La réunion

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international. La diplomatie économique était l'une des priorités que s'était données, lors de sa nomination au ministère des affaires étrangères, M. Laurent Fabius. Rassemblant les services du ministère compétents en matière d'économie internationale, de soutien aux entreprises et d'attractivité de notre pays pour les investisseurs étrangers, la direction dont vous êtes chargée, madame la directrice, est en quelque sorte le bras armé de cette action. L'objet même des travaux de notre mission nous conduit à accorder un intérêt primordial à votre audition. Je vous remercie donc, au nom de mes collègues, de vous être rendue disponible.

Les auditions auxquelles nous avons déjà procédé nous ont fait prendre une conscience plus juste de l'importance des relations économiques qu'entretiennent l'Azerbaïdjan et la France et de leur développement récent – j'insiste sur ce qualificatif. Peut-être pourrez-vous nous aider à en avoir une vision d'ensemble et à mieux en cerner les causes – stratégie politique et économique des autorités de Bakou, plans d'investissement des groupes industriels français, etc. Sensibilisés par nos différents interlocuteurs à l'étendue nouvelle de ces relations, nous sommes également prévenus des risques qu'elles présentent pour les entreprises françaises potentiellement désireuses d'investir en Azerbaïdjan : des risques économiques et financiers résultant de la fragilité structurelle de l'économie du pays, directement affectée par la baisse des ressources tirées de la vente des produits pétroliers et dérivés ; également des risques juridiques, des risques tenant à des défaillances administratives ou à des comportements de corruption ; enfin, des risques liés à la structure politique autoritaire du régime, qui se traduit par des violations graves et répétées des libertés les plus fondamentales mais aussi par une certaine imprévisibilité des décisions politiques qui peut affecter les investissements des entreprises.

Nous aimerions donc, madame la directrice, connaître votre sentiment sur les conditions générales de l'investissement des entreprises françaises en Azerbaïdjan au regard de ces risques mais aussi des atouts que peut présenter ce pays. Nous souhaiterions également connaître les modalités d'intervention de votre direction auprès des entreprises françaises en Azerbaïdjan, de leur prise de connaissance du pays – de ses capacités et de ses limites – à la gestion de leurs investissements et des difficultés qu'elles peuvent rencontrer.

Votre exposé sera suivi d'un échange de questions et de réponses ouvert par notre rapporteur.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Je vous confesserai tout d'abord que l'Azerbaïdjan est un pays sur lequel je n'ai pas eu l'occasion moi-même d'investir intellectuellement, pour des raisons qui tiennent peut-être à la rareté des échanges à haut niveau. Comme vous le savez, les coups d'accélérateur que peut connaître l'activité des administrations tiennent largement aux échanges à très haut niveau. Or j'ai été nommée à mon poste après le déplacement que le Président de la République y avait effectué.

Au demeurant, les sollicitations des entreprises amenées à y travailler ne sont pas quotidiennes, du moins à Paris, probablement parce que leur implantation sur place est assez ancienne et qu'elles ont depuis longtemps les réseaux nécessaires, le mode de fonctionnement adéquat…

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Ce sont tout de même des échanges assez importants !

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

L'Azerbaïdjan est le quatre-vingt-dix-huitième client de la France – le quatrième au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), derrière la Russie, l'Ukraine et le Kazakhstan, avec 2,4 % des exportations françaises dans la région. Certes, c'est le premier partenaire commercial de la France dans le Caucase, mais notre solde reste déficitaire, à cause des hydrocarbures, et nos exportations se sont contractées en 2015.

Je ne porte pas d'appréciation sur le pays lui-même. Il ne figure simplement pas en « pôle position » dans la hiérarchie des pays auxquels nous devons consacrer du temps et de l'énergie. Il n'est pas dans un angle mort, car des choses s'y passent, mais, pour le dire crûment, ce n'est pas un pays auquel je consacre beaucoup d'équivalents temps plein (ETP).

