Intervention de Jérôme Lambert

Séance en hémicycle du 11 janvier 2017 à 15h00
Débat sur les négociations internationales relatives au changement climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, mes chers collègues, pour mes premiers mots dans notre hémicycle en 2017, permettez-moi de présenter à chacune et à chacun d’entre vous mes voeux les plus sincères. Au-delà de la diversité de nos choix politiques quant aux perspectives à venir, espérons que nous gagnerons collectivement en humanité pour faire avancer certains dossiers qui nous concernent tous, telle la question du changement climatique, qui nous occupe aujourd’hui, ainsi que l’a souhaité le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Nous nous retrouvons donc pour un débat sur les négociations internationales relatives au changement climatique, quelques semaines après la conclusion de la COP22, qui s’est déroulée à Marrakech en novembre 2016, suivant la voie tracée par la réussite de la COP21 de décembre 2015 à Paris.

Cette réussite, due à la conscience mondiale animée par une volonté très affirmée de la France, conditionnera pour longtemps les négociations climatiques à venir.

Après l’adoption, par les 195 États représentés, de l’Accord de Paris, le président de la COP21 et chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, avait qualifié l’accord de « juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant ».

L’ensemble des parties prenantes ont reconnu la qualité de l’accord, qui induisait une avancée significative dans les rapports internationaux portant sur la lutte contre le réchauffement climatique. « On se souviendra de Paris comme le tournant historique dans la politique climatique », concluait la Chancelière allemande Angela Merkel, Barack Obama n’hésitant pas à souligner que l’Accord de Paris établit le cadre durable dont le monde a besoin pour résoudre la crise climatique.

Lors de la COP22, la communauté internationale a d’ailleurs de nouveau félicité la France pour le travail accompli non seulement pour conclure cet accord, mais aussi pour entamer la dure bataille des ratifications que chaque État doit opérer selon des mécanismes juridiques et politiques qui lui sont propres.

Ainsi, le 1er septembre dernier, l’Accord avait été ratifié par des États ne représentant que 2 % des émissions. Début décembre, il l’avait été par 113 pays, représentant 77 % des émissions, et, aujourd’hui, cela concerne quasiment l’ensemble des parties prenantes.

Peu d’accords internationaux ont été ratifiés aussi rapidement. Cela démontre une prise de conscience des États, certainement poussés par les enjeux, dont l’opinion publique mondiale est de plus en plus consciente.

Si la France a pu obtenir cette victoire diplomatique et écologique, c’est aussi parce qu’elle a été exemplaire en accomplissant elle-même, avant la conférence de Paris, ce qu’elle demandait aux autres de faire. Elle avait une responsabilité particulière et a été à la hauteur des enjeux en montrant l’exemple, notamment avec la loi sur la transition énergétique.

Elle est aujourd’hui le seul pays de l’Union européenne dont le Parlement a adopté un tel texte, inscrivant ainsi sa contribution nationale dans la loi, le seul pays ayant publié sa stratégie bas carbone et sa programmation pluriannuelle de l’énergie. Enfin, elle est aussi le seul pays à avoir mis en place les outils d’application que sont la fiscalité écologique avec le crédit d’impôt, les territoires à énergie positive et les tarifs de rachat pour l’électricité propre.

Toutes ces avancées ne sont pas exemptes de critiques ou de nuances ; nous aurions pu aller plus loin sur certains sujets, mais, globalement, il me semble que nous avons un bilan plutôt satisfaisant sur l’écologie, ce qui nous donne des moyens supplémentaires pour les négociations internationales sur le climat.

La COP22 a rappelé, dans le contexte international du moment, l’étroite imbrication des problématiques écologiques, économiques, sécuritaires et migratoires dans un monde en pleine interrogation quant à son devenir.

L’ensemble de ces éléments dessinent les contours d’une mondialisation telle qu’on l’entend aujourd’hui, un phénomène dynamique intégrant les économies nationales, grâce aux progrès technologiques, mais soulevant des problèmes bien au-delà de la sphère économique.

L’enjeu des énergies dans les relations internationales, en termes d’accès, de contrôle, de répartition, de capacités mondiales et de modèles de substitution, est un facteur clé, tout comme peut déjà l’être l’accès aux ressources en eau.

Le lien entre croissance et niveau de consommation d’énergies est tel que toute menace sur l’approvisionnement énergétique des pays industrialisés s’apparente généralement à une atteinte à leurs intérêts essentiels.

La question est d’autant plus sensible que la faiblesse des capacités disponibles est une source permanente de tensions sur les cours et de menace sur l’activité économique mondiale. L’appauvrissement progressif en ressources énergétiques attendu tout au long du XXIe siècle pourrait ainsi bouleverser les équilibres actuels et les négociations, comme la COP21 l’a mis en exergue.

Si la COP21 et la COP22 se sont tenues dans un contexte d’inquiétude croissanteet si la lutte contre le réchauffement climatique tend à s’imposer comme une cause majeure au plan international, les négociations climatiques et leurs avancées, si attendues soient-elles, comportent aussi de nombreux risques d’échec.

