Intervention de Ségolène Neuville

Séance en hémicycle du 10 janvier 2017 à 15h00
Débat sur les politiques publiques en faveur de l'accès aux droits sociaux

Ségolène Neuville, secrétaire d’état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, tout d’abord je tiens à saluer la grande qualité du travail que vous avez mené pour ce rapport d’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits. Ce sujet étant essentiel, il était nécessaire que nous ayons ce débat.

Je veux saluer la méthode que vous avez utilisée : pendant des mois, vous avez mené de nombreux cycles d’évaluation, des recherches ; vous avez établi des comparaisons internationales, vous avez fait appel à de nombreuses expertises de représentants d’associations, de spécialistes, de responsables de caisse pour réunir des informations quasiment exhaustives et formuler des propositions très précises.

Je veux aussi, évidemment, saluer le choix du sujet de votre rapport, à un moment où on parle beaucoup d’« assistanat » – il est vrai que c’est un vieux débat – mais aussi de l’intérêt d’un revenu universel. Il est essentiel de rappeler que ce qui compte, en matière de protection sociale, ce n’est pas uniquement la performance du système ou l’efficacité de sa gestion : c’est aussi –c’est surtout, serais-je tentée de dire – son accessibilité au plus grand nombre et l’effectivité des droits. Car ce qui compte pour nos concitoyens, c’est le résultat, pas le moyen d’y arriver : ont-ils ou non effectivement accès à tel ou tel droit ?

L’accès aux droits est placé au coeur des politiques de lutte contre l’exclusion depuis la loi de 1998 visant à « garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l’enfance ».

Pourtant, même si notre système de protection sociale est réputé pour être l’un des meilleurs – les Français le savent et y sont d’ailleurs très attachés comme le montrent les débats actuels sur le remboursement des soins –, il est également l’un des plus complexes, il faut le reconnaître. Cela est lié à la prise en compte très fine des situations de chacun au regard de l’âge, d’un éventuel handicap ou encore du niveau de dépendance, pour ne citer que quelques exemples.

Cette complexité peut parfois susciter des incompréhensions chez nos concitoyens, au point qu’ils finissent parfois par renoncer à leurs droits, c’est-à-dire aux protections qui leur sont offertes pour faire face aux aléas de la vie. Cela n’est pas normal – c’est même un signe d’inefficacité de notre système. C’est pourquoi la lutte contre le non-recours a constitué une priorité pour le Gouvernement dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.

Je tiens à rappeler quelle a été l’action du Gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté dans le cadre de ce plan car nous n’avons pas à en rougir.

Lancé en janvier 2013, le plan « pauvreté » comprend à la fois des mesures monétaires tenant lieu de bouclier pour protéger les personnes en difficulté mais également des mesures non monétaires, transversales, interministérielles, visant à permettre à chacun de retrouver des conditions de vie dignes et les moyens de son émancipation.

Trois ans après, où en sommes-nous ? Les engagements ont été tenus. Les revalorisations ont été régulièrement effectuées tant pour les minima sociaux – augmentation de 10 % sur cinq ans du revenu de solidarité active – que pour les prestations familiales – augmentation de 25 % sur cinq ans de l’allocation de soutien familial et de 50 % sur cinq ans du complément familial majoré. La majorité des mesures prévues dans ce plan ont été réalisées à ce jour.

Quels en sont les premiers résultats ? Le plan a permis de stabiliser le taux de pauvreté alors qu’il n’avait cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, plus particulièrement entre 2008 et 2012. Cependant – et votre rapport le montre – la pauvreté et les inégalités subsistent dans notre pays. Celle-là touche particulièrement les familles monoparentales, les enfants, les chômeurs de longue durée mais également un certain nombre de salariés et travailleurs indépendants aux revenus modestes. C’est pourquoi nous avons pris des mesures concrètes et spécifiques pour permettre à chacun d’accéder plus facilement à ses droits.

Notre priorité a d’abord été de permettre aux personnes ayant droit à des aides d’être mieux informées. Vous proposez de mieux mesurer le non-recours, notamment en en faisant un indicateur suivi par les organismes de protection sociale, y compris Pôle emploi. Je partage cet objectif : cela nous obligera collectivement à mieux suivre les phénomènes de non-recours et à agir pour les réduire.