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Le Président de la République a quand même mis un accent particulier sur ce pays au cours des dernières années, avec des échanges à haut niveau à plusieurs reprises.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Au cours de ces quatre dernières années, c'est au moins avec une cinquantaine de pays que nous avons eu des échanges – et des engagements – à très haut niveau. Bien sûr, le jour où on nous annonce la perspective de contrats d'un montant très important avec un pays, nous mobilisons davantage d'énergie, mais, soyons francs, avec l'Azerbaïdjan, cela n'a pas été le cas récemment.

Cela ne veut pas dire que le pays soit oublié de notre tissu économique. Vous avez déjà auditionné Mmes Florence Mangin, directrice de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international, et Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l'internationalisation des entreprises à la direction générale du Trésor, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je ne fais parfois que répéter leur propos.

Vous avez évoqué l'investissement, monsieur le président, mais nous ne savons pas, je veux le souligner, quel est le montant exact des investissements français en Azerbaïdjan. Le chiffre que je tiens de la Banque de France n'est pas significatif. De manière générale, j'appelle votre attention sur le fait que les montants dont nous disposons en matière d'investissement à l'étranger sont inexacts, quel que soit le pays concerné.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

C'est une vérité qu'il faut connaître. La définition même de ce qu'est un investissement ne fait pas consensus, et les écarts sont parfois spectaculaires.

Selon la Banque de France, le montant de nos investissements en Azerbaïdjan s'élève à 78 millions d'euros. C'est franchement absurde ! Nous sommes le cinquième investisseur en Azerbaïdjan, et les seuls investissements de Total se chiffreraient plutôt en centaines de millions d'euros, sinon en milliards.

Une difficulté majeure tient à l'identification de l'origine des investissements dans un certain nombre de pays, les structures porteuses de ces investissements n'apparaissant tout simplement pas comme des structures françaises. La Banque de France pourra ainsi indiquer que tels investissements proviennent des îles anglo-normandes, des Bahamas, etc. En poste en Australie, j'avais moi-même constaté que les Bahamas y étaient le deuxième investisseur étranger !

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Je n'ai pas les chiffres.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Je pense que les Qatariens font les choses plus « en direct ».

Les chiffres de la Banque de France ne sont pas toujours fiables. Essayer de retrouver la véritable nationalité de l'entreprise qui investit quelque part est d'ailleurs un exercice auquel tous les services économiques se livrent. Je l'ai vérifié en Inde, la semaine dernière. Le montant des investissements français qui nous avait été communiqué était ridicule, et nous avons constaté avec l'ambassadeur et le service économique qu'un travail d'identification et de précision de la réalité de ces investissements était nécessaire. C'est pourquoi j'appelle votre attention sur ce problème.

Pour sa part, l'ambassadeur d'Azerbaïdjan à Paris vous a donné le chiffre de 2,4 milliards d'euros. Voilà qui est loin des 78 millions d'euros de la Banque de France !

Ces montants sont-ils appelés à augmenter ? Oui, du fait des investissements que souhaite effectuer Total, qui prennent forme. Le président-directeur général de Total était à Bakou le 21 novembre dernier et y a conclu un accord avec la SOCAR, la compagnie nationale azerbaïdjanaise, qui devrait conduire à l'accélération des projets de Total sur place. Total voudrait que sa plateforme locale de forage soit prête en 2017 et entre en production à partir de 2022, via quatre puits, soit 5 milliards de mètres cubes par an, essentiellement destinés au marché local.

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Nous tenons effectivement des chiffres de cet ordre des représentants de Total.

Avez-vous des relations avec la SOCAR ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Personnellement, je n'en ai pas, mais je suppose que notre ambassadrice à Bakou a demandé à rencontrer ses représentants, cela me paraît naturel.