Il faut le reconnaître, la COP22 n’a pas eu la même réussite médiatique que la COP21, et l’on peut légitimement considérer que son bilan est mitigé. De grandes avancées ont eu lieu, et je salue notamment l’accélération de la mise en place des structures qui doivent nous permettre d’être opérationnels en 2018, mais nous pouvons regretter que, au-delà du beau texte que constitue la déclaration de Marrakech, il faille transformer l’essai.

Dans un contexte nourri par les inquiétudes au sujet de la position des États-Unis à la suite de l’élection de Donald Trump, l’Europe, qui se doit de donner l’exemple, manque parfois de cohérence et de solidarité pour rester un moteur dans la lutte contre le réchauffement climatique, certains États traînant résolument les pieds.

Cela dit, l’Union européenne a ratifié l’accord en amont de la COP22. Certains pays étaient réticents à autoriser une ratification anticipée par l’Union, redoutant un précédent pour d’autres types de traités internationaux, notamment les traités commerciaux. Le Conseil ayant finalement pu l’autoriser, il y a eu un vote positif du Parlement européen, et l’Union européenne a pu ratifier l’accord le 5 octobre 2016 avec sept de ses États membres, déclenchant son entrée en vigueur.

Parmi les regrets, de nombreuses ONG ont exprimé leurs craintes sur la faiblesse des moyens financiers. À côté du Fonds vert, globalement plutôt orienté vers les États, les engagements financiers pour le fonds de 100 milliards destiné à financer de petits projets locaux semblent pour l’instant encore incertains.

Globalement, les enjeux de la COP22 ont en effet une dimension pratique : il s’agit de passer de la parole aux actes. Si les intentions de l’Accord de Paris et les objectifs qu’il fixe sont satisfaisants, sa mise en oeuvre n’est pas définitivement garantie : c’est bien la problématique de ces négociations internationales, et c’est l’objet des discussions en cours depuis la signature de l’Accord.

Du fait de l’insuffisance des contributions nationales, nous sommes loin de nous maintenir sur une trajectoire limitant le réchauffement climatique à 2 ° C et encore moins à 1,5 ° C.

Comment parvenir à respecter l’objectif de cet accord alors que, chaque année, nous battons des records de température, même si les rejets de gaz à effet de serre tendent à diminuer ?

Les chiffres ne sont pas encore définitifs, mais des études récentes démontrent que l’année 2016 sera la plus chaude que le globe ait pu connaître de mémoire d’homme. Il s’agit donc d’une tendance lourde.

Si la nature de l’Accord et le système de contrainte politique mis en place ont permis de rallier le plus grand nombre de pays, il est indéniable que l’Accord de Paris offre peu de garanties quant à la réalisation effective des objectifs fixés par les États.

Le processus instauré s’appuie sur la valorisation des initiatives positives, sans qu’aucun régime de sanctions, dommageables pour les États, puisse être mis en place. Un État ne respectant pas ses engagements sera montré du doigt, mais c’est le seul risque auquel il s’expose, et c’est actuellement uniquement un risque moral et politique. En l’absence de sanctions, l’efficacité des obligations des États demeure donc assez relative et dépend essentiellement de leur bonne volonté.

On peut considérer que le niveau d’exigence posé par l’Accord au niveau mondial est contradictoire avec la faiblesse des contraintes qui pèsent sur les États. La COP22 devait être l’occasion pour les États de prendre acte de cette insuffisance, pour les pousser à présenter rapidement des contributions plus ambitieuses, dès 2018. Cette étape n’a pas encore été vraiment franchie, mais elle doit désormais s’imposer.

Il semble toutefois impensable que les États restent inactifs dans la période préalable et que les objectifs trop limités avancés en 2016 ne soient pas modifiés avant 2025 : la référence à 2 ° C semble insuffisante, ce taux risquant cependant d’être rapidement atteint et dépassé. Que dire de celui de 1,5 ° C demandé par la communauté scientifique ? Au rythme constaté du réchauffement climatique, ces quelques années d’inaction sont un risque que la communauté internationale ne peut courir.

Nous avons de bonnes raisons de nous satisfaire des progrès effectués et des avancées majeures validées par la communauté internationale, mais de nouveaux facteurs de risques pour les négociations sont apparus, et de nombreuses et graves questions restent en suspens, en dépit du caractère essentiel de l’accord global.

Le Parlement français a toujours été à la pointe de la mobilisation sur ces questions, à travers les travaux de nos différentes commissions, dont la commission des affaires européennes et la commission du développement durable.

Depuis huit ans, avec Bernard Deflesselles et, depuis trois ans, avec Arnaud Leroy, sous l’égide de la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, très impliquée dans ce domaine, j’ai eu l’honneur de suivre pas à pas l’évolution des discussions internationales, leurs enjeux, leurs tenants et aboutissants, à travers leurs multiples aspects, écologiques, économiques, scientifiques et, bien entendu, diplomatiques.

Ce fut un grand travail, et une grande responsabilité qui nous a été confiée et je voulais tous vous en remercier. La législature se termine, mais assurément pas ce travail. Souhaitons ardemment que, dans la prochaine législature, il soit poursuivi pour permettre à notre pays de continuer à jouer un rôle essentiel contre le réchauffement climatique, enjeu majeur de l’avenir de l’humanité qui s’engage dès aujourd’hui.

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