C’est précisément ce que nous faisons depuis cinq ans. Depuis 2012, l’accès à l’information et aux droits des personnes a été renforcé par la mise en place sur l’ensemble du territoire des « rendez-vous des droits » par les caisses d’allocations familiales – ce sont les caisses de la mutualité sociale agricole qui sont à l’origine de cette initiative. Ces rendez-vous se déroulent à l’occasion d’une demande de revenu de solidarité active ou à la suite d’événements générant de la vulnérabilité. Initialement, l’objectif fixé était de 100 000 rendez-vous par an ; les caisses d’allocations familiales en ont organisé plus de 240 000 l’année dernière.

Ces rendez-vous portent leurs fruits, et c’est pourquoi nous souhaitons aujourd’hui les renforcer. J’approuve d’ailleurs votre proposition de lier systématiquement l’organisation d’un rendez-vous des droits à la survenue d’un événement de la vie – naissance, perte d’emploi, maladie, décès – pour détecter un droit potentiel, immédiat ou à venir.

Par ailleurs, le simulateur en ligne multiprestations, dont l’adresse est mes-aides.gouv.fr, permet désormais à toute personne de connaître les principales prestations sociales auxquelles elle est susceptible d’avoir droit, dans des domaines aussi variés que les minima sociaux, les prestations familiales, les aides au logement ou encore l’accès aux prestations de santé. Son périmètre s’est progressivement étendu pour inclure de nouvelles prestations, comme la prime d’activité. Ce simulateur peut aussi, lorsque les collectivités le souhaitent, intégrer les aides extralégales qu’elles servent. Cet outil fera prochainement l’objet d’une communication large, afin que le grand public, mais aussi les bénévoles des associations et les travailleurs sociaux, soient informés de sa mise en service.

Le premier accueil social inconditionnel de proximité est en cours de mise en oeuvre sur l’ensemble du territoire, conformément à une instruction du Premier ministre en date de juillet 2016. Il vise à mieux informer les personnes sur les aides existantes, en offrant un accueil, une écoute et une orientation vers les solutions existantes sur l’ensemble du territoire.

Il importe aussi de mieux accompagner les personnes concernées, en renforçant l’intervention sociale et l’accompagnement vers l’autonomie et l’émancipation. C’est le sens du plan d’action en faveur du travail social et du développement social, qui prévoit, entre autres choses, d’améliorer la formation des travailleurs sociaux en réorganisant les diplômes du travail social autour de quatre grandes filières – social, éducation, enfance et familles et une filière transversale du management – et d’un socle commun. Les nouvelles formations menant à ces diplômes rénovés permettront aux travailleurs sociaux de mieux répondre aux enjeux sociaux actuels. Cette disposition aussi rejoint l’une de vos propositions, celle de réorienter la formation des travailleurs sociaux pour revaloriser leur vocation sociale.

Par ailleurs, nous devons mieux coordonner les interventions des professionnels et des bénévoles autour des situations les plus complexes que peuvent rencontrer des personnes en difficulté sociale. C’est l’objectif de l’expérimentation des référents de parcours, qui est actuellement menée dans quatre départements. Cette expérimentation doit nous permettre d’identifier, dans le courant de l’année 2017, les pratiques les plus efficaces avant de les diffuser.

Nous avons également eu à coeur de simplifier les prestations elles-mêmes, afin d’en faciliter l’accès. En effet, améliorer l’accès aux droits nécessite de repenser certaines prestations, les conditions pour en bénéficier mais aussi les démarches à effectuer. Certains d’entre vous l’ont rappelé, nos concitoyens ont parfois le sentiment d’être confrontés à des démarches administratives pesantes, répétitives et peu compréhensibles. Or il existe des moyens de les simplifier et de les faciliter.