Total a pour objectif de devenir opérateur en Azerbaïdjan, dans l'exploration-production, ainsi qu'Engie, mais il y a aussi des projets dans le transport. Tout cela se traduira par une hausse des montants investis par nos compagnies du secteur de l'énergie.

J'ajoute que l'investissement devrait également augmenter dans ce pays pour une autre raison, très directement liée au fait que nous sommes au-delà de ce qu'on appelle, pour le transport des produits frais, la barrière des 1 200 kilomètres – si vous devez franchir 1 200 kilomètres avec du frais, c'est trop cher et vous n'êtes plus compétitifs.

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Nous allons précisément recevoir un représentant de Lactalis.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Très bien. J'espère qu'il pourra vous confirmer cette indication, que je tenais de Lactalis et de Danone. Ils vont procéder par acquisition locale ou développement local, en se fournissant localement.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Probablement. En tout cas, c'est ce que je ferais à leur place. En matière de produits laitiers, les goûts locaux sont toujours très particuliers, il faut y coller, et vous avez intérêt à travailler à partir de ce qui se fait déjà sur place. Ils ont déjà lancé une opération de co-packaging, Danone a déjà lancé une production de yaourts au Sud du pays, donc tout cela va se faire localement.

Plus généralement, une tendance à l'implantation et au sourcing local, soit par acquisition externe, soit par développement d'une activité ex nihilo, est observée dans la plupart des pays. Cette manière de faire permet de surmonter les obstacles à l'accès au marché, spécialement en ce qui concerne les produits agroalimentaires. Et, de façon générale, les pays soumettent de plus en plus l'ouverture de leur marché national à une implantation locale. Il n'y a pas de raison que l'Azerbaïdjan échappe à cette quasi-règle.

Ce qui est intéressant, c'est l'intérêt plus grand que manifestent les investisseurs azerbaïdjanais pour la France. C'est là une évolution qui me semble plus surprenante. Pour la deuxième année, nous avons organisé – c'était au mois d'octobre dernier – le Invest in France Month. Cette initiative a été lancée à la demande de Laurent Fabius et reprise par Jean-Marc Ayrault. L'idée est, pendant un mois, dans chacun des pays retenus pour l'opération, de faire parler notre ambassadeur, Business France, son opérateur, mais également des « témoins de moralité », par exemple des entreprises qui ont déjà investi en France et peuvent expliquer les raisons de leur choix, et de leur satisfaction, des cabinets d'avocats, des cabinets d'experts-comptables. L'année dernière, nous avons conduit cette opération dans une cinquantaine de pays ; cette année, nous l'avons étendue à vingt autres, dont l'Azerbaïdjan. Selon notre ambassadrice, qui a réussi à réunir sur place une soixantaine d'hommes d'affaires, le fonds souverain pétrolier SOFAZ et l'Azerbaijan Investment Company, il y a pour la suite de fortes manifestations d'intérêt de la part des participant. Nous travaillons dans la foulée à l'organisation, avec Business France, d'un programme VIP, en particulier pour les représentants du fonds souverain. Ce programme de découverte se déroulerait au début de l'année 2017, sur l'ensemble de notre territoire, et serait articulé autour des sujets qui les intéressent.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Il s'agit notamment de l'hôtellerie et du tourisme, ce qui n'est guère surprenant, mais aussi de l'agroalimentaire, ce qui l'est davantage, de l'immobilier de la vigne. Cet intérêt pour l'hôtellerie et le tourisme est concomitant d'une volonté de très forte montée en gamme de l'Azerbaïdjan sur le terrain du tourisme. Il est intéressant de noter que les Azerbaïdjanais veulent diversifier leurs actifs et investir aussi dans ce domaine. En ce qui concerne l'agroalimentaire, il nous faut voir de quoi il retourne exactement et savoir ce qu'ils ont en tête – sans doute surtout le vin et les spiritueux.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Absolument. Ils construisent d'ailleurs un hôtel de luxe à Cognac ce qui est heureux puisque la question de la montée en gamme de notre hôtellerie se pose et que nous manquons dramatiquement d'hôtels à forte capacité, surtout dans nos territoires.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Au cours des cinquante dernières années, nous n'avons pas développé les liaisons aériennes directes.

