Intervention de Gisèle Biémouret

Séance en hémicycle du 10 janvier 2017 à 15h00
Débat sur les politiques publiques en faveur de l'accès aux droits sociaux

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGisèle Biémouret :

Madame la présidente, mes chers collègues, en 2008, notre pays s’est trouvé confronté à une crise économique majeure. Les plus modestes en ont été les premières victimes. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE –, plus de huit millions de personnes, soit 14 % de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1 000 euros par mois. À la fin de l’année 2013, quatre millions de personnes étaient allocataires de minima sociaux, ce qui représentait, en tenant compte des conjoints, des enfants et des autres personnes à charge, 7,1 millions de personnes couvertes, soit 10,9 % de la population.

C’est dire l’importance des dispositifs d’aide, non seulement pour les intéressés, mais pour la société tout entière.

Conscient de l’enjeu, le Gouvernement,a adopté en janvier 2013, à l’issue d’une large concertation, un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Un volet entier est consacré à l’amélioration effective de l’accès aux droits, avec trois objectifs principaux : mieux connaître les phénomènes de non-recours, mieux détecter et informer les bénéficiaires potentiels de droits, réformer les prestations pour en élargir, simplifier, voire automatiser l’accès.

De nombreuses mesures ont été prises dans le cadre de ce plan. Sans les citer toutes, je rappellerai cependant la revalorisation exceptionnelle du RSA de 10 % sur cinq ans, celle de l’aide à la complémentaire santé – ACS –, qui bénéficie à quelque 1,2 million de personnes non couvertes par une mutuelle complémentaire, la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA-activité au travers de la création de la prime d’activité, qui améliore le pouvoir d’achat de millions de ménages et connaît un succès croissant.

Parmi ces mesures destinées à améliorer l’accès aux droits, on peut souligner également l’engagement des travaux sur la fusion du RSA et de l’allocation spécifique de solidarité, l’ASS, versée aux chômeurs en fin de droits ; la mise en ligne d’un simulateur de droits multi-prestations, pour permettre à chacun d’avoir une vue d’ensemble des aides dont il peut bénéficier ; l’expérimentation d’un espace numérique de type « coffre numérique » conservant les pièces justificatives pour les personnes accompagnées afin de faciliter leur parcours administratif. Nous pouvons parler aussi de la généralisation des rendez-vous des droits de la Mutualité sociale agricole et des caisses d’allocations familiales et de la démarche du PLANIR – plan d’accompagnement du non-recours, des incompréhensions et des ruptures.

C’est dans ce contexte de lutte globale en faveur de l’accès aux droits sociaux que mon collègue Jean-Louis Costes et moi-même avons rendu en octobre dernier, au nom du comité d’évaluation et de contrôle, un rapport consacré à un phénomène encore mal connu, celui du non-recours aux prestations sociales, et à l’évaluation des dispositifs favorisant l’accès aux droits sociaux. Fruit de plus de six mois d’auditions et de plusieurs déplacements dans des structures sociales, ce rapport s’est attaché, dans la lignée du plan pluriannuel, à proposer des préconisations visant à améliorer l’exercice du droit de chacun, en fonction de sa situation, à recevoir l’aide de la communauté.

Le non-recours, dont l’ordre de grandeur serait de deux à trois milliards d’euros par an, bien supérieur à celui de la fraude sociale, a un impact négatif sur le pacte social, d’abord parce que ceux qui sont ou se sentent à l’écart du système de protection sociale en éprouvent du ressentiment, ensuite parce que le « curatif » coûte finalement plus cher que la prévention.

Nous avons pu constater que ces prestations ne sont pas toutes perçues par les personnes qui y ont droit. Pour diverses raisons – manque d’information, complexité des procédures de constitution des dossiers, méconnaissance des dispositifs, sentiment de stigmatisation –, le taux de non-recours varie, selon les prestations, de 30 à 40 %. Nous avons en conséquence formulé une vingtaine de préconisations parmi lesquelles une simplification des procédures, une plus grande stabilité des droits, de manière à éviter l’incertitude quant aux montants à percevoir, l’amélioration de l’accueil des personnes, non seulement au travers de la formation des personnels mais aussi en autorisant l’utilisation des nouvelles technologies pour faire valoir ses droits et en améliorant la concertation entre les administrations.

Cependant l’efficacité n’est pas totalement au rendez-vous. La raison première ne tient pas directement au plan gouvernemental mais à des textes eux-mêmes très complexes et au fait que les organismes de protection sociale sont en proie à des injonctions contradictoires.