D’abord il faut simplifier l’accès aux prestations, notamment pour que les personnes n’aient pas à fournir les mêmes informations aux diverses administrations. C’est l’objectif de la mise en oeuvre effective du principe : « Dites-le-nous une fois » et de la généralisation des échanges de données. Ce principe est simple : au moment de l’instruction des demandes, l’échange d’informations entre les organismes de Sécurité sociale et les administrations doit permettre de ne plus demander aux personnes de fournir des informations déjà connues d’une autre administration et de produire plusieurs fois les mêmes pièces justificatives. Vous avez voté – certains d’entre vous, du moins – l’inscription de ce principe dans le code de la Sécurité sociale et je vous en remercie. Dans les prochaines semaines, des avancées concrètes seront présentées concernant les échanges de données entre les organismes de protection sociale et l’administration fiscale ou encore le ministère de l’intérieur.

Comme les auteurs du rapport le soulignent, le Gouvernement partage l’idée selon laquelle le numérique peut être un outil de lutte contre l’exclusion. Ainsi, il sera dans quelques semaines possible de faire une demande de RSA en ligne – il va de soi qu’il sera toujours possible d’utiliser un formulaire papier. Cette même démarche s’appliquera, dès le premier semestre 2017, aux demandes de couverture maladie universelle complémentaire – CMU-C – et d’aide à la complémentaire santé – ACS. Le formulaire sera simplifié et le nombre de pièces justificatives à fournir réduit.

Nous avons également lancé l’expérimentation du coffre-fort numérique, afin que chacun, notamment les plus démunis, puisse à tout moment accéder à ses documents administratifs essentiels. Avec leur accord, les travailleurs sociaux qui les accompagnent pourront également y avoir accès. Chacun pourra par ailleurs disposer prochainement d’une vision complète de ses droits sociaux au travers du portail numérique des droits sociaux qui sera déployé progressivement au cours des prochains mois.

Néanmoins, pour éviter que le numérique ne devienne un facteur supplémentaire d’exclusion, il faut également développer l’accompagnement aux usages du numérique. C’est ce que nous faisons en modernisant les formations initiales et continues des travailleurs sociaux. Bien évidemment, il faut aussi veiller à ce que nos concitoyens aient toujours le choix entre la demande en ligne et le formulaire papier car il faut bien avoir en tête que tous ne disposent pas d’un ordinateur et d’une connexion internet.

Il faut enfin simplifier les dispositifs et les prestations sociales elles-mêmes. À cet égard, le rapport de Christophe Sirugue intitulé « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune », contient de nombreuses propositions, dont certaines ont d’ores et déjà été reprises par le Gouvernement. Nous pourrons revenir sur ces différents points à l’occasion de vos questions.

Avant même que ce rapport soit remis au Premier ministre, nous avons réformé certaines prestations afin de lutter plus efficacement contre le non-recours, en nous fixant des objectifs précis. Madame Fraysse, vous avez évoqué le RSA activité. C’est précisément pour lutter contre le non-recours à cette prestation que nous avons créé la prime d’activité. Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, cette aide vise à favoriser le retour à l’emploi et à soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes, en remplacement de la prime pour l’emploi et du RSA activité, qui était caractérisé, vous l’avez dit, par un très faible taux de recours. Nous nous étions, dès 2016, fixé l’objectif d’un taux de recours à la prime à 50 %. Cet objectif a été largement dépassé puisqu’on constate déjà un taux supérieur à 60 % et que plus de trois millions de foyers en ont bénéficié dès le mois de juin 2016.

Ce n’est pas un hasard : c’est le résultat de choix visant à simplifier et à dématérialiser les démarches – ce qui a permis de toucher davantage de jeunes –, à supprimer les pièces justificatives et à donner de la visibilité sur les droits en les rendant plus stables grâce au principe des droits figés sur trois mois. Ces dispositions constituent une première étape vers la mise en place, souhaitée à terme par le Gouvernement, d’une réforme plus globale visant à simplifier et à unifier le système de minima sociaux en ouvrant leur bénéfice à de nouvelles catégories.

Mesdames et messieurs les députés, depuis cinq ans, le combat contre la pauvreté et contre l’exclusion a été mené partout, dans les territoires urbains comme dans les territoires ruraux, avec les collectivités territoriales, les partenaires associatifs, les professionnels et les organismes de Sécurité sociale. Les résultats sont là, même si chacun de nous a bien conscience qu’il y a encore beaucoup à faire. Comme je vois que certains doutent de la réalité de ces résultats…

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