Pour des Allemands d'un certain âge – je rappelle que les Allemands étaient notre première clientèle touristique – il n'est pas aussi simple de prendre l'avion, de descendre à Roissy, d'y récupérer sa valise et d'aller prendre un train que d'emprunter un vol direct Düsseldorf-Bordeaux. C'est une évidence et c'est la forme de tourisme sur trois ou quatre jours qui se développe le plus en Europe. À l'initiative de Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, nous avons donc créé un observatoire de la connectivité aérienne, ferroviaire et routière pour mieux mesurer les besoins dans le domaine aérien mais aussi ferroviaire, sans parler du sujet du dernier kilomètre.

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Au-delà de la question de l'hôtel, il y a celle de l'accueil dans l'hôtel.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Il y a l'accueil, le numérique, les prix, le produit touristique, la promotion de la destination…

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

J'ai été surprise du succès remporté en Azerbaïdjan par cette opération Invest in France Month, organisé dans un certain nombre de pays choisis avec la direction générale du Trésor – des pays bénéficiant de revenus, dotés de fonds souverains un peu actifs, avec des hommes d'affaires ou des fortunes personnelles qui pouvaient justifier l'organisation d'une telle manifestation. Nous verrons comment ce succès se traduit concrètement.

Pour l'heure, je reviendrai sur quelques domaines dans lesquels nos échanges bilatéraux sont appelés à se développer avec l'Azerbaïdjan.

Le premier, c'est l'énergie. Il me semble assez habile d'investir en Azerbaïdjan maintenant, compte tenu du prix du baril. Les investissements se sont effondrés avec les cours, et leur coût est aujourd'hui bien moindre qu'il y a dix ans, mais aussi bien moindre qu'il ne le sera dans vingt ans. Par ailleurs, il y a là des gisements de qualité. Derrière Total, il y a toute la filière qui suit : Air Liquide, Engie, Spiecapag, Europipe… L'intérêt, c'est de les emmener tous pour qu'ils puissent offrir une offre consolidée dans le cadre de ces projets. Dans ce dispositif, j'accorde un grand prix à ce que peut faire l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), particulièrement habile et efficace. Sa filiale Axens a d'ailleurs un contrat avec la SOCAR et est très active en Azerbaïdjan et peut former des ingénieurs dans la langue azérie. Cette transmission de notre savoir-faire peut être le moyen de nouer des liens très solides. Schneider Electric est également présent sur le marché local de l'électricité depuis 1994, mais aussi, très largement, sur d'autres créneaux.

Néanmoins, relativisons la part de l'Azerbaïdjan dans notre mix énergétique, dont le pétrole représente aujourd'hui 30 %. L'Azerbaïdjan nous fournit 6,3 % de ce pétrole, c'est notre septième fournisseur derrière l'Arabie saoudite, le Kazakhstan, le Nigeria, la Russie, l'Angola et l'Algérie. Cette part devrait augmenter, mais les projets de Total concernent avant tout le marché local. Relativisons donc notre éventuelle dépendance au pétrole azerbaïdjanais.

Je répéterai quelque peu les informations qu'a pu vous donner Alstom à propos du transport urbain et ferroviaire, autre secteur prometteur pour nos entreprises. S'ils n'auront certes pas l'ampleur de ce que l'on pouvait espérer compte tenu du prix du baril, des projets sont en cours, et nous pensons être en mesure de proposer une offre consolidée.

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Les représentants d'Alstom avancent tout de même des chiffres relativement importants.

