambitieuses, surtout en zone de montagne. Ajoutons que le pays vient d'être élu à la présidence du conseil exécutif de l'Organisation mondiale du tourisme, fonction qu'il exercera à partir du 1er janvier prochain.

La France, première destination touristique mondiale, souhaite exporter son savoir-faire dans des pays appelés à accueillir une partie du milliard de touristes supplémentaires qui voyageront en 2030. La famille des métiers du tourisme a été structurée sous l'égide d'un fédérateur, M. Jean-Emmanuel Sauvée, président et fondateur de la Compagnie du Ponant, et regroupe une centaine d'entreprises qui ont vocation à se projeter avec notre appui sur des marchés porteurs comme celui de l'Azerbaïdjan, sachant que l'association Cluster Montagne est déjà très présente sur place.

Inversement, les Azerbaïdjanais sont intéressés par des investissements dans le domaine du tourisme en France, sans doute en partie pour parfaire leur maîtrise dans ce secteur. Ainsi, la fondation Heydar Aliev souhaite financer avec Voies navigables de France (VNF) la replantation des arbres du canal du Midi ; le fonds souverain pétrolier SOFAZ a racheté un immeuble de la place Vendôme ; l'industriel Javad Marandi a racheté les chais Monnet à Cognac, autour desquels il prévoit des opérations de développement touristique ; le groupe Pasha Holding souhaite investir dans des résidences de tourisme en France ; enfin, la société Azimport est intéressée par le développement du secteur de l'hôtellerie sur la Côte d'Azur.

J'en viens à la lutte contre la corruption. L'Azerbaïdjan est signataire de la Convention des Nations unies contre la corruption, et le code pénal azerbaïdjanais prévoit l'incrimination générale des faits de corruption active et passive commis par des personnes publiques ou privées. Le bureau du Procureur général comporte un département de lutte contre la corruption. Plusieurs lois ont été adoptées concernant les lanceurs d'alerte et la répression des conflits d'intérêts. Les agents publics étrangers peuvent être incriminés pour des actes de corruption, et cette possibilité ne se limite pas au cadre du commerce international.

Cela étant, il existe en Azerbaïdjan un système d'auto-dénonciation que d'aucuns pourraient interpréter comme une incitation à pratiquer la corruption. Aucune liste noire des auteurs de faits de corruption n'est établie. Les immunités, les statistiques et l'administration des avoirs et de leur gel présentent des insuffisances manifestes. Le secret bancaire n'a pas été réaménagé. Enfin, la coopération internationale dans ce domaine n'est pas des plus évidentes.

L'Azerbaïdjan est membre du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe, dont le quatrième cycle d'évaluation a porté sur la prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs. Le rapport, adopté en 2014, mentionne un indice de corruption élevé et note le caractère « systémique » de la corruption dans le pays. Il recommande d'approfondir les lois anti-corruption et leur mise en oeuvre impartiale. En clair, il existe encore une marge de progrès.

Certes, aucune entreprise ne m'a fait part de son incapacité à travailler en Azerbaïdjan en raison du niveau de corruption. Dans le cas contraire, j'aurais naturellement été liée par un devoir de signalement. Je suis néanmoins consciente des conclusions figurant dans plusieurs rapports informés sur le sujet.

L'Azerbaïdjan n'est pas membre à part entière du Groupe d'action financière (GAFI), une structure faîtière de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux qui compte une trentaine de membres et dont les travaux sont abrités à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En revanche, l'Azerbaïdjan fait partie du Comité d'experts du Conseil de l'Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) qui a le statut de membre associé du GAFI.

Lors d'une première évaluation de l'Azerbaïdjan en 2008, le GAFI a révélé des défaillances notables. En février 2010, le pays a été inscrit sur la liste « grise » et menacé de passer en liste noire, raison pour laquelle il s'est engagé à un très haut niveau à remédier aux problèmes signalés. En juin de la même année, un cadre juridique nouveau a été adopté à cet effet, et le GAFI, ayant constaté in situ les progrès accomplis, a retiré l'Azerbaïdjan de la liste grise en octobre 2010. Toutefois, une nouvelle évaluation de février 2014, effectuée dans le cadre de Moneyval, a révélé les principales infractions au blanchiment de capitaux suivantes : vol, fraude, évasion fiscale, détournement de fonds, production et trafic d'armes et de stupéfiants, contrebande et corruption. Le rapport d'évaluation relève que l'Azerbaïdjan a pris des mesures, mais que des lacunes persistent : en matière de financement du terrorisme, le code pénal ne contient pas de définition des notions de terroriste individuel et d'organisation terroriste, la responsabilité pénale au titre du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme n'a pas été élargie aux personnes morales, l'incrimination du blanchiment de capitaux n'est pas correctement appliquée et aucune poursuite n'a jamais été engagée sur le fondement de cette seule infraction.

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