Le code de l’action sociale et des familles et celui de la sécurité sociale confient la lutte contre la pauvreté et les exclusions à l’État, aux collectivités territoriales, aux centres communaux et intercommunaux d’action sociale, CCAS et CIAS, aux organismes de sécurité sociale, mais aussi aux entreprises, aux syndicats, aux associations spécialisées, et même aux particuliers. Il n’est donc pas surprenant que l’on soit confronté sur le terrain à un foisonnement d’interlocuteurs. On peut certes estimer que plus il y a de points de contact, plus l’accès aux droits se trouve facilité mais ce foisonnement est surtout nuisible en termes d’efficacité par les risques de diffusion d’informations contradictoires ou de conflits de compétence qu’il engendre.

Par ailleurs, les caisses de sécurité sociale, principaux opérateurs de la gestion des droits sociaux, ne sont pas forcément les mieux placées pour coordonner la lutte contre le non-recours tant elles sont prises dans une contradiction majeure. En effet, elles sont surtout incitées à délivrer des prestations aux allocataires existants et à contrôler le bien-fondé des aides versées. Or lutter contre le non-recours c’est tout l’inverse : c’est aller chercher des allocataires que l’on ne connaît pas et ouvrir des droits nouveaux. Nous montrons de manière détaillée dans le rapport que les agents des caisses sont financièrement intéressés à la maîtrise des risques et pas à la réduction du non-recours.

Pour surmonter ces deux difficultés, nous proposons de donner une nouvelle impulsion à la politique publique d’accès aux droits sociaux en faisant des conseils départementaux, déjà très impliqués dans l’aide sociale et médico-sociale, les chefs de file uniques de la lutte contre le non-recours, ou en laissant à chaque conseil départemental, dans ce rôle de chef de file, le soin de désigner localement une structure d’accueil unique et un référent de parcours. Selon le contexte local, cela peut-être un CCAS, une association très implantée ou une caisse d’allocation familiale –CAF –particulièrement innovante dans ce domaine.

Je terminerai mon propos, mes chers collègues, en vous disant que notre pays a su développer un ensemble de minima sociaux qui, loin des caricatures lancées par certains à droite, ne favorisent pas l’assistanat mais au contraire permettent tous les jours à nos concitoyens les plus fragiles de survivre. Je dis bien « survivre » car, contrairement aux idées reçues, on ne vit pas bien quand on vit des minima sociaux ! Une étude de la DREES – direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – de décembre dernier indique qu’un bénéficiaire de minima sociaux sur deux vit avec moins de cinq cents euros par mois une fois déduites ses dépenses pré-engagées, lesquelles, soit dit en passant, représentent 42 % de ses revenus, contre un tiers pour l’ensemble des ménages.

Or on constate dans notre pays, pour des raisons diverses, parfois instrumentalisées, une montée de la violence verbale à l’égard de nos compatriotes les plus démunis et un durcissement du regard porté sur eux, ce qui est humainement et politiquement inacceptable, en particulier quand il est le fait de responsables politiques.

Écoutons les associations qui luttent contre la précarité. Il y a quelques jours encore, elles ont lancé collectivement un message d’alerte, exprimant leur ras-le-bol à l’égard de ces discours sur l’assistanat et de la montée de la « pauvrophobie » dans une certaine presse affichant des titres racoleurs. Je pense notamment à un journal qui n’a de « valeurs » que le nom et qui affichait récemment à sa une : « Les assistés : comment ils ruinent la France », contribuant à alimenter les discours nauséabonds sur nos concitoyens en difficulté. Cette façon de cibler les plus démunis pour en faire les boucs émissaires des difficultés de notre pays nous interroge sur les valeurs de notre société et le respect de notre devise républicaine.

Faut-il remettre en question notre modèle de protection sociale, comme certains candidats le prônent, au prétexte que le nombre de personnes démunies dans notre pays est trop élevé ? Considérons simplement la situation de nos voisins européens. La dernière évaluation d’Eurostat indique que le taux de pauvreté de la France reste inférieur à celui de tous les grands pays européens. En Allemagne il est de16,6 % et même la Suède, dont le modèle est tant vanté, affiche un taux supérieur à celui de la France. Eurostat conclut que malgré ses lourdeurs, l’État-providence français a permis d’amortir une partie des effets délétères de la crise sur les plus pauvres.

Comme l’a rappelé le Premier ministre Bernard Cazeneuve, la renonciation à notre modèle de protection sociale n’a rien d’un sacrifice inéluctable ! C’est le sens des valeurs républicaines que nous, socialistes, nous défendons et que nous continuerons de défendre.

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