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Alstom a effectivement vendu une cinquantaine de locomotives, pour environ 300 millions d'euros, en 2014. Ce qui est intéressant, c'est que ce qu'ils ont vendu est fabriqué en France – à Belfort et Tarbes, au Creusot, à Villeurbanne et Ornans, au Petit-Quevilly.. Des négociations sont aussi en cours à propos de la signalisation embarquée, et Alstom avait également livré des rames de métro pour les Jeux européens de 2015. L'entreprise est donc connue, et implantée. Jusqu'à présent, à ma connaissance, les Azerbaïdjanais n'ont pas exigé l'implantation locale d'une usine de montage en contrepartie de l'ouverture de leur marché – c'est souvent ainsi que les discussions s'ouvrent.

Toute notre filière ferroviaire et de transport est connue en Azerbaïdjan : Iveco a fourni des bus, Systra pilote le consortium international pour les études de rénovation et d'extension du métro de Bakou, Thalès aussi a travaillé sur les stations de métro et sur le contrôle automatique du trafic – Communication Based Train Control (CBTC). Ce marché présente un potentiel, même s'il est un peu « gelé » pour l'instant.

Un mot sur le pétrole : il semble que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), réunie à Vienne, soit parvenue à trouver un accord qui consisterait à diminuer la production d'environ 1,3 million de barils par jour, ce qui provoquerait sans doute un frémissement du prix du baril, mais confirmerait la tendance suivante : l'ère du baril à plus de 100 dollars est révolue, le prix étant durablement établi autour de 50 dollars. Certes, les investissements dans le secteur vont mécaniquement reprendre pour entretenir les champs vieillissants ; il n'est pas certain, toutefois, que l'économie mondiale puisse absorber la production des pays de l'OPEP au cours des prochaines années, surtout en cas de relance de la production des gaz de schiste aux États-Unis. Toutes les économies reposant sur l'exploitation des matières premières en sont affectées. Certaines, qui disposent de fonds souverains, sont plus solides ; d'autres jouissent d'une assez bonne réputation sur les marchés pour pouvoir emprunter, comme l'Arabie saoudite qui vient pour la première fois d'émettre des emprunts obligataires ; d'autres en revanche rencontreront de graves difficultés. L'Azerbaïdjan, qui possède un fonds souverain et qui ne s'est pas endetté à l'excès, pourra sans doute faire le gros dos pendant quelques temps, quitte à reculer sur certains grands projets comme le font toutes les autres économies.

L'industrie spatiale est l'un de ces grands chantiers industriels. En décembre 2014, nous avons vendu un satellite d'observation à Azercosmos et Arianespace doit prochainement lancer un deuxième satellite après un premier lancement en 2013 mais, dans les deux cas, ce sont des satellites américains. L'aéronautique, en revanche, demeure l'un de nos points forts dans la balance des échanges de biens : Airbus équipe la compagnie nationale azerbaïdjanaise. Avec onze appareils vendus, le volume de vente n'est pas encore considérable, mais Airbus a réussi à s'implanter dans le secteur du moyen-courrier et du long-courrier, jusque là occupé par Boeing, et est bien parti pour renouveler une partie de la flotte azerbaïdjanaise, vieillissante. Enfin, la Société générale est la seule banque d'affaires française présente en Azerbaïdjan.

En clair, l'Azerbaïdjan n'est pas pour nous un pays de premier rang, mais notre flux d'affaires avec ce pays est déjà important, et structuré par le MEDEF, qui a déjà envoyé des délégations de chefs d'entreprises à Bakou.

L'un des secteurs les plus prometteurs est celui du tourisme. L'Azerbaïdjan, en effet, a l'ambition de s'ériger en destination touristique de haut de gamme, comme substitut de la Turquie. Ces dernières années, la fréquentation aurait augmenté de 7 % à 8 % par an, en partie grâce à un effet de déport, au détriment de la Turquie, de touristes venus d'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Russie et d'Iran. C'est le résultat d'une politique de visas très favorable, puisque les ressortissants des pays d'Asie et du Golfe en sont exemptés. En outre, l'Azerbaïdjan projette de construire des infrastructures très ambitieuses, surtout en zone de montagne. Ajoutons que le pays vient d'être élu à la présidence du conseil exécutif de l'Organisation mondiale du tourisme, fonction qu'il exercera à partir du 1er janvier prochain.

La France, première destination touristique mondiale, souhaite exporter son savoir-faire dans des pays appelés à accueillir une partie du milliard de touristes supplémentaires qui voyageront en 2030. La famille des métiers du tourisme a été structurée sous l'égide d'un fédérateur, M. Jean-Emmanuel Sauvée, président et fondateur de la Compagnie du Ponant, et regroupe une centaine d'entreprises qui ont vocation à se projeter avec notre appui sur des marchés porteurs comme celui de l'Azerbaïdjan, sachant que l'association Cluster Montagne est déjà très présente sur place.

Inversement, les Azerbaïdjanais sont intéressés par des investissements dans le domaine du tourisme en France, sans doute en partie pour parfaire leur maîtrise dans ce secteur. Ainsi, la fondation Heydar Aliev souhaite financer avec Voies navigables de France (VNF) la replantation des arbres du canal du Midi ; le fonds souverain pétrolier SOFAZ a racheté un immeuble de la place Vendôme ; l'industriel Javad Marandi a racheté les chais Monnet à Cognac, autour desquels il prévoit des opérations de développement touristique ; le groupe Pasha Holding souhaite investir dans des résidences de tourisme en France ; enfin, la société Azimport est intéressée par le développement du secteur de l'hôtellerie sur la Côte d'Azur.

J'en viens à la lutte contre la corruption. L'Azerbaïdjan est signataire de la Convention des Nations unies contre la corruption, et le code pénal azerbaïdjanais prévoit l'incrimination générale des faits de corruption active et passive commis par des personnes publiques ou privées. Le bureau du Procureur général comporte un département de lutte contre la corruption. Plusieurs lois ont été adoptées concernant les lanceurs d'alerte et la répression des conflits d'intérêts. Les agents publics étrangers peuvent être incriminés pour des actes de corruption, et cette possibilité ne se limite pas au cadre du commerce international.

Cela étant, il existe en Azerbaïdjan un système d'auto-dénonciation que d'aucuns pourraient interpréter comme une incitation à pratiquer la corruption. Aucune liste noire des auteurs de faits de corruption n'est établie. Les immunités, les statistiques et l'administration des avoirs et de leur gel présentent des insuffisances manifestes. Le secret bancaire n'a pas été réaménagé. Enfin, la coopération internationale dans ce domaine n'est pas des plus évidentes.

L'Azerbaïdjan est membre du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe, dont le quatrième cycle d'évaluation a porté sur la prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs. Le rapport, adopté en 2014, mentionne un indice de corruption élevé et note le caractère « systémique » de la corruption dans le pays. Il recommande d'approfondir les lois anti-corruption et leur mise en oeuvre impartiale. En clair, il existe encore une marge de progrès.

Certes, aucune entreprise ne m'a fait part de son incapacité à travailler en Azerbaïdjan en raison du niveau de corruption. Dans le cas contraire, j'aurais naturellement été liée par un devoir de signalement. Je suis néanmoins consciente des conclusions figurant dans plusieurs rapports informés sur le sujet.

L'Azerbaïdjan n'est pas membre à part entière du Groupe d'action financière (GAFI), une structure faîtière de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux qui compte une trentaine de membres et dont les travaux sont abrités à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En revanche, l'Azerbaïdjan fait partie du Comité d'experts du Conseil de l'Europe sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) qui a le statut de membre associé du GAFI.

Lors d'une première évaluation de l'Azerbaïdjan en 2008, le GAFI a révélé des défaillances notables. En février 2010, le pays a été inscrit sur la liste « grise » et menacé de passer en liste noire, raison pour laquelle il s'est engagé à un très haut niveau à remédier aux problèmes signalés. En juin de la même année, un cadre juridique nouveau a été adopté à cet effet, et le GAFI, ayant constaté in situ les progrès accomplis, a retiré l'Azerbaïdjan de la liste grise en octobre 2010. Toutefois, une nouvelle évaluation de février 2014, effectuée dans le cadre de Moneyval, a révélé les principales infractions au blanchiment de capitaux suivantes : vol, fraude, évasion fiscale, détournement de fonds, production et trafic d'armes et de stupéfiants, contrebande et corruption. Le rapport d'évaluation relève que l'Azerbaïdjan a pris des mesures, mais que des lacunes persistent : en matière de financement du terrorisme, le code pénal ne contient pas de définition des notions de terroriste individuel et d'organisation terroriste, la responsabilité pénale au titre du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme n'a pas été élargie aux personnes morales, l'incrimination du blanchiment de capitaux n'est pas correctement appliquée et aucune poursuite n'a jamais été engagée sur le fondement de cette seule infraction.

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La situation s'est en effet améliorée, mais l'Azerbaïdjan a-t-il sollicité la France ou l'Union européenne pour y parvenir ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Tout l'intérêt du GAFI consiste précisément à ce que nous puissions aider les pays qui le souhaitent à progresser, et je vous confirmerai si notre expertise ou celle de nos partenaires européens a été sollicitée en l'espèce. En tout état de cause, un rapport de suivi de Moneyval, paru en décembre 2015, fait état de progrès concernant la mise en oeuvre d'une approche fondée sur les risques et leur évaluation, ainsi que sur la cellule de renseignement financier. La procédure de suivi régulier suit son cours, le pays devant remettre son rapport de suivi ce mois-ci, même si la prochaine visite sur site n'est prévue qu'en 2021.

Enfin, l'Azerbaïdjan figure au 119e rang du classement de l'indice de perception de la corruption de Transparency International et, sur le terrain plus général du climat des affaires, au 65e rang du classement de Doing Business.

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Quelle appréciation faites-vous du « risque pays » associé à l'Azerbaïdjan compte tenu de la baisse des recettes budgétaires et des capacités d'investissement ? Comment l'Azerbaïdjan se situe-t-il en la matière rapport aux autres pays du Caucase ou encore au Tadjikistan ? Avez-vous des retours positifs concernant les réformes entreprises par l'administration azerbaïdjanaise dans le domaine des douanes et des formalités administratives, notamment depuis le lancement du portail de paiement en ligne ASAN Service ? Enfin, quels sont les projets en cours dans le domaine de l'environnement, de l'eau et du traitement des déchets ménagers ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Selon moi, l'Azerbaïdjan ne figure pas sur la carte des pays à risque majeur car, d'une part, l'exposition française y est minime, et, d'autre part, il n'est pas surendetté (environ 20% de son PIB en 2015). Dans les autres pays du Caucase et au Tadjikistan, nos intérêts économiques sont encore moins importants. Le Kazakhstan présente des points communs avec l'Azerbaïdjan : dans l'un et l'autre pays, de grands projets sont gelés et la commande publique se rétracte, ce qui est d'ailleurs raisonnable. Le Kazakhstan, cependant, a lancé davantage de grands projets, tandis que l'Azerbaïdjan me semble avoir été plus prudent. Le Kazakhstan accueillera par exemple une grande exposition internationale à Astana en 2017 ; Bakou aurait envisagé sa candidature – contre Paris – à l'organisation de l'Exposition universelle en 2025 mais, compte tenu de l'évolution du prix du baril de pétrole, le risque serait important.

Dans le secteur de l'eau, du traitement des déchets et, plus généralement, des services collectifs, la France propose une offre globale concernant la « ville intelligente et durable ». Il va de soi que l'Azerbaïdjan fait partie des pays dans lesquels nous avons des parts de marché à gagner dans ces secteurs, car notre offre est de qualité et nos grandes entreprises savent travailler intelligemment dans des pays de ce type. Reste à s'assurer que la commande publique est gérée dans des conditions irréprochables.

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Confirmez-vous que l'Agence française de développement (AFD) s'apprête à intervenir en Azerbaïdjan dans les domaines du transport et de l'agriculture pour un montant supérieur à 100 millions d'euros ?

Par ailleurs, le recul des investissements lié à la situation économique du pays et à la baisse du prix du baril touche-t-il également les investissements dans le secteur de l'armement ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

En matière de défense, certains grands projets envisagés il y a encore deux ans ne sont plus à l'ordre du jour, mais je ne peux pas entrer dans les détails sur ce point.

L'AFD a été autorisée en avril 2012 à intervenir dans les trois Etats du Caucase pour y proposer des prêts non ou peu concessionnels. L'Azerbaïdjan ne figure pas, en effet, dans la catégorie des pays en développement, et n'est donc pas éligible aux fonds de la Réserve pays émergents (RPE). En revanche, il peut bénéficier des procédures relevant du Fonds d'étude et d'aide au secteur privé (FASEP) géré par la direction générale du Trésor. L'AFD peut intervenir dans les domaines suivants : le développement urbain, en particulier les transports urbains, l'eau, l'assainissement et la gestion des déchets, les énergies propres et renouvelables, le tourisme durable, le financement du secteur privé – via Proparco – ainsi que la gouvernance et la protection sociale. L'engagement de l'AFD s'élève à un montant total de 112 millions d'euros. Ces aides déliées, qui correspondent à une stratégie économique de bon sens, doivent autant que possible permettre à nos entreprises d'en retirer des bénéfices.

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Quel rôle jouent à votre connaissance les autorités politiques azerbaïdjanaises dans les négociations d'investissement, qu'il s'agisse de la présidence, des ministères de l'économie et de l'énergie ou encore de la SOCAR ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

L'imbrication de la SOCAR et du fonds souverain SOFAZ au plus haut niveau de l'État ne fait aucun doute. Certaines personnes privées réalisent des investissements, mais je ne peux pas confirmer qu'elles le fassent au nom personnel du président de la République ou de certains de ses ministres.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous eu connaissance des conditions dans lesquelles a été présenté le projet de rachat par un investisseur azerbaïdjanais du Racing Club de Lens ? Si oui, avez-vous pris des mesures ? De façon générale, votre direction exerce-t-elle un rôle d'alerte et de vigilance au bénéfice des entreprises françaises sur la sécurité financière et juridique des investissements qu'elles envisagent de réaliser en Azerbaïdjan ? Êtes-vous, enfin, en relation avec TRACFIN ?

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Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l'économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international

Oui, nous sommes en lien permanent avec TRACFIN. Quant à l'investissement dans le Racing Club de Lens, je ne l'ai découvert qu'après coup et nous n'avons pas été contactés à ce sujet. En revanche, lorsque j'ai été informée par hasard d'un projet d'investissement saugrenu dans l'AJ Auxerre, j'ai pris l'initiative d'alerter les services intérieurs pour leur demander une enquête de moralité et, compte tenu des conclusions de cette enquête, j'ai fait passer un message en conséquence.

Vous connaissez comme moi les conditions dans lesquels ce type d'investissements peut être réalisé en France. En déplacement à Berlin le 17 novembre dernier, le Premier ministre a appelé à une coopération allemande renforcée sur ce sujet ; nous y travaillons. Ajoutons que les clubs de football ne relèvent évidemment pas du « décret Montebourg » relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable, puisque ces investissements ne sont pas jugés stratégiques. Sauf cas de blanchiment, nous ne disposons donc pas des outils juridiques permettant de les empêcher, ce qui est d'ailleurs normal.

La séance est levée à dix-huit heures trente.